Cour Suprême du Canada
Breckenridge Speedway Ltd. et al. c. R., [1970] R.C.S. 175
Date: 1969-10-21
Breckenridge Speedway Ltd., Twin Town Motors Ltd., Oscar Green et Irene Janet Green, en affaires sous les nom et raison sociale de Green’s Garage, et lesdits Irene Janet Green et Oscar Green (Demandeurs) Appelants;
et
Sa Majesté la Reine du Chef de l’Alberta (Défenderesse) Intimée;
et
Le Procureur général du Canada Intervenant.
1968: les 8, 12 et 14 novembre; 1969: le 21 octobre.
Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA DIVISION D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA
APPEL et CONTRE-APPEL d’un jugement de la division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta[1], confirmant avec modifications un jugment du Juge Primrose. Appel et contre-appel rejetés, les Juges Hall et Spence étant en partie dissidents.
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A.G. Macdonald, c.r., et R.D. Gillespie, pour les demandeurs, appelants.
A.S. Pattillo, c.r., C.W. Clement, c.r., et J.W. Brown, pour la défenderesse, intimée.
C.R.O. Munro, c.r., et D.W. Kilgour, pour l’intervenant.
Le jugement du Juge en Chef Cartwright et des Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson, Ritchie et Pigeon a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Mon collègue, le Juge Hall a fait un exposé détaillé des faits en cette cause; il n’est pas nécessaire de le répéter. Un bref examen des procédures écrites aidera cependant à définir les questions en jeu dans le présent pourvoi. Bien que les demandeurs (appelants en cette Cour) aient allégué que Green’s Garage a émis des chèques à l’ordre de Consolidated Finance Corporation et de certaines autres sociétés de financement pour une somme totale de $76,031.97, que Breckenridge Speedway Ltd. en a émis pour $36,398.49 et Twin Town Motors Ltd. pour $20,000, et qu’avant la présentation pour paiement d’aucun desdits chèques Oscar Green, pour le compte de tous les appelants, en a contremandé le paiement à la Calder Treasury Branch, ils n’ont pas pris de conclusions fondées sur ces allégations. Au procès, l’avocat des appelants les a décrites comme l’essentiel de l’historique de la transaction dans son ensemble.
Sur ce point, je suis d’accord avec mon collègue, le Juge Hall, que peu importe qu’il y ait eu ou non un contre-ordre de paiement des chèques, les demandeurs en ont ratifié le paiement; c’est aussi ce qu’a conclu à juste titre le savant Juge de première instance.
Les demandeurs demandent essentiellement l’annulation de la convention datée du 8 décembre 1958, intervenue entre Oscar Green, Irene Janet Green et Breckenridge Speedway Ltd. d’une part et le Trésorier de la Province d’autre part, au sujet de comptes à la Calder Treasury Branch, et par laquelle les demandeurs ont convenu de transporter au Trésorier de la Province d’Alberta les biens suivants:
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1. La propriété désignée sous le nom de Green’s Garage située à Wainwright (Alberta) et accessoires.
2. La propriété désignée sous le nom de Green’s Garage Body Shop, située à Edmonton et accessoires.
3. La maison d’Oscar Green et Irene Janet Green, à Edmonton.
4. La propriété Valleyview, à Valleyview (Alberta).
5. La propriété Glenlyon, bâtiments et terrains, en banlieue d’Edmonton.
6. Droits au bail de North Star Oil Company en faveur de Green’s Garage d’Edmonton et accessoires.
7. Transport en blanc de la propriété de Green’s Garage d’Edmonton et accessoires.
8. Droits à la promesse de vente à O.E. Campbell, de Viking Motors, à Viking (Alberta).
Le Trésorier de la Province s’était engagé à créditer aux comptes de Breckenridge Speedway Limited et de Green’s Garage, à la Calder Treasury Branch, les sommes mentionnées aux actes de transport de la propriété de Wainwright, de celle de Green’s Garage Body Shop, à Edmonton, de la maison d’Oscar et Irene Janet Green à Edmonton, et de celles de Valleyview et de Glenlyon. Le Trésorier de la Province s’était également engagé à louer aux demandeurs les trois premières propriétés ci-dessus mentionnées, pendant cinq ans, moyennant un loyer égal à l’intérêt au taux de 6 pour cent l’an sur la valeur des propriétés établie aux actes de transport plus les taxes annuelles. Les demandeurs avaient le privilège de faire des paiements supérieurs au loyer ainsi déterminé pour racheter ces propriétés aux prix établis par les différents actes de transport. Il était également entendu que les demandeurs se verraient accorder un crédit à l’exploitation pendant cinq ans, jusqu’à concurrence de $15,000.
Les actes de transport ont été signés au cours des mois de novembre et décembre 1958, et en établissent la valeur comme suit:
La propriété de Wainwright..............................................
$35,000
La propriété de Green's Garage à Edmonton...............
16,000
La maison des Green à Edmonton.................................
12,000
La propriété de Valleyview...............................................
1,500
La propriété de Glenlyon..................................................
6,000
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Les demandeurs, dans leur déclaration, ont allégué l’inexécution de la convention sous plusieurs rapports et, en conséquence, en ont demandé la résolution et réclamé la rétrocession des propriétés et le remboursement des sommes qu’ils avaient versées à la défenderesse en vertu de cette convention.
Par demande reconventionnelle, la défenderesse a réclamé: des demandeurs Oscar Green et Irene Janet Green le paiement des sommes dues en vertu des baux relatifs aux propriétés visées par la convention; de Green’s Garage et de Breckenridge Speedway Limited le paiement d’un billet à ordre souscrit par Green’s Garage de même que le remboursement de leur découvert de compte.
C’est à ce moment que les demandeurs ont prétendu, dans leur défense à la demande reconventionnelle, que tous les actes et conventions de la défenderesse visés à l’action étaient nuls parce que faits en vertu de la loi dite The Treasury Branches Act, S.R.A. 1955, c. 344 (ci-après appelée «la Loi») et que cette Loi était ultra vires des pouvoirs de la Législature d’Alberta.
Sur la demande en résolution, le savant Juge de première instance a conclu:
[TRADUCTION] J’ai étudié toutes les prétentions des demandeurs et en les analysant je ne trouve pas qu’elles justifient un recours en dommages ou en résolution.
Sur ce point précis, la Cour d’appel a confirmé cette décision à l’unanimité. A mon avis, cette conclusion n’a pas à être modifiée.
Quant à la demande reconventionnelle, le Juge en chef Smith et les Juges d’appel Johnson et Kane ont été d’avis que les demandeurs, en tant qu’emprunteurs, n’avaient pas le droit d’invoquer l’inconstitutionnalité de la Loi comme moyen de défense. En conséquence, ils n’ont pas cru nécessaire d’adjuger sur cette question. Les Juges d’appel Porter et Allen ont opiné que la Loi était ultra vires des pouvoirs de la Législature d’Alberta, parce qu’elle se rapporte au «commerce de banque», qui est de la compétence exclusive du Parlement du Canada.
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Tous les juges de la Cour d’appel, à l’exception du Juge Porter, ont opiné que les transports de propriétés faits en exécution de la convention du 8 décembre 1958 constituaient un paiement partiel de la dette des demandeurs, sauf que ceux des propriétés de Wainwright, de Green’s Garage Body Shop et de la maison des Green, qu’on leur avait louées, n’avaient été donnés qu’en garantie et non en paiement partiel.
En conséquence, la Cour d’appel a modifié le jugement de première instance qui rejetait l’action des demandeurs et accueillait la demande reconventionnelle de la défenderesse en biffant du jugement la disposition qui autorisait la défenderesse à prendre possession de ces trois propriétés.
A mon avis, le jugement de la Cour d’appel est bien fondé, et j’en arrive à cette décision sans trouver nécessaire de statuer sur la constitutionnalité de la Loi. Les questions à décider dans le présent pourvoi sont le droit de la défenderesse de recouvrer des demandeurs les sommes que leur a prêtées la Treasury Branch et la validité de la convention du 8 décembre 1958, par laquelle le titre à certaines propriétés des demandeurs passait à la défenderesse, soit à titre de paiement partiel soit en garantie de paiement.
L’allégation d’inconstitutionnalité, dans la présente affaire, est à l’effet que la Loi étant invalide parce qu’elle se rapporte au commerce de banque, le Trésorier de la Province n’avait pas, en droit, le pouvoir de prêter aux demandeurs les sommes que de fait il leur a avancées. Même si cette prétention était fondée, la jurisprudence qu’a citée mon collègue, le Juge Hall, et celle qu’on trouve dans les motifs du Juge en chef Smith et du Juge d’appel Johnson démontrent clairement que, comme la transaction n’avait rien d’illégal et que tout au plus le Trésorier de la Province n’avait pas le pouvoir de faire crédit, les demandeurs n’avaient pas de défense à opposer à l’action en recouvrement des sommes en tant qu’argents reçus. Des affaires citées dans ces motifs, je ne mentionnerai que les deux suivantes: Re Coltman; Coltman v. Coltman[2]; In re K.L. Tractors Ltd.[3]
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II en résulte donc que, indépendamment de la constitutionnalité de la Loi, les demandeurs sont légalement tenus de rembourser les sommes que la défenderesse leur a versées.
Après avoir établi ce point, je m’attacherai maintenant à la convention du 8 décembre 1958 et aux transports de propriété faits en exécution de cette dernière. Par elle, les demandeurs s’engageaient à céder à la défenderesse certaines propriétés, soit à titre de paiement partiel de leur dette soit en garantie du remboursement de celle-ci. Les actes de transport ont été faits conformément à la loi d’Alberta et le droit de propriété a été transporté à la défenderesse, représentée par le Trésorier de la Province. Il n’y a rien d’illégal à ce que la défenderesse devienne propriétaire d’immeubles situés en Alberta.
Les demandeurs veulent qu’un jugement ordonne à la défenderesse de leur rétrocéder les propriétés. Ils prétendent que la convention est nulle du fait qu’elle est intervenue dans l’exploitation d’un commerce de banque, ce qui n’est pas de la compétence de la Province. Mais l’objet de la convention, sauf la promesse de faire crédit aux demandeurs qui n’est pas en litige ici, était de pourvoir au remboursement ou à la garantie d’une obligation en souffrance. Pour les motifs que j’ai déjà mentionnés, les demandeurs ne peuvent pas se soustraire à cette obligation de rembourser, même si les prêts avaient été faits sans autorisation légale. Dans les circonstances, je ne vois pas comment les demandeurs pourraient réclamer ce qu’ils ont cédé en paiement ou en garantie de paiement des sommes qu’ils devaient légalement à la défenderesse.
Le Conseil privé a eu à résoudre une question à peu près semblable dans l’affaire Ayers v. The South Australian Banking Company[4]. Dans cette affaire-là, il s’agissait d’une loi de l’Australie méridionale qui permettait le nantissement de laine sans délivrance matérielle au créancier gagiste. La banque avait fait à une société une avance de fonds garantie par un tel nantissement. La banque a intenté contre le syndic de la faillite de la société qui avait contracté l’emprunt, une action en détournement (in trover) pour recouvrer une somme égale à la valeur de la laine.
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Un des moyens de défense était que les statuts de la banque renfermaient une disposition lui interdisant de faire des prêts garantis par des marchandises.
La banque a eu gain de cause. Voici ce que dit de ce moyen de défense le Lord Juge Mellish, à la p. 558:
[TRADUCTION] M. Manisty a soulevé un autre point au sujet des statuts (de l’intimée), il a invoqué l’article qui stipule qu’il ne sera pas permis à la Banque de faire des prêts garantis par des marchandises. L’interprétation de cet article pourrait sans doute soulever bon nombre de problèmes qui sont sûrement d’un grand intérêt, mais également très difficiles à résoudre, aussi leurs Seigneuries ne croient-ils pas nécessaire de donner leur avis à ce sujet. On peut se demander quelles sont en vérité les opérations auxquelles la disposition s’applique et en particulier si elle s’applique à cette affaire-ci. On peut aussi se demander si, de toute façon, le fait de passer outre à cette interdiction n’a pas comme seule conséquence de permettre à la Couronne d’annuler les lettres-patentes. Le seul point que leurs Seigneuries jugent nécessaire d’éclaircir en rapport avec la présente affaire est le suivant: quelle que soit la portée de cette disposition, elle n’empêche pas la translation du titre de propriété aux marchandises ou aux immeubles, s’il n’y a pas d’autre cause de nullité. La seule défense qu’on pourrait soulever ici (on ne plaide pas l’illégalité) est celle du défaut de possession, c’est-à-dire que les demandeurs n’ont jamais acquis ni droit de propriété ni droit de possession. Leurs Seigneuries sont d’avis que quelles qu’en soient les autres conséquences, la disposition n’a pas pour effet d’empêcher la translation du titre de propriété.
Il y a d’autres circonstances dans la présente affaire qui sont à l’avantage de la défenderesse. Il n’y a pas ici de conflit avec les droits d’autres créanciers des demandeurs. De plus, la défense a un autre atout encore plus important. Si la Loi est inconstitutionnelle, comme le prétendent les demandeurs, le Trésorier de la province, qui est un ministre de la Couronne, aurait outrepassé ses pouvoirs en prêtant de l’argent aux demandeurs. Les fonds ainsi prêtés appartenaient à la Couronne; les prêts aux demandeurs constitueraient donc un emploi non-autorisé des deniers de la Couronne, auquel les demandeurs et le Trésorier de la province auraient été parties. L’acte abusif du ministre de la Couronne ne
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pourrait pas empêcher cette dernière d’exiger le paiement des sommes versées. Ce n’est pas au Trésorier de la province que les demandeurs ont transporté les propriétés mais bien à la Couronne. Ces transports tenaient lieu de paiement ou de garantie de paiement de sommes d’argent que les demandeurs sont légalement tenus de rembourser. La Couronne a, en droit, un bon titre à ces propriétés.
Les demandeurs ne peuvent pas exiger la rétrocession des immeubles par la Couronne à moins qu’ils ne puissent prouver qu’ils n’étaient pas obligés de rembourser les sommes dont les immeubles effectuaient, en partie, le remboursement ou le garantissaient. Si leur prétention que la loi est inconstitutionnelle est fondée, ils ne peuvent pas faire cette preuve parce qu’alors ils ont touché de l’argent de la Couronne en vertu d’un acte abusif d’un préposé de la Couronne, acte auquel ils ont été parties.
En définitive, je suis d’avis que l’allégation d’inconstitutionnalité n’est pas une défense à la demande reconventionnelle de la défenderesse et, dans les circonstances, il n’est pas nécessaire de décider si la Loi est ultra vires des pouvoirs de l’Assemblée législative d’Alberta.
La seule question qui reste est de savoir si les transports à la défenderesse des propriétés de Wainwright, de Green’s Garage Body Shop et de la maison des Green constituaient des cessions pures et simples en paiement partiel de la dette des demandeurs ou si elles n’étaient que des transports en garantie. Pour les motifs qu’a exprimés le Juge d’appel Allen et auxquels le Juge en chef Smith et les Juges d’appel Johnson et Kane ont souscrit, je suis d’avis que le transport de ces trois propriétés n’était qu’en garantie.
A mon avis, il faut confirmer le jugement de la Cour d’appel. En conséquence, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens et le contre-appel avec dépens. L’intervenant n’a droit à aucun dépens.
Le jugement des Juges Hall et Spence a été rendu par
LE JUGE HALL (en partie dissident) — Il s’agit ici d’un pourvoi à l’encontre d’un arrêt de la division d’appel de la Cour Suprême de l’Alberta[5]
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rendu sur l’appel d’un jugement du Juge Primrose. Par leur action, les appelants, prétendant que la Calder Treasury Branch avait payé sans droit certains chèques dont le paiement avait été contremandé, demandaient la résolution d’une convention intervenue entre eux et l’intimée le 8 décembre 1958, la rétrocession de certaines propriétés que les appelants avaient transportées à l’intimée en mai 1959 et une reddition de compte. Par demande reconventionnelle, l’intimée a réclamé la possession des propriétés et un jugement pour le montant de certains loyers et prêts d’argent. Le Juge Primrose a débouté les appelants de leur action et a donné jugement à l’intimée lui accordant, entre autres choses, la possession des propriétés. Dans leur demande, les appelants alléguaient que la loi de la province d’Alberta intitulée The Treasury Branches Act est ultra vires. La division d’appel, tout en jugeant que cette loi est ultra vires, a néanmoins confirmé le jugement du Juge Primrose refusant la résolution de la convention et donnant jugement pour la somme réclamée dans la demande reconventionnelle. Cependant, elle a trouvé que trois des propriétés dont il est question dans l’action avaient été transportées en garantie et elle a ordonné une reddition de compte à ce sujet. Les trois propriétés en question sont désignées partout dans la preuve et les jugements comme (a) «Green’s Body Shop», (b) la «maison», (c) la «propriété de Wainwright».
Les appelants, demandeurs dans l’action, par leur pourvoi devant cette Cour, allèguent que le Juge Primrose et la division d’appel ont fait erreur:
1. En ne décidant pas que les sommes déboursées par la Calder Treasury Branch en paiement de chèques des appelants présentés après un contre-ordre de paiement n’étaient pas recouvrables.
2. En décidant que, dans ces circonstances, il n’était ni juste, ni équitable que les appelants plaident que l’intimée n’avait pas le pouvoir, du point de vue constitutionnel, de faire des conventions et prendre des garanties sur immeuble pour obtenir le remboursement des sommes payées pour des chèques contremandés.
3. En ne décidant pas que dans ces circonstances les appelants avaient de droit de plaider l’inconstitutionnalité.
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4. En ne concluant pas que la Calder Treasury Branch avait fait les conventions et pris les garanties dans l’exercice d’un commerce de banque, que le Trésorier de la Province de l’Alberta exploitait en vertu, ou par abus, des dispositions de la loi dite The Treasury Branches Act, ch. 344 des Statuts revisés de l’Alberta, 1955 et amendements.
5. En ne concluant pas que ladite loi The Treasury Branches Act est ultra vires des pouvoirs de la Province d’Alberta en vertu des dispositions de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
6. En ne concluant pas que ledit commerce de banque est ultra vires des pouvoirs de la Province d’Alberta en vertu des dispositions de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
7. En ne concluant pas que les conventions faites et garanties prises sont ultra vires des pouvoirs de la Province d’Alberta en vertu des dispositions de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
8. En ne concluant pas que, pour ces motifs, la Cour ne peut rendre lesdites conventions et garanties exécutoires.
9. En ne concluant pas que, dans les circonstances, les appelants avaient droit à la résolution desdites conventions.
L’intimée a donné avis de son intention de se pourvoir par contre-appel à l’encontre de l’arrêt de la division d’appel à l’égard de la propriété de Wainwright pour faire rétablir la décision du Juge Primrose. L’intimée prétend avoir droit à cette propriété comme propriétaire réel, libre de tout droit de rachat en faveur de l’appelante Breckenridge Speedway Ltd. et soutient qu’aucun des appelants n’en a eu la possession depuis 1960. Lors de l’audition devant cette Cour, permission a été accordée de modifier le contre-appel et d’y inclure, outre la propriété Wainwright, les autres propriétés désignées comme étant «Green’s Body Shop» et «la maison».
Le 30 octobre 1967, le Juge en chef du Canada a rendu l’ordonnance suivante:
[TRADUCTION] IL EST ORDONNÉ de faire signifier immédiatement au Procureur général du Canada, et aux correspondants à Ottawa des Procureurs généraux des Provinces, sauf le Procureur général de l’Alberta qui est déjà partie, un avis de la question constitutionnelle soulevée dans ce pourvoi, avec une copie des motifs de l’arrêt de la division d’appel de
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la Cour Suprême de l’Alberta et une copie de la présente ordonnance, laquelle question constitutionnelle peut être énoncée comme suit:
1. «La Loi dite The Treasury Branches Act, ch. 344 des Statuts revisés de l’Alberta et amendements, est-elle ultra vires des pouvoirs de la province de l’Alberta en tant que loi relative au commerce de «banque» en contravention des dispositions de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique?
2. Les affaires transigées par les Treasury Branch de la province d’Alberta sont‑elles ultra vires des pouvoirs de la Province d’Alberta parce que ces affaires ne sont pas autorisées par la loi?»
ET IL EST DE PLUS ORDONNÉ que toutes les demandes d’intervention soient rapportables à l’hon. Juge en chef du Canada, en chambre, le 27e jour de novembre 1967, à 10 heures du matin.
Le Procureur général du Canada demanda à intervenir dans la cause. Il a été autorisé à le faire, ainsi qu’à se faire représenter par avocat et à produire un factum. Aucune province n’a demandé à intervenir.
Les faits qui ont donné lieu à ce litige et à la question constitutionnelle sus-mentionnée sont compliqués et ils furent contestés au début. Les appelants, Oscar Green et Irene Janet Green, sont mari et femme. Pendant tout le temps où se sont déroulés les faits pertinents au litige, Mme Green était propriétaire d’un garage à Edmonton (Alberta) connu sous le nom de «Green’s Garage». Un autre appelant, Breckenridge Speedway Ltd. (ci-après nommée «Breckenridge») exploitait un garage à Wainwright, dans la même province. Green’s Garage et Breckenridge étaient tous deux gérés par Oscar Green.
En 1956, Green’s Garage faisait la vente d’automobiles neuves et usagées, à Edmonton et ailleurs dans la province, tandis que Breckenridge exploitait le même commerce à Wainwright. Green’s Garage achetait ses voitures neuves d’un concessionnaire connu sous le nom de «Waterloo Motors» tandis qu’à Wainwright, Breckenridge les achetait directement de la compagnie Ford. Les opérations en cause dans ces procès impliquaient le financement des achats d’automobiles par une société qui, dans la preuve, est désignée sous le nom de «Consolidated Finance»
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(ci-après appelée «Consolidated»). Lorsque Green’s Garage commandait une voiture à Waterloo, la livraison était faite à charge d’un nantissement donné à Consolidated par Waterloo pour le prix de gros. Consolidated payait alors la voiture à Waterloo et la livrait à Green’s Garage, grevée d’un nantissement pour se garantir. On disait de ces voitures qu’elles étaient «en financement de gros». Quand Green’s Garage vendait la voiture à crédit par contrat de vente conditionnelle, il émettait un chèque à Consolidated pour acquitter le financement de gros et régler le nantissement. Consolidated remettait alors à Green’s Garage un chèque à l’ordre de celui-ci représentant le montant à recevoir du client en vertu du contrat de vente conditionnelle. Si l’acheteur manquait à ses engagements en vertu du contrat de vente conditionnelle, on reprenait l’automobile qui était remise sur le financement de gros en vertu d’un contrat général intervenu entre Green’s Garage et Consolidated. Le solde dû était alors déduit des sommes payables en vertu des autres contrats de vente conditionnelle cédés à Consolidated. Cette méthode, à cause du nombre de voitures qu’elle impliquait, finit par donner lieu à une dispute ou mésentente entre Green’s Garage et Consolidated quant au montant de l’endettement de Green’s Garage envers Consolidated.
En septembre 1956, Green’s Garage jugea que Consolidated retenait sans raison la somme de $11,600 en rapport avec des véhicules repris. Pour renforcer sa situation vis-à-vis Consolidated, Green’s Garage retint les contrats de vente conditionelle relatifs aux nouvelles ventes au lieu de les livrer immédiatement à Consolidated comme il avait eu l’habitude de le faire. A chacun des contrats, on trouvait attaché un chèque de Green’s Garage ou de Breckenridge en faveur de Consolidated pour le montant du financement de gros sur le contrat en question.
Oscar Green, l’un des appelants, a témoigné que Green’s Garage voulait retenir les contrats de vente conditionnelle et les chèques jusqu’à ce que le différend avec Consolidated au sujet des voitures reprises soit réglé. Il a aussi déclaré que, vers la fin de septembre 1956, alors qu’il était absent pour la fin de semaine, un représentant de Consolidated est venu au Green’s Garage et
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s’est emparé d’une boîte pleine de contrats de vente conditionnelle avec les chèques y attachés. Green a déclaré avoir été mis au courant de ce fait à son retour le dimanche soir. Les chèques étaient tirés sur la Treasury Branch de Calder (une agence de celle d’Edmonton) établie par le Trésorier de la Province d’Alberta en vertu des dispositions de la loi dite The Treasury Branches Act, S.R.A. 1942, c. 29. Green’s Garage déposait des fonds à l’agence de Calder tout au long de 1956 (il était un déposant depuis 1950). En 1956, au moment de sa constitution, Breckenridge est devenu un déposant à l’agence de Calder. En 1955, M. et Mme Green avaient fait des emprunts à la Treasury Branch de Calder et ils avaient souscrit en avril et en novembre 1955 des billets au montant de $2,600 et de $10,500 respectivement. De fait, les appelants, Green’s Garage et Breckenridge faisaient leurs opérations bancaires à l’agence de Calder du Treasury Department.
Oscar Green a affirmé dans son témoignage que, le lendemain du jour où il a appris que le représentant de Consolidated avait pris les contrats de vente conditionnelle et les chèques, il a dans la matinée avisé un nommé Skelton, gérant de la Treasury Branch à Calder, de refuser le paiement des chèques pris par Consolidated. Il a également déclaré que, malgré le contre-ordre de paiement, Skelton a honoré les chèques et remis l’argent à Consolidated. D’après le témoignage de Green, le montant total de ces chèques était de $198,985.86, d’où un découvert considérable dans le compte de Green’s Garage. Le 5 octobre 1956, ce découvert se chiffrait à $123,322.99. Le 3 octobre 1956, des chèques pour une somme de $36,398.49 ont été débités au compte de Breckenridge; le solde créditeur de ce compte étant important, il ne se trouva pas à découvert.
La preuve montre clairement que Skelton n’était pas autorisé à faire crédit à Green’s Garage à concurrence du découvert au 5 octobre 1956. Skelton a continué à honorer les chèques tirés par Green’s Garage, de sorte que le 20 octobre 1956 ce dernier devait $142,546 à la Treasury Branch. Breckenridge devait $6,680.67 à la même date.
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Pour les appelants le contre-ordre de paiement des chèques pris par Consolidated est d’une importance capitale. Selon le témoignage de Green, le contre-ordre a été donné verbalement. Le savant Juge de première instance a trouvé qu’en fait le contre-ordre a réellement été donné. Voici ce qu’il dit à ce sujet:
[TRADUCTION] L’affaire a abouti quand les demandeurs, après avoir émis des chèques à la société de financement, ont donné ordre à Skelton d’en refuser le paiement. Je ne doute pas que Skelton ait reçu cette directive mais, quelques jours plus tard, il alla trouver le demandeur Green, pour lui dire qu’il avait payé les chèques.
Les appelants se fondent sur cette conclusion de fait comme sur la conclusion clé, la pierre angulaire, de leur cause.
La preuve à l’appui de cette conclusion est mince. Skelton n’a pas témoigné au procès. Il ressort du témoignage de M.H. Pitcher, administrateur des liquidations au bureau-chef des Treasury Branch à Edmonton, que Green n’a pas parlé de cela avant le mois de décembre 1960. Green, de son côté, a témoigné avoir dit à Pitcher et à un nommé Olive, surintendant à la Treasury Branch, lors d’une entrevue au bureau du directeur vers octobre ou novembre 1956, qu’il avait contremandé le paiement des chèques mais que Skelton les avait payés quand même. On n’entendit plus parler de cette question si importante jusqu’à ce que Green en fasse mention dans une lettre, datée du 17 décembre 1960 et adressée à Pitcher. Quoi qu’il en soit, je ne peux donner à la conclusion sur ce point l’effet que les appelants prétendent qu’elle doit avoir. Peu importe que le paiement des chèques ait été contremandé et qu’on ait passé outre à cet ordre, la preuve établit clairement que les appelants ont ratifié le paiement des chèques, conclusion à laquelle le savant Juge de première instance était bien fondé d’arriver. Les appelants ont continué à transiger avec la Calder Treasury Branch, en prenant pour acquis qu’ils avaient reçu les sommes que représentaient les chèques et qu’ils les devaient à la Treasury Branch. Le 20 octobre 1956, ils ont souscrit en sa faveur des billets au montant total de $140,000, soit le découvert total, à date, des
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comptes de Green’s Garage et de Breckenridge. D’après la preuve et les livres de la Treasury Branch, les appelants devaient $150,558.10 au 8 décembre 1958.
C’est à ce moment-là qu’est intervenue la convention que j’étudierai plus loin, car elle a une très grande importance dans la détermination des droits des parties, notamment ceux de l’intimée à certaines propriétés dont on a alors disposé. Cette convention se lit comme suit:
[TRADUCTION]
M. OSCAR GREEN, Mme IRENE JANET GREEN ET BRECKENRIDGE SPEEDWAY LTD.
SUJET: COMPTES À LA CALDER TREASURY BRANCH
En considération des actes suivants, dûment signés par les représentants autorisés des parties susnommées, M. Oscar Green, Mme Irene Janet Green et Breckenridge Speedway Ltd. pour transporter au Trésorier de la Province d’Alberta:
1. La propriété désignée sous le nom de Green’s Garage située à Wainwright (Alberta) avec accessoires immobilisés.
2. La propriété désignée sous le nom de Green’s Garage Body Shop, située à Edmonton avec accessoires immobilisés.
3. La maison d’Oscar Green et Irene Janet Green, à Edmonton.
4. La propriété Valleyview, à Valleyview (Alberta).
5. La propriété Glenlyon, bâtiments et terrains, en banlieue d’Edmonton.
6. Cession du bail de North Star Oil Company en faveur de Green’s Garage d’Edmonton avec accessoires immobilisés.
7. Transport en blanc de la propriété Green’s Garage à Edmonton avec accessoires immobilisés.
8. Droits à la promesse de vente O.E. Campbell, Viking Motors, à Viking (Alberta).
La Treasury Branch s’engage à louer à Oscar et Irene Janet Green et Breckenridge Speedway Limited toutes les propriétés ci-dessus mentionnées, sauf celles de Glenlyon, Viking Motors et Valleyview, par bail distinct pour un terme de cinq ans, en considération d’un loyer à déterminer et qui devra être suffisant pour couvrir l’intérêt au taux de 6 p. 100 sur la valeur des propriétés établie à l’acte de cession-transport au Trésorier de la province en outre des taxes annuelles sur chaque propriété. M. Oscar
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Green, Mme Irene Janet Green et Breckenridge Speedway Limited auront le privilège de faire des paiements plus élevés que le loyer mensuel équivalant à l’intérêt et aux taxes pour racheter lesdites propriétés au prix fixé dans lesdits transports et cession de bail.
Les propriétés de Valleyview et de Glenlyon ne seront pas louées auxdits Oscar et Irene Janet Green mais elles seront mises en vente et ils auront le privilège de racheter lesdites propriétés par préférence, au prix que le Trésorier de la Province se verra offrir.
De plus, le Trésorier de la Province s’engage à fournir un crédit à l’exploitation pendant cinq ans jusqu’à concurrence de $15,000 moyennant nantissement par Oscar Green, Irene Janet Green et Breckenridge Speedway Limited de l’inventaire, de l’équipement et des créances actives, en garantie dudit crédit à l’exploitation.
Les comptes de Breckenridge Speedway Limited et de Green’s Garage à la Calder Treasury Branch seront crédités des sommes mentionnées aux actes de transport de la propriété de Breckenridge Speedway Limited à Wainwright, de la propriété Green’s Garage Body Shop à Edmonton, de la maison d’Oscar et Irene Janet Green, et des propriétés de Valleyview et de Glenlyon.
Tout défaut d’effectuer au Trésorier de la Province le paiement du loyer en vertu d’un bail rendra celui-ci nul et non-avenu et autorisera le Trésorier de la Province à résilier ledit bail, à disposer de ladite propriété et à en imputer le prix comme il l’entendra. Il y aura défaut si un paiement n’est fait dans les 60 jours de son échéance et 30 jours s’écoulent après qu’un avis de cette absence de paiement aura été expédié par la poste au locataire.
Tous les paiements de loyer devront commencer le 1er mai 1959.
(signé) M.H. Pitcher M.H. Pitcher pour le surintendant.
Pour donner suite à cette convention, les parties signèrent, en mai 1959, quatre baux avec option d’achat se rapportant aux articles nos 1, 2, 3 et 7 de la convention et ces baux furent remis aux appelants. On doit considérer que ces baux avec option d’achat font partie de la convention du 8 décembre 1958. Sans analyser les baux eux-mêmes, on doit dire que chacun d’eux stipulait le paiement d’un loyer déterminé. Pendant quelque temps, les appelants ont payé le loyer des
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propriétés visées par les différents baux mais ils ont fini par cesser de le faire. Au moment du procès, ils ne payaient aucun loyer bien qu’ils eussent encore la jouissance des différentes propriétés en vertu des baux. La propriété de Wainwright a été vendue après le procès et, du consentement des parties (voir la minute du jugement), le produit de la vente a été placé en fiducie pour qu’on en dispose comme s’il s’agissait de la propriété de Wainwright. Sur réception des conventions de bail avec option d’achat, l’intimée adressa la lettre suivante à Green’s Garage:
[TRADUCTION]
Edmonton (Alberta) Le 15 mai 1959.
Greens Garage Edmonton
Messieurs,
Vous trouverez ci-après un état détaillé des montants dus aux comptes de Greens Garage et de Breckenridge Speedway Limited à la Treasury Branch. Le montant total a été divisé en différents postes indiquant le montant dû à chaque compte; l’ensemble forme la dette totale au 15 mai 1959, avec intérêt calculé jusqu’au 1er mai 1959.
Breckenridge Speedway Limited, Compte de la propriété de Wainwright........................................................................................
$ 37,343.60
Greens Garage Body Shop, Edmonton, Compte de cette propriété...........................................................................................
16,977.48
Greens Garage, E.C. Campbell, Compte de Viking Motors.....
3,294.27
Greens Garage, Compte d’Edmonton..........................................
71,219.27
Greens Garage, Edmonton, Compte de la propriété de Glenlyon............................................................................................
6,009.50
Greens Garage, Edmonton, Compte de la maison.....................
13,074.16
Greens Garage, Compte de la propriété de Valleyview, Clair Johnston, de Purves & Johnston, avocats, Edmonton................
2,750.00
$ 150,668.10
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En raison des conventions intervenues, la Treasury Branch consent par les présentes à renoncer aux engagements en garantie de:
G.K. Green K.P. Lindsay Breckenridge Speedway Ltd. Twin Town Motors.
Nous consentons également à renoncer à l’engagement en garantie de Greens Garage, souscrit par Irene Janet Green et Oscar A. Green, à condition que ces deux personnes signent un nouvel engagement suivant la formule de la Treasury Branch pour la somme due au compte d’Edmonton de Greens Garage.
Il est nécessaire que M. Green se fasse autoriser par Breckenridge Speedway Limited à transporter la somme de $3,126.62 de Breckenridge Speedway Limited au crédit du compte de Greens Garage, Edmonton. Il s’agit d’un oubli dans le transport du compte au crédit de Greens Garage.
(Signature) M.H. PITCHER M.H. Pitcher pour le surintendant
Comme on peut le voir, l’intimée réclamait à ce moment un total de $150,668.10.
Le Procureur général du Canada conteste directement devant cette Cour la constitutionnalité de la loi intitulée The Treasury Branches Act. De plus cette question est également à considérer en regard de la prétention des appelants que, nonobstant leur obligation de rembourser les sommes empruntées, si la loi intitulée The Treasury Branches Act est ultra vires, les garanties et les propriétés qu’ils ont transportées à l’intimée par la convention du 8 décembre 1958 doivent leur être remises.
Je vais traiter premièrement de la question de la constitutionnalité de la loi intitulée The Treasury Branches Act, deuxièmement de l’obligation des appelants de rembourser les sommes qu’ils ont reçues de la Treasury Branch, même si la loi est ultra vires, troisièmement de la prétention des appelants quant à la validité et aux conséquences de la convention du 8 décembre 1958, et finalement de leur demande de résolution et de dommages.
La Cour d’appel a déjà examiné la question de la constitutionnalité de The Treasury Branches
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Act. Le Juge en chef Smith de la division d’appel, avec lequel les Juges d’appel Johnson et Kane ont été d’accord, n’a pas trouvé nécessaire d’aborder ce point, ayant jugé que les appelants ne pouvaient soulever le problème de l’inconstitutionnalité dans leur action. Évidemment, cette décision a été prise avant que le Procureur général du Canada n’intervienne pour contester la constitutionnalité de The Treasury Branches Act. Le Juge d’appel Johnson, comme le Juge en chef Smith et le Juge d’appel Allen, a trouvé que la convention du 8 décembre 1958 créait des hypothèques en équité (equitable mortgages) sur le «Green’s Garage Body Shop», «la maison» et la «propriété de Wainwright». Les Juges d’appel Porter et Allen, dans des motifs distincts, ont conclu que The Treasury Branches Act était ultra vires. Tous deux ont reconnu aux appelants le droit d’invoquer, dans leur action, l’inconstitutionnalité de la loi. Voici ce que dit le Juge d’appel Allen à ce sujet:
[TRADUCTION] Il est bien évident d’après la façon dont je disposerais de cet appel que je considère que rien n’empêchait les demandeurs de soulever dans leur action l’inconstitutionnalité de leurs conventions avec les Treasury Branch.
Le Juge d’appel Porter dit:
[TRADUCTION] La défenderesse prétend cependant que la loi empêche les demandeurs d’invoquer comme défense à la demande reconventionnelle au sujet des transports, l’invalidité de la loi créant les soi-disant Treasury Branch.
Si tel est le cas, nous en arrivons à la conclusion étrange que la défenderesse peut obtenir jugement pour les sommes d’argent, garder les propriétés qu’elle s’est fait transporter et réaliser ses garanties. Qu’est-ce que ce justiciable a bien pu faire pour que la Cour lui dise, de même qu’à ses créanciers, que la Couronne a droit de garder ses propriétés obtenues à la faveur d’une convention qu’elle n’avait pas le droit de faire?
Je suis aussi de cet avis. Ce n’est pas parce que les appelants ne peuvent soulever la question de l’inconstitutionnalité de la loi que l’intimée peut recouvrer l’argent qu’elle a prêté mais bien parce que, indépendamment de cette question, les appelants doivent remettre les sommes qu’ils ont reçues.
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Je ne crois pas pouvoir utilement ajouter quoi que ce soit sous ce rapport aux motifs du Juge d’appel Porter[6]. Il a fait l’historique complet de la loi et il a examiné à fond ses relations avec le commerce de banque. Il a terminé son exposé comme suit:
[TRADUCTION] A mon sens, la loi intitulée The Treasury Branches Act est nulle parce qu’elle empiète sur un domaine législatif où elle ne peut s’appliquer à cause de la compétence législative exclusive dans ce domaine dévolue au Canada.
Je suis aussi d’accord avec le Juge d’appel Porter lorsqu’il affirme qu’on ne peut dire que les opérations des Treasury Branch constituent des actes d’exercice de la prérogative royale et sont donc valides même si la loi est ultra vires. Voici ce que dit le Juge Porter à propos de cette prétention:
[TRADUCTION] «Comme on le verra dans l’étude ci-après de la législation sur les Treasury Branch, le droit de la Couronne de les exploiter découle de la législation, c’est‑à-dire de la loi The Treasury Branches Act. Conséquemment l’exploitation n’en peut pas constituer un acte d’exercice de la prérogative royale, qui découle de la common law et non du droit statutaire. Halsbury, Laws of England, 3e éd. vol. 7, p. 221:
[TRADUCTION] 463 … La prérogative royale se définit comme étant cette prééminence dont jouit le Souverain sur toute autre personne en vertu de la common law, non en tant que personne ordinaire mais en raison de sa dignité royale. Elle comprend toutes les dignités, libertés, privilèges, pouvoirs et droits royaux spéciaux que la common law attribue à la Couronne d’Angleterre.
464 … En conséquence, la prérogative découle et relève de la common law, le Souverain ne peut en réclamer d’autres que celles que lui reconnaît la loi, et il n’en peut réclamer aucune à l’encontre de la Grande Charte, d’un autre statut, ou des libertés des citoyens.
De plus, la prérogative de la Couronne du chef de la province est corrélative de la division des compétences législatives établies par l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, entre le fédéral et les provinces. La prérogative de la Couronne du chef de la Province ne peut s’appliquer aux affaires que la loi intitulée The Treasury Branches Act est censée autoriser à moins que cette loi ne soit elle-même de la compétence législative de la province.
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Dans l’affaire Bonanza Creek Gold Mining Company Limited v. Rex [1916] 1 A.C. 566, le vicomte Haldane dit, à la p. 580:
[TRADUCTION] «…selon la nouvelle constitution, la répartition du pouvoir exécutif suit la répartition du pouvoir législatif.»
En toute déférence, je ne suis pas de l’avis du savant Juge de première instance que l’exploitation des Treasury Branch constitue un acte d’exercice de la prérogative royale.»
Le fait que la loi intitulée The Treasury Branches Act est ultra vires ne peut priver l’intimée du droit de recouvrer les sommes qu’elle a prêtées aux appelants à titre d’argent reçu. Le droit sur ce point est bien défini par le Juge Lush, dans l’affaire Brougham v. Dwyer[7]. Il s’agissait d’une action intentée par une société, en recouvrement d’un prêt à titre d’argent reçu. Le prêt avait été fait au moyen d’un découvert, alors que la société n’était pas autorisée à prêter de cette façon. Le Juge Lush dit, à la p. 505:
[TRADUCTION] Si l’on considère le sens véritable de l’affirmation que la société de construction n’avait pas le pouvoir de faire cette opération, toute l’affaire devient claire. Les administrateurs de la société, croyant agir en son nom et conclure un contrat pour son compte, ont prêté son argent au défendeur au moyen d’un découvert. Il s’est trouvé qu’en droit, la société n’avait pas le pouvoir de conclure un tel contrat. Il s’ensuit que le contrat que les administrateurs croyaient avoir conclu n’en était pas un, mais constituait une opération qui, aux yeux de la loi, était inexistante. En conséquence, le défendeur avait reçu des sommes d’argent appartenant à la société de construction en vertu d’une opération sans aucune validité. Si tel était le cas, j’aurais dû conclure que, faute de contrat, il y avait lieu à une action pour argent reçu.
Plus loin, il dit encore:
[TRADUCTION] Mais si l’on se rappelle le sens de l’expression ultra vires, l’affaire est tout autre. Le contrat n’était inexistant que du seul fait que la société de construction n’avait pas le pouvoir de le conclure. Il n’y avait pas d’autre cause de nullité de ce contrat et il n’était pas illégal de sa nature; mais, parce que la société n’avait pas le pouvoir de le
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conclure, il n’avait pas d’existence en droit. Dans les circonstances, on pouvait accueillir l’action, le défendeur n’ayant pas de défense. Il s’agissait d’une action en recouvrement de sommes prêtées en vertu d’une opération qu’on croyait valide, mais qui de fait ne l’était pas. En principe, je ne vois pas pourquoi on ne devrait pas accueillir une telle action. La Cour d’appel, dans l’affaire Coltman, Coltman v. Coltman, (1881) 19 Ch. D. 64 a statué clairement que, dans un cas tel que celui-ci, si le contrat n’est pas illégal, il n’y a pas de défense à l’action. Je suis donc d’avis qu’il n’y avait pas de défense à la présente action et qu’en conséquence l’appel devrait être accueilli.
Par conséquent, je suis d’accord avec le Juge en chef Smith lorsque, dans ses motifs, il dit:
[TRADUCTION] Je ne doute pas que la Province d’Alberta peut recouvrer, avec intérêt, les sommes qu’elle a prêtées dans le cours de l’exploitation d’une Treasury Branch, même si le fait pour la Province de l’exploiter et de faire des prêts d’argent dans le cours de cette exploitation est hors de sa compétence, en vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique.
Il est à noter que les appelants n’ont pas contesté cette assertion. On trouve ce qui suit dans leur factum:
[TRADUCTION] Il n’a jamais été prétendu qu’advenant l’annulation des transactions, les appelants pourraient éviter de rembourser des sommes dûment versées pour leur compte et à leur avantage.
* * *
Il est évident qu’un emprunteur ne peut frauder son prêteur sous prétexte que celui-ci n’a pas le pouvoir de prêter. Il n’y a pas de tribunal qui soit impuissant au point de permettre qu’on s’en serve pour frauder un créancier. Bien que la terminologie ne soit pas encore fixée, le principe semble évident: c’est tout simplement impossible. La question constitutionnelle est invoquée ici pour faire annuler une convention et faire remettre les parties dans leur situation antérieure, chacune d’elles devant rendre compte à l’autre des sommes à titre d’argent reçu.
Les appelants cherchaient à se soustraire seulement au remboursement des sommes que représentaient les chèques qui, d’après le Juge Primrose, avaient été payés après que le paiement en eut été contremandé. Ils refusaient de rembourser ces sommes, non pas parce que la loi était ultra
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vires mais pour le motif que si une banque paie un chèque dont le paiement a été contremandé, elle ne peut en recouvrer le montant de son client. Les appelants ne réussissent pas sur ce point parce que, comme l’a conclu à juste tire le Juge Primrose, ils ont ratifié le paiement des chèques.
Après avoir conclu: (1) que The Treasury Branches Act de l’Alberta est ultra vires; (2) que le fait d’exploiter les Treasury Branch ne constitue pas un acte d’exercice de la prérogative royale; (3) qu’indépendamment de l’inconstitutionnalité de la loi, l’intimée a droit de recouvrer les sommes qu’elle a prêtées aux appelants, y compris le montant des chèques payés après contre-ordre, il reste à déterminer la portée et les conséquences de la convention du 8 décembre 1958 et des transports en garantie faits en exécution de cette convention. Il y a deux questions à décider sous ce rapport: (1) le transport des propriétés à l’intimée en exécution de la convention du 8 décembre 1958 constituait-il, à l’égard de toutes les propriétés ou de quelques-unes, un paiement partiel à l’intimée de la dette des appelants, ou un transport en garantie; (2) quel taux d’intérêt doivent porter les différentes avances d’argent?
Le Juge d’appel Allen, exprimant l’opinion majoritaire, a décidé que trois des propriétés transportées en mai 1959 l’avaient été en paiement partiel de la dette de l’appelant comme elle existait alors. Je suis d’accord avec cette conclusion. Les termes de la convention du 8 décembre 1958 sont très clairs sur ce point. Jouissant de sommes d’argent appartenant à l’intimée, les appelants étaient obligés de rembourser les sommes que celle-ci leur avait prêtées. Il me paraît certain que ce remboursement pouvait se faire en nature aussi bien qu’en espèces. Le droit de propriété aux biens mentionnés aux articles nos 4, 5 et 8 à la convention du 8 décembre 1958 restera donc à l’intimée, libre de tout droit de revendication de la part des appelants ou d’aucun d’eux. Les appelants auront, bien entendu, droit d’être crédités de la valeur convenue de ces biens telle qu’indiquée à la lettre du 15 mai 1959, soit en tout $12,053.59.
Quant aux autres propriétés, soit celles qui d’après la convention du 8 décembre 1958 de-
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vaient rester en la possession des appelants et leur être louées et, de fait, leur ont été ainsi louées, la minute du jugement de la division d’appel ordonne notamment que celui du Juge de première instance soit modifié en révoquant l’ordonnance de mise en possession des propriétés suivantes: (a) la propriété connue comme «Green’s Garage Body Shop», (b) la propriété connue comme «la maison», (c) la propriété connue comme «la propriété de Wainwright», et en annulant l’ordre de lever les oppositions (caveats) inscrites contre les deux premières. La minute du jugement donne également acte de la convention des parties de surseoir à l’exécution du jugement jusqu’à l’issue du pourvoi devant cette Cour et de déposer dans un compte en fiducie portant intérêt la somme de $25,000 provenant de la vente de la propriété de Wainwright pour qu’il en soit disposé comme tenant lieu de la propriété de Wainwright. La minute prévoit également qu’il n’y aura aucune adjudication de dépens ni en faveur ni à l’encontre d’aucune partie.
Ayant trouvé que The Treasury Branches Act est ultra vires, je ne puis pas tenir aucun compte de cette conclusion ni du fait lui-même. Je suis d’accord avec le Juge d’appel Porter, quand il dit:
[TRADUCTION] Dans les affaires d’inconstitutionnalité, le principe est toujours qu’une personne qui traite avec un corps dont la capacité est limitée ne peut faire tourner cette limitation à son avantage. La loi ne rend pas la convention exécutoire; elle la considère inexistante et oblige à la restitution des sommes ou des biens reçus parce qu’il serait immoral de permettre à la partie avantagée de les retenir. Comme la convention est inexistante, la loi empêche les demandeurs de garder les sommes reçues parce qu’elle juge immoral tout acte dont le résultat serait un enrichissement injuste. On prétend cependant que, bien que les demandeurs ne puissent retenir l’argent, la Couronne devrait pouvoir retenir les garanties et ainsi tirer profit et enrichissement d’une transaction qu’en droit elle n’a pas faite. Il est clair que la transaction est nulle à toutes fins que de droit et non à l’égard seulement des justiciables.
Cependant je ne suis pas de son avis et me range plutôt à celui du Juge d’appel Allen pour ce qui
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est des trois propriétés transportées en paiement partiel et non en garantie, dans le cours du mois de mai 1959. Comme je l’ai déjà dit, si, à ce moment-là, les appelants avaient effectué un paiement en argent de $12,053.59 plutôt qu’un transport des trois propriétés, ils ne pourraient d’aucune façon répéter les sommes payées. Je ne vois aucune différence du fait qu’ils ont effectué le paiement au moyen d’un transport pur et simple des propriétés, pour une valeur fixée par entente. Étant obligés de rembourser, le remboursement est valable même si la convention elle-même n’a pas d’effet juridique et est nulle en droit.
Dans la reddition de compte qui est ordonnée l’intérêt que les appelants auront à payer sera calculé aux taux légal de cinq pour cent l’an, sans égard au taux stipulé dans les billets ou autres effets souscrits par les appelants lorsqu’ils ont reçu les sommes d’argent. En effet, ce n’est pas en vertu de ces engagements que l’intimée a droit à ces sommes mais à titre d’argent reçu. Les sommes que les appelants comme emprunteurs, ont en main, par suite de prêts invalides appartiennent en réalité à l’intimée qui peut les recouvrer non par une action sur contrat ou délit mais par une action en restitution d’argent reçu: Brooks & Co. v. Blackburn Benefit Society[8].
Il faudra rendre un compte complet et détaillé pour établir les sommes que les appelants doivent à l’intimée à raison des prêts qui leur ont été accordés de temps à autre et qu’ils n’ont pas encore remboursés, avec intérêt calculé comme susdit. Dans ce compte, il faudra créditer les appelants de toutes les sommes qu’ils ont versées en vertu des baux avec option d’achat et les débiter de toutes les dépenses faites à bon droit par l’intimée pour le paiement des taxes, l’entretien et les réparations desdites propriétés, avec intérêt sur toutes ces sommes. L’intimée aura jugement contre chacun des appelants séparément pour le montant de leur dette respective envers elle, déterminée par le compte et le calcul des intérêts tel qu’ordonné plus haut. Ce compte devra remonter à septembre 1956, au moment où l’intimée a payé les chèques qui ont fait l’objet de la contestation et remis l’argent à Consolidated.
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Du fait que la convention du 8 décembre 1958 est nulle, l’intimée ne peut retenir les propriétés transportées en garantie en vertu de cette convention. L’intimée devra rétrocéder ces propriétés (exception faite de «la propriété de Wainwright», qui a été vendue) à celui des appelants qui les lui a remises en mai 1959.
J’ai enfin à statuer sur la demande des appelants en résolution de la convention du 8 décembre 1958. Sur ce point, comme les appelants ont gain de cause dans leur prétention que The Treasury Branches Act est inconstitutionnelle, il s’ensuit que la convention du 8 décembre 1958 n’existe pas en droit: Brougham v. Dwyer (déjà cité). Cela n’annule pas pour autant les actes réellement accomplis par les appelants, et déjà mentionnés, savoir les cessions pures et simples de propriétés à l’intimée pour la valeur convenue de $12,053.59. Toutefois, la convention était nulle, les appelants n’ont pas de droit d’action ni en résolution ni en dommages. Le savant Juge de première instance a renvoyé l’action en résolution et en dommages comme mal fondée. Considérant la convention nulle, en droit, je ne vois pas la nécessité d’étudier ces questions au fond.
En conséquence, il y aura une déclaration à l’effet que The Treasury Branches Act est ultra vires. Il y aura une reddition de compte, tel que susdit, le taux d’intérêt sur les différentes sommes qu’ont reçues les appelants étant calculé au taux de cinq pour cent l’an, à partir du jour où les diverses sommes ont été reçues par chacun des appelants. L’intimée aura jugement pour les sommes qu’établira le compte comme étant ce que chacun des appelants, Breckenridge Speedway Limited, Oscar Green et Irene Janet Green, lui doit. Le titre des propriétés connues comme le «Green’s Garage Body Shop» et la «maison» sera rétrocédé au cédant et la somme de $25,000 et intérêts accumulés, détenue en fiducie pour tenir lieu de «la propriété de Wainwright», sera créditée à Breckenridge Speedway Limited dans ledit compte.
Quant aux dépens, les appelants n’ont pas réussi dans leur demande principale, c’est-à-dire de faire déduire de leur dette le montant des
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chèques payés à Consolidated qui ont fait l’objet de la contestation, non plus qu’à se faire remettre les trois propriétés données en paiement partiel. L’intimée a perdu son contre-appel. Dans les circonstances ni les appelants, ni l’intimée n’auront droit à des dépens en cette Cour.
Appel et contre-appel rejetés avec dépens, les Juges Hall et Spence étant partiellement dissidents.
Procureurs des demandeurs, appelants: Macdonald, Spitz et Lavallée, Edmonton.
Procureurs de la défenderesse, intimée: Clement, Irving, Mustard et Rodney, Edmonton.
Procureur de l’intervenant: Le Procureur général du Canada.
[1] (1967), 61 W.W.R. 257.
[2] (1881), 19 Ch.D. 64.
[3] (1961), 106 C.L.R. 318.
[4] (1871), L.R. 3 P.C. 548.
[5] (1967), 61 W.W.R. 257.
[6] (1967), 61 W.W.R. 257 à 270-279.
[7] (1913), 108 L.T. 504.
[8] (1884), 9 App. Cas. 857.