Cour suprême du Canada
R. c. Osborn, [1971] R.C.S. 184
Date: 1970-10-06
Sa Majesté La Reine (Plaignant) Appelante;
et
Frederick John Osborn (Deféndeur) Intimé.
1969: les 19 et 20 juin; 1970: le 6 octobre.
Présents: Les Juges Fauteux, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL D’ONTARIO.
APPEL de la poursuite d’un jugement de la Cour d’appel d’Ontario[1], acquittant l’intimé d’avoir comploté en vue de présenter des chèques falsifiés. Appel accueilli.
C.M. Powell et Archie Campbell, pour l’appelante.
C.G. Stewart McKeown et David R.G. Griner, pour l’intimé.
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LE JUGE FAUTEUX — Je suis d’accord à ce que le pourvoi soit accueilli.
Le jugement des Juges Martland, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Les faits relatifs à cette affaire sont énoncés comme suit dans les motifs de la Cour d’appel d’Ontario1.
[TRADUCTION] Le 23 novembre 1965, un policier qui surveillait l’appelant, Frederick John Osborn, l’a vu jeter une enveloppe par la glace baissée d’une portière d’automobile. L’enveloppe contenait sept chèques falsifiés entièrement rédigés et endossés au nom de divers preneurs. Les chèques étaient complets mais non datés. L’enveloppe renfermait aussi deux morceaux de papier avec les noms des preneurs, les adresses de certaines banques et quelques numéros de compte. Au procès, l’appelant a témoigné qu’un nommé «Frank» lui avait indiqué la cachette où se trouvait l’enveloppe et lui avait promis un tiers du montant s’il encaissait les chèques; cependant, après un simple coup d’œil sur le contenu de l’enveloppe, l’appelant aurait, dit-il, décidé de n’encaisser aucun des chèques. Nulle autre preuve ne liait l’appelant à la contrefaçon des chèques.
En novembre 1965, l’appelant a été accusé d’avoir eu en sa possession, sciemment et sans autorisation ni excuse légitime, certains documents, à savoir: sept chèques et deux morceaux de papier «adaptés et destinés à servir pour commettre un faux», contrairement au Code criminel, article 312 b). Après deux jours de procès devant un jury, en septembre 1966, l’appelant a été acquitté grâce à un verdict dicté par le juge. Ce verdict dicté paraît avoir été fondé sur le fait que les faux étaient complets, de sorte qu’on ne pouvait soutenir que les chèques étaient «adaptés ou destinés à servir pour commettre un faux».
Un appel interjeté par le ministère public a été rejeté.
En mai 1967, l’appelant a été accusé d’avoir comploté avec un ou plusieurs inconnus en vue de commettre l’acte criminel qu’est la présentation de sept chèques falsifiés.
En janvier 1968, à l’ouverture du deuxième procès, le Juge de première instance a rejeté le moyen de défense spécial d’autrefois acquit. L’avocat de l’appelant a aussi allégué devant le Juge de première instance que celui-ci avait le pouvoir de suspendre la mise en accusation pour le motif que l’accusation
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était oppressive et constituait un abus de procédure. Le Juge de première instance n’a pas décidé de façon formelle s’il possédait ce pouvoir discrétionnaire; après avoir rejeté le moyen de défense d’autrefois, il a simplement ordonné que le procès suive son cours. L’appelant a été déclaré coupable.
L’appel dont cette cour est saisie repose uniquement sur le pouvoir qu’avait le Juge de première instance de suspendre ou de rejeter une mise en accusation si oppressive et vexatoire qu’elle constitue un abus de procédure, pouvoir qui aurait dû être exercé en faveur de l’appelant.
Après s’être particulièrement reporté aux discours tenus dans Connelly v. Director of Public Prosecutions[2], le Juge d’appel Jessup a déclaré au nom de la Cour:
[TRADUCTION] La doctrine de la res judicata occupe en droit civil la même place que le moyen de défense autrefois acquit en droit criminel. Mais, indépendamment de la res judicata et de la Règle 126, les tribunaux de cette province se sont réservé, depuis les temps les plus reculés, le pouvoir inhérent de prévenir les abus de procédure dus à une action oppressive ou vexatoire. Le principe sur lequel ils se sont fondés, est énoncé par Lord Watson dans Haggard v. Pelicier Frères, (1892) A.C. 61…
* * *
Je ne vois ni règle ni principe qui confinerait aux tribunaux civils ce pouvoir inhérent, ni pourquoi celui-ci ne pourrait être invoqué pour supprimer l’abus causé par une multiplicité d’accusations successives portées par un particulier ou par le ministère public et basées sur les mêmes faits…
Je ne suis pas prêt à décider qu’en l’absence de circonstances particulières, une deuxième mise en accusation sur les mêmes faits produit inévitablement dans tous les cas une injustice telle qu’il faille avoir recours au pouvoir inhérent des tribunaux. Tout dépend de l’ensemble des faits de la cause. Ce pouvoir ne doit être exercé en faveur de l’accusé que dans les cas où autrement il y aurait injustice réelle et ces cas devraient être rares. On doit toujours l’invoquer avant l’interpellation de l’inculpé sur l’acte d’accusation qu’on prétend être oppressif, et jamais une fois le procès entamé. Cependant, dans cette affaire, je crois que le long délai, assorti de l’appel du ministère public dans l’intervalle, rend la deuxième mise en accusation oppressive et injuste.
En toute déférence, ce raisonnement est erroné. Il semble avoir pour prémisses qu’au civil il existe
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indubitablement un pouvoir inhérent de prévenir les abus de procédure dus à une action oppressive ou vexatoire. La cause citée à l’appui, Haggard v. Pelicier Frères[3], touche en fait au pouvoir juridictionnel: le défendeur était responsable envers le demandeur, prétendait-on, par suite du rejet sommaire d’une demande pour le motif qu’elle était vexatoire, rejet qui aurait excédé son pouvoir.
Dans la présente affaire, j’estime inutile de considérer si le Juge de première instance avait le pouvoir de rendre l’ordonnance que, selon la Cour d’appel, il aurait dû rendre. A mon avis, le véritable problème est le suivant: notre droit criminel renferme-t-il une règle selon laquelle, dans le cas d’une multiplicité d’actes d’accusations successifs basés sur les mêmes faits, un Juge de première intance a le pouvoir discrétionnaire de suspendre une mise en accusation lorsque, eu égard à l’ensemble des faits de la cause, cette mise en accusation est considérée comme une injustice équivalant à une oppression. En cette cour, comme en Cour d’appel, les avocats n’ont pu citer de cas au Canada où l’on aurait reconnu ou exercé ce pouvoir discrétionnaire, sauf l’obiter dictum du Juge d’appel Mackay dans Regina v. LeClair[4].
En ce qui a trait aux opinions exprimées dans Connelly v. Director of Public Prosecutions, il faut observer que la difficulté de cette affaire-là reposait sur une différence très importante entre notre droit criminel et le droit criminel d’Angleterre à l’époque. Lord Reid a dit (p. 1295):
[TRADUCTION] Depuis la promulgation du Criminal Appeal Act de 1908, le législateur a toujours refusé d’autoriser un nouveau procès pour la même infraction, une fois un verdict de culpabilité annulé par la Court of Criminal Appeal pour quelque motif que ce soit. Ce refus d’autoriser un nouveau procès s’est toujours inspiré d’un souci d’équité envers l’accusé, et je ne puis voir pourquoi, s’il est inéquitable d’autoriser un nouveau procès pour la même infraction, il serait équitable d’en autoriser un portant sur les mêmes faits, simplement parce que l’accusation serait d’une infraction différente.
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Dans notre pays, le législateur a toujours, au contraire, estimé équitable le principe d’un nouveau procès au lieu d’un acquittement quand la condamnation est annulée, [Code cr., art. 592(2)] et la décision est invariablement en ce sens, sauf dans des circonstances spéciales.
Il est clair que la nouvelle «règle de pratique» exigeant l’inclusion dans le même acte de tous les chefs d’accusation relevant des mêmes faits, règle proposée par Lord Devlin dans Connelly et approuvée par Lord Pearce et Lord Reid, a été exclusivement motivée par le désir d’éviter à l’avenir l’anomalie que ce dernier a mentionnée dans le passage précité. Tous, y compris Lord Devlin, ont estimé que cette nouvelle règle, étant une «règle de pratique», ne devait pas être appliquée à l’affaire en instance. Par conséquent, il a été décidé à l’unanimité que l’appelant n’avait subi aucune injustice du fait d’avoir été jugé et condamné pour vol, une fois sa condamnation pour le meurtre commis au cours du vol annulée pour directive erronée, les accusations de meurtre et de vol ayant été portées dans des actes d’accusations distincts, d’après la pratique de l’époque. Ainsi, en maintenant une application stricte de la défense d’autrefois acquit — ce qui, en réalité, déniait à l’accusé l’avantage de la loi interdisant tout second procès, la majorité qui s’est prononcée en faveur d’une nouvelle règle pour l’avenir, ne différait pas en fait des autres quant à la conclusion à tirer en l’absence de cette règle. Comme la loi qui a motivé cette règle en Angleterre n’a pas d’équivalent dans notre droit criminel, les opinions sur l’état du droit indépendamment de cette règle, semblent à retenir dans notre pays. Lord Morris a déclaré (pages 1301‑1302 et 1304):
[TRADUCTION] Dans un tribunal criminel, le pouvoir (inhérent à la juridiction des tribunaux) de prévenir les abus de procédure et de contrôler leurs propres règles, doit comprendre celui de protéger un accusé contre l’oppression ou le préjudice. Ce pouvoir, comme le démontre d’ailleurs une multitude de précédents auxquels je me reporterai, n’a cependant jamais été envisagé comme investissant un tribunal du pouvoir de déclarer que la preuve étayant une accusation ne peut être reprise pour une accusation différente. Il ne permet pas non plus à un tribunal d’ordonner l’abandon de la poursuite à cause de quelque vague répugnance à voir l’accusé obligé de répondre à une nouvelle accusation.
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Ce serait à mon avis une innovation malheureuse que de décider que le pouvoir d’un tribunal de prévenir tout abus de procédure ou de veiller à l’observation de la procédure convenable, permet à un juge d’annuler une poursuite simplement parce qu’elle lui répugne. Il n’y a aucun abus de procédure si aucun moyen de défense d’autrefois acquit ou convict ne peut être opposé avec succès à une accusation régulièrement portée devant un tribunal et contenue dans un acte d’accusation contre lequel aucun tel moyen de défense ne peut être valablement opposé.
Lord Hodson a déclaré (pages 1336 et 1337):
[TRADUCTION] Le pouvoir inhérent du tribunal de contrôler sa propre procédure civile ou criminelle, ne doit pas gêner l’accès aux tribunaux saisis d’une demande légitime. Ce principe entraverait gravement la liberté des citoyens de recourir aux tribunaux et je serais étonné de trouver des précédents juridiques dans ce sens…
Je reconnais que l’évolution historique de notre droit justifie l’affirmation que toutes les règles de la Common Law qui émanent des juges eux-mêmes, peuvent être considérées, en un sens, comme ayant une origine discrétionnaire, mais je ne puis admettre qu’on doive donner au juge le pouvoir, d’après moi inexistant jusqu’ici, de s’opposer à tout ce qui lui semble personnellement inéquitable. Si l’on rejette cette formule, mais cherche à y substituer le pouvoir de déterminer d’après quelque principe si une poursuite doit ou non être annulée, je ne sais quel principe on peut appliquer en l’espèce.
C’est une règle fondamentale de notre droit, que le devoir des tribunaux est d’appliquer la loi comme elle est faite et non pas à discrétion. Règle générale, les voies de recours sont de plein droit, ex debito justitiœ. Certaines ont un caractère discrétionnaire, mais cela n’infirme pas pour autant la règle générale. Je ne vois pas de fondement juridique à la thèse suivant laquelle les voies de recours au criminel peuvent être légalement refusées quand le tribunal juge de façon discrétionnaire que la poursuite est oppressive.
Dans notre système juridique, on ne considère pas comme inéquitable ou oppressif le fait qu’un accusé, une fois sa condamnation annulée, ait à subir un nouveau procès, même à plusieurs reprises, sous la même accusation. En d’autres termes, on n’estime pas souhaitable qu’un cri-
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minel puisse échapper au châtiment pour son crime parce qu’à la suite d’une erreur au cours de son procès, sa condamnation doit être annulée. Je ne vois pas pourquoi on adopterait un point de vue absolument contraire si l’erreur consiste à ne pas porter l’accusation appropriée, de sorte qu’au lieu d’être irrégulièrement condamné et ensuite astreint à subir un nouveau procès, il soit acquitté de l’accusation erronée, puis astreint à subir un second procès sous l’accusation appropriée, à la suite d’une nouvelle mise en accusation.
Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel d’Ontario et de rétablir la condamnation ainsi que la sentence.
Le jugement des Juges Ritchie, Hall et Spence a été rendu par
LE JUGE HALL — Le 23 novembre 1965, le détective Douglas Baker de la Police Métropolitaine a vu l’intimé assis au volant d’une Pontiac 1964, stationnée rue Bloor, en la ville de Toronto. Un certain Joseph Sullivan s’est approché de l’intimé dont la voiture était surveillée; au même moment, le détective Baker s’est dirigé vers la voiture et s’est fait connaître comme agent de police. Il a demandé à l’intimé son permis de conduire, mais ce dernier ne l’a pas exhibé. Il a ensuite interrogé l’intimé quant à la voiture et, pensant que c’était peut-être une voiture volée, il a déclaré qu’ils devraient se rendre au poste de police n° 11. Le détective Baker a demandé à Sullivan de s’asseoir à l’arrière et il s’est installé lui‑même à l’avant, à droite de l’intimé. En route, l’intimé a dû s’engager dans une voie souterraine, rue Dupont. Une fois là, le détective Baker l’a vu se pencher vers le plancher de la voiture, ramasser ce qui semblait être un morceau de papier blanc et le jeter par la glace baissée du côté du conducteur. Le détective Baker a vu le papier se poser près de la bordure nord, approximativement au centre de la voie souterraine. Le détective Baker s’est enquis de la nature du papier et l’intimé a répondu: [TRADUCTION] «Oh, seulement du rebut; la voiture est pleine de vieux papiers». A la sortie du tunnel, le détective Baker a ordonné à l’intimé de faire demi-tour afin de rejoindre la voie de l’est, puis de refaire demi-tour et de
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rentrer dans la voie souterraine.’ La voiture une fois arrêtée, le détective Baker a ramassé le papier; c’était une enveloppe contenant sept chèques et deux morceaux de papier. «Qu’est‑ce que c’est?», a-t-il demandé à l’intimé en les lui montrant et l’intimé a répondu: «Je n’en sais rien». Là-dessus l’intimé reçut l’ordre de continuer jusqu’au poste de police n° 11. Au poste de police, après mise en garde, il a fait une déclaration qui a été jugée admissible après un voir dire et où il a affirmé avoir reçu un coup de téléphone d’un certain «Frank» et des instructions selon lesquelles, dans les toilettes de la taverne Brown Derby il trouverait une enveloppe cachée dans un réceptacle de papier hygiénique. Ayant pris l’enveloppe, il devait encaisser le plus de chèques possible, garder un tiers du montant et remettre le reste avec les chèques non encaissés à l’endroit où il avait trouvé l’enveloppe. Plus tard, il a fait une déposition dans le même sens lors de son procès.
L’intimé a été accusé:
[TRADUCTION] d’avoir, le 23 novembre 1965 ou vers cette date, en la municipalité de Toronto métropolitain, dans le comté de York, sciemment et sans autorisation ni excuse légitime, eu en sa possession certains documents, à savoir: sept chèques et deux morceaux de papier adaptés et destinés à servir pour commettre un faux, contrairement au Code criminel
L’affaire a été entendue par Son Honneur le Juge Deyman et un jury en septembre 1966. Après la clôture de la preuve de la poursuite, le Juge Deyman, statuant qu’il n’y avait pas matière à délibération pour le jury, a dicté au jury un verdict d’acquittement, pour le motif que les chèques étaient complets et qu’aucune preuve ne liait l’intimé à la contrefaçon proprement dite des chèques.
Le ministère public a interjeté à la Cour d’appel d’Ontario un appel qu’elle a rejeté en janvier 1967. En mai 1967, l’intimé a été accusé d’avoir comploté avec un ou plusieurs inconnus en vue de commettre un acte criminel, à savoir, la présentation de sept chèques falsifiés, contrairement au Code criminel. Il a été renvoyé pour subir son procès qui a eu heu le 22 janvier 1968 devant Son Honneur E.L. Weaver et un jury.
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A l’ouverture du procès, avant le plaidoyer, l’avocat de l’intimé a soulevé le moyen de défense spécial d’autrefois acquit conformément aux dispositions des art. 516 à 518 du Code criminel. Dans son argumentation sur l’autrefois acquit, l’avocat de l’intimé a discuté ce qui était en fait la res judicata. Le savant Juge de première instance a rejeté le moyen de défense spécial d’autre-fois acquit. Il a eu raison. Sa décision a été la suivante:
[TRADUCTION] LA COUR: Après étude de la loi, j’en conclus que l’infraction de complot qui fait l’objet de l’accusation dans cette affaire diffère complètement de l’infraction que constitue la possession de faux ou même l’usage délibéré de faux. Il s’agit d’une infraction complètement différente et, par conséquent, le moyen de défense d’autrefois acquit, ou même de la res judicata ne s’applique pas, et votre demande est rejetée.
Il a parlé de la res judicata mais il n’a rien dit de la prétention que la Cour devrait ordonner la suspension des procédures parce qu’elles seraient oppressives. Le dossier montre clairement que la discussion sur la res judicata ou le caractère oppressif de la poursuite était accessoire au moyen de défense d’autrefois acquit. La res judicata n’est pas un des moyens de défense spéciaux prévus à l’art. 516 du Code criminel, mais constitue un moyen de défense sur le fond qui peut, si les circonstances le permettent, être soulevé pendant le procès.
Quand le savant juge de première instance eut rendu sa décision, l’intimé a nié sa culpabilité; l’affaire ayant été jugée au fond par un procès dont la régularité n’est pas contestée, il a été déclaré coupable et condamné à 18 mois de maison de correction.
Après avoir été condamné, l’intimé a interjeté appel à la Cour d’appel d’Ontario par un avis d’appel daté du 28 février 1968, alléguant:
1. Que la condamnation allait à l’encontre de la Loi.
2. Que la condamnation allait à l’encontre de la preuve et du poids de la preuve.
3. D’autres motifs qui se révèlent à la lecture de la transcription des témoignages.
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Le 18 octobre 1968, l’avis d’appel a été modifié et remplacé comme suit:
[TRADUCTION] Le savant juge de première instance a mal exercé son pouvoir discrétionnaire de juge en n’arrêtant pas une poursuite qui, d’après les faits, engendrait un abus de procédure et une injustice.
En Cour d’appel[5], le Juge d’appel Jessup a déclaré au nom de la Cour:
[TRADUCTION] Cependant, dans cette affaire, je crois que le long délai, assorti de l’appel du ministère public dans l’intervalle, rend la deuxième mise en accusation oppressive et injuste. A mon avis, le savant juge de première instance aurait correctement exercé ses pouvoirs en suspendant indéfiniment les procédures.
Et, pour préfacer sa conclusion:
[TRADUCTION] Donc, à mon avis, le savant juge de première instance aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire et décider si oui ou non il devait suspendre la deuxième mise en accusation pour le motif qu’elle était oppressive au point de constituer un abus de procédure. Puisqu’il n’a pas pris lui-même cette décision, cette Cour doit le faire. Je ne suis pas prêt à décider qu’en l’absence de circonstances particulières, une deuxième mise en accusation sur les mêmes faits produit inévitablement dans tous les cas une injustice telle qu’il faille avoir recours au pouvoir inhérent des tribunaux. Tout dépend de l’ensemble des faits de la cause. Ce pouvoir ne doit être exercé en faveur de l’accusé que dans les cas où autrement il y aurait une injustice réelle et ces cas devraient être rares. On doit toujours l’invoquer avant l’interpellation de l’inculpé sur l’acte d’accusation qu’on prétend être oppressif, et jamais une fois le procès entamé. (Les italiques sont de moi)
Dans la présente affaire, je ne crois pas qu’une décision s’impose sur l’existence du pouvoir d’intervenir pour prévenir un abus de procédure car, à mon avis, dans la présente cause, il n’y a pas de preuve à l’appui de la conclusion du savant Juge d’appel selon laquelle il y aurait oppression. Les circonstances que j’ai relatées avec peut-être plus de détails que je ne l’aurais fait autrement réfutent toute imputation de conduite oppressive du ministère public. Le Juge d’appel Jessup paraît avoir accordé trop de poids à ce qu’il appelle le «long délai». Il accepte l’idée qu’en l’absence de
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circonstances particulières, une deuxième mise en accusation sur les mêmes faits ne produit pas dans tous les cas l’injustice ou l’oppression. Il ne mentionne que deux facteurs: le long délai et l’appel du ministère public dans l’intervalle. L’exercice par le ministère public de son droit d’appel ne peut être considéré comme une oppression. Il s’agit d’un droit conféré par la loi et son exercice par le ministère public ne peut, en soi, constituer une oppression. Par conséquent, il semble qu’ayant nié le caractère concluant d’une deuxième mise en accusation, le Juge d’appel Jessup ait accordé une importance exagérée au délai. Justement en ce qui a trait à ce délai le dossier démontre que l’appel de l’acquittement sous le premier chef d’accusation a été rejeté en janvier 1967. L’acte d’accusation de complot a été présenté à la Cour des sessions générales de la paix du comté de York le 1er mai 1967 et l’intimé a comparu le 12 mai pour l’interpellation. Il a été renvoyé en détention jusqu’au procès, mais peu après libéré sous caution et son procès a été fixé au 18 septembre 1967. Il n’a pas comparu à cette date et Son Honneur le Juge MacRae a décerné un mandat d’arrêt. D’après l’explication fournie, il était à l’hôpital le matin du 18 septembre et il a encore été libéré sous caution pour comparaître le 1er décembre. Il n’a pas comparu et un mandat d’arrêt a été décerné; l’affaire a été reportée au 18 décembre et il a été écroué. Il a été mis en liberté provisoire moyennant caution sur un appel interjeté à un Juge de la Cour suprême d’Ontario et l’affaire a été reportée péremptoirement au 22 janvier 1968, date de l’ouverture du procès.
Pour en revenir au délai entre la date de sa condamnation et celle de son appel à la Cour d’appel d’Ontario, j’ai déjà fait remarquer que l’avis d’appel original était daté du 28 février, modifié quelque huit mois plus tard, soit le 18 octobre 1968, et le jugement a été rendu le 25 novembre 1968. Il est donc clair que les délais sont principalement attribuables à l’intimé et non au ministère public.
Je suis d’avis que le savant juge de première instance a eu raison de décider qu’il fallait procéder sur l’accusation de complot et que la Cour d’appel a eu tort de conclure qu’il aurait dû
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ordonner une suspension et qu’elle a également eu tort de reviser la façon dont il a exercé son pouvoir.
Par conséquent, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir la déclaration de culpabilité. La permission d’appeler a été accordée à condition que l’appelante paie à l’intimé ses dépens en cette Cour, y compris les dépens de la requête pour permission d’appeler, le tout sur une base procureur-client, quelle que soit l’issue de l’affaire. Le jugement accueillant le pourvoi devrait donc pourvoir au paiement des dépens de l’intimé conformément à la décision lui donnant la permission d’appeler.
Appel accueilli.
Procureur de l’appelante: Le Procureur général d’Ontario, Toronto.
Procureur de l’intimé: C.G.S. McKeown, Toronto.
[1] [1969] 1 O.R. 152, [1969] 4 C.C.C. 185, 5 C,R.N.S. 183, 1 D.L.R. (3d) 664.
[2] [1964] A.C. 1254, [1964] 2 All. E.R. 401.
[3] [1892] A.C. 61.
[4] (1956), 115 C.C.C. 297 à 302, [1956] O.W.N. 336. 23 C.R. 216.
[5] [1969] 1 O.R. 152, [1969] 4 C.C.C. 185, 5 C.R.N.S. 183, 1 D.L.R. (3d) 664.