Cour suprême du Canada
R. c. Wray, [1971] R.C.S. 272
Date: 1970-06-26
Sa Majesté la Reine (Plaignant) Appelante;
et
John Wray (Défendeur) Intimé.
1970: les 29 et 30 janvier; 1970: le 26 juin.
Présents: Le Juge en Chef Cartwright et les Juges Fauteux, Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL D’ONTARIO.
APPEL de la poursuite d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario[1], confirmant l’acquittement de l’intimé sur une accusation de meurtre non qualifié. Appel accueilli, le Juge en Chef Caftwright et les Juges Hall et Spence étant dissidents.
Clay M. Powell, pour l’appelante.
Robert Carter et W.B. Gordon, pour l’intimé.
LE JUGE EN CHEF CARTWRIGHT (dissident) — Le présent pourvoi est formé, par suite de l’autorisation de cette Cour accordée le 19 novembre 1969, à l’encontre d’un arrêt unanime de la Cour d’appel d’Ontario1 rendu le 20 octobre 1969 et confirmant l’acquittement de l’intimé, le 31 octobre 1968, à son procès par jury présidé par le Juge Henderson, à Peterborough. Le verdict d’acquittement a été recommandé par le Juge Henderson, à la fin du procès. L’accusé est inculpé d’avoir, dans le canton d’Otonabee, comté de Peterborough, le 23 mars 1968, illégalement causé la mort de Donald Comrie et, de ce fait, commis un meurtre non qualifié.
Vers midi dix, le samedi 23 mars 1968, Donald Comrie a reçu une balle en plein cœur dans le bureau de la station-service Knoll. Il manquait cinquante-cinq dollars dans la caisse enregistreuse, soit tous les billets qui s’y trouvaient auparavant. Il n’y a pas eu de témoin oculaire du coup de feu, mais John Frish, un garçon de douze ans, neveu du propriétaire de la station-service, a entendu un bruit sec; en allant vérifier, il a trouvé la victime étendue face contre terre et a vu par la vitrine un homme qui s’enfuyait, une carabine à la main. On a retiré du cadavre de Comrie la balle qui a causé son décès et mis en preuve par expertise qu’elle provient d’une carabine que la police a retrouvée le 5 juin 1968 dans un boisé marécageux près du chemin Fyfe, à une quinzaine de milles de l’endroit où Comrie a été tué. Il a été établi que cette carabine appartient à James
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Albert Wray, le frère de l’intimé, qui a témoigné s’être rendu compte pour la première fois de la disparition de l’arme le jeudi suivant le 23 mars 1968. Il n’en a signalé la disparition ni à la police ni à la compagnie d’assurances qui couvrait le contenu de la résidence de la famille Wray.
Il n’y aurait aucun avantage à énumérer en détail les faits relatés au procès. Il suffit de mentionner que la preuve admise contre l’intimé est totalement indirecte et qu’elle est insuffisante pour permettre de laisser la cause à l’adjudication du jury. La question soulevée devant nous découle de l’exclusion par le savant juge de première instance d’une preuve offerte par le ministère public.
Le 4 juin 1968, peu après dix heures du matin, l’inspecteur Lidstone de la police provinciale d’Ontario s’est rendu chez l’intimé et lui a demandé de l’accompagner au bureau de la Sûreté, à Peterborough. A partir de ce moment-là et jusqu’à 19h. 18, le même jour, l’intimé a continuellement été avec les policiers et un certain Jurems, enquêteur privé, qui, selon les constatations du juge de première instance, agissait pour le compte des policiers de concert avec eux et était, vis-à-vis de l’intimé, une personne ayant autorité. A 19h. 18, l’intimé a signé une déclaration écrite par l’inspecteur Lidstone sous forme de questions et réponses. Si l’on avait admis cette déclaration comme preuve, elle aurait justifié le jury de déclarer l’intimé coupable de l’accusation portée contre lui. Elle se termine ainsi:
[TRADUCTION]
Q. Qu’est-il arrivé de la carabine?
R. Je l’ai jetée dans le marécage.
Q. Où?
R. Près d’Omomee.
Q. Vas-tu essayer de nous indiquer l’endroit?
R. Oui.
Q. Veux-tu ajouter quelque chose d’autre, John?
R. Pas maintenant, merci.
(Signature) John Wray
19h. 18
A 19h. 25, les policiers sont partis, emmenant l’intimé dans leur voiture, suivis de Jurems dans
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une autre. L’intimé leur a indiqué le chemin jusqu’à l’endroit où, par suite de ce qu’il leur avait dit, ils ont trouvé la carabine le lendemain. Au cours de l’après-midi du 4 juin 1968, M. Gordon, l’avocat dont la famille de l’intimé avait retenu les services, a essayé de communiquer avec les policiers par téléphone, mais ces derniers n’ont pas donné suite à ses appels. Quand on a demandé, en contre-interrogatoire, à l’inspecteur Lidstone pourquoi ils ne l’avaient pas fait, il a répondu:
[TRADUCTION]…nous ne voulions pas prendre le risque que M. Wray, par suite de sa conversation avec M. Gordon, refuse de conduire les policiers à l’endroit où ils ont trouvé l’arme.
Après un long «voir dire», le savant juge de première instance a conclu que la déclaration signée par l’intimé était irrecevable en droit puisqu’elle n’a pas été faite librement. Cette conclusion n’a fait l’objet d’aucune contestation. La preuve la justifie.
On soutient de la part de l’appelante que le savant juge de première instance a commis une erreur de droit en refusant de permettre au ministère public d’apporter comme preuve la participation de l’intimé au repérage de l’arme meurtrière.
Voici la question de droit sur laquelle cette Cour a accordé l’autorisation d’appeler:
La Cour d’appel d’Ontario a-t-elle fait une erreur de droit en statuant que le savant juge de première instance jouissait de la discrétion de refuser d’admettre la preuve que l’accusé était impliqué dans le repérage de l’arme ayant servi au meurtre.
Il faut d’abord déterminer si la preuve que le ministère public a voulu soumettre est recevable en droit. On a plaidé le pourvoi, ce qui est correct, en prenant pour acquis que la confession de l’intimé est irrecevable; la prétention du ministère public est que, nonobstant cela, il à droit de mettre en preuve non seulement la découverte de la carabine, mais également le fait que l’intimé a indiqué aux policiers l’endroit où elle se trouvait, et d’offrir en preuve la partie de la confession vérifiée par le fait de la découverte.
Il est impossible de concilier les nombreuses décisions sur les conséquences de la confirmation
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totale ou partielle d’une confession irrecevable, par une preuve découverte ultérieurement. Dans un article très utile intitulé: «Confirmation by subsequent facts» dans (1956) 72 L.Q.R. 209, A. Gottlieb cite et étudie un certain nombre d’affaires. Le savant auteur signale qu’il y a des précédents à l’appui de chacune des cinq opinions suivantes:
(1) Les faits subséquents sont recevables en preuve, mais ils ne peuvent aucunement être reliés à la confession.
(2) On peut mettre en preuve les faits subséquents et le fait que la découverte résulte d’une déclaration de l’accusé.
(3) On peut mettre en preuve les faits subséquents et la partie de la confession qui s’y rapporte directement.
(4) Les faits subséquents et toute la confession qui a amené la découverte sont recevables en preuve.
(5) La preuve des faits subséquents est irrecevable.
A mon avis, la troisième opinion est celle qui prévaut au Canada. Elle s’appuie sur les motifs complets et minutieux du Juge en chef McRuer de la Haute Cour dans l’affaire Rex v. St. Lawrence[2]. Le savant Juge en chef énonce succinctement la règle, page 391, de la façon suivante:
[TRADUCTION] Lorsque la découverte du fait confirme la confession — c’est-à-dire lorsqu’il faut conclure à la véracité de la confession en raison de la découverte du fait — alors la partie de la confession que confirme la découverte du fait est recevable en preuve, mais rien de plus.
Dans l’affaire R. v. Haase[3], la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a appliqué la règle énoncée dans R. v. St. Lawrence, sauf que le Juge d’appel Davey, alors juge puîné, qui a rédigé les motifs de la majorité, dit, à la page 328, que l’appelant n’a pas contesté la recevabilité de certains éléments de preuve en vertu de la règle de l’affaire St. Lawrence, et qu’en conséquence
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[TRADUCTION] «il serait inopportun d’étudier le principe de cette règle et son étendue». Cette Cour a confirmé l’arrêt de la Cour d’appel dans un bref jugement oral relaté à (1964) 50 W.W.R. 386 et qu’elle a rendu sans juger nécessaire d’entendre les avocats de l’intimée. Vu cela, il me paraît que la règle se fonde sur le jugement du Juge en chef McRuer mais qu’on ne peut pas dire qu’elle a en outre le poids d’un précédent de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ou de cette Cour. D’autre part, vu que l’affaire Haase en est une de meurtre qualifié, la confirmation de la déclaration de culpabilité indique que ni la Cour d’appel ni cette Cour n’ont infirmé la règle de l’affaire St. Lawrence.
A mon avis, si l’on applique le raisonnement du Juge en chef McRuer aux faits de la présente affaire, la preuve que l’intimé a indiqué à la police où se trouvait l’arme du crime est recevable en droit, mais la preuve qu’il a dit que c’est lui qui l’avait jetée à cet endroit ne l’est pas.
Cependant, avant de passer à un autre aspect de la question, il faut considérer l’effet de l’arrêt de cette Cour dans l’affaire DeClercq c. La Reine[4]. Mon collègue le Juge Martland, énonçant les motifs de la majorité, dit, page 911:
[TRADUCTION] Bien qu’il soit reconnu en droit que la déclaration incriminante de l’accusé est irrecevable contre lui à moins’ qu’elle ait été faite volontairement, et que la preuve sur le «voir dire» porte sur cette question, et non sur la véracité ou la fausseté de la déclaration, il ne s’ensuit pas que la véracité ou la fausseté de la déclaration soit sans rapport avec cette preuve.
La prépondérance de la jurisprudence indique que la raison d’être de la règle qu’une confession forcée ne doit pas être reçue est le risque présumé qu’elle soit fausse. Si c’est là la seule raison d’être de la règle, il est logique que la partie d’une confession forcée qui est vérifiée par une preuve découverte subséquemment soit reçue; mais on peut se demander pourquoi il faut écarter une déclaration forcée dont l’accusé admet sous serment la véracité? L’énoncé du Juge en chef Robertson au nom de la majorité en Cour
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d’appel d’Ontario dans Rex v. Mazerall[5] souligne l’anomalie de cette conclusion, page 787:
[TRADUCTION] Ce serait line application bizarre de la règle visant à écarter les confessions dont la véracité est douteuse que de s’en servir pour écarter des déclarations que l’accusé, témoignant sous serment à son procès, a reconnues véridiques.
Bien qu’à mon avis cela soit un obiter dictum, il est difficile de ne pas en reconnaître la logique si le seul motif pour écarter une confession forcée est le risque qu’elle soit fausse. Si, par contre, l’exclusion d’une confession forcée se fonde aussi sur la maxime nemo tenetur seipsum accusare, la véracité ou la fausseté de la confession devient logiquement sans importance. Il serait vraiment étrange que la loi voulant qu’aucun accusé ne soit tenu de s’incriminer et ne puisse être contraint de témoigner à une enquête de coroner, à une enquête préliminaire ou à un procès, il soit quand même possible pour les policiers ou d’autres personnes ayant autorité de le forcer à faire une déclaration qui soit recevable en preuve contre lui. La solution qui semblerait s’imposer, si l’exclusion se fonde sur la maxime, serait qu’on ne peut aucunement se servir d’une confession forcée, même vérifiée par une preuve découverte subséquemment.
J’en suis venu à la conclusion que nous ne devons pas nous écarter de la décision rendue dans R. v. St. Lawrence, qui a été suivie depuis vingt ans, et qu’en conséquence il faut décider que la preuve que le ministère public a voulu présenter au procès est recevable en droit. C’est le point de vue adopté dans les tribunaux d’instance inférieure et la base sur laquelle on a plaidé le pourvoi devant nous.
La question est donc celle qui est formulée dans l’autorisation d’appeler et que j’ai déjà citée. C’est une question de droit: le savant juge de première instance pouvait-il, à sa discrétion, écarter cette preuve comme il l’a fait? S’il avait ce pouvoir ce n’est pas, à mon avis, sauf la réserve que je ferai plus loin, une pure question de droit que de savoir s’il aurait dû l’exercer comme il l’a fait.
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Le pouvoir discrétionnaire, s’il existe, n’est pas d’origine législative mais judiciaire. La jurisprudence sur laquelle s’appuie l’intimé est principalement la suivante:
Noor Mohamed v. The King[6], où, sur la recevabilité de la preuve d’actes similaires, Lord DuParcq dit, page 192:
[TRADUCTION] Il convient d’ajouter toutefois que dans tous les cas de ce genre, le juge doit voir si la preuve que l’on veut présenter est assez concluante, par rapport au but visé ouvertement par sa présentation, pour qu’il soit convenable de la recevoir dans l’intérêt de la justice. Le juge a raison de la rejeter, si sa valeur probante est insignifiante eu égard au but visé et aux circonstances de l’affaire. En disant cela, on ne confond pas la valeur probante avec la recevabilité. La distinction est évidente, mais des cas doivent cependant se présenter où il serait injuste d’accepter un élément de preuve de caractère fortement préjudiciable à l’accusé, bien qu’il puisse y avoir quelque faible raison de soutenir qu’il est recevable en soi. La décision doit alors être laissée à la discrétion du juge et à son sens de la justice.
Kuruma v. The Queen[7], où Lord Goddard dit, page 204:
[TRADUCTION]… Il n’y a aucun doute que, dans une affaire criminelle, le juge a toujours le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve lorsque l’application stricte des règles de recevabilité serait inéquitable envers l’accusé. Cela a été souligné ici dans l’affaire Noor Mohamed et, à la Chambre des Lords, dans une affaire récente, Harris v. Director of Public Prosecutions. Si, par exemple, la réception d’un élément de preuve quelconque, un document — mettons — avait été obtenue du défendeur par supercherie, il n’y a pas de doute que le juge pourrait à bon droit l’écarter. C’est ce pouvoir discrétionnaire qui est le fondement de la décision de Lord Guthrie dans l’affaire H.M. Advocate v. Turnbull.
Callis v. Gunn[8], où Lord Parker dit, à la page 501:
[TRADUCTION] Ce qui précède porte sur la recevabilité en droit et, comme le Lord Juge en chef Goddard le souligne et comme en vérité il est bien reconnu, dans toute affaire criminelle, le juge a le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve, même pertinente en droit et donc recevable, si la recevoir de-
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vait être inéquitable envers l’accusé. J’ajouterai qu’en déterminant si la recevoir devait être inéquitable envers l’accusé, on doit certainement s’arrêter à la question de savoir si cette preuve a été obtenue de façon oppressive, par la force, ou contre le gré de l’accusé. Voilà le principe général.
On remarquera que la nature du pouvoir discrétionnaire défini dans les deux dernières affaires paraît différer de celle du pouvoir défini dans la première. D’après la règle établie dans l’affaire Noor Mohamed, le juge écarte la preuve à cause du risque que le jury y attribue une importance exagérée ou s’en serve à une fin inacceptable: établir que l’inculpé est le genre de personne susceptible de commettre l’infraction dont on l’accuse. Cette règle ne tend pas à démontrer l’existence d’un pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve recevable en droit et pertinente à la question à soumettre ail jury pour le seul motif qu’on se l’est procurée de façon irrégulière ou illégale.
Dans la présente affaire, le Juge d’appel Aylesworth, rédigeant l’avis unanime de la Cour d’appel, après avoir cité le passage de l’affaire Noor Mohamed v. The Queen que j’ai repris plus haut, dit ceci:.
[TRADUCTION] Nous croyons qu’il ne s’agit là que d’un énoncé incomplet de la règle applicable à la présente affaire et, comme on a pu le constater, elle est exprimée dans des termes qui ne couvrent que le sujet particulier que les Lords Juges y ont considéré.
puis, après avoir cité le passage de l’affaire Kuruma v. The Queen repris plus haut, il continue:
[TRADUCTION] A notre avis, le juge de première instance jouit du pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve, même fort probante, s’il considère que la recevoir serait injuste ou inéquitable envers l’accusé ou de nature à discréditer l’administration de la justice, l’exercice de ce pouvoir devant évidemment dépendre des circonstances de l’affaire. Les cas où recevoir une preuve serait de nature à discréditer l’administration de la justice doivent être rares, mais nous croyons que le pouvoir du juge de première instance s’y étend.
Il continue en disant que les circonstances actuelles de l’affaire étaient propres à justifier le rejet par le juge de première instance de la preuve offerte quant à la participation’ de l’accusé à la
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découverte de l’arme meurtrière, pour les deux motifs mentionnés, savoir que la recevoir aurait été (i) injuste ou inéquitable envers l’accusé et (ii) aurait été de nature à discréditer l’administration de la justice.
Le Juge en chef Davey, rendant l’arrêt unanime de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique dans l’affaire Regina v. Sigmund et al.[9], a exprimé un avis contraire sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire. Après une revue de la jurisprudence, notamment des affaires Noor Mohamed v. R., Kuruma v. R. et Callis v. Gunn, il dit, pages 102 et 103:
[TRADUCTION] Il faut remarquer, comme le signalent Lord Goddard et Lord Parker, de même que le Juge en chef Kerwin dans Le Procureur général de la province de Québec c. Bégin (1955) R.C.S. 593, que ce principe est tout à fait différent des règles régissant la recevabilité des confessions.
Dans l’affaire Kuruma v. The Queen précitée, Lord Goddard s’est servi de termes très généraux, mais il s’est fondé sur les affaires Noor Mohamed v. The Queen et Harris v. Director of Public Prosecutions précitées. En toute déférence, à mon avis, il est clair que ses paroles ne visent que le principe énoncé dans ces affaires-là et ne tendent pas à le reformuler ou l’élargir. Je ne suis pas certain que Lord Parker ait voulu faire plus, bien qu’il ait énoncé quelques-unes des circonstances qu’un juge devrait considérer pour décider si la réception d’une preuve serait inéquitable envers un accusé, notamment «si cette preuve a été obtenue de façon oppressive, par la force ou contre le gré de l’accusé».
Si Lord Parker a voulu poser comme principe que le juge jouit du pouvoir discrétionnaire d’écarter toute preuve pertinente dont la réception serait inéquitable envers un accusé ou qui a été obtenue de façon oppressive, par la force ou contre le gré de ce dernier, en toute déférence, je ne puis être d’accord. Je ne connais aucun autre précédent qui aille aussi loin, encore que ce soit sur ce principe, attribué à Lord Parker, que l’exclusion de la déclaration justificative faite par Sigmund doive se fonder.
On peut voir d’après ce qui précède que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique et celle d’Ontario ont été d’avis contraire sur la question que nous avons à trancher. Lord Cooper indique bien
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dans l’affaire Lawrie v. Muir[10], par les mots qu’il emploie, page 26, la difficulté et l’importance de la question:
[TRADUCTION] Le droit doit chercher à concilier deux objectifs très importants qui sont susceptibles d’entrer en conflit: (a) le désir du citoyen d’être protégé des atteintes illégales ou irrégulières à sa liberté par l’administration et (b) celui de l’État de garantir que la preuve de la perpétration d’un crime qui est nécessaire pour que justice soit rendue ne soit pas écartée des tribunaux pour de simples motifs de formalité ou de rigidité. On ne peut trop insister sur l’un et l’autre de ces objectifs. La protection du citoyen est essentiellement celle de l’innocent contre toute intervention injustifiée, abusive ou, peut-être, arbitraire, et dont la sanction ordinaire est un recours en dommages. Cette protection ne vise pas à mettre le coupable à l’abri des efforts du ministère public pour faire appliquer la loi. Par contre, l’intérêt de l’État ne peut aller jusqu’à exiger l’abandon de toutes les garanties de protection du citoyen et constituer une incitation pour l’administration à se servir de méthodes irrégulières.
Les circonstances pertinentes de la présente affaire sont très différentes de celles évoquées dans l’extrait précité de Noor Mohamed v. R. La preuve que le ministère public a voulu présenter, loin d’être d’une valeur probante insignifiante, aurait bien pu être trouvée concluante par le jury; les motifs des juges de la Cour d’appel démontrent qu’ils la jugent d’un grand poids. Je trouve difficile de définir les conditions qui rendraient «injuste ou inéquitable» envers un accusé un procès rigoureusement conforme à la loi, mais la difficulté de définir les circonstances qui donneraient lieu d’exercer le pouvoir discrétionnaire en question ne signifie pas nécessairement qu’il n’existe pas. Dans l’affaire R. v. Murphy[11], Lord Macdermott dit:
[TRADUCTION] Il n’y a pas possibilité, dans ce contexte, de définir exactement ce qui est inéquitable. Il faut l’apprécier à la lumière de tous les faits pertinents, des constatations et de toutes les circonstances de l’affaire. La situation de l’accusé, la nature de l’enquête, la gravité ou la faible importance de l’infraction que l’on croit avoir été commise, peuvent toutes entrer en ligne de compte.
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Si on les accepte, les avis exprimés par Lord Goddard dans l’affaire Kuruma v. R. et par Lord Parker dans l’affaire Callis v. Gunn appuient celui de la Cour d’appel dans la présente affaire. On trouve une autre affirmation de cette opinion dans Cross on Evidence, 3e éd. (1967), qui renferme une étude lumineuse du sujet et des questions connexes, pages 23 à 27, 262 à 270 et 445 à 448. Dans l’affaire Myers v. Director of Public Prosecutions[12], Lord Reid dit, à la page 1024:
[TRADUCTION] Il est vrai que le juge jouit du pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve recevable en droit si la justice l’exige, mais c’est une chose tout à fait différente de dire qu’il jouit du pouvoir discrétionnaire de recevoir une preuve irrecevable en droit.
Le savant auteur de Cross on Evidence (op. cit.) souligne à la page 269 qu’il doit y avoir une limite à la doctrine qu’un fait comme la révélation par l’accusé de l’endroit où se trouve l’arme meurtrière est recevable en preuve, bien que sa confession ne le soit pas, et il pose la question suivante: [TRADUCTION] «Qu’en est-il si l’on a obtenu cette révélation…au moyen de la torture prolongée de l’accusé?»
Une fois qu’une confession est jugée irrecevable à cause de la façon dont on l’a obtenue, mais qu’une partie en devient recevable, en droit, parce que confirmée par la découverte de l’arme meurtrière au lieu où, d’après la révélation de l’accusé dans sa confession, cette arme se trouvait, le tribunal a le choix de décider ou que, parce que c’est une preuve pertinente, fort probante et recevable en droit, il y a obligation de la recevoir ou que, parce qu’obtenue ou extorquée par des moyens tels que, si elle était reçue, l’administration de la justice en serait discréditée aux yeux des gens raisonnables, le juge de première instance jouit du pouvoir discrétionnaire de l’écarter. C’est un choix difficile à faire; mais tout en hésitant à cause des motifs précités du Juge en chef Davey et parce qu’un meurtre ne devrait pas rester impuni, j’en suis venu à la conclusion que la Cour d’appel a eu raison de juger que le savant juge de première instance possède le pouvoir discrétionnaire d’écarter, comme il l’a fait, la preuve que l’accusé a été
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impliqué dans le repérage de l’arme ayant servi au meurtre et qu’il faut donc répondre par la négative à la question de droit sur laquelle il y a eu autorisation d’appeler.
J’ai déjà exprimé l’opinion, dans les présents motifs, que si le savant juge de première instance avait le pouvoir discrétionnaire d’écarter cette preuve, ce n’est pas une pure question de droit que de savoir s’il aurait dû l’exercer comme il l’a fait. Cela est, je crois, assujetti à la réserve que ce serait une question de droit que de savoir s’il y a, non pas insuffisance, mais absence de preuve justifiant la décision d’écarter la preuve offerte. A mon avis, il existe une telle preuve dans la présente affaire. Le crime dont il s’agit est celui de meurtre non qualifié; il n’est pas nécessaire d’insister sur sa gravité. Par contre, l’investigation qui a amené l’intimé à révéler où se trouvait l’arme meurtrière n’est pas de nature à faire honneur à ceux qui l’ont conduite. La Cour d’appel n’exagère en rien quand elle dit:
[TRADUCTION] De toute évidence, on a obtenu la. confession ou déclaration de l’accusé par supercherie, contrainte et promesses irrégulières; elle est nettement irrecevable.
A cela, il faut ajouter que la police n’a pas permis à l’avocat dont la famille de l’intimé avait retenu les services de communiquer avec ce dernier, et cela, pour le motif avoué que le faire aurait pu amener l’intimé à refuser de conduire les policiers là où se trouvait l’arme du crime.
Vu l’existence d’une preuve justifiant la décision du savant juge de première instance, il ne me sert à rien d’exprimer mon avis sur la façon dont il aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire.
Avant de terminer, vu que les présents motifs sont quelque peu discursifs, je vais essayer de résumer les raisons pour lesquelles je pense que l’arrêt de la Cour d’appel devrait être confirmé. On a obtenu une confession de l’accusé par des procédés irréguliers; cette confession a été à bon droit écartée parce que forcée. Malgré cela, la preuve du fait que l’accusé a révélé à la police où l’arme meurtrière pouvait se trouver est recevable en droit en vertu de la règle établie dans l’arrêt Rex v. St. Lawrence. Cependant, parce
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que la façon dont l’accusé a été amené à révéler l’endroit où était l’arme est aussi répréhensible que celle dont on l’a amené à faire la confession, le savant juge de première instance pouvait décider que recevoir la preuve de ce fait aurait été si injuste et inéquitable envers l’accusé, et tellement de nature à discréditer l’administration de la justice qu’il était justifié d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’écarter cette preuve. Enfin, vu l’existence d’une preuve qui permettait au savant juge de première instance d’exercer ce pouvoir comme il l’a fait, l’à-propos de cet exercice n’est pas susceptible de révision lors d’un appel de la part du ministère public.
Je rejetterais le pourvoi. A cause des conditions posées par l’autorisation d’interjeter, l’appelant devra payer les dépens de l’intimé, comme il y est mentionné.
Les Juges Fauteux, Abbott, Ritchie et Pigeon sont d’accord avec les motifs du Juge Martland.
LE JUGE MARTLAND — Le Juge en chef Cartwright résume les faits de la présente affaire. La question de droit en cette Cour est le bien-fondé du principe énoncé dans les motifs de la Cour d’appel d’Ontario[13], à savoir que, dans une affaire criminelle, le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve, même fort probante, s’il considère que la recevoir serait injuste ou inéquitable envers l’accusé, ou de nature à discréditer l’administration de la justice.
Je traiterai d’abord de la dernière partie de cet énoncé. Je ne connais aucune jurisprudence, ni ici, ni en Angleterre, qui appuie la proposition que le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve recevable parce qu’à son avis, la recevoir serait de nature à discréditer l’administration de la justice. Lord Goddard énonce ainsi le critère de recevabilité dans l’affaire Kuruma v. The Queen[14]:
[TRADUCTION] De l’avis de leurs Seigneuries, le critère à appliquer pour déterminer si une preuve est recevable est la pertinence au fond du litige. Si celle-ci existe, cette preuve est recevable et le tribunal n’a pas à tenir compte de la façon dont on l’a obtenue.
[Page 288]
Je reviendrai, plus loin dans les présents motifs, sur l’étendue du pouvoir discrétionnaire, dont parle Lord Goddard dans l’affaire précitée, de rejeter une preuve lorsque l’application stricte des règles de recevabilité serait inéquitable envers l’accusé. L’exercice d’un pouvoir de ce genre fait partie du rôle du tribunal d’assurer un procès équitable à l’accusé. Mais, sous cette réserve, à mon avis, le rôle du tribunal, selon notre droit, consiste à trancher le litige dont il est saisi d’après la preuve recevable en droit, et ne va pas jusqu’à rejeter, pour tout autre motif, une preuve recevable en droit.
Passons ensuite à l’affirmation que, dans une affaire criminelle, le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve, même fort probante, lorsque la recevoir serait injuste ou inéquitable envers l’accusé. L’origine de cette affirmation se trouve dans l’affaire Kuruma précitée. Le Comité judiciaire du Conseil privé y a statué qu’une preuve obtenue de façon illégale est néanmoins légalement recevable contre l’accusé et il a confirmé la déclaration de culpabilité de l’accusé fondée sur cette preuve. Lord Goddard dit cependant, dans ses motifs, page 204:
[TRADUCTION] Il n’y a aucun doute que, dans une affaire criminelle, le juge a toujours le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve lorsque l’application stricte des règles de recevabilité serait inéquitable envers l’accusé.
Il étaye son affirmation en citant la décision du Conseil privé dans l’affaire Noor Mohamed v. The King[15] et celle de la Chambre des Lords dans l’affaire Harris v. Director of Public Prosecutions[16]. Dans ces deux affaires-là, la question en litige était la recevabilité de la preuve d’actes similaires. C’est au sujet de l’utilisation de ce genre de preuve que le passage si fréquemment cité, de Lord Du Parcq dans l’affaire Noor Mohamed, a été rédigé. Il avait commenté un passage du jugement de Lord Sumner dans l’affaire Thompson v. The King[17], où l’on avait admis la recevabilité, dans cette affaire-là, d’une preuve tendant à démontrer la prédisposition de
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l’inculpé à commettre un crime du même genre que celui dont on l’accusait. Lord Sumner avait dit, page 232:
[TRADUCTION] Avant qu’il soit possible de dire qu’on a invoqué un moyen de défense qui permet d’apporter une preuve aussi manifestement préjudiciable à l’accusé, il faut que ce moyen ait été invoqué en substance, sinon en terme exprès, et qu’il rende pertinente la preuve préjudiciable. Il ne suffit pas de dire qu’un plaidoyer de non‑culpabilité soulève tous les moyens de défense possibles. La poursuite ne peut pas prêter à l’accusé des moyens de défense imaginaires dans le but de les réfuter au départ par un préjudice accablant.
Lord Du Parcq, dans les motifs de l’affaire Noor Mohamed, après avoir cité ce passage, dit, pages 191 et 192:
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries souscrivent respectueusement à ce qu’ils conçoivent être l’esprit et l’intention des paroles de Lord Sumner et ne voudraient rien dire qui puisse en amoindrir la valeur. En principe, cependant, et tenant bien compte de la jurisprudence depuis, leurs Seigneuries croient qu’il faut admettre une réserve à la règle posée par Lord Sumner. Un inculpé n’est pas tenu de soulever d’autre défense qu’une dénégation générale du crime imputé. Le plaidoyer de non-culpabilité peut équivaloir à dire: «Que la poursuite établisse sa preuve, si elle le peut» et l’inculpé, après avoir ainsi parlé, peut se retrancher dans le silence. En pareil cas, il peut se révéler, par exemple, que les faits et les circonstances d’un crime donné sont conciliables avec une intention honnête, tandis qu’une preuve additionnelle, qui établit incidemment que l’inculpé a commis un ou plusieurs autres crimes, peut tendre à démontrer qu’ils ne sont conciliables qu’avec une intention coupable. On ne pourrait dire, de l’avis de leurs Seigneuries, que la poursuite «prête à l’accusé des moyens de défense imaginaires» si elle cherche à faire recevoir cette preuve. Il convient d’ajouter toutefois que dans tous les cas de ce genre, le juge doit voir si la preuve que l’on veut présenter est assez concluante, par rapport au but visé ouvertement par sa présentation, pour qu’il soit convenable de la recevoir dans l’intérêt de la justice. Le juge a raison de la rejeter, si sa valeur probante est insignifiante, eu égard au but visé et aux circonstances de l’affaire. En disant cela, on ne confond pas la valeur probante avec la recevabilité. La distinction est évidente, mais il doit se présenter des cas où il serait injuste d’accepter un élément de preuve de caractère fortement préjudiciable à l’accusé, bien
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qu’il puisse y avoir quelque faible raison de soutenir qu’il est recevable en soi. La décision doit alors être laissée à la discrétion du juge et à son sens de la justice.
Dans l’affaire Harris v. Director of Public Prosecutions, après avoir cité la dernière moitié du passage précité, Lord Simon dit, page 707:
[TRADUCTION] Cette seconde proposition procède du devoir du juge qui instruit un procès criminel de mettre les principes de justice au-dessus des règles strictes, si leur application rigoureuse devait être inéquitable envers l’inculpé. En pareil cas, le juge peut intimer à la poursuite qu’elle ne doit pas insister sur l’offre de la preuve «d’actes similaires» contre l’inculpé, bien que cette preuve soit recevable, parce que «son effet probable serait hors de proportion avec sa valeur probante» (Lord Moulton dans Director of Public Prosecutions v. Christie, (1914) 24 Cox C.C. 249, 257). Une telle décision dépend entièrement de la discrétion du juge.
Il y a lieu de noter que l’expression «être inéquitable envers l’inculpé» employée par Lord Simon dans ce passage qui manifestement se rapporte seulement à la recevabilité de preuve «d’actes similaires», est employée par Lord Goddard dans l’affaire Kuruma.
Dans l’affaire Callis v. Gunn[18], la question en litige à l’occasion d’un appel par exposé des Juges du Oxfordshire était de savoir s’ils avaient à bon droit écarté une preuve d’empreintes digitales. On avait demandé à l’accusé, après l’avoir inculpé de vol et pendant qu’il était encore sous garde, de donner ses empreintes digitales, ce qu’il fit sans objection. On ne l’avait pas avisé qu’il pouvait refuser, et que, s’il donnait ses empreintes, elles pourraient servir de preuve contre lui.
Le tribunal a conclu qu’on aurait dû recevoir cette preuve, mais Lord Parker, après avoir cité l’affaire Kuruma à l’appui de l’affirmation que, pour déterminer si une preuve est recevable, le critère est la pertinence au litige et que, si celle-ci existe, le tribunal n’a pas à tenir compte de la façon dont on a obtenu la preuve, ajoute, page 501:
[TRADUCTION] Ce qui précède porte sur la recevabilité en droit, et, comme le Lord Juge en chef Goddard
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le souligne et comme en vérité il est bien reconnu, dans toute affaire criminelle le juge a le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve, même pertinente en droit et donc recevable, si la recevoir devait être inéquitable envers l’accusé. J’ajouterai qu’en déterminant si la recevoir devait être inéquitable envers l’accusé, on doit certainement s’arrêter à la question de savoir si cette preuve a été obtenue de façon oppressive, par la force, ou contre le gré de l’accusé. Voilà le principe général.
Dans deux affaires subséquentes, R. v. Court[19] et R. v. Payne[20], Lord Parker a conclu que le juge de première instance aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et écarter une preuve recevable. Les deux affaires portaient sur des accusations d’avoir conduit en état d’ivresse. Le témoignage en cause dans chaque affaire était celui d’un médecin qui avait examiné l’accusé au poste de police, et portait sur le degré d’ébriété de ce dernier. Lord Parker relate les circonstances comme suit, dans l’affaire Payne, page 638:
[TRADUCTION] Dans l’affaire Court (1962) Crim. L.R. 697, C.C.A., comme dans la présente, on a demandé au prévenu, au poste de police, s’il consentait à subir un examen médical, en lui disant clairement, dans chaque cas, que le but de cet examen était de permettre au médecin de voir s’il souffrait de quelque maladie ou infirmité. Dans les deux cas, on a dit au prévenu qu’il n’entrait pas dans les fonctions du médecin de l’examiner en vue de témoigner sur son inaptitude à conduire. Ces déclarations faites aux prévenus étaient, à l’époque, conformes à une ligne de conduite établie voulant que le médecin mandé n’examine pas le prévenu dans le but de déterminer son aptitude à conduire, mais seulement pour voir s’il souffrait de quelque autre maladie ou infirmité physique, et, notamment, s’il était en état de quitter le poste de police.
Par contre, dans l’affaire The Queen v. Murphy[21], le Lord Juge en chef MacDermott, présidant la Courts-Martial Appeal Court, tout en admettant la proposition que le tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve recevable si elle pouvait être inéquitable envers l’accusé, a conclu que la Court-Martial avait
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correctement exercé ce pouvoir lorsque, sur une accusation d’avoir divulgué des renseignements utiles à l’ennemi, elle avait admis le témoignage d’agents de police qui s’étaient fait passer pour des membres d’une organisation subversive dont l’accusé était soupçonné d’être un sympathisant et, de cette manière, avaient obtenu de lui les renseignements qui faisaient l’objet de l’accusation, en lui posant des questions sur la sécurité de sa caserne.
Dans l’affaire King v. The Queen[22], le Conseil privé a refusé de reviser l’exercice du pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance, qui, sur une accusation de possession de drogue dangereuse, avait admis la preuve qu’on avait fouillé l’accusé. Une disposition de la constitution de la Jamaïque protège les citoyens contre la fouille sur la personne, à domicile, sans leur consentement. La loi ne permettait pas la fouille et on y a procédé sans donner à l’accusé l’occasion d’être fouillé en présence d’un juge de paix, ce qui était son droit.
J’ai étudié la jurisprudence précitée parce qu’elle indique que l’énoncé de droit sur le pouvoir discrétionnaire du juge, que Lord Du Parcq a d’abord fait à propos de la preuve d’actes similaires, en termes très restreints, dans l’affaire Noor Mohamed, savoir:
[TRADUCTION] Il convient d’ajouter toutefois que dans tous les cas de ce genre, le juge doit voir si la preuve que l’on veut présenter est assez concluante, par rapport au but visé ouvertement par sa présentation, pour qu’il soit convenable de la recevoir dans l’intérêt de la justice. Le juge a raison de la rejeter, si sa valeur probante est insignifiante, eu égard au but visé et aux circonstances de l’affaire.
(C’est moi qui souligne).
est réapparu, complètement élargi, en un énoncé comme celui du Juge Ashworth dans l’affaire Rumping v. Director of Prosecutions[23]:
[TRADUCTION] Il y a évidemment une abondante jurisprudence à l’appui de la proposition que le juge a le pouvoir discrétionnaire absolu d’écarter une preuve, même recevable en droit.
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A l’appui de cette proposition, il n’invoque que l’affaire Kuruma.
Cette évolution de la notion d’un pouvoir discrétionnaire illimité d’écarter une preuve recevable n’est pas justifiée par la jurisprudence sur laquelle elle prétend s’appuyer. L’aphorisme de Lord Goddard dans l’affaire Kuruma paraît fondé sur l’affaire Noor Mohamed et on l’a, à mon avis, beaucoup trop élargi dans certaines affaires subséquentes. Il reconnaît un pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve lorsque l’application stricte des règles de recevabilité serait inéquitable envers l’accusé. Même si l’on accepte cet énoncé, de la façon dont il est formulé, il n’y a lieu pour le juge de première instance d’exercer ce pouvoir discrétionnaire que s’il y est inéquitable de recevoir la preuve. Recevoir une preuve pertinente à la question en litige et de grande force probante peut avoir un effet défavorable à l’accusé, sans être inéquitable. C’est seulement le fait de recevoir une preuve fortement préjudiciable à l’accusé et dont la recevabilité tient à une subtilité, mais dont la valeur probante à l’égard de la question fondamentale en litige est insignifiante, qui peut être considéré comme inéquitable.
Je souscris à ce que dit le Juge en chef Davey de la Colombie-Britannique sur ce point dans l’affaire The Queen v. Sigmund et al.[24], dans le passage cité par le Juge en chef Cartwright dans ses motifs.
On peut déterminer, jusqu’à un certain point, l’opinion de Lord Goddard lui-même sur la portée de son aphorisme, par son refus de l’appliquer aux faits plutôt inusités de l’affaire Kuruma. L’appelant Kuruma, un Africain, était employé par un cultivateur européen, au Kenya. A l’occasion de son jour de repos, il s’en allait à bicyclette de la ferme à sa réserve par une route qu’il savait régulièrement patrouillée par la police du Kenya. Il aurait pu se rendre chez lui par une autre route qui n’était pas surveillée, mais ce n’est pas ce qu’il choisit de faire. La règle 29 du Règlement d’urgence du Kenya décrétait:
[TRADUCTION] Tout agent de police ayant au moins le rang d’inspecteur adjoint peut… avec ou sans aide, et par la force au besoin,… (b) arrêter et
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fouiller…toute personne, que ce soit dans un endroit public ou non, s’il soupçonne qu’une preuve de la perpétration d’une infraction aux présents règlements peut vraisemblablement se trouver sur cette personne et il peut saisir toute preuve ainsi trouvée.
S’en allant à bicyclette, l’accusé a été arrêté à un barrage de police. Il est descendu et deux agents, tous deux de rang inférieur à celui d’inspecteur adjoint, l’ont déshabillé et fouillé. Lors de leur témoignage pour le compte du ministère public, ils ont déclaré avoir trouvé deux cartouches et un couteau de poche sur Kuruma. Sur la foi de ce témoignage, et conformément aux lois d’urgence du Kenya (Règle 8a (1)(b), Règlement d’urgence de 1952), l’accusé a été condamné à la peine capitale pour possession illégale de cartouches. Il a nié avoir eu en sa possession les cartouches et le couteau de poche et a fondé son appel sur le fait que la seule preuve apportée contre lui était le fruit d’une fouille illégale et aurait dû être écartée.
On n’a jamais produit le couteau de poche comme pièce à conviction, la police affirmant qu’il a été rendu à l’accusé après son arrestation. Les agents ont également prétendu que trois autres personnes avaient assisté à la fouille et à la découverte des cartouches sur la personne de l’accusé. Cependant, le ministère public n’a appelé aucun de ces témoins et la déclaration de culpabilité a été fondée sur le seul témoignage des agents. En vertu des lois du Kenya, l’accusé n’avait pas droit à un procès par jury (art. 258, 259 et le par. 2 de l’art. 318 du Criminal Procedure Code). L’affaire a plutôt été entendue par un magistrat et trois assesseurs. Le magistrat, en rendant le jugement, n’a pas tenu compte de l’avis unanime des assesseurs.
Si Lord Goddard avait voulu que le pouvoir discrétionnaire qu’il a défini soit applicable lorsque le juge de première instance estime que l’on a obtenu la preuve proposée d’une manière inéquitable, il est difficile de voir comment il aurait pu ne pas conclure que ce pouvoir aurait dû être exercé en faveur de Kuruma. Si, cependant, il a voulu dire que ce pouvoir discrétionnaire naît quand le fait d’admettre une preuve, bien que recevable en droit, serait inéquitable envers l’ac-
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cusé parce que, comme on le dit dans l’affaire Noor Mohamed, la force probante en est insignifiante, tandis qu’elle est fortement préjudiciable, alors, la solution apportée à l’affaire Kuruma s’explique très bien.
Dans les affaires R. v. Court et R. v. Payne, je crois qu’on a confondu «inéquitable» dans la manière de se procurer la preuve et «inéquitable» dans le fait de la recevoir au procès. La conséquence de ces deux décisions est, en fait, de rendre irrecevable une preuve que la ratio decidendi de l’affaire Kuruma tient pour recevable. Le principe qu’elles expriment remplacerait le critère de l’affaire Noor Mohamed, fondé sur le devoir du juge de première instance de s’assurer que l’opinion des jurés ne soit pas préjugée par une preuve de peu de valeur probante, mais fortement préjudiciable, par celui de savoir si une preuve dont la force probante est irrécusable, a été obtenue par des procédés que le juge de première instance, à sa discrétion, considère inéquitables. L’exclusion de la preuve pour ce dernier motif n’a absolument rien à voir avec l’obligation du juge d’assurer un procès équitable à l’accusé.
La difficulté de parvenir à un minimum d’uniformité dans l’application de la loi, si l’on admet l’existence d’un pouvoir discrétionnaire illimité de ce genre, ressort clairement des affaires que j’ai examinées. Quelle est la mesure de l’aspect «inéquitable» qui rend irrecevables les témoignages des médecins dans les affaires Court et Payne où l’on a induit les accusés en erreur sur le but de l’examen médical, mais tient pour recevable une preuve obtenue par la fouille illégale sur la personne, dans les affaires Kuruma et King, et celle obtenue par la supercherie d’agents provocateurs dans l’affaire Murphy?
A mon avis, la jurisprudence ne justifie pas la reconnaissance du pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve recevable, sauf dans la mesure restreinte acceptée dans l’affaire Noor Mohamed, et il ne serait pas opportun d’aller au-delà. Il ne faut pas empêcher la réception d’une preuve pertinente, recevable et probante, sauf dans le cadre très restreint accepté dans cette affaire-là. Je suis d’avis que le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance ne s’étend pas au-delà de
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ces limites; en conséquence, je crois, en toute déférence, que la définition que donne la Cour d’appel de ce pouvoir discrétionnaire, dans la présente affaire, est erronée en droit.
Je suis d’accord avec le Juge en chef Cartwright et mon collègue le Juge Judson que, sur la question de la recevabilité de la preuve que le ministère public a voulu apporter dans la présente affaire, nonobstant l’exclusion de la confession, le Juge en chef McRuer de la Haute Cour exprime correctement le droit applicable au Canada, dans l’affaire The King v. St. Lawrence[25]:
[TRADUCTION] Lorsque la découverte du fait confirme la confession, — c’est-à-dire lorsqu’il faut conclure à la véracité de la confession en raison de la découverte du fait, — alors la partie de la confession que confirme la découverte du fait est recevable en preuve, rien de plus.
En conséquence, je suis d’avis que le savant juge de première instance a commis une erreur de droit en écartant la preuve des faits qui ont amené à retrouver la carabine, et en écartant les parties de la confession que la découverte de ces faits a confirmées.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner un nouveau procès.
Les Juges Fauteux et Abbott sont d’accord avec les motifs du Juge Judson.
LE JUGE JUDSON — Je souscris à la conclusion du Juge en chef Cartwright que nous ne devons pas nous écarter de l’arrêt Rex v. St. Lawrence[26]. On y a étudié le droit appliqué depuis Rex v. Warwickshall[27] et d’après lequel, même si une confession est irrecevable, le ministère public peut néanmoins mettre en preuve les faits découverts par suite de cette confession. Il y a eu ordinairement application de ce principe lorsqu’il s’agissait de la découverte d’objets reliés au crime. On peut mettre en preuve la découverte des objets même si la confession est irrecevable.
Pour justifier le rejet des confessions on invoque le fait qu’elles peuvent être d’une valeur douteuse si on les a obtenues dans certaines con-
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ditions. Cette règle ne s’applique aucunement à des faits incontestables, comme la découverte des objets. On prétend ici qu’il faudrait écarter cette preuve, bien qu’elle soit pertinente, recevable et très probante, parce que la recevoir serait inéquitable envers l’accusé et, d’après la Cour d’appel, discréditerait l’administration de la justice. Je ne parle pas ici d’écarter une preuve recevable et pertinente, mais dont la valeur probante est si faible qu’il faut l’écarter à cause de sa tendance préjudiciable à l’égard du jury. De nombreux jugements vont dans ce sens:
Maxwell v. Director of Public Prosecutions[28]; Stirland v. Director of Public Prosecutions[29]; R. v. Cook[30]; Noor Mohamed v. The King[31].
Il est également dit, dans 7 C.E.D. 2e édition, page 105, que le juge peut, à sa discrétion, écarter des éléments de preuve de faible valeur s’ils sont susceptibles de porter préjudice indû, de prendre par surprise ou d’embrouiller le litige. Ce principe, je le répète, n’est pas en cause dans le présent pourvoi. Nous avons affaire ici à un élément de grande force probante: la découverte de l’arme qui a servi à abattre Donald Comrie dans la station-service, au cours du vol.
Les passages cités des arrêts Noor Mohamed v. The King, Kuruma v. The Queen[32], Callis v. Gunn[33], ne peuvent, à mon avis, justifier le grand pouvoir d’exclusion qu’a exercé le juge de première instance dans la présente affaire et que la Cour d’appel a confirmé et étendu.
Dans l’affaire Noor Mohamed, l’inculpé répondait à l’accusation d’avoir assassiné sa maîtresse au cyanure de potassium. La preuve écartée avait trait à la mort de sa femme, deux ans plus tôt, également par absorption de cyanure de potassium. L’exclusion se fonde sur le principe énoncé dans Makin v. Attorney General for New South Wales[34], vu que cette preuve tendait nettement à démontrer que l’inculpé s’était rendu coupable du meurtre de sa femme deux ans plus tôt et cela,
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dans le but de convaincre le jury qu’il était le genre d’homme capable d’assassiner sa maîtresse, deux ans plus tard, par le même moyen. Vient ensuite l’énoncé au sujet du pouvoir judiciaire d’écarter un élément de preuve d’une valeur probante «insignifiante» même s’il pourrait y avoir [TRADUCTION] «quelque faible raison de soutenir qu’il est recevable en soi». Je ne crois pas que l’affaire Noor Mohamed nous soit d’aucun secours dans la présente affaire.
Dans Kuruma, il s’agissait d’une accusation de possession de munitions, en contravention des Règlements d’urgence du Kenya de 1952. On a prétendu que la preuve de la possession avait été obtenue par une fouille illégale. Cette preuve a été reçue et on y énonce que dans les affaires civiles et criminelles, le critère de recevabilité est la pertinence de la preuve aux questions en litige. Si elle est pertinente, la preuve est recevable et le tribunal n’a pas à tenir compte de la façon dont on l’a obtenue.
C’est là la raison déterminante de l’affaire et, à mon avis, elle est juste. L’affirmation que le tribunal jouit du pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve lorsque l’application stricte des règles de recevabilité serait inéquitable envers l’accusé est un obiter dictum que la jurisprudence citée ne justifie pas.
L’affaire Callis v. Gunn porte sur la recevabilité d’une preuve d’empreintes digitales. L’accusé avait refusé de faire aucune déclaration, mais laissé prendre ses empreintes digitales. On ne l’avait pas prévenu qu’il n’y était pas obligé. Au procès, cette preuve a été écartée. En appel, on a conclu qu’il aurait fallu la recevoir, qu’il n’était pas nécessaire de faire une mise en garde avant de prendre les empreintes et que rien ne justifiait les juges d’écarter cette preuve. Vient ensuite l’affirmation que le tribunal de première instance jouit du pouvoir discrétionnaire absolu d’écarter une preuve si la recevoir serait inéquitable envers l’accusé, et qu’il devrait s’en prévaloir si la preuve avait été obtenue de façon oppressive ou par faux-semblant, supercherie, menace ou corruption.
Si cette affirmation implique un pouvoir judiciaire d’écarter pour les motifs indiqués n’importe quelle preuve pertinente, je ne puis y sous-
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crire. A cet égard, je suis d’accord avec le Juge en chef Davey de la Colombie-Britannique, lorsqu’il dit dans Regina v. Sigmund et al.[35]:
[TRADUCTION] Si Lord Parker a voulu poser comme principe que le juge jouit du pouvoir discrétionnaire d’écarter toute preuve pertinente dont la réception serait inéquitable envers un accusé ou qui a été obtenue de façon oppressive, par la force ou contre le gré de ce dernier, en toute déférence, je ne puis être d’accord. Je ne connais aucun autre précédent qui aille aussi loin, encore que ce soit sur ce principe attribué à Lord Parker que l’exclusion de la déclaration justificative faite par Sigmund doive se fonder.
Le présent pourvoi nous invite nettement à résoudre la question suivante: devons-nous élaborer du droit nouveau et accorder au juge de première instance le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve pertinente et recevable, s’il croit que ce serait inéquitable envers l’accusé ou que, d’après lui, cela discréditerait l’administration de la justice? Dans le cas présent, cela serait inéquitable, dit-on, du fait que la découverte de l’arme résulte en partie d’une confession irrecevable et en partie du fait que l’accusé a accompagné les policiers et indiqué l’endroit où l’arme était cachée. A mon avis, il n’y a aucune raison d’admettre l’existence de ce pouvoir discrétionnaire dans ces circonstances. Ce genre de preuve est considéré recevable depuis près de deux cents ans. Aucun pouvoir judiciaire ne permet d’écarter une preuve pertinente, très pertinente dans la présente affaire, parce que la recevoir serait inéquitable envers l’accusé.
S’il y a lieu de changer le droit, il suffirait simplement de modifier la Loi de la preuve au Canada pour décréter qu’aucun fait découvert en conséquence d’une confession irrecevable ne peut servir de preuve contre un accusé. Il ne faut pas procéder à un tel changement en faisant appel à une théorie sur le pouvoir judiciaire de recevoir ou d’écarter une preuve pertinente, théorie fondée sur les énoncés peu convaincants que j’ai mentionnés dans les présents motifs. Le pouvoir discrétionnaire dans ce domaine implique une grande incertitude d’application. Le rôle du juge qui préside à un procès est d’appliquer le droit et de recevoir toute preuve pertinente, à moins qu’il
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existe une règle quelconque en décrétant le rejet. Si l’on procède ainsi, l’accusé a un procès équitable. La règle d’exclusion appliquée dans la présente affaire est à rejeter.
Comment faut-il présenter au jury les faits relatifs à la découverte de l’arme? Au minimum, dans la présente affaire, il y a le récit du voyage de Wray, en compagnie des policiers, de Toronto jusqu’à un marécage à une quinzaine de milles à l’ouest du lieu du crime, la recherche et la découverte de l’arme d’après les indications de l’accusé. Cela se passait le soir du 4 juin 1968. Les policiers ont cherché jusqu’à la tombée de la nuit; ils ont retrouvé l’arme le lendemain matin.
La question suivante est celle de savoir si l’on peut mettre en preuve telle ou telle partie de la confession irrecevable. La jurisprudence et les auteurs sont en désaccord sur ce point. Il y a deux possibilités: restreindre la preuve à celle du fait de la découverte d’après les indications de l’accusé ou admettre, en plus, la partie de la confession confirmée par la découverte.
Dans l’affaire Rex v. St. Lawrence[36], le Juge en chef McRuer de la Haute Cour a étudié tous les précédents anglais et canadiens, et ils sont nombreux. Aux pages 228 et 229, il énonce sa conclusion, que je suis d’avis de suivre:
[TRADUCTION] Après avoir examiné toute la question le plus attentivement possible, compte tenu du temps dont je dispose, j’en suis venu à la conclusion que ma décision doit s’appuyer sur le principe fondamental suivant:
Lorsque la découverte du fait confirme la confession, — c’est-à-dire lorsqu’il faut conclure à la véracité de la confession en raison de la découverte du fait, — alors la partie de la confession que confirme la découverte du fait est recevable, mais rien de plus. De tout ce qu’on a cité, c’est le traité de Taylor qui exprime le point de vue le plus rapproché de cette opinion.
Il est donc permis de mettre en preuve, dans la présente affaire, les faits découverts par suite de la confession irrecevable, mais aucune des déclarations concomitantes que les faits ne confirment pas. Tout ce qu’a fait l’accusé qui tend à démontrer qu’il savait où se trouvaient les objets en cause est recevable en preuve pour établir le fait qu’il savait que ces objets se trouvaient là, puisque la découverte
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des objets le démontre; en d’autres termes: la connaissance par l’accusé est un fait, l’endroit où l’on a trouvé les objets est un fait. Si l’accusé fait ou dit quelque chose qui indique qu’il savait où se trouvent les objets et que leur découverte le confirme, le fait qu’il le savait est alors établi. Par contre, il n’est pas permis de prouver que l’accusé a dit qu’il a mis les objets à l’endroit où on les a trouvés, puisque leur découverte ne confirme pas cette déclaration. Leur découverte est également conciliable avec la possibilité pour l’accusé, d’avoir su que quelqu’un d’autre a pu les mettre à l’endroit où on les a trouvés.
Après avoir énoncé le principe, le Juge en chef McRuer a étudié la preuve en détail et écarté la déclaration, incluse dans la confession, que l’accusé avait jeté l’objet des recherches de l’autre côté de la clôture, à l’endroit où on l’a trouvé. Il a limité la preuve à la découverte.
Dans la présente affaire, bien que l’on puisse être porté à déduire que le fait de savoir que la carabine se trouvait dans cette cachette reculée et qu’elle était brisée, de même que le fait d’indiquer cet endroit aux policiers, confirment l’aveu de l’accusé que c’est lui qui l’a jetée où on l’a trouvée, je suis d’avis de suivre l’arrêt rendu dans l’affaire St. Lawrence et de limiter la preuve à la découverte faite d’après les indications de l’accusé.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et d’ordonner un nouveau procès.
LE JUGE HALL (dissident) — Sauf ce que je dirai plus loin au sujet de Rex v. St. Lawrence[37], je souscris aux motifs du Juge en chef Cartwright et je rejetterais le pourvoi.
Il faut admettre que le juge de première instance possède, de droit, dans une certaine mesure le pouvoir discrétionnaire d’écarter, dans certaines circonstances, une preuve recevable. Lord DuParcq énonce le principe, relativement aux faits de cette affaire-là, dans Noor Mohamed v. The King[38], de la façon suivante:
[TRADUCTION] Il convient d’ajouter toutefois que dans tous les cas de ce genre, le juge doit voir si la preuve que l’on veut présenter est assez concluante, par rapport au but visé ouvertement par sa pré-
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sentation, pour qu’il soit convenable de la recevoir dans l’intérêt de la justice. Le juge a raison de la rejeter, si sa valeur probante est insignifiante eu égard au but visé et aux circonstances de l’affaire. En disant cela, on ne confond pas la valeur probante avec la recevabilité. La distinction est évidente, mais des cas doivent cependant se présenter où il serait injuste d’accepter un élément de preuve de caractère fortement préjudiciable à l’accusé, bien qu’il puisse y avoir quelque faible raison de soutenir qu’il est recevable en soi. La décision doit alors être laissée à la discrétion du juge et à son sens de la justice.
Le principe a été développé à l’égard d’autres circonstances dans Kuruma v. The Queen[39], où Lord Goddard dit:
[TRADUCTION]… Il n’y a aucun doute que, dans une affaire criminelle, le juge a toujours le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve lorsque l’application stricte des règles de recevabilité serait inéquitable envers l’accusé. Ce principe a été souligné ici dans l’affaire Noor Mohamed et, à la Chambre des Lords, dans une affaire récente, Harris v. Director of Public Prosecutions. Si, par exemple, la réception d’un élément de preuve quelconque, d’un document — mettons — , avait été obtenue du défendeur par supercherie, il n’y a pas de doute que le juge pourrait à bon droit l’écarter. C’est ce pouvoir discrétionnaire qui est le fondement de la décision de Lord Guthrie dans H.M. Advocate v. Turnbull.
et dans Callis v. Gunn[40], où Lord Parker dit:
[TRADUCTION] Ce qui précède porte sur la recevabilité en droit, et, comme le Lord Juge en chef Goddard le souligne et comme en vérité il est bien reconnu, dans toute affaire criminelle, le juge a le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve, même pertinente en droit et donc recevable, si la recevoir devait être inéquitable envers l’accusé. J’ajouterai qu’en déterminant si la recevoir devait être inéquitable envers l’accusé, on doit certainement s’arrêter à la question de savoir si cette preuve a été obtenue de façon oppressive, par la force ou contre le gré de l’accusé. Voilà le principe général.
et par le Juge Spence dans Colpitts c. La Reine[41]. En toute déférence, je ne puis admettre le point de vue selon lequel les déclarations de ces émi-
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nents juristes dans les citations ci-dessus sont des obiter dicta. Chacun de ces juristes y a reconnu à sa manière, selon les circonstances de chaque affaire, un aspect du grand principe plusieurs fois centenaire, élaboré dans l’application de la justice criminelle anglaise, qui reconnaît à l’accusé le droit fondamental à un procès équitable.
Puisqu’il en est ainsi, de quel critère disposent les cours d’appel pour apprécier l’étendue du pouvoir discrétionnaire à exercer légalement dans une affaire donnée, si ce n’est que ce pouvoir doit être exercé judiciairement? C’est le seul critère qui s’applique aux déclarations reçues ou écartées après voir dire quel que soit le préjudice qu’en souffre l’accusé ou l’avantage qu’il retire de leur exclusion.
Les cours d’appel vont-elles prétendre posséder un pouvoir discrétionnaire absolu de contrôler celui que les juges de première instance possèdent légalement et exercent judiciairement et cette Cour va-t-elle prétendre posséder un pouvoir de dernier ressort de peser, et le cas échéant, de trouver insuffisante l’étendue de ce pouvoir qui appartient d’abord au juge de première instance ou à la Cour d’appel?
Allons-nous établir un barème d’appréciation permettant d’évaluer l’étendue du pouvoir discrétionnaire du juge de première instance en fonction d’une échelle imaginaire calibrée pour répondre aux circonstances de chaque affaire? D’après la règle établie, si le juge de première instance a exercé judiciairement son pouvoir discrétionnaire, l’exercice n’en est sûrement pas sujet à appréciation ou révision en appel. C’est une règle d’application très générale en matière civile et criminelle et on ne doit pas y déroger parce que dans un cas particulier elle peut avoir entraîné des conséquences qu’une cour d’appel juge peu désirables.
La déclaration de Wray renferme d’autres passages qui lui sont beaucoup plus préjudiciables que le passage relatif à la découverte de la carabine considéré isolément, mais la compétence du juge de première instance d’écarter la déclaration parce que cette dernière n’a pas été faite librement est incontestable. Abstraction faite de la déclaration, la carabine était recevable en preuve comme pièce parce que l’expert en ballistique a témoigné que la balle qui a causé le décès de
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Donald Comrie en provenait. Aucun passage de la déclaration n’était donc indispensable pour identifier la carabine comme l’arme meurtrière. Pour l’instant, je n’exprime aucun avis sur l’acceptation de l’arrêt St. Lawrence comme énoncé définitif du droit canadien sur ce point. Cette Cour voudra peut-être réviser, si l’occasion s’en présente, l’usage fondé sur l’arrêt St. Lawrence de masquer ou retrancher des passages d’une déclaration de l’accusé et de présenter au jury une déclaration ainsi modifiée et mutilée.
LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai eu l’avantage de lire les motifs du Juge en chef Cartwright de même que ceux des Juges Judson et Hall. Comme le Juge Hall, je partage l’avis du Juge en chef Cartwright. J’estime cependant devoir ajouter quelques brefs commentaires.
Ainsi que l’a souligné le Juge en chef, le Juge d’appel Aylesworth, en rendant l’arrêt de la Cour d’appel d’Ontario[42] qui rejette l’appel du ministère public, a attribué non pas à un seul, mais à deux motifs l’exercice par le savant juge de première instance du pouvoir d’écarter la preuve que l’accusé a indiqué où se trouvait l’arme, en disant:
[TRADUCTION] A notre avis, le juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire d’écarter une preuve, même fort probante, s’il considère que la recevoir serait injuste ou inéquitable envers l’accusé ou de nature à discréditer l’administration de la justice.
(Le souligné est de moi).
Je suis très nettement d’avis qu’il est du devoir de tout juge d’éviter de discréditer l’administration de la justice. C’est un devoir qui lui incombe constamment et qu’il doit toujours avoir présent à l’esprit. L’accomplissement de ce devoir est, aujourd’hui où le mépris de l’administration de la justice frise la sédition, de toute première importance pour la survie de l’État.
Dans la présente affairé, comme le souligne le Juge d’appel Aylesworth, la confession ou déclaration de l’accusé et les renseignements qu’il
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a fournis sur l’endroit où se trouvait l’arme ont été obtenus par supercherie, contrainte et promesses irrégulières, et sont nettement irrecevables. De plus, ainsi que l’a indiqué le Juge en chef de cette Cour dans ses motifs de jugement, l’inspecteur de la police provinciale a déclaré que le recours à cette supercherie avait pour objet d’éviter le risque que l’accusé, par suite d’un entretien avec son avocat, refuse de conduire les policiers à l’endroit où se trouvait la carabine.
Dans ces circonstances, je suis d’accord avec le Juge en chef qui estime que la description de la situation faite par la Cour d’appel n’est aucunement exagérée.
Je suis d’avis que si le juge de première instance après avoir écarté comme irrecevable la déclaration de l’accusé, ainsi qu’il l’a fait à bon droit, avait néanmoins permis au ministère public de présenter toute la preuve du fait que l’accusé a accompagné les agents de police et leur a indiqué l’endroit où l’arme avait été jetée, conformément aux renseignements fournis dans la déclaration écartée, il aurait non seulement jeté du discrédit sur l’administration de la justice, mais il aurait manifesté un singulier mépris pour le principe de droit pénal anglais nemo tenetur seipsum accusare. Il n’est certes pas nécessaire d’invoquer aucune autorité à l’appui du principe le plus fondamental de notre droit pénal.
Pour ces motifs, je rejetterais donc le pourvoi.
Appel accueilli, le JUGE EN CHEF CARTWRIGHT et les JUGES HALL et SPENCE étant dissidents.
Procureur de l’appelante: Le Procureur Général d’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intimé: R.J. Carter, Toronto.
[1] [1970] 2 O.R. 3, [1970] 3 C.C.C. 122, 9 C.R.N.S. 131.
[2] (1949), 93 C.C.C. 376, [1949] O.R. 215, 7 C.R. 464.
[3] (1964), 50 W.W.R. 321, [1964] 2 C.C.C. 56, 45 C.R. 113.
[4] [1968] R.C.S. 902, [1969] 1 C.C.C. 197, 70 D.L.R. (2d) 530.
[5] [1946] O.R. 762 à 787, 83 C.C.C. 321, [1946] 4 D.L.R. 791.
[6] [1949] A.C. 182.
[7] [1955] A.C. 197.
[8] [1964] 1 Q.B. 495.
[9] [1968] 1 C.C.C. 92, 60 W.W.R. 257.
[10] [1950] S.C. (J.) 19 à 26.
[11] [1965] N.I. 138 à 149.
[12] [1965] A.C. 1001 à 1024.
[13] [1970] 2 O.R. 3, [1970] 3 C.C.C. 122, 9 C.R.N.S. 131.
[14] [1955] A.C. 197 à 203.
[15] [1949] A.C. 182.
[16] [1952] A.C. 694.
[17] [1918] A.C. 221.
[18] [1964] 1 Q.B. 495.
[19] [1962] Crim. L.R. 697.
[20] [1963] 1 W.L.R. 637.
[21] [1965] N.I. 138.
[22] [1968] 2 All. E.R. 610.
[23] [1962] C.A.R. 398 à 403.
[24] [1968] 1 C.C.C. 92 à 102-3, 60 W.W.R. 257.
[25] (1949), 93 C.C.C. 376 à 391, [1949] O.R. 215, 7 C.R. 464.
[26] (1949), 93 C.C.C. 376, [1949] O.R. 215, 7 C.R. 464.
[27] (1783), 1 Leach 263.
[28] [1935] A.C. 309 à 321, 24 Cr. App. R. 15.
[29] [1944] A.C. 315 à 319, 324.
[30] [1959] 2 Q.B. 340 à 346.
[31] [1949] A.C. 182 à 192.
[32] [1955] A.C. 197.
[33] [1964] 1 Q.B. 495.
[34] [1894] A.C. 57.
[35] [1968] 1 C.C.C. 92, 60 W.W.R. 257.
[36] (1949), 93 C.C.C. 376, [1949] O.R. 215, 7 C.R. 464.
[37] (1949), 93 C.C.C. 376, [1949] O.R. 215, 7 C.R. 464.
[38] [1949] A.C. 182 à 192.
[39] [1955] A.C. 197.
[40] [1964] 1 Q.B. 495.
[41] [1965] R.C.S. 739 à 749, [1966] 1 C.C.C. 146, 52 D.L.R. (2d) 416.
[42] [1970] 2 O.R. 3, [1970] 3 C.C.C. 122, 9 C.R.N.S. 131.