Cour suprême du Canada
R. c. McEwen, [1974] R.C.S. 185
Date: 1972-01-25
Sa Majesté La Reine Appelante;
et
Douglas Frederick McEwen Intimé.
1971: le 14 décembre; 1972: le 25 janvier.
Présents: Les Juges Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], infirmant un jugement qui avait ordonné un mandamus. Appel accueilli, les Juges Hall, Spence et Laskin étant dissidents.
W.G. Burke-Robertson, c.r., pour l’appelante.
S.F. Sommerfeld, c.r., pour le Procureur général du Canada.
S.D. Jolliff, pour l’intimé.
Le jugement des Juges Martland, Judson, Ritchie et Pigeon a été rendu par
LE JUGE JUDSON — L’intimé, Douglas Frederick McEwen, a été accusé de vol de biens. ayant une valeur supérieure à $50 et de possession illégale de biens volés. Au procès, qui a eu lieu devant le Juge provincial Anderson, son avocat a soutenu que la Cour n’était pas compétente parce que l’accusé avait dix-sept ans et était donc un enfant. Cet argument était fondé sur l’affirmation qu’une proclamation du gouverneur en conseil datée du 6 octobre 1970 était ultra vires. Dans cette dernière il était déclaré qu’en Colombie-Britannique, un enfant était «un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-sept ans». Une proclamation antérieure datée du 8 février 1950 établissait qu’il fallait avoir moins de dix‑huit ans. Le Juge provincial Anderson a accepté cet argument et a déclaré n’avoir aucune compétence. Par la suite, un mandamus en vue d’obliger le Juge provincial à procéder à l’audition a été demandé. Le Juge Macfarlane a accueilli
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cette demande. En appel1, l’ordonnance de ce dernier a été infirmée et celle du juge provincial a été rétablie. Dans le présent appel, la Couronne soutient que la Cour d’appel a commis une erreur en décidant que le décret du 6 octobre 1970 était ultra vires.
La proclamation se lit partiellement comme suit:
Et vu que le procureur général de la Colombie-Britannique a demandé que soit lancée une proclamation décrétant que dans la province de la Colombie-Britannique le terme «enfant» dans ladite loi signifie un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-sept ans: Sachez donc maintenant que sur et avec l’avis de Notre Conseil privé pour le Canada, par Notre présente proclamation a) Nous révoquons la prescription établie à l’égard de la province de la Colombie-Britannique aux termes de Notre proclamation en date du 8 février 1950; et b) Nous déclarons et décrétons que dans la province de la Colombie-Britannique le terme «enfant» employé dans la Loi sur les jeunes délinquants signifie un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-sept ans.
L’appel porte sur l’interprétation de l’art. 2 de la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1952, c. 160, et sur les deux proclamations précitées du gouverneur en conseil.
Le terme «enfant» est défini comme suit à l’art. 2(1) a) de la Loi:
«enfant» signifie un garçon ou une fille qui, apparemment ou effectivement, n’a pas atteint l’âge de seize ans ou tel autre âge qui peut être prescrit dans une province en conformité du paragraphe (2);
L’article 2 (2) de la Loi énonce les pouvoirs du gouverneur en conseil quant à la fixation de la limite d’âge. Cet article se lit comme suit:
2. (2) Le gouverneur en conseil peut, de temps à autre, par proclamation,
a) prescrire que, dans toute province, l’expression «enfant», employée dans la présente loi, signifie un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-huit ans, et toute semblable
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proclamation peut viser les garçons ou les filles seulement, ou à la fois les garçons et les filles; et
b) révoquer toute prescription établie à l’égard d’une province aux termes d’une proclamation prévue par le présent article et, dès lors, l’expression «enfant» employée dans la présente loi, signifiera, dans ladite province, un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de seize ans.
Le dispositif de la proclamation de 1950 se lit comme suit:
Sachez Donc Maintenant que de et par l’avis de Notre Conseil privé pour le Canada Nous proclamons et déclarons qu’aux fins de ladite Loi dans ladite Province de la Colombie-Britannique l’expression «enfant» signifiera un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-huit ans.
A mon avis, le pouvoir du gouverneur en conseil de faire la proclamation de 1970 est bien défini dans la Loi. Ce pouvoir est conféré à l’art. 2 (1) a) précité; la définition de l’expression «enfant» est double, d’abord, un garçon ou une fille qui n’a pas atteint l’âge de seize ans, puis, tel autre âge qui peut être prescrit dans une province en conformité du par. (2).
Par la proclamation de 1970, le gouverneur en conseil a révoqué l’ancienne prescription, pour remplacer l’âge de moins de dix-huit ans par celui de moins de dix-sept ans. Dans le jugement a quo, il est décidé qu’il ne pouvait pas le faire, que l’article lui permettait uniquement de fixer l’âge à moins de dix-huit ans, ce qu’il avait déjà fait par la proclamation de 1950. Il y est de plus décidé que la révocation de la proclamation de 1950 devient nulle avec la nouvelle prescription, et que par conséquent l’âge prescrit est resté à moins de dix‑huit ans.
Je ne crois pas que cet article impose une telle restriction au pouvoir du gouverneur en conseil. Ce dernier, même selon le jugement a quo, aurait pu révoquer la disposition de 1950 fixant l’âge à moins de dix-huit ans. L’âge aurait donc été de moins de seize ans. Ce sont là les limites, moins de dix-huit ans et moins de seize ans. Si la proclamation respecte ces limites, comme en l’espèce, à mon avis, elle est intra vires. Le pouvoir limité de définir l’expression «enfant»
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comme étant celui de moins de dix-sept ans, doit être inclus dans le pouvoir plus large de définir l’expression «enfant» comme signifiant celui qui a moins de dix-huit ans.
Je suis confirmé dans cette conclusion par l’art. 3(2) de la Loi, qui édicte qu’un enfant qui a commis un délit «doit être traité non comme un contrevenant mais comme quelqu’un qui est dans une ambiance de délit et qui, par conséquent, a besoin d’aide et de direction et d’une bonne surveillance», ainsi que par les commentaires que cette Cour a faits dans la cause du Procureur général de la Colombie-Britannique c. Smith[2], au sujet de la prescription de l’art. 38 de la Loi, qui se lit comme suit:
38. La présente loi doit être libéralement interprétée afin que son objet puisse être atteint, savoir: que le soin, la surveillance et la discipline d’un jeune délinquant ressemblent autant que possible à ceux qui lui seraient donnés par ses père et mère, et que, autant qu’il est praticable, chaque jeune délinquant soit traité, non comme un criminel, mais comme un enfant mal dirigé, ayant besoin d’aide, d’encouragement et de secours.
Je suis d’avis d’infirmer la déclaration de la Cour d’appel que la proclamation de 1970 est ultra vires, et de rétablir la décision de M. le Juge Macfarlane ordonnant qu’un Mandamus soit accordé.
Le jugement des Juges Hall, Spence et Laskin a été rendu par
LE JUGE SPENCE (dissident) — Le présent appel est à l’encontre d’un arrêt que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[3] a prononcé le 21 juin 1971; par cet arrêt celle-ci accueillait l’appel porté contre la décision du Juge Macfarlane, le 5 avril 1971, d’accorder un mandamus ordonnant à Son Honneur le Juge J.J. Anderson, Juge de la Cour provinciale, de tenir le procès sur la dénonciation.
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J’ai eu l’occasion de lire les motifs de jugement de mon collègue le Juge Judson et je n’ai donc pas à reprendre l’exposé des faits qui y figure. Nous verrons que, dans le présent appel, il s’agit uniquement de déterminer si le gouverneur en conseil a le pouvoir, en vertu de l’art. 2 (2) de la Loi sur les jeunes délinquants, S.R.C. 1952, c. 160, actuellement, S.R.C. 1970, c. J‑3, d’adopter le décret du 6 octobre 1970, et sinon, quelles sont les conséquences de cette absence de pouvoir.
En rendant jugement au nom de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, le Juge d’appel Robertson a conclu que le gouverneur en conseil n’avait pas le pouvoir de rendre ce décret pour autant qu’il visait à réduire, en édictant qu’un «enfant» serait dorénavant un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-sept ans, l’âge de l’«enfant» défini dans la Loi sur les jeunes délinquants, qu’un décret antérieur avait fixé par les termes «un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-huit ans»; le juge a en outre conclu que le décret était ultra vires à un point tel que ce paragraphe du décret qui prévoyait la réduction d’âge ne devait pas être distingué de celui qui révoquait la déclaration antérieure; il a donc été décidé que le décret était entièrement ultra vires et que la cause était régie par le décret antérieur, qui prescrivait que l’«enfant» défini dans la Loi était celui qui était apparemment ou effectivement âgé de moins de dix-huit — non dix-sept — ans. Je souscris aux conclusions du Juge d’appel Robertson et j’ai peu à ajouter à ses motifs, où il a si clairement exposé ses conclusions.
Comme le Juge d’appel Robertson, j’en suis venu à la conclusion que s’il existe, le pouvoir d’adopter le décret en question doit se trouver à l’art. 2 (2) de la Loi sur les jeunes délinquants. Ce paragraphe édicte ce qui suit:
(2) Le gouverneur en conseil peut, de temps à autre, par proclamation,
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a) prescrire que, dans toute province, l’expression «enfant», employée dans la présente loi, signifie un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-huit ans, et toute semblable proclamation peut viser les garçons ou les filles seulement, ou à la fois les garçons et les filles; et
b) révoquer toute prescription établie à l’égard d’une province aux termes d’une proclamation prévue par le présent article et, dès lors, l’expression «enfant» employée dans la présente loi, signifiera, dans ladite province, un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de seize ans.
La partie opérante de l’alinéa a) est dans les termes suivants: «signifie un garçon ou une fille apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-huit ans». Par conséquent, ce pouvoir a une portée très limitée et le fait qu’à l’art. 2 (1) l’expression «enfant» est définie comme suit: «signifie un garçon ou une fille qui, apparemment ou effectivement, n’a pas atteint l’âge de seize ans ou tel autre âge qui peut être prescrit dans une province en conformité du paragraphe (2)» (j’ai ajouté les traits soulignants) n’ajoute rien au pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le par. (2), même si je conviens que la partie du par. (1) que j’ai soulignée peut servir à interpréter le libellé du par. (2), relatif à l’octroi du pouvoir. On a soutenu que le texte de ce dernier paragraphe ne devrait pas s’interpréter comme n’autorisant le gouverneur en conseil qu’à fixer la limite d’âge à moins de dix-huit ans, plutôt qu’à un âge pouvant varier entre seize et dix-huit ans, parce que c’était là le seul pouvoir conféré par la réserve apportée à l’art. 2 a) de la Loi sur les jeunes délinquants initialement adoptée, Statuts du Canada, 1929, c. 46, et que si on n’avait pas voulu modifier cette disposition, l’article aurait simplement été laissé tel qu’il apparaissait dans la loi initiale, et enfin, que l’intention de modifier le pouvoir conféré et d’étendre sa portée de façon à ce qu’il soit possible de choisir une limite d’âge se situant entre les deux âges mentionnés est manifestée à l’art. 1 a) de la loi actuelle. L’interprétation doit porter sur la loi telle qu’elle existe actuellement et il est à noter que, pour la première fois, le nouvel article confère le pouvoir de révoquer le décret antérieur, et que ce remaniement était donc néces-
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saire. L’importance des termes «tel autre âge» est signalée et l’on soutient que si cet «autre âge» ne pouvait désigner qu’une personne âgée de moins de dix-huit ans, il aurait été beaucoup plus simple de le dire expressément. D’autre part, la loi prévoit clairement que des âges différents peuvent être fixés par proclamation pour les garçons et pour les filles; il serait donc possible de faire en vertu de la loi une proclamation fixant à seize ans l’âge d’une jeune fille délinquante et à dix-huit ans l’âge d’un garçon délinquant ou vice-versa, et par conséquent le terme «autre» de l’art. 2 (1) est bien choisi dans la définition du terme «enfant».
En cette Cour, il a également été soutenu que le plus grand comprend le moindre et que lorsque le gouverneur en conseil a reçu le pouvoir de fixer l’âge maximum auquel quelqu’un devrait être considéré comme un enfant au sens de la Loi, soit un âge apparemment ou effectivement moindre que l’âge «de dix-huit ans», il a implicitement reçu le pouvoir de fixer une limite d’âge encore plus basse. A mon avis, ce n’est tout simplement pas ce que prévoit l’art. 2 (2) de la Loi sur les jeunes délinquants; je crois que, d’autre part, cet article édicte simplement que le gouverneur en conseil peut déclarer qu’un garçon ou une fille «apparemment ou effectivement âgés de moins de dix-huit ans» est un jeune délinquant. Je ne puis présumer que le Parlement visait à autoriser une limite d’âge différente de province en province pour autant qu’elle soit inférieure à dix-huit ans car, notons-le bien, si le pouvoir conféré au par. (2) a) de la Loi sur les jeunes délinquants est interprété comme autorisant le gouverneur en conseil à fixer une limite d’âge inférieure à dix-huit ans, rien dans ce paragraphe ne limite alors ce pouvoir de façon à ce que la limite d’âge se situe entre seize et dix-huit ans; et il semblerait ainsi, d’après la prétention qui a été avancée quant à l’interprétation de l’article en question, qu’une province pourrait bien demander aussi une proclamation fixant l’âge à quatorze ans. A coup sûr, le Parlement voulait qu’il n’existe que deux âges auxquels fixer la limite entre qui est un enfant et qui ne l’est pas, soit moins de seize ans et moins de dix-huit ans.
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Ni l’art. 3 (2) ne l’art. 38 de la Loi sur les jeunes délinquants ne m’ont été de quelque utilité aux fins de décider l’appel. Il est vrai que l’art. 3 (2) édicte qu’un enfant doit être traité nom comme un contrevenant mais comme quelqu’un qui est dans une ambiance de délit et qui, par conséquent, a besoin d’aide et de direction et d’une bonne surveillance, mais il n’édicté pas, et je ne crois pas non plus qu’il le sous-entende, qu’un enfant est une personne autre qu’une personne visée par la définition ou par les stricts pouvoirs de proclamation que l’art. 2 (2) de la loi confère au gouverneur en conseil. En outre, la prescription de l’art. 38 de la Loi, que celle-ci doit être libéralement interprétée afin que son objet puisse être atteint, ne semble pas devoir s’interpréter comme autorisant le gouverneur en conseil à diminuer le nombre de ceux qui peuvent être rangés dans la catégorie des «jeunes délinquants», en excluant ceux qui sont apparemment ou effective âgés de moins de dix-sept ans.
Je souscris également à la conclusion du Juge d’appel Robertson, soit qu’il devrait également être conclu que les dispositions du décret de 1970 révoquant le premier décret de 1950 sont ultra vires parce qu’il est impossible de les distinguer des dispositions du même décret abaissant à dix-sept ans l’âge maximum d’un enfant. Le préambule du décret montre clairement qu’il a été adopté à la requête du procureur général de la Colombie-Britannique, en vue de fixer l’âge à dix-sept ans, et s’il est décidé que le décret antérieur a validement été révoqué, bien que la disposition fixant la nouvelle limite d’âge à dix-sept ans ne prenne pas effet, cela aura pour conséquence, en vertu du par. (2) b) de la Loi sur les jeunes délinquants, d’abaisser à moins de seize ans l’âge auquel un enfant peut être considéré comme un jeune délinquant. A coup sûr, dans sa requête, le procureur général de la Colombie-Britannique n’a manifesté aucune semblable intention.
Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel.
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Appel accueilli, les Juges Hall, Spence et Laskin étant dissidents.
Procureurs de l’appelant: Burke-Robertson, Urie, Butler, Weller & Chadwick, Ottawa.
Procureur de l’intimé: S. Douglas Jolliff, Vancouver.
[1] [1971] 5 W.W.R. 73, 15 C.R.N.S. 283, 3 C.C.C. (2d) 438.
[2] [1967] R.C.S. 702, 709, [1969] 1 C.C.C. 244, 65 D.L.R. (2d) 82.
[3] [1971] 5 W.W.R. 73, 15 C.R.N.S. 283, 3 C.C.C. (2d) 438.