Cour suprême du Canada
Brownridge c. R., [1972] R.C.S. 926
Date: 1972-06-29
Clarence Wayne Brownridge (Plaignant) Appelant;
et
Sa Majesté la Reine (Défendeur) Intimée.
1972: le 7 mars; 1972: le 29 juin.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], infirmant un jugement du Juge Haines. Appel accueilli, les Juges Abbott, Judson et Pigeon étant dissidents.
[Page 929]
J. Jennings et D.J.D. Sims, pour l’appelant
M. Manning, pour l’intimée.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Martland, Ritchie et Spence a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement qu’a préparés mon collègue le Juge Pigeon, mais étant donné que je ne partage pas son avis quant à la question de l’effet légal à donner au refus initial de l’agent de police d’accéder à la demande de retenir et constituer un avocat sans délai, que l’appelant a faite lorsqu’il se trouvait en état d’arrestation au poste de police pour avoir conduit pendant que sa capacité de conduire était affaiblie, j’estime nécessaire d’exprimer mon avis dans des motifs distincts.
L’appelant a été déclaré coupable de l’accusation, portée en vertu de l’art. 223(2) (actuellement 235) du Code criminel, d’avoir, sans excuse raisonnable, fait défaut de fournir un échantillon de son haleine en vue d’une analyse après qu’une sommation lui eut été faite en vertu de l’art. 223(1). Cette déclaration de culpabilité a été annulée à la suite d’un exposé de cause présenté devant le Juge Haines de la Cour suprême de l’Ontario; le présent appel est à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel[2] infirmant cette décision d’annuler. Nous sommes liés, cela va de soi, par les faits énoncés dans l’exposé de cause du savant juge provincial, énoncés au complet dans les motifs de jugement de mon collègue le Juge Pigeon, et nous devons nous y limiter; je n’ai, aux fins des présentes, qu’à me reporter aux alinéas suivants:
[TRADUCTION] (b) l’agent de police a fait un signal au prévenu pour que celui-ci arrête le véhicule, ce que le défendeur a fait; l’agent de police Mabbott a alors décélé l’odeur d’une boisson alcoolique dans l’haleine de celui-ci, observant qu’il avait les yeux vitreux et rouges et que son parler était légèrement empâté. Le prévenu a été mis en état d’arrestation pour avoir conduit pendant que sa capacité de conduire était affaiblie et l’agent de police lui a demandé de monter dans la voiture de police. C’est ce que le prévenu a fait; il a été amené au poste de police vers 1 h du matin.
(d) La sommation de fournir un échantillon d’haleine a été faite à l’accusé par l’agent de police Saunders vers 1 h du matin, le 19 novembre 1970.
[Page 930]
(e) le prévenu a ensuite demandé d’avoir la possibilité de parler à son avocat en vue de déterminer s’il devait obtempérer à la sommation que lui avait faite l’agent de police Saunders. Le prévenu a informé l’agent de police Saunders qu’il ne se soumettrait au test de l’haleine que si son avocat lui conseillait de le faire. La demande du prévenu a alors été refusée.
(f) Vers 3 h du matin, le 19 novembre 1970, le prévenu a parlé à son avocat; puis il a demandé qu’on lui donne la possibilité de fournir un échantillon de son haleine, mais l’offre a été refusée.
(J’ai mis des mots en italique dans la citation qui précède.)
Les quatre questions soumises par le savant juge provincial dans l’exposé de cause présenté devant le Juge Haines sont énoncés dans les motifs de jugement de mon collègue le Juge Pigeon, mais étant donné qu’aucune plaidoirie n’a été présentée quant à la question 3 et que l’affaire Curr c. La Reine[3], laquelle a maintenant fait l’objet d’une décision de cette Cour, écarte l’application de l’art. 2(d) de la Déclaration canadienne des droits, il me semble que les seules questions sur lesquelles il reste à se prononcer dans le présent appel sont les suivantes:
[TRADUCTION] (1) Ai-je commis une erreur de droit en décidant que le prévenu n’a pas donné une excuse raisonnable pour refuser de fournir un échantillon de son haleine, même si on ne lui a pas donné la possibilité de consulter son avocat après qu’il eut demandé qu’on lui accorde cette possibilité.
(2) Ai-je commis une erreur de droit en décidant que le comportement du prévenu constituait un refus d’obtempérer à une sommation de fournir un échantillon de son haleine, selon les dispositions de l’article 223 du Code criminel.
(4) Ai-je commis une erreur de droit en décidant que la dénonciation de Douglas Germain, faite sous serment le 19 novembre 1970, est valide et ne doit pas être annulée malgré le sous-alinéa (ii) de l’alinéa (c) de l’article 2 et l’alinéa (d) de l’article 2. de la Déclaration canadienne des droits, Statuts du Canada 1960, chapitre 44.
[Page 931]
Le Juge Haines a répondu «oui» à la première question, «non» à la seconde question et «oui» quant à l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration canadienne des droits.
En accueillant l’appel de la Couronne, la Cour d’appel de l’Ontario a décidé que toutes les questions exposées par le savant juge provincial devraient obtenir une réponse négative et que la déclaration de culpabilité inscrite en première instance devrait être rétablie.
L’article 223(2) du Code criminel, en vertu duquel l’appelant a été accusé, se lit comme suit: Quiconque, sans excuse raisonnable, fait défaut ou refuse d’obtempérer à une sommation qui lui est faite par un agent de la paix aux termes du paragraphe (1), est coupable d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, et passible d’une amende d’au moins cinquante dollars et d’au plus mille dollars ou d’un emprisonnement d’au plus six mois, ou des deux peines à la fois.
(J’ai mis des mots en italique.)
La sommation dont fait mention ce paragraphe est celle qui est faite par un agent de la paix en vertu de l’art. 223(1) (actuellement 235(1)):
…que cette personne fournisse alors ou aussitôt que c’est matériellement possible par la suite, un échantillon de son haleine propre à permettre de faire une analyse en vue d’établir la proportion d’alcool dans son sang, le cas échéant, et qu’elle le suive afin de permettre le prélèvement d’un tel échantillon.
A mon avis, l’art. 2(c) de la Déclaration des droits permet d’établir que l’art. 223 du Code criminel ne doit pas être interprété ou appliqué de façon à
(c) priver une personne arrêtée ou détenue
* * *
(ii) du droit de retenir et constituer un avocat sans délai.
L’exposé de cause fait voir que la demande du prévenu de parler à son avocat en vue de décider s’il devait obtempérer à la sommation de fournir un échantillon de son haleine a été refusée par l’agent de la paix à un moment où le prévenu se trouvait en état d’arrestation au poste de police pour avoir conduit pendant que sa capacité de conduire était affaiblie, et où il était détenu en vue de fournir un échantillon d’haleine. L’avocat
[Page 932]
de l’appelant prétend, étant donné ces faits, qu’il existait une «excuse raisonnable» pour ne pas avoir obtempéré à la sommation faite en vertu de l’art. 223(1) parce que la question de savoir si l’appelant était tenu de donner un échantillon d’haleine était une question qui lui permettait de demander un avis juridique, compte tenu de l’art. 2(d) de la Déclaration des droits, et, en outre, parce que l’appelant avait le droit de se mettre en communication avec son avocat sans délai, en vertu de l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration.
Le refus de l’agent de police de permettre à l’appelant de parler à son avocat, dans les circonstances de l’espèce, le privait du droit de retenir et constituer un avocat sans délai, et constituait une excuse raisonnable pour refuser d’obtempérer à la sommation de l’agent de police de prendre le test de l’haleine. Compte tenu des dispositions de la Déclaration des droits, l’art. 223(2) du Code criminel doit être interprété et appliqué en ce sens, de sorte qu’à moins qu’il ne soit apparent qu’un accusé ne revendique pas de bonne foi son droit à un avocat, mais uniquement dans l’intention d’entraîner du retard ou pour quelque autre raison illégitime, la négation de ce droit fournit line «excuse raisonnable» de ne pas fournir l’échantillon d’haleine tel que prescrit par l’article.
On soutient que le refus de l’agent de police n’équivalait pas à une négation du droit de l’appelant de consulter son avocat sans délai, mais simplement à un refus de reconnaître que le prévenu n’était pas obligé de se soumettre au test de l’haleine tant qu’il n’aurait pas parlé à son avocat. Étant donné que si l’appelant désirait parler à son avocat, c’était en vue de décider s’il devrait obtempérer à la sommation, et étant donné que l’appelant était détenu en vue de fournir un échantillon d’haleine, il me semble que le refus de reconnaître que le test pouvait être ainsi différé avait comme effet direct de priver l’appelant de son droit de consulter un avocat, un droit qui lui était nié pendant qu’il était détenu afin de fournir un échantillon d’haleine et dans des circonstances où l’analyse de l’échantillon, ou le refus de fournir celui ci, pouvait être utilisé comme preuve contre lui sous cette accusation.
[Page 933]
Dans les cours d’instance inférieure, on s’est fondé sur deux causes anglaises décidées en vertu du Road Safety Act 1967 (U.K.), c. 30, dont les articles pertinents se lisent comme suit:
[TRADUCTION] 2. (1) Un constable en uniforme peut exiger de toute personne conduisant ou tentant de conduire un véhicule à moteur sur une route ou dans un autre endroit public, qu’elle fournisse un échantillon d’haleine en vue de permettre qu’un test de l’haleine soit effectué à cet endroit ou à proximité de celui-ci, si le constable a des motifs raisonnables — a) de la soupçonner d’avoir de l’alcool dans le corps;…
3. (3) Quiconque, sans excuse raisonnable, fait défaut de fournir un échantillon en vue de permettre qu’un test de laboratoire soit effectué en conformité des prescriptions du présent article, est coupable d’une infraction et — a) s’il est démontré qu’au moment pertinent il conduisait ou tentait de conduire un véhicule à moteur sur une route ou dans un autre endroit public, est passible d’être poursuivi et condamné comme si l’infraction imputée était une infraction prévue à l’article 1(1) de la présente loi;…
La Cour d’appel s’est fondée sur l’arrêt R. v. Clarke[4] comme précédent pertinent, et je crois que pour comparer cette cause-là à la présente, il est essentiel de comprendre les faits qui y ont donné naissance. Ils sont bien énoncés dans le jugement du Juge Geoffrey Lane, qui parlait au nom de la Court of Appeal, p. 1009:
[TRADUCTION] Les faits de la présente cause sont, brièvement, les suivants. Tôt le matin du mercredi 7 février 1968, deux agents de police en uniforme qui se trouvaient dans une voiture de police ont suivi le requérant, qui conduisait son véhicule sur l’avenue Holland Park. La façon dont il conduisait était apte à provoquer des soupçons; il zigzaguait d’une voie à l’autre; les policiers l’ont finalement arrêté. Il sentait l’alcool, et (selon les témoignages des agents de police) l’un deux a dit au requérant qu’il voulait qu’il se soumette au test de l’haleine. Celui-ci a répondu: «Très bien, mais je suis seulement fatigué; je n’ai pas bu». Puis, lorsque l’agent est retourné à la voiture de police pour chercher l’équipement requis, le
[Page 934]
requérant a mis le moteur de sa voiture en marche et a soudainement démarré, frappant presque l’un des agents. Puis il y a eu poursuite sur une distance d’un peu moins de deux milles; au cours de celle-ci, selon le témoignage des agents, le requérant a atteint une vitesse de 80 milles à l’heure et a brûlé un certain nombre de feux rouges. Il a finalement été arrêté par une autre voiture de police et a été mis en état d’arrestation pour avoir fait défaut de se soumettre au test de l’haleine. Il a dit à l’agent: «Vous n’êtes pas un agent de police». Puis il a été amené au poste de police et on lui a donné l’occasion de se soumettre au test de l’haleine, ce qu’il n’a pas fait, se contentant de demander à voir l’agent responsable. Un peu plus tard, on lui a de nouveau demandé de se soumettre au test de l’haleine, mais il a alors dit: «Je veux voir mon procureur». Puis on lui a demandé de fournir soit un échantillon de sang sur-le-champ, soit deux échantillons d’urine dans l’heure qui suivrait; on lui a dit qu’il recevrait une partie de tout échantillon fourni et on l’a averti de ce qui arriverait s’il refusait de fournir les échantillons. A cette demande, il a répondu: «Non, je ne ferai rien avant d’avoir vu mon procureur». A 3 h 59 du matin, on lui a demandé de fournir deux échantillons d’urine et on l’a de nouveau averti des conséquences d’un refus ou d’une omission de sa part; à cette demande il a répondu: «Non». Puis, peu avant 4 h 15 du matin, on lui a de nouveau demandé un échantillon de sang et on l’a averti des conséquences d’un refus ou d’une omission de sa part; on lui a dit qu’il recevrait une partie de tout échantillon fourni; à cette demande, il a répondu: «Puis-je faire une déclaration maintenant?» Immédiatement après, il a été accusé d’avoir fait défaut de se soumettre au test de l’haleine, d’avoir fait défaut de fournir des échantillons et d’avoir conduit d’une façon dangereuse; il n’a pas répondu à cette accusation.
A mon avis, l’affaire Clarke peut se distinguer de la présente cause pour les motifs suivants:
1. Dans l’affaire Clarke, la Court of Appeal a conclu que:
[TRADUCTION] Les circonstances de la présente cause sont telles que le jury était autorisé à conclure, et a probablement conclu, que le requérant faisait de l’obstruction systématique, parce qu’il savait très bien que plus le temps s’écoulait avant qu’il donne un échantillon, plus son métabolisme pouvait altérer la
[Page 935]
preuve. Cela étant, le jury serait autorisé à déduire des mots: «Puis-je faire un déclaration maintenant?», que c’était là un autre refus, bien que formulé en des termes différents.
En l’espèce, rien n’indique que l’appelant faisait de l’obstruction, et s’il y a eu du retard entre la sommation en vue d’obtenir un échantillon d’haleine et l’offre qu’il a faite d’en fournir un, cela était dû uniquement au refus de la police de lui permettre de communiquer avec son avocat.
2. Dans l’affaire Clarke, le prévenu avait été accusé d’avoir refusé de fournir à la police un échantillon de son sang aux fins d’une analyse, à un moment où il était détenu après son arrestation pour omission de se soumettre au test de l’haleine. Lorsqu’il avait été arrêté la première fois, le prévenu n’avait pas demandé à consulter son avocat, mais une fois rendu au poste de police, comme on lui avait demandé de fournir un échantillon de son sang et un autre de son haleine, il a dit qu’il n’obtempérerait pas à la demande avant d’avoir pu obtenir un avis juridique. Son attitude a été décrite comme suit par la Court of Appeal:
[TRADUCTION] En l’espèce, les excuses de l’appelant étaient les suivantes: d’abord, il avait des doutes quant à savoir quels étaient ses droits et voulait un avis juridique;… il voulait avoir l’avis juridique de l’agent responsable ou d’un procureur, et également porter plainte contre la façon dont la police l’avait traité.
Jugeant d’après les circonstances qui étaient en cause, la Cour d’appel a conclu qu’en droit ces raisons ne pouvaient pas équivaloir à des excuses [TRADUCTION] «et encore moins à des excuses raisonnables».
De la lecture du dossier dans cette cause, il ressort que les refus du prévenu ont été considérés comme un subterfuge destiné à causer un retard ou à éviter le test, mais en la présente espèce,, à mon avis, l’accusé avait une raison légitime de demander un avis juridique.
3. Dans l’affaire Clarke, la Cour ne s’intéressait pas aux dispositions de la Déclaration canadienne
[Page 936]
des droits, et les doutes existant au moment de l’audition de la présente cause, quant à l’effet de l’art. 2(d) de la Déclaration sur l’obligation de fournir un échantillon d’haleine, ne faisaient pas partie de la question sur laquelle il fallait se prononcer.
Dans la présente cause, l’infraction imputée a été commise le 19 novembre 1970, et comme je l’ai déjà mentionné, à ce moment-là l’affaire Curr, sur laquelle cette Cour s’est subséquemment prononcée et dans laquelle il a été établi que l’art. 2(d) ne constituait pas une excuse valable pour refuser de fournir un échantillon, n’avait fait l’objet d’aucune décision de la part du Juge Fraser ou de la Cour d’appel de l’Ontario.
Étant donné tout ce qui précède, je ne crois pas que l’affaire Clarke devrait être considérée comme faisant autorité eu égard aux faits de l’espèce.
La seconde cause anglaise citée par la Cour d’appel est celle de Law v. Stephens[5], dans laquelle le prévenu était accusé d’avoir [TRADUCTION] «sans excuse raisonnable, fait défaut de fournir un échantillon en vue de permettre qu’un test de laboratoire soit effectué, en contravention de l’art. 3(3) du Road Traffic Act».
En refusant de fournir l’échantillon, alors qu’il était détenu au poste de police, le prévenu avait dit: [TRADUCTION] «Cela ne m’intéresse aucunement tant que je n’aurai pas parlé à mon procureur», puis: [TRADUCTION] «Non, je veux un avis juridique», et finalement: [TRADUCTION] «Pas en l’absence de mon procureur». On a prétendu pour le compte du prévenu que dans ces conditions, l’absence du procureur de celui-ci lui donnait une excuse raisonnable de ne pas fournir l’échantillon.
En rendant jugement au nom de la Queen’s Bench Division, le Juge en chef Parker a considéré l’affaire Regina v. Clarke, précitée, comme établissant la proposition qu’en droit, cela ne pouvait pas constituer une excuse raisonnable au sens de l’art. 3(3) du Road Traffic Act. A cet égard, le Juge en chef Parker a dit, page 361:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la demande qu’un procureur soit présent parce qu’il avait besoin d’un
[Page 937]
avis juridique, la Court of Appeal a décidé d’une façon assez définitive que cela ne peut pas équivaloir à une excuse raisonnable. A cet égard, je crois juste de dire que, de prime abord, c’est une question de droit que celle de savoir si le motif avancé peut constituer une excuse raisonnable; dans l’affirmative, cela devient une question de fait et de degré de savoir si ce motif équivaut à une excuse raisonnable, et bien sûr il appartient au poursuivant de le réfuter.
(J’ai mis des mots en italique.)
Avec le plus grand respect pour l’avis exprimé par le Juge en chef Parker, je ne puis considérer l’affaire Regina v. Clarke comme décidant que la demande d’obtenir un avis juridique faite par un prévenu lorsqu’il est détenu ne peut pas équivaloir à «une excuse raisonnable». Je crois plutôt que cette décision se limite expressément aux circonstances très spéciales de cette cause-là, et qu’elle est en grande partie fondée sur le fait que la Cour était convaincue que la demande de Clarke était frivole et faite en vue d’entraîner du retard. De toute façon, et avec le plus grand respect pour ceux qui ne sont pas du même avis, je considère que l’arrêt Law v. Stephens, précité, énonce une proposition trop générale pour s’appliquer dans les cours canadiennes, compte tenu des droits conférés à l’individu par l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration des droits; il me semble qu’il serait contraire aux dispositions de cette loi de décider que la négation à un particulier en état d’arrestation du «droit de retenir et constituer un avocat sans délai» ne peut pas constituer une excuse raisonnable de faire défaut d’obtempérer à une sommation faite en vertu de l’art. 223 du Code criminel. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut jamais y avoir de cas, comme dans l’affaire Regina v. Clarke, où il est apparent que la demande d’avoir l’aide d’un avocat est faite purement dans l’intention d’entraîner un retard mais,, comme je l’ai dit, ce n’est pas le cas en la présente espèce.
Pour tous ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir l’ordonnance du Juge Haines qui a annulé la déclaration de culpabilité.
Le jugement des Juges Abbott, Judson et Pigeon a été rendu par
[Page 938]
LE JUGE PIGEON (dissident) — Le présent pourvoi est à rencontre d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[6] infirmant la décision que M. le Juge Haines a rendue sur un exposé de cause, et rétablissant la déclaration de culpabilité prononcée contre le présent appelant, en vertu du par. 2 de l’art. 223 (actuellement l’art. 235) du Code criminel pour avoir, sans excuse raisonnable, fait défaut de fournir un échantillon de son haleine aux fins d’une analyse à la suite d’une «sommation» faite en vertu du par. (1).
[TRADUCTION] (a) l’agent de police Mabbott a observé le prévenu, Clarence Wayne Brownridge, au volant d’un véhicule à moteur roulant en direction est sur la rue Queen, à Toronto, vers 0 h 45 du matin, le 19 novembre 1970. Le véhicule roulait sans ses feux de route; ledit agent de police
L’exposé de cause du juge provincial est le suivant:
l’a intercepté sur la rue Dufferin, après qu’il eut viré pour laisser la rue Queen puis roulé en direction nord sur Gladstone, ouest sur Peel et, finalement, nord sur Dufferin.
(b) l’agent de police a fait un signal au prévenu pour que celui-ci arrête le véhicule, ce que le défendeur a fait; l’agent de police Mabbott a alors décelé l’odeur d’une boisson alcoolique dans l’haleine de celui-ci, observant qu’il avait les yeux vitreux et rouges et que son parler était légèrement empâté. Le prévenu a été mis en état d’arrestation pour avoir conduit pendant que sa capacité de conduire était affaiblie et l’agent de police lui a demandé de monter dans la voiture de police. C’est ce que le prévenu a fait; il a été amené au poste de police vers 1 h du matin.
(c) Au poste de police, l’agent Saunders a observé le prévenu et lui a demandé d’effectuer des gestes à titre d’épreuves physiques, à la suite desquels il a jugé que la capacité du prévenu de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l’alcool. Puis, il a sommé le défendeur de lui fournir un échantillon de son haleine propre à permettre de faire une analyse en vue d’établir la proportion d’alcool dans son sang, le cas échéant.
(d) La sommation de fournir un échantillon d’haleine a été faite à l’accusé par l’agent de police Saunders vers 1 h du matin, le 19 novembre 1970.
[Page 939]
(e) Le prévenu a ensuite demandé d’avoir la possibilité de parler à son avocat en vue de déterminer s’il devait obtempérer à la sommation que lui avait faite l’agent de police Saunders. Le prévenu a informé l’agent de police Saunders qu’il ne se soumettrait au test de l’haleine que si son avocat lui conseillait de le faire. La demande du prévenu a alors été refusée.
(f) Vers 3 h du matin, le 19 novembre 1970, le prévenu a parlé à son avocat; puis il a demandé qu’on lui donne la possibilité de fournir un échantillon de son haleine, mais l’offre a été refusée.
(g) Ayant entendu la preuve, j’ai décidé que le prévenu a refusé de fournir un échantillon de son haleine lorsqu’on le lui a demandé.
Le défendeur désire contester la validité de ladite ordonnance le déclarant coupable, pour le motif qu’elle est erronée en droit; les questions soumises pour jugement à la Cour suprême de l’Ontario sont les suivantes:
(1) Ai-je commis une erreur de droit en décidant que le prévenu n’a pas donné une excuse raisonnable pour refuser de fournir un échantillon de son haleine, même si on ne lui a pas donné la possibilité de consulter son avocat après qu’il eut demandé qu’on lui accorde cette possibilité.
(2) Ai-je commis une erreur de droit en décidant que le comportement du prévenu constituait un refus d’obtempérer à une sommation de fournir un échantillon de son haleine, selon les dispositions de l’article 223 du Code criminel.
(3) Ai-je commis une erreur de droit en décidant que l’article 223 du Code criminel s’applique, malgré les alinéas (d) et (e) de l’article 2 et l’article 5 de la Loi ayant pour objets la reconnaissance et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Déclaration canadienne des droits), Statuts du Canada 1960, chapitre 44.
(4) Ai-je commis une erreur de droit en décidant que la dénonciation de Douglas Germain, faite sous serment le 19 novembre 1970, est valide et ne doit pas être annulée malgré le sous-alinéa (ii) de l’alinéa (c) de l’article 2 et l’alinéa (d) de l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits, Statuts du Canada 1960, chapitre 44.
[Page 940]
Le Juge Haines a répondu comme suit à ces questions:
[TRADUCTION]
(1) La réponse à la question (1) est oui.
(2) La réponse à la question (2) est non.
(3) La réponse à la question (3) est non.
(4) La réponse à la question (4) est oui, en ce qui concerne le sous-alinéa (ii) de l’alinéa (c) de l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits, et non en ce qui concerne l’alinéa (d) de l’article 2 de la même loi.
La Cour d’appel a décidé qu’il fallait donner une réponse négative à toutes les questions. La permission d’interjeter appel à cette Cour a été accordée sans restriction. Toutefois, aucune plaidoirie n’a été présentée quant à la question (3), étant donné que celle-ci était déjà en jeu dans l’affaire Curr c. La Reine[7], alors en instance. La décision rendue dans cette dernière affaire a maintenant réglé cette question.
L’article 223 (actuellement l’art. 235) se lit comme suit:
223(1). Lorsqu’un agent de la paix croit, en s’appuyant sur des motifs raisonnables et probables, qu’une personne est en train de commettre, ou a commis à quelque moment au cours des deux heures précédentes, une infraction à l’article 222, il peut, par sommation faite à cette personne sur-le-champ ou aussitôt que c’est matériellement possible, exiger que cette personne fournisse alors ou aussitôt que c’est matériellement possible par la suite, un échantillon de son haleine propre à permettre de faire une analyse en vue d’établir la proportion d’alcool dans son sang, le cas échéant, et qu’elle le suive afin de permettre le prélèvement d’un tel échantillon.
(2) Quiconque, sans excuse raisonnable, fait défaut ou refuse d’obtempérer à une sommation qui lui est faite par un agent de la paix aux termes du paragraphe (1), est coupable d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, et passible d’une amende d’au moins cinquante dollars et d’au plus mille dollars ou d’un emprisonnement d’au plus six mois, ou des deux peines à la fois.
[Page 941]
L’infraction créée à l’art. 222 (actuellement l’art. 234) est celle de conduire pendant que la capacité de conduire est affaiblie. D’autre part, l’art. 224 (actuellement l’art. 236) crée une infraction du fait de conduire lorsqu’on a plus de 0.08 pour cent d’alcool dans le sang. Finalement, l’art. 224A (actuellement l’art. 237) édicte, relativement aux procédures en vertu de l’un ou l’autre de ces articles, que la valeur probante d’une analyse de l’haleine est soumise entre autres aux conditions suivantes:
(ii) si l’échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction est alléguée avoir été commise et, de toute façon, pas plus de deux heures après ce moment.
Les passages pertinents de l’art. 2 de la Déclaration des droits sont les suivants:
2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme
* * *
(c) privant une personne arrêtée ou détenue
(i) du droit d’être promptement informée des motifs de son arrestation ou de sa détention,
(ii) du droit de retenir et constituer un avocat sans délai, ou
* * *
(d) autorisant une cour, un tribunal, une commission, un office, un conseil ou une autre autorité à contraindre une personne à témoigner si on lui refuse le secours d’un avocat, la protection contre son propre témoignage ou l’exercice de toute garantie d’ordre constitutionnel;…
La décision que nous avons rendue dans l’affaire Curr élimine l’application de l’alinéa (d) de l’art.
[Page 942]
2 et seul le sous-alinéa (ii) de l’alinéa (c) de l’art. 2 doit être étudié en l’espèce. Toutefois, il semble plus pratique de commencer par considérer la situation en vertu du Code criminel seulement.
Dans son arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario s’est fondée sur deux décisions que la Criminal Division de la Cour d’appel du Royaume-Uni a rendues en vertu d’une loi relativement semblable: R. v. Clarke[8] et Law v. Stephens[9]. Dans la première de ces causes, le prévenu avait fui dans sa voiture après qu’on l’eut fait arrêter et qu’on lui eut demandé de se soumettre au test de l’haleine. On le prit en chasse à vive allure, l’arrêta pour avoir fait défaut de se soumettre au test et l’amena au poste de police, puis on lui demanda à nouveau de se soumettre au test de l’haleine, lui demandant également de fournir des échantillons de sang ou d’urine. Sa dernière réponse a été la suivante: [TRADUCTION] «Non, je ne ferai rien avant d’avoir vu mon procureur». La déclaration de culpabilité d’avoir conduit d’une façon dangereuse et d’avoir fait défaut de fournir des échantillons de sang ou d’urine a été confirmée, la Cour statuant que le désir d’obtenir un avis juridique avant de se soumettre au test en vue de déterminer la proportion d’alcool dans le sang ne peut pas constituer une excuse raisonnable de ne pas s’y soumettre.
Dans la seconde cause, le prévenu avait de plein gré suivi un agent jusqu’au poste de police mais aux demandes qui lui ont été faites, il a répondu qu’il voulait parler à son procureur. Il a été accusé d’avoir fait défaut de fournir des échantillons, comme dans l’autre affaire. La police s’est mise en communication avec le procureur du prévenu, qui s’est tout de suite rendu au poste, et le prévenu, après avoir parlé à celui-ci, a offert de fournir un échantillon. Cette possibilité lui a été refusée par la police parce qu’il avait déjà refusé quelque temps auparavant, que c’était là un refus final et que l’infraction avait été commise. La déclaration de culpabilité a été confirmée.
[Page 943]
A mon avis, le même point de vue devrait être adopté quant à la situation juridique de celui à qui l’on a légitimement demandé de se soumettre au test de l’haleine en vertu de l’art. 222 (actuellement l’art. 234) du Code criminel. L’agent de police est autorisé à «exiger que cette personne fournisse alors ou aussitôt que c’est matériellement possible par la suite, un échantillon de son haleine…». La loi envisage clairement que l’on se conforme immédiatement à cette demande. Ce qui constitue une excuse raisonnable au sens du par. (2) n’est pas défini. Par conséquent, il faut le déterminer en se fondant sur les principes de la common law, ainsi que le prescrit le par. (2) de l’art. 7 (actuellement le par. (3) du même article) du Code criminel, qui se lit comme suit:
7. (2) Chaque règle et chaque principe de la common law qui font d’une circonstance une justification ou excuse d’un acte, ou un moyen de défense contre une inculpation, demeurent en vigueur et s’appliquent à l’égard des procédures pour une infraction visée par la présente loi ou toute autre loi du Parlement du Canada, sauf dans la mesure où ils sont modifiés par la présente loi ou une autre loi du Parlement du Canada ou sont incompatibles avec l’une d’elles.
La situation juridique de celui qui, sur demande, suit un agent de la paix pour qu’un test de l’haleine soit effectué ne diffère pas de celle d’un conducteur qui est tenu de laisser quelqu’un inspecter ses freins ou de se diriger vers une balance pour que soit pesé son véhicule en vertu du par. (6) de l’art. 39 ou du par. (3) de l’art. 78 du Highway Traffic Act, R.S.O. 1970, c. 202. Il est tenu de se soumettre au test. S’il part, ou essaie de partir, pour éviter le test, il peut être arrêté et inculpé mais cela ne veut pas dire qu’il a été jusqu’à ce moment-là en état d’arrestation. Il n’a fait que se conformer à des directives que les agents de police sont autorisés à donner. Les automobilistes ne peuvent pas raisonnablement s’attendre d’être autorisés à demander un avis juridique avant d’obtempérer à ces ordres. Les agents de police sont pleinement justifiés de traiter comme un refus définitif le refus d’obtempérer tant qu’un avis juridique n’est pas obtenu.
[Page 944]
Le sous-alinéa (ii) de l’alinéa (c) de l’art. 2 de la Déclaration des droits modifie-t-il la situation en common law, en ce qui concerne les automobilistes que l’on somme de se soumettre au test requis par le Code criminel, par opposition aux tests requis par la législation provinciale? Je ne le crois pas. La disposition à l’étude s’applique à «une personne arrêtée ou détenue». Telle n’est pas, me semble-t-il, la situation juridique de celui de qui l’on a exigé qu’il suive un agent de la paix pour qu’un test de l’haleine soit effectué. Il se peut fort bien que le test soit négatif, et en pareil cas, il serait bien erroné de dire que cette personne a été arrêtée ou détenue, puis libérée. «Détenu» signifie gardé, comme il ressort de dispositions telles que l’art. 15 de la Loi sur l’immigration, S.R.C. 1970, c. I-2.
Il faut maintenant examiner si, en l’espèce, la situation est différente du fait que lorsqu’on a demandé au prévenu de se soumettre au test de l’haleine, il avait déjà été arrêté pour conduite pendant que sa capacité de conduire était affaiblie. En sa qualité de personne mise en état d’arrestation, il était sans aucun doute visé par le sous-alinéa (ii) de l’alinéa (c) de l’art. 2 de la Déclaration des droits et, par conséquent, il ne pouvait pas être privé «du droit de retenir et constituer un avocat sans délai». Mais il n’a pas été privé de ce droit: à peu près deux heures après avoir été amené au poste de police, il a pu parler à son avocat. Il semble donc, d’après l’exposé de cause, que ce que la police a refusé de faire, c’est d’accepter que le prévenu n’ait à prendre le test de l’haleine qu’après avoir parlé à son avocat, et non de lui permettre de retenir et constituer un avocat sans délai. Lorsqu’après avoir parlé à son avocat, le prévenu a finalement demandé la possibilité de fournir un échantillon de son haleine, le résultat du test, si celui-ci avait été effectué, n’aurait pas été une preuve recevable contre lui. On dit que cela s’est produit vers 3 heures du matin, alors que c’est à 0 h 45 du matin que la façon dont le prévenu conduisait son véhicule a attiré l’attention de l’agent. C’est à cette heure-là, peut-on dire, que l’infraction en vertu de l’art. 222 ou de l’art. 224 (actuellement l’art. 234 et l’art. 236) avait été commise. Par conséquent, plus de deux heures s’étaient écoulées.
[Page 945]
Je ne puis voir pourquoi un automobiliste soupçonné d’avoir conduit pendant que sa capacité de conduire était affaiblie pourrait avoir le droit d’exiger, s’il est en état d’arrestation à ce moment-là, la possibilité d’obtenir un avis juridique avant de se soumettre au test de l’haleine, alors qu’il n’aurait pas ce droit s’il n’était pas en état d’arrestation. Je ne puis voir non plus comment le refus. de la police de lui permettre de communiquer avec un conseiller juridique avant de se soumettre au test pourrait constituer une excuse raisonnable lorsqu’il est en état d’arrestation, et ne pas en constituer une lorsqu’il ne fait que suivre, sur demande, un agent de police pour que soit effectué le test.
Je rejetterais le pourvoi.
Le jugement des Juges Hall et Laskin a été rendu par
LE JUGE LASKIN — Dans le présent appel, il s’agit essentiellement de savoir si, lorsqu’on exige d’une personne en état d’arrestation qu’elle fournisse un échantillon d’haleine en vertu de l’art. 223 (1) (actuellement l’art. 235(1)) du Code criminel, celle-ci peut être déclarée coupable en vertu de l’art. 223(2) (actuellement l’art. 235(2)) d’avoir refusé, sans excuse raisonnable, d’obtempérer à cette exigence, si on ne lui a pas donné la possibilité de rejoindre et de consulter son avocat à ce moment-là, alors qu’elle avait demandé l’autorisation de le faire. Bref, la question que cette Cour doit trancher est celle de l’effet de l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration canadienne des droits sur l’art. 223 (actuellement l’art. 235) et sur les dispositions connexes du Code criminel dans les conditions exposées ci-dessous.
Cette Cour n’a pas eu à trancher cette question dans l’affaire Regina c. Curr[10], dans laquelle jugement a été rendu le 1er mai 1972. Ce dernier arrêt rejette la prétention de l’accusé qui, ayant été sommé de fournir un échantillon d’haleine, invoquait les dispositions de l’art. 2(d) de la Déclaration canadienne des droits relatives à l’autoaccusation. Un point sur lequel l’affaire Curr dif-
[Page 946]
fère de la présente cause quant aux faits, c’est que l’accusé Curr n’était pas en état d’arrestation au moment où on lui a demandé de fournir un échantillon d’haleine, alors que Brownbridge, lui, a été arrêté sous une accusation de conduite pendant que sa capacité était affaiblie; ce dernier a ensuite été amené au poste de police, où on lui a demandé de fournir l’échantillon. Je n’attache aucune importance à cette divergence dans les faits, vue sous l’angle de l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration canadienne des droits.
Des quatre questions soulevées dans l’exposé de cause qui a entraîné le présent appel, seules la première et la quatrième doivent être examinées. La seconde porte sur la question de fait suivante: le comportement de l’accusé équivalait-il à un refus de fournir un échantillon d’haleine; il est certain que oui. La troisième a trait à la question relative à l’auto-accusation, sur laquelle la Cour s’est prononcée dans l’affaire Regina c. Curr. Les questions 1 et 4 et les réponses qu’y ont données le Juge Haynes et la Cour d’appel de l’Ontario sont respectivement les suivantes:
[TRADUCTION] 1. Ai-je commis une erreur de droit en décidant que le prévenu n’a pas donné une excuse raisonnable pour refuser de fournir un échantillon de son haleine, même si on ne lui a pas donné la possibilité de consulter son avocat après qu’il eut demandé qu’on lui accorde cette possibilité.
4. Ai-je commis une erreur de droit en décidant que la dénonciation de Douglas Germain, faite sous serment le 19 novembre 1970, est valide et ne doit pas être annulée malgré le sous-alinéa (ii) de l’alinéa c) de l’article 2 et l’alinéa d) de l’article 2 de la Déclaration canadienne des droits, Statuts du Canada 1960, chapitre 44.
Réponse à la question 1: le Juge Haines: oui; la Cour d’appel: non.
Réponse à la question 4: le Juge Haines: oui, en ce qui concerne l’art. 2(c) (ii); non, en ce qui concerne l’art. 2(d); la Cour d’appel: non.
Les dispositions du Code criminel relatives à l’échantillon d’haleine sont rédigées dans les termes suivants:
223. (1) Lorsqu’un agent de la paix croit, en s’appuyant sur des motifs raisonnables et probables,
[Page 947]
qu’une personne est en train de commettre, ou a commis à quelque moment au cours des deux heures précédentes, une infraction à l’article 222, il peut, par sommation faite à cette personne sur-le-champ ou aussitôt que c’est matériellement possible, exiger que cette personne fournisse alors ou aussitôt que c’est matériellement possible par la suite, un échantillon de son haleine propre à permettre de faire une analyse en vue d’établir la proportion d’alcool dans son sang, le cas échéant, et qu’elle le suive afin de permettre le prélèvement d’un tel échantillon.
(2) Quiconque, sans excuse raisonnable, fait défaut ou refuse d’obtempérer à une sommation qui lui est faite par un agent de la paix aux termes du paragraphe (1), est coupable d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, et passible d’une amende d’au moins cinquante dollars et d’au plus mille dollars ou d’un emprisonnement d’au plus six mois, ou des deux peines à la fois.
Sont connexes à ces dispositions, lart. 222 (actuellement l’art. 234), établissant l’infraction de conduire un véhicule pendant que la capacité de conduire est affaiblie, et l’art. 224 (actuellement l’art. 236), créant l’infraction de conduire lorsqu’il y a plus de 80 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. L’article 224A (actuellement l’art. 237) édicte que dans toutes procédures en vertu de l’article 222 ou 224, la preuve du résultat de l’analyse chimique d’un échantillon prélevé en vertu du par. (1) de l’art. 223 constitue une preuve réfutable de la proportion d’alcool dans le sang si, entre autres, «l’échantillon a été prélevé dès qu’il a été matériellement possible de le faire après le moment où l’infraction est alléguée avoir été commise et, de toute façon, pas plus de deux heures après ce moment» (art. 224A(c)(ii)).
L’article 2(c) (ii) de la Déclaration canadienne des droits se lit comme suit:
2. Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme
* * *
[Page 948]
(c) privant une personne arrêtée ou détenue
* * *
(ii) du droit de retenir et constituer un avocat sans délai,…
Le Juge Haines a décidé que l’effet de l’art. 2(c) (ii) sur l’art. 223 du Code criminel est de fournir à l’accusé une excuse raisonnable pour refuser de donner un échantillon d’haleine lorsqu’il est privé de la possibilité de consulter un avocat. A son avis, l’art. 2(c) (ii) ne rend pas l’art. 223 inopérant mais a un effet sur l’interprétation de ce dernier de sorte qu’il fournit une «excuse raisonnable» au sens de la restriction contenue dans le paragraphe 2 de cet article. De fait, il a ajouté qu’en l’espèce le moyen légal de défense que constitue l’excuse raisonnable pouvait être invoqué même en l’absence de la Déclaration canadienne des droits. De plus, il s’est dit d’avis que les questions 1 et 4 se résument en une seule question en ce qui concerne l’art. 2(c) (ii), et il a conclu que la dénonciation faite sous serment contre l’accusé en vertu de l’art. 223(2) était donc invalide et devait être annulée.
La Cour d’appel a souscrit à l’avis du Juge Haines qu’en ce qui concerne l’art. 2(c) (ii), les questions 1 et 4 soulevaient une seule question, soit celle de savoir si le refus d’accéder à la demande de l’accusé de consulter un avocat lui fournissait une excuse raisonnable pour refuser de donner un échantillon d’haleine lorsqu’on le sommait de donner un tel échantillon. Pour répondre non à cette question, elle a comparé l’expression «sans délai» de l’art. 2(c) (ii) et l’expression «sur-le-champ ou aussitôt que c’est matériellement possible» de l’art. 223(1), et elle a conclu que l’expression «sans délai» ne voulait pas dire «tout de suite», mais devait s’interpréter en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes. En l’espèce, cela laissait, selon la Cour d’appel, suffisamment de temps pour mettre en application la ligne de conduite établie à l’art. 223, qui prescrit à l’agent de police d’agir sur-le-champ, c.-à-d. immédiatement ou aussitôt que l’appareil requis pour le test peut être obtenu, compte tenu de la limite de deux heures fixée à l’art. 224A.
[Page 949]
En l’espèce, il n’est pas contesté qu’il existait des motifs raisonnables et probables, au sens de l’art. 223 (1), justifiant la demande d’un échantillon d’haleine. Se fondant sur cela, l’avocat de l’accusé appelant a prétendu, eu égard en outre aux événements qui sont survenus après l’arrestation de l’accusé, que les questions 1 et 4 soulevaient deux points distincts et non pas simplement un seul comme l’avaient déclaré les cours d’instance inférieure. Selon lui, la question de savoir si le fait de ne pas donner la possibilité de consulter un avocat constituait une excuse raisonnable au sens de l’art. 223(2) différait de celle de savoir si ce fait (qu’il y ait ou non une excuse raisonnable) constituait une transgression de la Déclaration canadienne des droits permettant à l’accusé de faire suspendre ou annuler la dénonciation ou de faire infirmer la déclaration de culpabilité.
A mon avis, l’exposé de cause soulève deux points distincts par les questions 1 et 4 qui y sont formulées. La question 1 porte sur l’interprétation et l’application du seul art. 223, mais la question 4 soulève la question plus générale de l’effet d’une transgression de la Déclaration canadienne des droits. Cette question, telle que formulée dans l’exposé de cause, se limite à l’effet de la transgression imputée de l’une des garanties reconnues par la Déclaration canadienne des droits sur les procédures criminelles intentées contre l’accusé.
Le procureur de la Couronne a convenu en cette Cour que l’art. 2(c) (ii), compte tenu de son libellé et des autres dispositions de la Déclaration canadienne des droits, conférait à l’accusé le droit de demander un avocat avant le procès. Toutefois, il a soutenu que le défaut de permettre l’exercice de ce droit n’entraîne aucun recours sauf celui de faire déclarer inopérants une disposition législative fédérale. De plus, en l’espèce (toujours selon le procureur de la Couronne), le pouvoir qui est laissé à la discrétion des agents de police en vertu de l’art. 223 (1) du Code criminel, d’exiger un échantillon d’haleine ne vient pas en conflit avec le droit de l’accusé d’invoquer l’art. 2(c)(ii). Selon moi, la prétention du procureur de la Couronne va jusqu’à dire ceci: même si la mise en application de la disposition législative
[Page 950]
entraîne un conflit, la situation de l’accusé relativement à l’accusation portée contre lui n’est pas modifiée par l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration canadienne des droits; cette loi n’établit d’autre recours que celui de rendre inopérante la disposition législative, comme dans l’affaire Regina c. Drybones[11]; en l’espèce, il ne peut y avoir semblable conséquence, et la violation d’un droit prenant naissance avant le procès ne peut pas influer sur la régularité du procès même. Je reviendrai sur la question du recours disponible après m’être prononcé sur le point que soulève la question 1.
A mon avis, la formulation précise de la question 1 ne la réduit pas à une question de fait. Je l’interprète comme voulant dire que le juge de première instance a décidé qu’en droit, le fait de ne pas accéder à la demande de l’accusé de consulter un avocat avant qu’il accepte de donner un échantillon d’haleine ne lui fournit pas une excuse raisonnable pour refuser de donner cet échantillon.
Je souscris à cette décision du juge de première instance parce que j’interprète l’expression «sans excuse raisonnable» comme ajoutant, à titre de motif du rejet d’une poursuite, un moyen de défense ou d’irrecevabilité qui ne serait pas disponible en son absence, et parce que je n’interprète pas cette expression comme visant des moyens de défense ou d’irrecevabilité qui existent même en l’absence de cette expression. Par exemple, le droit à l’immunité diplomatique vis-à-vis du droit criminel interne existe même en l’absence de l’expression «sans excuse raisonnable»; de même, à mon avis, si l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration canadienne des droits établit un moyen d’irrecevabilité, celui-ci ne dépend pas de l’existence de l’expression en question. En fait, il serait étrange que l’effet de l’immunité ci‑dessus mentionnée ou de la Déclaration canadienne des droits soit vicié par l’abrogation de l’expression «sans excuse raisonnable».
Je prends comme autre exemple la limite de deux heures mentionnée à l’art. 223(1). Si l’infraction imputée est commise plus de deux heures
[Page 951]
auparavant, cela constitue un moyen de défense à toute sommation de fournir un échantillon d’haleine. Ce moyen de défense existe indépendamment de tout moyen visé par l’expression «sans excuse raisonnable» et ne dépend donc pas de cette expression.
Les arrêts anglais cités en cette Cour, comme Regirta v. Clarke[12] et Law v. Stephens[13], indépendamment des points qu’a soulevés le Juge Haines en étudiant ces arrêts, ne s’appliquent pas. En Angleterre, le droit à un avocat n’a pas de fondement statutaire tel que celui qui existe ici par suite de la Déclaration canadienne des droits. En Angleterre, un moyen de défense fondé sur ce droit ne surgirait pas indépendamment de l’appui que l’on pourrait tirer de la justification prévue par l’expression «sans excuse raisonnable».
Le texte de l’art. 223(1), considéré isolément, me semble justifier l’interprétation que, généralement parlant, les agents de police doivent remplir promptement les devoirs qui leur sont conférés en vertu de cet article sans attendre les tiers dont l’accusé peut demander l’assistance, qu’il s’agisse de son médecin ou de son avocat, ou d’un parent ou tuteur. Par conséquent, je ne souscrirais pas à toute règle générale que la demande d’être assisté par un tiers doit être considérée comme une excuse raisonnable au sens de cet article.
De mon interprétation de l’art. 223, il découle que la question 1, portant strictement sur la question de l’excuse raisonnable, devrait obtenir une réponse négative. Cela m’amène à la question plus générale soulevée par la question 4, qui, si on l’énonce en termes généraux, est celle de savoir si la mise en application de l’art. 223 se trouve de quelque façon restreinte par l’art. 2(c) (ii) et, dans l’affirmative, si l’accusé peut régulièrement être jugé ou déclaré coupable relativement à l’accusation portée contre lui en vertu de l’art. 223 (2) quand on ne lui a pas donné la possibilité de consulter un avocat.
Je ne partage pas l’avis de la Cour d’appel de l’Ontario que le droit de recourir à l’art. 2(c) (ii)
[Page 952]
à la suite d’une sommation faite en vertu de l’art. 223 (1) est conservé en donnant un sens différent à l’expression «sans délai» de l’art. 2(c) (ii) et à l’expression «sur-le-champ ou aussitôt que c’est matériellement possible» de l’art. 223(1). Qu’elles soient considérées isolément ou dans le contexte dans lequel elles s’insèrent, ni l’une ni l’autre de ces expressions ne manifestent une urgence moindre. Je ne puis concilier l’interprétation que la Cour d’appel a donnée en l’espèce à l’expression «sur-le-champ» et celle qu’elle a donnée à la même expression dans l’arrêt qu’elle avait déjà rendu dans l’affaire Regina v. MacGillivray[14]. A toutes fins utiles, les expressions «sans délai» et «sur-le-champ» sont interchangeables. L’espace de temps laissé par chaque expression dépend des circonstances; je ne puis voir rien qui permette de déterminer quel espace de temps est accordé par l’une en la comparant avec l’autre, sauf la préférence que l’on peut avoir pour la ligne de conduite exprimée par l’une ou l’autre de ces expressions.
S’il doit exister une préférence, je crois que les termes de la Déclaration canadienne des droits requièrent que cette préférence soit en accord avec les garanties reconnues par cette loi. L’article 2 prescrit qu’il faut interpréter et appliquer les lois du Canada, en l’espèce l’art. 223, de façon à ne pas restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou libertés reconnus dans la Déclaration canadienne des droits; l’un de ceux-ci est le droit d’une personne arrêtée ou détenue de retenir et constituer un avocat sans délai. Toutefois, je dois noter qu’en spécifiant certains droits, l’art. 2 parle de priver une personne arrêtée ou détenue du droit de retenir et constituer un avocat sans délai. Je n’interprète pas ce libellé comme restreignant la portée de la prescription édictée à l’encontre d’une diminution ou d’une transgression des droits visés.
D’après cette interprétation, il n’appartient pas à l’agent qui effectue l’arrestation de déterminer à sa discrétion ou sur les ordres de son chef s’il doit permettre à une personne arrêtée de communiquer avec son avocat ou à quel moment celle-ci doit
[Page 953]
le faire. Le droit de retenir et constituer un avocat sans délai ne peut servir à une personne arrêtée ou détenue que si l’on considère qu’il entraîne de la part des autorités policières l’obligation corrélative de faciliter le recours à l’avocat. Cela veut dire qu’à la demande de cette personne, on doit lui permettre d’utiliser le téléphone à cette fin s’il en est un de disponible. En l’espèce, je n’ai pas à me demander combien d’appels doivent être autorisées. Ici, d’après les faits, l’accusé n’a même pas été autorisé à faire un appel. Aux fins de la présente cause, je suis prêt à dire que le droit de l’accusé en vertu de l’art. 2(c) (ii) aurait été reconnu d’une façon suffisante si, ayant été autorisé à téléphoner, il avait rejoint son avocat et lui avait parlé au téléphone. Je n’interpréterais pas le droit conféré à l’art. 2(c) (ii), lorsqu’il est invoqué par un accusé auquel une sommation a été faite en vertu de l’art. 223(1), comme lui permettant d’insister pour que son avocat soit présent s’il peut rejoindre celui-ci par téléphone. Je m’abstiens de m’étendre davantage sur les questions mentionnées dans le présent alinéa de mes motifs parce quil est préférable d’attendre, pour le faire, qu’une affaire particulière les mette en jeu.
D’après les faits de la présente cause, il me paraît assez probable qu’on aurait pu donner à l’accusé la possibilité d’essayer de rejoindre un avocat tout en l’obligeant à se soumettre au test de l’haleine dans le délai de deux heures requis pour que le certificat de l’analyste indiquant les résultats de l’épreuve soit recevable comme preuve prima facie de la proportion d’alcool dans le sang de l’accusé. L’exposé de cause montre qu’il était environ 12 h 45 du matin lorsqu’un agent de police a vu l’accusé au volant d’un véhicule à moteur; il était environ 1 heure du matin le même jour lorsqu’on a demandé à l’accusé, mis en état d’arrestation et amené au poste de police, de fournir un échantillon d’haleine; c’est alors qu’il a demandé qu’on lui donne la possibilité de parler à son avocat et qu’il a refusé de fournir un échantillon d’haleine après s’être vu dénier cette possibilité. Il a parlé à son avocat vers 3 heures du matin le même jour, puis a offert de fournir un échantillon d’haleine mais son offre a été refusée. Je suppose qu’elle l’a été à cause de l’expiration du délai de deux heures.
[Page 954]
Avant d’étudier les conséquences qui découlent selon moi des circonstances particulières de l’espèce et de la probabilité dont j’ai fait mention, je désire considérer le cas où, en accédant à la demande de rejoindre un avocat, il devient impossible de prendre l’échantillon d’haleine dans le délai de deux heures mentionné aux art. 223 (1) et 224A(c)(ii), la Couronne se trouvant ainsi obligée d’établir le bien-fondé de sa plainte sans avoir le bénéfice d’une présomption réfutable. Si je pèse les divers intérêts en jeu, je ne doute pas qu’il faille donner la primauté à la protection fondamentale accordée par la Déclaration cartadienne des droits plutôt qu’à la règle légale de preuve énoncée à l’art. 224A(c)(ii). Je ne puis me convaincre qu’il est plus important pour la Couronne, qui a à sa disposition les modes ordinaires de preuve, d’avoir au moyen du certificat d’un analyste le bénéfice d’une présomption refutable, que pour l’accusé d’avoir le bénéfice d’un avocat.
Eu égard aux faits et à la probabilité dont j’ai parlé, il reste à déterminer si le fait de ne pas donner la possibilité, et ce sans justification, de consulter un avocat influe sur la validité de la dénonciation à l’égard de laquelle l’accusé a subi son procès et a été déclaré coupable ou sur la validité de la déclaration de culpabilité elle-même. La question 4 n’est pas formulée de façon à soulever expressément la question de la validité de la déclaration de culpabilité, mais je considère que cette question y est nécessairement en jeu; à coup sûr, la cause a été traitée sur cette base tant dans les plaidoiries que dans les factums respectifs des parties.
Il ne s’agit pas ici d’un cas où la transgression de la Déclaration canadienne des droits rend inopérante une disposition législative fédérale. La disposition législative fédérale en jeu dans l’affaire Regina c. Drybones ne pouvait absolument pas s’appliquer étant donné la Déclaration canadienne des droits. La présente affaire n’a pas un caractère aussi simple; les faits qui y sont en jeu montrent que l’art. 223 peut s’appliquer tout en respectant la Déclaration canadienne des droits. Par conséquent, il suffit qu’en invoquant ou en exerçant les pouvoirs conférés à l’art. 223, on permette l’exercice du droit prépondérant accordé à l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration canadienne des droits.
[Page 955]
A mon avis, le fait que l’agent de police qui a sommé l’accusé de fournir un échantillon d’haleine n’a pas permis l’exercice de ce droit a pour effet de vicier la déclaration de culpabilité en l’espèce. C’est là un résultat qui découle non pas de quelque théorie que la violation de la Déclaration canadienne des droits emporte cette conséquence dans chaque affaire criminelle, mais du fait qu’en l’espèce, la violation constitue la raison même pour laquelle l’accusé a été inculpé de l’infraction prévue à l’art. 223(2). Bref, le refus de l’accusé de fournir un échantillon d’haleine jusqu’à ce qu’il ait la possibilité de consulter un avocat, position qu’il pouvait légitimement prendre eu égard aux faits de la présente cause et eu égard à l’application à ces faits de l’art. 2(c) (ii) de la Déclaration canadienne des droits, constitue le fondement de l’accusation portée pour refus de fournir un échantillon d’haleine lorsqu’on le lui a demandé et de la déclaration de culpabilité prononcée à cet égard.
Les agents de police ne peuvent faire de la violation par eux des droits d’un accusé l’exercice de pouvoirs légaux leur appartenant, et de cette façon asseoir l’accusation d’avoir commis l’infraction criminelle qui surgit ordinairement lorsqu’on fait fi de ces pouvoirs. Lorsque les droits d’un accusé ont primauté, comme en l’espèce, l’agent de police ne peut pas affirmer que ses propres pouvoirs ont été exercés légalement lorsque cette affirmation équivaut à priver l’accusé de ses droits.
Je ne parle pas ici du cas où une infraction aurait été commise avant d’avoir privé une personne du droit à un avocat, ou du cas où une personne a d’abord été privée de ce droit mais sans que cela ait pour autant un rapport avec l’infraction qui aurait subséquemment été commise. Des arrêts comme Regina v. Steeves[15], O’Connor c. La Reine[16] et Regina v. Ballegeer[17], n’ont pas trait au genre de situation envisagé dans la présente cause, bien que le dernier présente une certaine affinité. Dans celui-ci, le déni du droit à
[Page 956]
un avocat, intervenu après la mise en accusation et la détention de l’accusé, de qui une déclaration fut subséquemment obtenue, ce qui fit que l’accusé plaida coupable, constitue le fondement de l’ordonnance de nouveau procès en raison de laquelle l’accusé a pu retirer son plaidoyer de culpabilité et plaider non coupable.
Il découle de mes motifs que je répondrais non à la question 1 et oui à la question 4 (considérée d’après le renvoi qu’elle fait à l’art. 2(c) (ii)). En définitive, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer l’ordonnance de la Cour d’appel de l’Ontario et de rétablir l’ordonnance du Juge Haines annulant la déclaration de culpabilité.
Appel accueilli, les Juges Abbott, Judson et Pigeon étant dissidents.
Procureur de l’appelant: David J.D. Sims, Toronto.
Procureur de l’intimée: Le Procureur Général de l’Ontario, Toronto.
[1] [1972] 1 O.R. 105, 15 C.R.N.S. 387, 4 C.C.C. (2d) 462.
[2] [1972] 1 O.R. 105, 15 C.R.N.S. 387, 4 C.C.C. (2d) 462.
[3] [1972] R.G.S. 889, 18 C.R.N.S. 281, 7 C.C.C. (2d) 181.
[4] [1969] 2 All E.R. 1008, 53 Cr. App. R. 438.
[5] [1971] R.T.R. 358, [1971] Crim. L.R. 369.
[6] [1972] 1 O.R. 105, 15 C.R.N.S. 387, 4 C.C.C. (2d) 462.
[7] [1972] R.C.S. 889, 18 C.R.N.S. 281, 7 C.C.C. (2d) 181.
[8] [1969] 2 All E.R. 1008, 53 Cr. App. R. 438.
[9] [1971] R.T.R. 358, [1971] Crim. L.R. 369.
[10] [1972] R.C.S. 889, 18 C.R.N.S. 281, 7 C.C.C. (2d) 181.
[11] [1970] R.C.S. 282, 10 C.R.N.S. 334, 71 W.W.R. 161, [1970] 3 C.C.C. 355, 9 D.L.R. (3d) 473.
[12] [1969] 2 All E.R. 1008, 53 Cr. App. R. 438.
[13] [1971] R.T.R. 358, [1971] Crim. L.R. 369.
[14] [1971] 3 O.R. 452, 4 C.C.C. (2d) 244.
[15] [1964] 1 C.C.C. 266, 49 M.P.R. 227, 42 C.R. 234, 42 D.L.R. (2d) 335.
[16] [1966] R.C.S. 619, 48 C.R. 270, [1966] 4 C.C.C. 342, 57 D.L.R. (2d) 123.
[17] [1969] 3 C.C.C. 353, 66 W.W.R. 570, 1 D.L.R. (3d) 74.