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06/10/1970 | CANADA | N°[1971]_R.C.S._209

Canada | R. c. Arnold, [1971] R.C.S. 209 (6 octobre 1970)


Cour Suprême du Canada

R. c. Arnold, [1971] R.C.S. 209

Date: 1970-10-06

Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta (Défenderesse) Appelante;

et

Anthony Arnold (Demandeur) Intimé.

1970: les 6 et 9 mars; 1970: le 6 octobre.

Présents: Les Juges Abbott, Martland, Ritchie, Hall et Spence.

EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME D’ALBERTA

APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême d’Alberta[1], infirmant un jugement du Juge Riley qui avait rejeté l’action en dommages de l’intimé. Appel a

ccueilli, les Juges Hall et Spence étant dissidents.

H.L. Irving, c.r., pour la défenderesse, appelante.

A. Webster Macdonal...

Cour Suprême du Canada

R. c. Arnold, [1971] R.C.S. 209

Date: 1970-10-06

Sa Majesté la Reine du chef de l’Alberta (Défenderesse) Appelante;

et

Anthony Arnold (Demandeur) Intimé.

1970: les 6 et 9 mars; 1970: le 6 octobre.

Présents: Les Juges Abbott, Martland, Ritchie, Hall et Spence.

EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME D’ALBERTA

APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême d’Alberta[1], infirmant un jugement du Juge Riley qui avait rejeté l’action en dommages de l’intimé. Appel accueilli, les Juges Hall et Spence étant dissidents.

H.L. Irving, c.r., pour la défenderesse, appelante.

A. Webster Macdonald, pour le demandeur, intimé.

Le jugement des Juges Abbott, Martland et Ritchie a été rendu par

LE JUGE MARTLAND — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Chambre d’appel de la Cour suprême d’Alberta1; cet arrêt a accueilli un appel interjeté par celui qui est ici l’intimé, à l’encontre d’un jugement de première instance qui l’avait débouté sans dépens.

L’intimé réclame des dommages pour la vente, par l’appelante, vente d’après lui illégale, de 4,500 actions du capital social de Craigmont Mines Limited, représentées par le certificat n° 3934, immatriculé au nom de l’intimé et remis par lui le 31 juillet 1959 à la Medicine Hat

[Page 212]

Treasury Branch de l’appelante. L’appelante a vendu les actions par l’entremise de James Richardson & Sons, en 1959, aux dates suivantes, et aux prix qui ont rapporté les montants nets suivants, le produit étant crédité au compte de l’intimé (appelé compte de fiducie mais qui est en réalité un compte courant) à ladite Medicine Hat Treasury Branch:

1959

18 août

500 actions

$ 1,715.00

=$3.43

l’action

31 août

500 actions

$ 1,479.25

=$2.96

l’action

8 sept.

500 actions

$ 1,625.00

=$3.25

l’action

11 sept.

500 actions

$ 1,604.75

=$3.20

l’action

18 sept.

200 actions

$ 563.00

=$2.81

l’action

21 sept.

300 actions

$ 829.56

=$2.76

l’action

22 sept.

500 actions

$ 1,382.50

=$2.77

l’action

1 oct.

1500 actions

$ 4,021.50

=$2.68

l’action

$13,220.56

L’intimé avait acquis, en 1954, avec un certain M. Neil McDermid, plusieurs claims miniers dans la région de Merritt, en Colombie-Britannique. Ils ont constitué la Craigmont Company, la production commença en 1960 et la première distribution de dividendes eut lieu en 1963. L’intimé a reçu 30,000 actions entiercées et 20,000 actions libres; son épouse a reçu 10,000 actions libres et sa fille 5,000 actions libres. Des 20,000 actions libres, il en a remis 10,000 à la compagnie: [TRADUCTION] «pour que sa trésorerie s’en porte mieux». Les 30,000 actions entiercées ont été confiées à la compagnie pour faciliter son financement ultérieur. Un litige a surgi entre l’intimé et McDermid à propos de ces actions-là et, à la suite d’un règlement, l’intimé en a conservé 15,000.

Au mois d’août 1959, l’intimé ne détenait que les 4,500 actions représentées par le certificat n° 3934. Lors du contre-interrogatoire, l’intimé a dit:

[TRADUCTION] Q. L’ancien administrateur de votre compagnie, ou plutôt de Craigmont, M. Clarence Gillis, a dit ce matin qu’il tenait à conserver les siennes parce qu’il avait confiance. Est-ce que vous avez vendu toutes les vôtres sauf quatre mille cinq cents parce que vous n’aviez pas confiance?

R. Non, j’avais contracté quelques dettes, j’allais construire une maison et je devais solder mes comptes.

[Page 213]

Q. Donc, vous l’avez fait pour solder vos dettes en vendant vos actions?

R. C’est exact.

L’intimé a déménagé à Medicine Hat en 1958 et il y a ouvert à la Treasury Branch le compte qui a donné lieu au litige. L’été de 1959, il y construisait une maison financée par ses propres fonds et par un prêt hypothécaire de la Sun Life du Canada, Compagnie d’Assurance-Vie. Il a mis son compte à découvert le 13 juillet. Il a témoigné qu’il avait conclu un arrangement pour un découvert ordinaire. Cet arrangement semble avoir permis un bref financement provisoire en prévision des avances sur le prêt hypothécaire.

Le 13 août, le découvert de l’intimé étant de $3,122.25, M. Manning, directeur de la Medicine Hat Treasury Branch, a rédigé une lettre à James Richardson & Sons, chez qui l’intimé avait un compte; cette lettre devait être signée par l’intimé et se rapportait au certificat d’actions n° 3934 déjà déposé à la Treasury Branch le 31 juillet. En voici le texte:

[TRADUCTION] MEDICINE HAT Alberta le 13 août 1959

Le Directeur James Richardson & Sons Medicine Hat Alberta

Objet: Certificat n° 3934 Craigmont Mines Limited

* * *

Monsieur,

La présente vous servira de pleine autorisation de transmettre le produit total de la vente desdites actions à la Medicine Hat Treasury Branch, pour y être porté au crédit de mon compte.

Votre tout dévoué

(Signé) Anthony Arnold Anthony Arnold

Reçu:

(Signé) D. Steedman James Richardson & Sons

Le 14 août, Manning a obtenu de l’intimé un nantissement général de tous les titres déposés en garantie de son compte et un nantissement spé-

[Page 214]

cial des 4,500 actions de Craigmont dont le certificat a été remis à James Richardson & Sons contre reçu daté du même jour.

Après le dépôt du certificat d’actions le 31 juillet, aucun dépôt n’a été crédité au compte avant le 18 août, date où le découvert était de $3,933.83. Ce jour-là, on a vendu 500 actions et crédité le produit de $1,715 au compte de l’intimé, ce qui a ramené le découvert à $2,218.83. Le 31 août, on a vendu 500 autres actions pour $1,479.25, ramenant le découvert à $1,795.91. Comme les retraits par chèques ont continué, le découvert s’est maintenu malgré une nouvelle vente de 500 actions; enfin, le 11 septembre, une quatrième vente de 500 actions a créé un solde créditeur de $202.67.

D’autres ventes et d’autres retraits par chèques ont produit, le 23 septembre, un solde créditeur de $236.25. Du 28 juillet au 23 septembre, sauf pour un dépôt de $100, il n’y a pas eu d’autres dépôts que ceux du produit des ventes d’actions. Sans ces dépôts, le découvert aurait été de $8,863.75 au 23 septembre. Le 29 septembre, le solde créditeur n’était plus que de $25.25. Le 1er octobre, il y a eu d’autres retraits par chèques dont un virement de $2,000, apparemment fait à la Banque Impériale. Les 1,500 dernières actions ayant été vendues le même jour, le solde créditeur est passé à $4,021.50. Le 2 octobre, ce solde était de $1,632.26. Si les actions n’avaient pas été vendues, le découvert se serait alors chiffré à $11,588.

Le paiement d’autres chèques a mis le compte à découvert le 25 novembre, le 1er décembre, ainsi que le 22 janvier et le 12 février 1960. Le compte a été fermé le 10 mars 1960.

L’intimé avait quitté Medicine Hat du 4 décembre 1959 au 4 janvier 1960 pour prendre des vacances. D’après lui, à son retour, M. Manning lui aurait déclaré à sa grande stupéfaction que les actions étaient vendues, et aurait ajouté: [TRADUCTION] «Ne vous en faites pas, nous allons les racheter ou vous indemniser». Pour des raisons de santé physique et mentale M. Manning n’a pu témoigner au procès.

[Page 215]

Interrogé sur la date où il avait vu la première fois le relevé de son compte pour la période du 3 juillet 1959 à la fin de cette année-là, l’intimé a répondu que ce n’était pas avant janvier 1960.

Des bordereaux de versement détenus par l’appelante ont été versés au dossier, faisant état de chacun des dépôts du produit de la vente des actions. Ces bordereaux indiquent que tous les dépôts ont été faits par «Richardson». L’intimé a dit ne pas les avoir vus avant son interrogatoire préalable. M. Klassen, successeur de Manning comme directeur à la Medicine Hat Treasury Branch, a témoigné que les bordereaux de versement ont des duplicata automatiques expédiés par la poste aux clients. Il n’a pu, évidemment, affirmer que les doubles des bordereaux en question avaient de fait été expédiés à l’intimé. Le relevé de compte mentionne que Mme Arnold avait procuration pour recevoir et accepter les chèques annulés. Les éléments de preuve de l’intimé indiquent qu’elle signait les chèques dans la plupart des cas, recueillait les chèques annulés et s’occupait du compte. Elle n’a pas été citée comme témoin.

Les éléments de preuve touchant la valeur marchande des actions de Craigmont ne révèlent que le cours le plus haut et le plus bas pour l’année civile. En 1959, le cours le plus haut a été $5.15 et le plus bas $2.65. Par l’entremise de Richardson en 1959, l’appelante a vendu à des cours passant de $3.43 en août à $2.68 en octobre. En 1960, le cours le plus haut et le plus bas ont été respectivement $6.75 et $3.40. En 1962, les actions ont atteint une pointe de $21.50.

L’intimé a dit que Manning et, plus tard, Klassen avaient refusé de lui communiquer les dossiers; il n’a pu les voir qu’en 1964, après avoir rencontré avec deux procureurs le Directeur général des Treasury Branches à Edmonton. Klassen, nommé directeur à Medicine Hat en avril 1962, dit qu’en mai 1963, un bureau d’avocats de Vancouver lui a demandé copie des documents se rapportant à cette transaction. Il a expédié une copie de la lettre adressée par l’intimé à James Richardson & Sons le 13 août 1959, ainsi que des copies des bordereaux de versement montrant les crédits dus aux ventes d’actions.

[Page 216]

Quoi qu’il en soit, l’intimé a rencontré Klassen le 3 août 1964 lorsque les documents concernant l’affaire lui ont été montrés et ont été examinés conjointement. L’intimé a signé alors une vérification de compte de client sous la forme suivante:

[TRADUCTION] Le soussigné, client de la Treasury Branchy accuse réception par la présente de son livret ou relevé de compte, indiquant un solde de $.néant., le 3 août 1964, de même que des pièces justificatives de toutes les inscriptions au débit du soussigné qui y figurent depuis le dernier relevé de compte. En contrepartie, le soussigné convient avec ladite Treasury Branch d’examiner lesdites pièces dans les quinze jours qui suivent et de vérifier les inscriptions au crédit et au débit dans ledit livret ou relevé de compte (particulièrement toutes les inscriptions au débit que ces pièces justificatives sont censées représenter) et de signaler par écrit à la Treasury Branch dans ce délai toute erreur possible, et que dès l’expiration dudit délai de quinze jours, sauf dans le cas de frais indus ou d’erreurs déjà signalés par écrit, comme spécifié plus haut, il sera définitivement établi entre la Treasury Branch et le soussigné que les pièces relatives à toutes ces inscriptions au débit sont authentiques et légitimement imputables et imputées au compte du soussigné, que le soussigné n’avait pas le droit d’être crédité d’une somme qui n’a pas été créditée audit livret ou relevé de compte, que le solde susmentionné est exact et que l’exactitude du compte est confirmée à ce jour.

(Signé) A.M. Arnold

Il n’y a devant cette Cour aucune trace d’une demande écrite faite à l’appelante par l’intimé ou en son nom et visant la restitution des actions ou le paiement de dommages pour vente irrégulière avant la signification, le 31 mars 1965, de l’exposé de réclamation, où l’intimé allègue, en substance, qu’il a droit à des dommages pour la vente illégale de ses actions à $22 l’action et pour la perte de dividendes totalisant $9,000, ainsi qu’à des dommages généraux de $100,000.

Cette action a été rejetée sans dépens en première instance. Les passages suivants du jugement énoncent les vues du savant juge du procès:

[TRADUCTION] L’examen du compte du demandeur a révélé un découvert excessif à la Medicine Hat Treasury Branch et démontré clairement que le de-

[Page 217]

mandeur désirait réduire son passif envers elle et se munir des fonds dont il avait grand besoin pour la construction d’une maison et dépenses personnelles.

* * *

Néanmoins, le demandeur a signé une vérification de compte de client le 3 août (Pièce 8). Fait à remarquer, le demandeur l’a signée après avoir vérifié la vente des actions et le crédit porté à son compte à la Treasury Branch et s’être borné à mentionner qu’il devait y avoir eu d’autres actions de Craigmont. Il n’a pas soulevé alors la question qui fait maintenant l’objet du litige.

A mon avis, la Pièce 2 et la Pièce 8 réfutent complètement les prétentions du demandeur, surtout les allégations contenues dans les paragraphes 6 et 7.

L’appel de l’intimé à l’encontre de ce jugement a été accueilli. La Chambre d’appel a accordé des dommages correspondant à $21.50 l’action, soit la valeur marchande la plus élevée entre la date des ventes d’actions et celle de l’introduction d’instance, moins le produit des ventes crédité au compte de l’intimé. L’intérêt a été accordé sur le montant net à partir du 31 décembre 1962 jusqu’à la date du jugement. Contrairement à l’opinion du savant Juge de première instance quant aux faits, les motifs du jugement énoncent ceci:

[TRADUCTION] Il est clair qu’au 14 août 1959, le demandeur empruntait des fonds par voie de découvert et se proposait de continuer à le faire, et que le directeur voulait protéger la Treasury Branch contre le découvert grâce aux nantissements, à la lettre et au certificat d’actions. Il est incontestable que le directeur avait autorisé le demandeur à mettre son compte à découvert, sans néanmoins que l’étendue de ce découvert ait été déterminée. Il semble raisonnable de postuler que le découvert autorisé aurait été au moins égal à la valeur de la garantie qui se chiffrait alors à environ $13,000. Le découvert n’a jamais atteint ce chiffre, sans tenir compte des dépôts provenant des ventes d’actions de Craigmont.

La question de la lettre adressée à James Richardson & Sons le 13 août 1959, est traitée de la façon suivante:

[TRADUCTION] Le savant juge de première instance a trouvé que la lettre du 13 août 1959 réfute «com-

[Page 218]

plètement les prétentions du demandeur». Il semble croire qu’en signant la lettre le demandeur a autorisé la. vente des actions par la Treasury Branch. Le demandeur a rejeté toute suggestion de ce genre. En toute déférence pour l’opinion contraire du Juge de première instance, il me paraît très clair que la lettre ne peut être ainsi interprétée. Elle autorise l’envoi du produit des ventes d’actions pour y être porté au crédit du demandeur, un point, c’est tout; il s’agit ici d’un document qui, relié aux nantissements ultérieurs, donnait une garantie sur les actions dont le certificat était entre les mains de Richardson, et non de la Treasury Branch.

La Cour a statué ensuite que les dispositions des contrats de nantissement n’autorisaient pas les ventes d’actions qu’on avait faites.

Finalement, quant à la vérification de compte signée par l’intimé, la Cour a dit:

[TRADUCTION] Rien ne prouve qu’au moment de signer cette vérification, le demandeur a reçu son livret ou relevé de compte sur lequel ne figurait aucun solde, ni que le livret ou relevé de compte couvrait la période importante de 1959. Rien ne prouve que le livret ou relevé de compte contenait les inscriptions au débit et au crédit pour l’année que j’ai mentionnée. Ce que le demandeur a convenu de faire comme vérification c’est «d’examiner lesdites pièces et de vérifier les inscriptions au crédit et au débit dans ledit livret ou relevé de compte» et, dans le délai prescrit, de signaler par écrit toute erreur possible. Il est très clair que tout ce qui pouvait être «définitivement établi» entre le demandeur et la Treasury Branch c’était des «frais indus ou erreurs» et le solde qui figurait au livret ou relevé de compte. Comme absolument rien ne prouve que les éléments essentiels des transactions de 1959 étaient inscrits dans le livret ou relevé de compte, il est impossible de conclure que la signature de cette vérification a réglé les litiges relatifs à ces transactions.

En toute déférence, je ne puis agréer ces conclusions. En ce qui concerne le premier passage, rien ne prouve que Manning avait convenu de permettre à l’intimé d’emprunter par découvert jusqu’à concurrence de la valeur des actions de Craigmont. Interrogé sur les arrangements bancaires conclus vers le 1er août 1959, l’intimé a répondu:

[TRADUCTION] C’était juste l’arrangement ordinaire pour un découvert. On m’a permis un découvert.

[Page 219]

Quand on lui a demandé si son compte était à découvert, il a dit:

[TRADUCTION] De temps en temps, oui, pendant un jour ou deux peut-être, mais pas beaucoup plus de deux jours à la fois, ou d’une semaine, tout au plus.

C’était vrai, dans l’ensemble, jusqu’à la fin de juillet 1959; mais il n’a fait aucun dépôt du 28 juillet à la deuxième semaine de septembre. La Sun Life avait alors sans doute complété ses avances. Le dépôt du certificat d’actions remonte au 31 juillet. Le 13 août, lors de la signature de la lettre adressée à James Richardson & Sons, le découvert approchait les $4,000.

Passant maintenant au deuxième passage précité qui traite de l’effet de la lettre adressée à James Richardson & Sons, le savant juge de première instance n’a pas dit qu’elle «réfute complètement les prétentions du demandeur». Ce qu’il a dit, c’est que cette lettre et la vérification de compte que le demandeur a signée «après avoir vérifié la vente des actions et le crédit porté à son compte à la Treasury Branch» réfutent complètement ses prétentions.

Il est vrai que la lettre en elle-même ne donnait pas à l’appelante le pouvoir de vendre les actions de l’intimé, mais le fait que cette lettre ait été signée et le certificat d’actions remis à James Richardson & Sons, indique que les deux parties envisageaient la vente des actions dans un avenir immédiat. Il est significatif que les deux nantissements aient été obtenus une fois la lettre signée. D’après l’intimé, c’est que pour Manning la lettre, en elle-même, ne constituait pas une garantie suffisante, puisque l’intimé pouvait la révoquer n’importe quand. C’est ce qui explique les contrats de nantissement. Il est donc clair que la lettre ne tendait pas à renforcer l’exercice, par l’appelante, des droits conférés par les nantissements. Au contraire, ce sont les nantissements qui ont été obtenus comme garantie contre les conséquences d’une révocation possible de la lettre.

J’en viens maintenant au troisième passage précité. Rien ne prouve, y lit-on, que l’intimé a reçu son relevé de compte lors de la signature de la vérification. Mais Klassen a témoigné qu’en août 1964, époque où cette formule a été signée, ils

[Page 220]

ont examiné les documents déposés devant la Cour, dont le relevé de compte. Il a déclaré aussi que l’intimé a reçu des photocopies de ces pièces.

Les motifs du savant juge de première instance montrent clairement qu’il a accepté ce témoignage, puisqu’il dit que l’intimé a signé la vérification après avoir vérifié la vente des actions et le crédit porté à son compte. Il souligne aussi qu’à ce moment-là l’intimé s’est borné à mentionner qu’il devait y avoir eu d’autres actions de Craigmont et n’a pas soulevé alors la question qui fait maintenant l’objet du litige.

C’est à la lumière de ces circonstances que la signature de la formule de vérification reconnaissant l’exactitude du compte acquiert le sens que lui donne le savant juge de première instance. Ce document, lu avec la lettre du 13 août et l’état du compte de l’intimé examiné antérieurement, autorisait d’après moi le savant juge de première instance à conclure que les ventes d’actions, n’ont pas été effectuées illégalement sans le consentement de l’intimé.

D’après la Chambre d’appel, les dispositions des actes de nantissement n’autorisaient pas les ventes d’actions. Le nantissement spécial prévoyait que:

[TRADUCTION] Si le trésorier provincial l’estime souhaitable pour sa protection, ou si le client manque à une de ses obligations, le trésorier provincial peut à l’occasion en disposer par vente publique ou privée, ou autrement réaliser toutes les garanties ou n’importe quelle des garanties contre paiement en espèces ou sous une autre forme, et aux termes et conditions qu’il juge les meilleurs, le tout sans annonce publique ou avis au soussigné ou à quiconque.

L’intimé prétend que seul le trésorier provincial avait ce pouvoir. L’intimé a cité M. Hinman, trésorier provincial à l’époque pour lui faire déclarer qu’il n’avait personnellement autorisé aucune des ventes. Néanmoins, lors du contre-interrogatoire celui-ci a dit que le pouvoir conféré par les documents était délégué aux directeurs agissant dans le cadre de ces documents. D’après moi ce pouvoir pouvait être délégué. Le document en cause ne prévoyait pas l’accord du tré-

[Page 221]

sorier provincial lui-même pour chaque vente de titres nantis. Ce pouvoir pouvait être exercé par un directeur de la Treasury Branch.

Selon les motifs de la Chambre d’appel, on n’a pas tenté de prouver que le trésorier provincial estimait «souhaitable pour sa protection» de vendre les actions. Manning, directeur de la Treasury Branch qui a effectué les ventes, n’a pas témoigné. Cependant, les autres éléments de preuve permettent de voir la raison de ces ventes. D’abord, on l’a mentionné, à défaut de ces ventes-là, le découvert se serait chiffré à $11,588 au lendemain de la dernière. De plus, la liste des ventes révèle une baisse constante de la valeur des actions entre le 8 septembre et le 1er octobre, période où elles ont passé de $3.20 à $2.68 l’action. A la lumière de ces circonstances, je déduis que le directeur a vendu les actions parce que cela lui a semblé souhaitable pour protéger la Treasury Branch. Si c’est le cas, il pouvait légalement les vendre sans prévenir l’intimé.

Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir le jugement de première instance avec dépens en cette Cour et en Chambre d’appel.

Vu ce qui précède, il n’y a pas lieu d’exprimer d’avis quant au montant des dommages; cependant, si j’avais eu à décider de cette question, je me serais rangé à l’avis de mon collègue le Juge Spence.

Le jugement des Juges Hall et Spence a été rendu par

LE JUGE SPENCE (dissident) — Le pourvoi est à l’encontre d’un arrêt de la Chambre d’appel de la Cour suprême d’Alberta[2], rendu le 25 avril 1969, infirmant un jugement du Juge Riley rendu le 15 février 1968 qui déboutait le demandeur de son action en dommages. L’arrêt de la Cour de la Chambre d’appel a accordé au demandeur des dommages au montant net de $83,529.44. Suit une étude assez détaillée des étapes de ce litige.

[Page 222]

Le demandeur est un prospecteur et exploitant de mines qui, en 1959, résidait à Medicine Hat dans la province d’Alberta et avait plusieurs comptes à la Treasury Branch de Medicine Hat. Le demandeur avait mis en valeur Craigmont Copper Mines Limited et détenait des droits miniers relatifs à des gisements de cuivre en Colombie-Britannique. A un moment donné, il avait détenu en son propre nom ou au nom de sa femme et de sa fille de très nombreuses actions dans cette compagnie. A la mi-août 1959, à la suite de transactions diverses, il ne détenait plus que 4,500 actions, pour lesquelles le certificat n° 3934 était en son nom. Le demandeur était client de la firme James Richardson & Sons, agent de change et courtier en placements et avait un compte à son bureau dé Medicine Hat.

Le compte à la Treasury Branch de Medicine Hat qui fait l’objet du litige était appelé compte de fiducie, mais le demandeur s’en servait comme d’un compte courant ordinaire. Ce compte était tour à tour créditeur ou débiteur.

Le 13 août 1959, à la demande de M. Stuart Manning, le directeur de la Treasury Branch de Medicine Hat, le demandeur a signé un document très court rédigé par M. Manning et dont voici le texte:

[TRADUCTION]

Gouvernement de la province d’Alberta TREASURY BRANCH

MEDICINE HAT, Alberta Le 23 août 1959

Le directeur James Richardson & Sons Medicine Hat Alberta

Objet: Certificat n° 3934 Craigmont Miries Limited

Monsieur,

La présente vous servira de pleine autorisation de transmettre le produit total de la vente desdites actions à la Treasury Branch, Medicine Hat, pour y être porté au crédit de mon compte.

Votre tout dévoué,

(Signé) Anthony Arnold Anthony Arnold

Reçu: (Signé)

............................................... James Richardson & Sons

[Page 223]

Ce document a été dactylographié sur du papier à en-tête officiel de la Treasury Branch, Gouvernement d’Alberta. Ce jour-là, M. Manning a conservé le document; mais dès le lendemain, selon le témoignage du demandeur, intimé en cette Cour, M. Manning l’a convoqué de nouveau et lui a indiqué que ce document ne suffisait pas aux fins de la Treasury Branch, car M. Arnold pouvait facilement y substituer une directive ultérieure qui ordonnerait à James Richardson & Sons de verser à un autre créancier le produit de la vente des actions de Craigmont Mines Limited représentées par le certificat n° 3934, ou d’en disposer autrement. A la demande de M. Manning, l’intimé a alors signé deux actes de nantissement sur des formules en usage à la Treasury Branch. Le premier était un nantissement général sur la formule T.B. 104, et le second un nantissement spécial sur la formule T.B. 165, mentionnant spécifiquement 4,500 actions de Craigmont Mines Limited, certificat n° 3934. Les dispositions de ces nantissements feront l’objet de commentaires subséquents. En même temps l’intimé a remis à M. Manning le certificat nominatif n° 3934, représentant 4,500 actions de Craigmont Mines Limited. Même à défaut de preuve formelle, il est clair que l’intimé, soit alors soit antérieurement, avait endossé ce certificat et qu’ainsi un simple aval de sa signature par la Treasury Branch pouvait le convertir en titre au porteur.

Toujours le 14 août, la Treasury Branch a transmis l’autorisation de l’intimé, datée du 13 août 1959 et que j’ai citée ci-dessus, de même que le certificat à James Richardson & Sons; au procès, le reçu de James Richardson & Sons daté du 14 août 1959, en a été produit. Le demandeur a témoigné qu’il a, après cela, comme le démontrent les livres de la Treasury Branch, continué à tirer des chèques sur son compte et à y faire des dépôts, et cela jusqu’à la fin de 1959 et même longtemps après, jusqu’à ce que le compte soit finalement clos le 3 août 1964.

[Page 224]

James Richardson & Sons a vendu les actions de Craigmont Mines Limited en divers lots aux dates suivantes:

18

août 1959

500 actions

31

août 1959

500 actions

7

septembre 1959

500 actions

11

septembre 1959

500 actions

17

septembre 1959

200 actions

21

septembre 1959

300 actions

22

septembre 1959

500 actions

1

octobre 1959

1,500 actions

Comme je vais maintenant l’indiquer, aucune preuve quelconque ne démontre qui a ordonné à James Richardson & Sons de vendre ces actions. L’intimé a témoigné qu’il n’a jamais chargé James Richardson & Sons de faire aucune vente, et n’a jamais consenti à ce que M. Manning ou qui que ce soit le fasse. Dans chaque cas, le produit des ventes a été envoyé à la Treasury Branch et a été versé au crédit de l’intimé dans le compte précité, dit compte de fiducie. L’intimé est ensuite parti en vacances, vacances qui, manifestement, ont duré du début de décembre 1959 jusqu’au début de janvier 1960. Il a témoigné qu’à son retour, quand il s’est présenté à la Treasury Branch à Medicine Hat, M. Manning l’a avisé qu’il avait de mauvaises nouvelles et lui a dit: [TRADUCTION] «C’est vrai; j’ai vendu vos actions»; comme l’intimé protestait contre cette vente faite sans autorisation, M. Manning a répliqué: «Bien, je vous ai fait signer un acte de nantissement», et «que voulez-vous, les actions ont été vendues — c’est entré dans votre compte et c’en est ressorti». Et l’intimé insistant sur le défaut d’autorisation de vente, M. Manning a dit: «Ne vous en faites pas — nous allons les racheter ou vous indemniser».

L’intimé a aussi témoigné qu’en avril 1960, pressé par un autre créancier du nom de Stratton, il conduisit celui-ci à la Treasury Branch pour montrer que lui, l’intimé, n’avait plus d’actions disponibles pour s’acquitter de son obligation envers M. Stratton; M. Manning a alors convoqué l’intimé dans son bureau et lui a demandé de ne pas être trop exigeant pour l’instant: [TRADUCTION] «qu’il y avait des choses, qu’ils s’occuperaient bientôt d’arranger les choses».

[Page 225]

Dans le courant de 1962, M. Manning, tombé gravement malade, a été remplacé par M. Herman R.K. Klassen comme directeur de la Treasury Branch. L’intimé a témoigné avoir tenté à diverses reprises d’obtenir de M. Klassen l’ensemble des documents et de la correspondance se rapportant à son compte, mais en vain, jusqu’à ce qu’il se présente au bureau du Directeur général des Treasury Branches à Edmonton avec un procureur et son ami, et que le Directeur général ordonne à M. Klassen de produire toute la documentation. M. Klassen s’est exécuté peu après, le 3 août 1964; après avoir délivré ce jour-là à l’intimé un état de compte, produit comme pièce au procès, ainsi que, semble-t-il, certains chèques acquittés et bordereaux, il a demandé à l’intimé de signer la vérification de compte habituelle du client. L’intimé a introduit cette action en dommages pour la vente desdites actions par un exposé de réclamation daté du 31 mars 1965.

Ce sommaire des facteurs de ce litige est tiré surtout, sinon exclusivement, du témoignage du demandeur, l’intimé en cette Cour. C’est que le témoin le plus important de la défense, M. Stuart Manning, n’a pas été entendu au procès ni pour le demandeur ni pour la défenderesse, bien qu’il ait assisté à toutes les audiences. L’avocat qui représentait alors la défenderesse, l’appelante en cette Cour, a expliqué au savant juge de première instance que M. Manning avait été gravement malade par suite d’une dépression nerveuse, que son état avait amené l’échec d’une tentative d’interrogatoire préalable, et que l’avocat de la Treasury Branch craignait donc qu’en essayant de témoigner, M. Manning aggrave son état. De plus, l’avocat a signalé qu’à son avis M. Manning ne serait d’aucune utilité à la Cour, car une amnésie due à sa maladie s’étendait à la période en question. Donc, l’unique témoignage rendu au procès pour l’appelante a été celui de M. Klassen, successeur de M. Manning au poste de directeur, qui n’avait été mêlé à l’affaire qu’en 1962 et qui, évidemment, n’avait aucune connaissance personnelle des événements importants antérieurs à cette époque. Il va sans dire que ce facteur a sensiblement influé sur le procès, mais un autre événement fâcheux est intervenu. L’intimé, en tant que demandeur, avait subi un interrogatoire

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préalable. Le sténographe officiel qui avait recueilli les notes lors de cet interrogatoire est mort et, pour éviter un nouvel interrogatoire préalable, l’avocat a préféré verser au dossier un document intitulé «Faits admis». En voici les deux premiers paragraphes:

[TRADUCTION] Le demandeur reconnaît qu’il a signé les documents qui portent sa signature comme ils sont décrits dans la déclaration sous serment des pièces de la défense en date du 12 juin 1965 et qu’il avait pleine connaissance du contenu des documents qui y sont décrits: —

1. Lettre datée à Medicine Hat (Alberta), le 13 août 1959, signée par Anthony Arnold et adressée au directeur, James Richardson & Sons, Medicine Hat, donnant pleine autorisation de vendre les actions de Craigmont Mines Limited représentées par le certificat n° 3934 et de transmettre à la Treasury Branch à Medicine Hat, le produit total de la vente, lettre dont James Richardson & Sons à dûment accusé réception.

Stupéfiant est le seul qualificatif qui convienne à ce document, puisqu’en termes clairs il parle de la lettre du 13 août 1959 comme donnant pleine autorisation de vendre les actions de Craigmont Mines Limited, tandis que toute la cause de l’intimé c’est que ni ce document, ni aucun des nantissements, ni aucun ordre donné par l’intimé à James Richardson & Sons ou à l’appelante, ne comportait cette autorisation de vente. L’avocat de l’intimé a pris cette position dès le début du procès et il n’en a pas démordu; la Chambre d’appel a fondé là‑dessus son jugement. Dans ces circonstances, les prétendus «faits admis» ne peuvent être considérés que comme une erreur. Le Juge Riley a exposé les motifs du jugement rejetant la demande et, dans un paragraphe, le savant juge de première instance y a déclaré:

[TRADUCTION] A mon avis, la Pièce 2 et la Pièce 8 réfutent complètement les prétentions du demandeur, surtout les allégations contenues dans les paragraphes 6 et 7.

La Pièce 2 est la lettre du 13 août 1959 que j’ai citée plus haut et la Pièce 8 est la vérification de compte de client que le demandeur, l’intimé en cette Cour, a signée le 3 août; 1964; il semble

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donc que le savant juge de première instance ait accepté la lettre du 13 août 1959 comme une autorisation de vendre les actions, et non comme une simple directive quant au versement du produit de toute vente qui pourrait être ordonnée, et qu’il ait aussi accepté la signature de la vérification de compte de l’intimé comme une quittance. Notant le fait que Manning n’a pas témoigné, le savant juge de première instance a déclaré:

[TRADUCTION] Il est regrettable qu’un de ceux qui étaient à l’origine défendeurs, Stuart Manning, ancien directeur de la Treasury Branch à Medicine Hat, n’ait pu témoigner pour des raisons de santé physique et mentale: par conséquent, la preuve doit faire l’objet d’un examen très minutieux — presque aussi minutieux que s’il s’agissait d’une personne décédée.

Le savant juge de première instance songeait sans doute à une disposition contenue dans la Loi sur la preuve de diverses provinces et d’après laquelle une réclamation contre la succession d’un défunt doit être corroborée. Mais ici ce principe ne s’applique certainement pas, même en présumant qu’il faut considérer M. Manning aussi incapable de témoigner que s’il était décédé. Lorsque M. Manning n’était pas défendeur à titre personnel, mais employé d’une grande institution financière, si l’on peut ainsi désigner la Treasury Branch provinciale, la maladie de M. Manning et son incapacité de témoigner ne devaient pas alourdir le fardeau de la preuve pour le demandeur. D’autre part, comme la Chambre d’appel de la province d’Alberta, j’incline plutôt à accepter et appliquer le principe bien établi que, lorsqu’un défendeur dispose d’une preuve qui réfuterait le témoignage du demandeur, mais cette preuve n’est pas produite, on peut en déduire que la preuve ne réfuterait pas l’allégation du demandeur. Il est bien possible, comme le Juge en chef Smith l’a vu et l’a mentionné dans ses motifs, que l’état de santé de M. Manning empêche la Cour de tirer ici une conclusion semblable seulement en ce qui touche le défaut de déposition. Wigmore on Evidence, 3e éd., vol. II, p. 166, par. 286-287. Cependant, dans cette action, même si M. Manning n’est plus défendeur à titre personnel, la poursuite contre lui ayant été abandonnée, il était à l’époque directeur de la Treasury Branch à Medicine Hat. A ce titre, il devait avoir sous ses ordres des employés dont quelques-

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uns auraient pu être cités. Il a dû exister un dossier de correspondance beaucoup plus complet que celui qui a été produit et, en particulier, un dossier des ordres donnés par la Treasury Branch à James Richardson & Sons pour la vente de ces actions, ainsi que des réponses de cette firme, des confirmations et autres rapports. De plus, aucun témoin du bureau du trésorier provincial n’a été cité pour justifier un acte de la défenderesse fondé sur la disposition du nantissement spécial qui permet au trésorier provincial de vendre les titres gagés s’il le jugea à propos pour sa protection. On ne peut concevoir que le directeur d’une Treasury Branch locale prétende exercer le pouvoir donné par le document au trésorier, sans en avertir immédiatement par écrit le Directeur général des Treasury Branches. Le Juge en chef Smith a dit dans ses motifs:

[TRADUCTION] On n’a pas cherché à établir que le trésorier provincial estimait «souhaitable pour sa protection» de vendre les actions ni que leur vente était autrement justifiée, sauf que, comme on l’a vu, on a prétendu que le demandeur avait autorisé cette vente et que la lettre du 13 août 1959 constituait la preuve de cette autorisation.

J’approuve cette conclusion. Encore une fois, personne de chez James Richardson & Sons n’a été cité sauf un statisticien qui a été cité par le demandeur uniquement pour établir la variation annuelle du prix de vente des actions de Craigmont Mines Limited. Sans aucun doute, cette firme de courtiers en placements, importante et réputée, aurait pu tirer de ses dossiers les preuves écrites les plus précises quant aux ordres de vente, notamment: qui avait donné ces ordres et à qui on avait fait rapport de ces ventes; cela aurait établi si l’intimé disait vrai en alléguant qu’il n’avait jamais ordonné la vente des 4,500 actions de Craigmont Mines Limited représentées par le certificat n° 3934. Comme l’intimé a nié avoir donné ces ordres, et qu’ils ne se trouvent pas dans la lettre du 13 août ou dans aucun des nantissements, le fardeau de la preuve reposait sur l’appelante. A mon avis, l’appelante n’ayant produit aucune des preuves mentionnées, preuves qui étaient toutes à sa disposition et des plus pertinentes, la Cour a conclu à bon droit que cette preuve aurait été défavorable à l’appelante et le

[Page 229]

Juge en chef Smith a eu raison de dire, dans l’exposé principal des motifs de la Chambre d’appel:

[TRADUCTION] Néanmoins, je suis convaincu qu’il faut accepter le témoignage du demandeur dont mention vient d’être faite. Rien ne l’a réfuté et rien de ce qui s’y trouve, ne permet de douter de sa véracité.

J’en conclus à l’inutilité d’examiner plus longuement les circonstances analysées avec tant de soin dans les motifs du Juge en chef Smith, et j’accepte son opinion exprimée en ces termes:

[TRADUCTION] Alors que le solde débiteur était garanti par un nantissement des actions aux conditions existant dans cette affaire, il m’apparaît aussi clairement que la Treasury Branch ne pouvait réaliser la garantie sans exiger le paiement du découvert, car il est évident qu’aucun délai n’avait été fixé pour le paiement du découvert. Par conséquent, il me paraît prouvé qu’il n’y a pas eu défaut de paiement de la part du demandeur. La Treasury Branch n’avait donc pas le droit de vendre les actions en vertu des dispositions des nantissements.

Donc, en ce qui concerne la responsabilité, je rejetterais le pourvoi.

Une question très grave se pose cependant à l’égard du montant des dommages déterminé par la Chambre d’appel. Le principe selon lequel le Juge en chef Smith a estimé ces dommages à $96,750, sous réserve de la compensation de la somme de $13,220.56, c’est que la défenderesse, appelante en cette Cour, était toujours débitrice des actions envers le demandeur, intimé en cette Cour, et devait être traitée comme un fiduciaire retenant injustement des biens qu’il est obligé de restituer. Donc, toutes les présomptions devaient jouer contre l’appelante à titre d’auteur d’un délit. En conséquence, le montant des dommages accordés représente le plus haut prix que l’intimé aurait pu retirer des actions entre la date où l’appelante les a vendues et celle où l’action a été intentée. Vu la hausse astronomique du prix de vente des actions après 1960, ce prix est de $21.50 l’action, et le Juge en chef a donc fixé les dommages à 4,500 X $21.50 = $96,750. Les $13,220.56 représentent le total des divers montants crédités par l’appelante au compte de l’inti-

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mé lors des diverses ventes d’actions. Le Juge en chef Smith a ainsi déterminé le montant des dommages en s’appuyant sur les décisions de cette cour dans McNeil c. Fultz et al[3], en particulier, les motifs du Juge Duff (alors Juge puîné), page 205 et dans Roman c. Toronto General Trusts Corporation[4], de même que Roman c. Crichton[5]. Il convient cependant de se rappeler que, d’après son propre témoignage, l’intimé a été, au début de janvier 1960, avisé par M. Manning de la vente de ses actions par la Treasury Branch, mais il n’a alors introduit aucune instance, car, dit-il, en avril 1960 M. Manning lui a donné les assurances que j’ai déjà mentionnées. L’avocat de l’intimé a soutenu que son client n’avait pas introduit d’instance après cela parce qu’il avait essayé en vain, pendant quelque temps, d’obtenir de l’appelante tous les documents se rapportant à l’affaire. L’appellante n’était pas tenue de remettre les actions à l’intimé jusqu’à ce que celuici lui paye les sommes qu’elle avait réalisées par la vente des actions de l’intimé et versées à son compte. Comme je l’ai dit, cette somme s’élevait à $13,220.56 et l’intimé n’a jamais offert ce montant-là, ni aucun autre montant à l’appelante.

Les précédents dont le Juge en chef Smith s’est inspiré ont tous trait à des fiduciaires ou à des personnes en ayant les responsabilités et qui avaient illégalement refusé de restituer au bénéficiaire certains biens détenus en fiducie. Il va sans dire qu’un demandeur dont les valeurs ont été réalisées illégalement ne peut attendre que le délai de prescription soit presque écoulé pour intenter des procédures en recouvrement ou en dommages pour la réalisation, et ensuite avoir le droit de réclamer des dommages correspondant à la cote maximale atteinte par ces valeurs pendant le délai de prescription de six ans. Au contraire, à mon avis, les dommages doivent être déterminés comme dans le cas d’une action ordinaire pour appropriation illégale. Mayne and McGregor on Damages, 12e éd., par. 682, spécifie:

[TRADUCTION] Bon nombre de précédents indiquent que la date de la conversion devrait être celle de l’estimation de la valeur marchande.

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et, au par. 685, signale que la Cour d’appel a traité à fond de ce problème dans l’affaire importante Sachs v. Miklos[6]. Dans cette affaire-là, le demandeur avait laissé certains meubles meublants entre les mains du défendeur comme dépositaire bénévole. Quelque temps après, ayant besoin de l’espace occupé par les meubles, le défendeur a écrit deux lettres au demandeur lui demandant de déménager ses meubles sinon ils seraient vendus. N’ayant pas reçu de réponse, le défendeur a confié cette vente à un commissairepriseur et réalisé un peu plus de 13 livres net. Quelques années après, le demandeur a réclamé ses meubles et, ne les obtenant pas, il a poursuivi en dommages. Le Juge en chef Lord Goddard dit, page 39:

[TRADUCTION] Il me semble qu’en estimant des dommages pour défaut de restitution ou pour appropriation illégale (et personnellement, je ne puis voir quelle distinction il y aurait lieu de faire à cette fin entre les deux causes d’action), la valeur des biens à la date du jugement ne représente pas nécessairement et toujours les dommages… Par contre, en cas de vente, l’appropriation se place à une date antérieure: celle où les biens ont été vendus; ainsi, l’appropriation a eu lieu dans cette affaire en juillet 1944. La restitution des biens n’a été exigée qu’en janvier 1946, lors du refus ou défaut de restitution, de sorte que la date pertinente de l’action en restitution est sans doute la date du refus, en janvier 1946. Je pense que le problème… La valeur des biens appropriés au moment même de l’appropriation est un aspect du problème; il s’agit d’environ 13 £; mais il ne s’ensuit pas que cette somme représente la perte du demandeur. La question est la suivante: quelle est la perte du demandeur, quel dommage lui a infligé le délit des défendeurs? Si l’on tient bien compte de cela, l’affaire deviendra sans doute assez claire lorsque le Juge de la Cour de comté aura statué si oui ou non le demandeur a reçu les lettres — s’il savait ou aurait dû savoir en juillet 1944 que le défendeur, Miklos, avait l’intention de vendre les meubles au cas où ils demeureraient sur place. S’il le savait, j’estime que la valorisation importante survenue depuis lors n’est pas un dommage découlant du délit.

J’ai mentionné que, dans la présente affaire, l’intimé savait, dès le début de janvier 1960, que

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ses actions avaient été vendues. Appliquant les critères de Lord Goddard, j’en suis donc arrivé à conclure que les dommages de l’intimé doivent être calculés suivant le prix des actions à la date où il a été avisé de la vente. Sans aucun doute à cette époque-là il aurait pu acheter d’autres actions à la place et réclamer à l’appelante le coût de ce remplacement. Malheureusement les témoignages n’ont pas fourni le prix courant des actions à des dates précises. Comme je l’ai dit, l’intimé a produit le témoignage du statisticien d’après lequel, en 1960 la variation des prix avait été de $3.40 à $6.75. Si l’on prend la moyenne de cette pointe et de ce creux, on obtient $5.07½ l’action. Le prix de vente total de 4,500 actions à ce taux est de $22,837.50; à mon avis, les dommages de l’intimé doivent être établis à cette somme.

Évidemment, l’appelante a droit d’être créditée pour les sommes réalisées sur la vente des actions et versées par elle au compte de l’intimé. En définitive, l’intimé ne devrait donc se voir adjuger que $9,616.94. La question des intérêts m’a causé une certaine inquiétude. Cependant, sur la base des motifs précités, l’intimé n’avait pas droit à ladite somme de $9,616.94 avant de réclamer des dommages pour la réalisation de ses actions, c’est-à-dire avant le 31 mars 1965 lorsqu’il a signifié son exposé de réclamation. L’intérêt de 5 pour cent portant sur un montant net de $9,616.94 doit donc courir à partir du 31 mars 1965.

Je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi dans cette mesure et d’ordonner que le jugement de la Chambre d’appel soit modifié dans ce sens. L’intimé garde le droit aux dépens en première instance et en Chambre d’appel. En raison du succès considérable que l’appelante a remporté en cette Cour sur la seule question du montant des dommages, je lui accorderais la moitié des dépens du pourvoi en cette cour.

Appel accueilli avec dépens, les Juges HALL et SPENCE étant dissidents.

Procureurs de la défenderesse, appelante: Clement, Parlee, Irving, Mustard & Rodney, Edmonton.

Procureur du demandeur, intimé: A. Webster Macdonald, Calgary.

[1] (1969), 68 W.W.R. 646, 5 D.L.R. (3d) 341.

[2] (1969), 68 W.W.R. 646, 5 D.L.R. (3d) 341.

[3] (1906), 38 R.C.S. 198.

[4] [1963] R.C.S. vi.

[5] [1969] R.C.S. 573.

[6] [1948] 2 Q.B. 23.


Synthèse
Référence neutre : [1971] R.C.S. 209 ?
Date de la décision : 06/10/1970
Sens de l'arrêt : L’appel doit être accueilli, les juges hall et spence étant dissidents

Analyses

Banques - Compte à découvert - Autorisation à un agent de change de transmettre le produit total de la vente d’actions à la Treasury Branch pour y être porté au crédit du compte - Nantissement - Client objectant que les ventes ont été effectuées sans son consentement - Formule de vérification signée par le client - Validité des ventes.

L’intimé avait un compte (appelé compte de fiducie mais qui était en réalité un compte courant) à la Medicine Hat Treasury Branch de l’appelante. Le 13 août 1959, alors que le compte était à découvert de quelque $3,000, l’intimé a signé une lettre à un agent de change, rédigée par le directeur de la Treasury Branch locale. Cette lettre se rapportait à un certificat d’actions, immatriculé au nom de l’intimé, et représentant 4,500 actions d’une compagnie minière. En voici le texte: «La présente vous servira de pleine autorisation de transmettre le produit total de la vente desdites actions à la Treasury Branch, Medicine Hat, pour y être porté au crédit de mon compte.» Le 14 août, le directeur a obtenu de l’intimé un nantissement général de tous les titres déposés en garantie de son compte et un nantissement spécial des actions en question dont le certificat a été remis à l’agent de change contre reçu daté du même jour.

Du 18 août au 1er octobre, l’agent de change a vendu les actions en divers lots. Dans chaque cas, le produit a été envoyé à la Treasury Branch et a été versé au crédit de l’intimé dans son compte. Ce dernier a continué à tirer des chèques sur son compte, qui de temps à autre était à découvert, et à y faire des dépôts jusqu’à ce que le compte soit fermé le 10 mars 1960.

En janvier 1960, le directeur aurait déclaré à l’intimé que les actions étaient vendues mais qu’il ne devait pas s’en faire, la Treasury Branch allait les racheter ou l’indemniser. Le 3 août 1964, le successeur au poste de directeur de la Treasury Branch

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locale a montré à l’intimé les documents concernant l’affaire. L’intimé a signé alors une vérification de compte de client. Il n’y a aucune trace d’une demande écrite faite à l’appelante par l’intimé ou en son nom et visant la restitution des actions ou le paiement de dommages pour vente irrégulière avant la signification le 31 mars 1965, de l’exposé de réclamation. L’action en dommages de l’intimé a été rejetée en première instance, mais ce jugement a été infirmé par la Cour d’appel. La Chambre d’appel a accordé des dommages correspondant à $21.50 l’action, soit la valeur marchande la plus élevée entre la date des ventes d’actions et celle de l’introduction d’instance, moins le produit des ventes crédité au compte de l’intimé.

Arrêt: L’appel doit être accueilli, les Juges Hall et Spence étant dissidents.

Les Juges Abbott, Martland et Ritchie: Il est vrai que la lettre à l’agent de change en elle-même ne donnait pas à l’appelante le pouvoir de vendre les actions de l’intimé, mais le fait que cette lettre ait été signée et le certificat d’actions remis à l’agent de change, indique que les deux parties envisageaient la vente des actions dans un avenir immédiat. Il est significatif que les deux nantissements aient été obtenus une fois la lettre signée.

Le juge de première instance a accepté le témoignage à l’effet que l’intimé a signé la vérification après avoir reçu son relevé de compte et après avoir vérifié la vente des actions et le crédit porté à son compte. Ce document, lu avec la lettre du 13 août et l’état du compte de l’intimé, autorisait le juge de première instance à conclure que les ventes d’actions n’ont pas été effectuées illégalement sans le consentement de l’intimé.

Le pouvoir conféré au trésorier provincial par les actes de nantissement pouvait être délégué au directeur de la Treasury Branch locale. Ce dernier n’a pas témoigné, mais la preuve permet de déduire qu’il a vendu les actions parce que cela lui a semblé souhaitable pour protéger la Treasury Branch. Si c’est le cas, il pouvait légalement les vendre sans prévenir l’intimé.

Les Juges Hall et Spence, dissidents: L’appel doit être accueilli pour partie seulement. Comme l’intimé a nié avoir ordonné la vente des actions, et que ces ordres ne se trouvent pas dans la lettre du 13 août ou dans aucun des nantissements, le fardeau de la

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preuve reposait sur l’appelante. L’unique témoignage rendu au procès pour l’appelante a été celui du successeur au poste de directeur. Cependant, elle disposait d’autres preuves qui étaient des plus pertinentes. L’appelante n’ayant produit aucune de ces preuves, c’est à bon droit qu’il faut conclure que cette preuve lui aurait été défavorable et la Cour d’appel a eu raison d’accepter le témoignage de l’intimé. Comme la Cour d’appel l’a jugé, la Treasury Branch n’avait pas le droit de vendre les actions en vertu des dispositions des nantissements.

Quant au montant des dommages, un demandeur dont les valeurs ont été réalisées illégalement ne peut attendre que le délai de prescription soit presque écoulé pour intenter des procédures en recouvrement ou en dommages pour la réalisation, et ensuite avoir le droit de réclamer des dommages correspondant à la cote maximale atteinte par ces valeurs pendant le délai de prescription de six ans. Les dommages doivent être déterminés comme dans le cas d’une action ordinaire pour appropriation illégale.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Arnold
Proposition de citation de la décision: R. c. Arnold, [1971] R.C.S. 209 (6 octobre 1970)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1970-10-06;.1971..r.c.s..209 ?
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