Cour suprême du Canada
Arthurs c. R., [1974] R.C.S. 287
Date: 1972-06-29
Baltiman Arthurs (Plaignant) Appelant;
et
Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.
1972: le 29 février; 1972: le 29 juin.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario, confirmant la déclaration de culpabilité enregistrée contre l’appelant. Appel rejeté, les Juges Hall, Spence et Laskin étant dissidents.
A. Maloney, c.r., et D. O’Connor, pour l’appelant.
E.G. Hachborn, pour l’intimée.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE EN CHEF — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mes collègues les Juges Ritchie, Hall, Spence et Laskin en l’espèce, et je souscris aux motifs et aux conclusions énoncés par mon collègue le Juge Ritchie. Je désire uniquement ajouter que, jusqu’au moment où j’ai lu les motifs de mon collègue le Juge Hall, j’ignorais qu’une question s’était posée ou pouvait se poser en l’espèce à l’effet que la justice n’aurait pas été administrée avec impartialité, sans distinction de race, de couleur, de croyance ou d’origine ethnique.
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Je n’avais pas été informé auparavant, ni par le dossier ni autrement, de la race, couleur, croyance ou origine ethnique des avocats qui ont occupé au procès, ou des membres du jury. Je savais d’après le dossier que l’appelant est un Noir, mais il n’y a rien dans les procédures qui indique qu’à cause de ce fait les avocats des parties, le juge de première instance ou le jury ont dérogé de quelque façon que ce soit aux bonnes procédures judiciaires et aux normes reconnues d’équité, au cours de la présentation des témoignages, des plaidoiries ou des directives au jury. De fait, en donnant ses directives au jury, le savant juge de première instance a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Au cours de l’audition, l’avocat du prévenu, Me Lindsay, a mentionné que son client, le prévenu Arthurs, est Noir. Messieurs, vous ne devez aucunement en tenir compte, parce que dans l’administration de la justice au Canada, tous sont égaux devant la loi, indépendamment de leur race, de leur couleur et de leur croyance; il n’importe pas qu’un homme soit Noir, Blanc, Jaune ou Rouge, chacun a droit à la même considération.
Mon collègue le Juge Hall dit, et avec raison, qu’il n’entend aucunement suggérer que le juge de première instance a été motivé par la malice ou par des préjugés, et il se dit certain que tel n’a pas été le cas. J’en déduis qu’à son avis, les erreurs qu’il a constatées dans les directives au jury ne découlent pas du fait que le juge de première instance savait que le prévenu était un Noir.
Le reproche essentiel qui est fait est énoncé comme suit:
[TRADUCTION] «Son erreur consiste en ce qu’il a omis d’équilibrer les plateaux de la balance de la justice dans une situation où il aurait dû faire en sorte qu’il soit évident pour tout le monde qu’il veillait à cet équilibre». Je présume que la dernière partie de cette phrase se rapporte à une déclaration antérieure que «les procédures pouvaient comporter des incidences raciales», ainsi qu’aux termes «une situation délicate».
Je suis d’avis que le devoir qu’a le juge de première instance d’équilibrer les plateaux de la
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balance de la justice se retrouve dans chaque affaire. Ce qui constituerait des directives au jury régulières dans une affaire dans laquelle il n’existe pas d’incidences raciales ne devient pas des directives irrégulières dans une affaire mettant les mêmes faits en jeu, simplement parce que pareilles incidences s’y trouvent. Les incidences raciales ne prennent de l’importance que dans le cas où elles mènent à des directives dans lesquelles des préjugés raciaux sont manifestés; dans ce cas, les directives ne sont pas régulières. Mais à défaut de pareille manifestation, les incidences raciales entourant un procès ne rendent pas irrégulières des directives qui seraient autrement régulières. Il n’a pas été suggéré qu’il y avait eu manifestation de préjugés raciaux dans les directives en cause. Cela étant, à mon avis, les incidences raciales qui ont pu exister lors du procès ne sont aucunement pertinentes dans le présent appel.
Je souscris à la façon de décider cet appel qui est proposée par mon collègue le Juge Ritchie.
Le jugement des Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie et Pigeon a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Il s’agit d’un appel à l’encontre d’un arrêt que la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sans motifs écrits, confirmant la déclaration de culpabilité prononcée contre le prévenu après un procès tenu devant Son Honneur le Juge Walter Martin, siégeant avec un jury, sous l’accusation que le prévenu avait:
[TRADUCTION] le 22 septembre 1968 ou vers cette date, dans la municipalité du Toronto métropolitain, comté de York, par négligence criminelle dans la mise en service d’un véhicule à moteur, causé des lésions corporelles à un nommé Robert Latus, en contravention du Code criminel.
La permission d’interjeter appel à cette Cour a été accordée à l’égard des deux questions suivantes:
(1) Le savant juge de première instance a-t-il commis une erreur en refusant d’accéder à la demande de la défense présentée après la présentation de la preuve de la Couronne en vue d’obtenir que l’accusation ne soit pas retenue, la preuve présentée
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par le Couronne ne justifiant pas une accusation portée en vertu de l’article 193 du Code criminal?
(2) Le savant juge de première instance a-t-il commis une erreur en omettant d’exposer au jury, dans ses directives, la théorie de la défense?
L’article 193 du Code criminel (actuellement l’art. 204) se lit comme suit:
Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de dix ans, quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles à autrui.
L’expression «négligence criminelle», aux fins du Code criminel, est définie comme suit à l’art. 202 (auparavant 191):
202. (1) Est coupable de négligence criminelle quiconque,
a) en faisant quelque chose, ou
b) en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
La preuve présentée en l’espèce doit être examinée en conformité des dispositions de l’article cité en dernier lieu, ce qui veut dire que le comportement manifestant une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui constitue une preuve prima facie de négligence criminelle.
La preuve présentée par la Couronne contre l’appelant est qu’entre 4 et 5 hres du matin, le 22 septembre 1968, celui-ci conduisait sa voiture sur Avenue Road, à Toronto, dans la voie centrale des trois voies menant vers le sud; rendu à l’avenue Webster, il a viré à gauche dans cette rue latérale, a éteint ses feux et a ralenti comme s’il allait stationner, mais une minute ou deux plus tard, il a accéléré et a serré à droite de façon à monter sur le rebord du trottoir et il a frappé Robert Latus qui venait de traverser la rue et atteignait le trottoir. Ayant frappé Latus et l’ayant projeté à quatre ou cinq pieds dans les airs, la voiture de l’appelant, qui avait roulé sur le trottoir sur une distance d’environ trois pieds et six pouces, a poursuivi sa route vers l’avenue Hazelton, où elle s’est engagée sur une rue à sens unique, en sens inverse de la circulation. Entre autres preuves, la Cou-
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ronne a présenté une déclaration que l’appelant a faite à la police après avoir été dûment mis en garde; il y admet qu’il était au volant de sa voiture sur l’avenue Webster et que lorsqu’il a jeté un coup d’œil sur son passager qui était blessé, il a donné contre le rebord du trottoir, et qu’il se peut qu’il ait frappé un piéton.
Devant cette preuve, l’avocat de la défense a soutenu qu’il n’existait aucune preuve pour saisir le jury, à l’appui de l’accusation portée, sur quoi le savant juge de première instance a rendu la décision suivante à laquelle je souscris:
[TRADUCTION] LA COUR: Mais il existe une preuve abondante, la déclaration du prévenu à l’agent de police, le constable Laing, et au détective Stevenson et à l’autre agent, et il admet qu’il était au volant de la voiture, et il y a le témoignage de ceux qui ont vu l’homme se faire frapper; il existe donc beaucoup de preuves pour saisir le jury; votre demande est donc rejetée; bien entendu, elle est consignée au dossier.
Toutefois, il a été soutenu devant cette Cour que la preuve de la Couronne et la théorie invoquée à l’appui de la poursuite étaient compatibles uniquement avec l’hypothèse que l’appelant aurait délibérément renversé Latus et que, bien que cette preuve puisse étayer une accusation plus grave, elle niait la «négligence criminelle» et fournissait donc un motif valable d’accueillir la demande de non-lieu présentée par l’avocat de l’appelant. Le seul précédent qui ait été cité à l’appui de cette proposition est une décision du Juge Crisp, qui, siégeant seul en division de première instance de la Cour suprême de Tasmanie dans l’affaire Regina v. Barnard[1], a décidé que l’acte d’accusation inculpant un prévenu d’avoir causé des lésions corporelles en conduisant d’une façon téméraire ne pouvait être fondé lorsque les lésions corporelles occasionnées par cette façon téméraire de conduire avaient entraîné la mort de la victime.
Dans les motifs de jugement qu’il a rendus dans l’affaire Barnard, le Juge Crisp a dit que son raisonnement et ses conclusions à cet égard différaient de ceux de son collègue le Juge
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Gibson qui avait eu l’occasion de rendre une décision contraire sur le même point au cours d’un procès antérieur que le même prévenu avait subi sous la même accusation. Il est évident, d’après l’extrait suivant de son jugement, que le Juge Crisp hésitait à contredire son collègue:
[TRADUCTION]…normalement, j’aimerais suivre la décision du Juge Gibson, non seulement à cause du respect très grand que j’ai pour ses jugements, mais également à cause du besoin de conserver le principe du stare decisis. Mais je crois qu’il existe de très fortes considérations contraires en cette affaire. La première est que c’est là une question qui, à ma connaissance, n’a pas été étudiée par une cour d’appel ou par une autre cour supérieure,…
Depuis que le Juge Crisp a rendu sa décision, la question ne semble pas avoir fait l’objet d’un appel devant un tribunal d’instance supérieure, et quel que soit le droit en vertu de la loi applicable en Tasmanie, je n’hésite pas à exprimer l’avis que la proposition qu’a avancée l’avocat de l’appelant en se basant sur le raisonnement du Juge Crisp n’a absolument aucun fondement en ce qui concerne une accusation en vertu de l’art. 193 (actuellement l’art. 204) du Code criminel du Canada.
Comme je l’ai mentionné, je crois que le savant juge de première instance se devait de rejeter la demande de non-lieu présentée par l’avocat de l’appelant et je répondrais donc non à la première question.
Je crois que la seconde question doit dépendre du critère dont j’ai fait mention au début, et il s’agit donc de savoir si le savant juge de première instance a omis d’exposer au jury quelque théorie de la défense compatible avec l’hypothèse que l’appelant aurait agi autrement qu’avec une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
L’appelant n’a présenté aucune preuve et son système de défense était fondé, comme il se devait, sur la déclaration qu’il avait faite à la police. La déclaration a été interprétée par l’avocat de l’appelant comme établissant un simple accident survenu alors que l’état du passager blessé avait momentanément détourné
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l’attention de l’appelant. La déclaration parle d’elle-même et les parties les plus révélatrices se trouvent au début et à la fin.
L’appelant a commencé sa déclaration en disant, relativement au rapport qu’un piéton avait été frappé par sa voiture sur l’avenue Webster: [TRADUCTION] «Il se peut que je l’aie frappé». Puis il a raconté la bataille qui avait eu lieu dans un restaurant de Avenue Road, au cours de laquelle un «Noir» avait été blessé et il a ajouté:
[TRADUCTION]… J’ai quitté le restaurant et me suis rendu à ma voiture, stationnée sur Avenue Rd., juste à côté du restaurant; j’y ai pris place. Quelques secondes plus tard, le Noir est sorti en chancelant; il avait tout le visage ensanglanté. J’ai réussi à le faire monter dans la voiture; j’ai démarré et viré pour prendre l’avenue Webster; un peu plus loin, ces deux types ont traversé l’avenue; ce qui est arrivé alors est embrouillé, mais je me rappelle qu’ils traversaient la rue en courant; le type à mes côtés gémissait; je me rappelle avoir jeté un coup d’oeil sur lui; je me suis aperçu que je m’engageais sur le rebord du trottoir et qu’il y avait un réverbère à cet endroit; j’ai braqué dans l’autre sens; il y a eu un choc; je savais que les types avaient sauté pour m’éviter et qu’il était possible que j’en aie frappé un. Dans l’intervalle, je me suis rendu compte que l’un des types était celui qui m’avait cherché querelle dans le restaurant; par crainte, je ne me suis arrêté qu’une fois rendu à l’hôpital Western, d’où j’ai téléphoné à la police. Par la suite, j’ai appris de l’un des agents qu’un des types était blessé. C’est à peu près tout.
Cette déclaration a été lu au jury par le détective McCleave vers la fin de la présentation de la preuve de la Couronne; elle a fait l’objet de longs commentaires de la part de l’avocat du prévenu lorsqu’il s’est adressé au jury, son exposé prenant fin moins d’une heure avant que le juge eût commencé à donner ses directives; la déclaration écrite a été laissée aux jurés. Je ne crois pas que le savant juge de première instance ait commis une erreur en ne la leur lisant pas une autre fois. A cet égard, je Juge Martin a dit au jury qu’il avait reçu en preuve les déclarations faites par le prévenu et il a ajouté ce qui suit:
[TRADUCTION]…vous devez considérer les déclarations comme des preuves, et les traiter exactement de
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la même façon que toute autre preuve. En d’autres termes, vous pouvez croire les déclarations faites par le prévenu à la police, vous pouvez ne pas les croire, ou vous pouvez les croire ou les rejeter en partie. Traitez-les exactement de la même façon que tout autre témoignage donné à la barre des témoins au cours du procès.
Puis il a ajouté plus loin:
[TRADUCTION] Je ne vais pas faire état de tout le contenu de la déclaration écrite de l’accusé, parce qu’elle est passablement longue. Vous l’aurez à votre disposition dans la salle des délibérations et vous aurez amplement l’occasion de l’étudier. Il admet qu’il conduisait la voiture. Rien ne fait supposer qu’il était malade. Rien ne fait supposer que la voiture était défectueuse. Il y est dit quelque chose à propos de faits embrouillés. J’ignore ce qu’embrouillé veut dire. Le premier agent n’a rien dit à propos de faits embrouillés. Je crois vous avoir déjà mentionné que, en ce qui concerne la bataille au restaurant, cela n’autorise ni l’accusé ni qui que ce soit à renverser quelqu’un avec sa voiture.
On a soutenu au nom de l’appelant que le savant juge de première instance n’avait pas donné des directives suffisantes au jury quant à la théorie de la défense et, particulièrement, que le moyen de défense alléguant simple accident, qui était à la base de la demande de non-lieu présentée par l’avocat de l’appelant, ne leur avait pas été exposé adéquatement.
Après que cette demande eut été rejetée, aucun témoin ne fut appelé à témoigner par la défense et, de la façon dont je vois la chose, la théorie de la défense doit nécessairement, en pareil cas, être fondée soit sur quelque preuve de la Couronne pouvant fournir un moyen de défense, soit sur la prétention plus générale que la Couronne n’a pas établi sa plainte hors de tout doute raisonnable.
La déclaration de l’appelant a été versée comme partie de la preuve de la Couronne après un voir dire tenu par suite de l’objection opposée quant à son admissibilité par l’avocat de l’appelant. Comme je l’ai mentionné, toute théorie de la défense devait être fondée sur le contenu de la déclaration et, à mon avis, le savant juge de première instance a soumis l’affaire au jury sur cette base.
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La théorie de la défense doit être considérée à la lumière du point de vue d’après lequel la Couronne a présenté sa preuve, selon lequel, d’après la façon dont le procureur de la Couronne a mené l’accusation, l’accusation implique nécessairement que l’on doit établir que le prévenu a délibérément renversé Latus. A mon avis, c’était là une mauvaise façon d’aborder le problème, laquelle imposait à la Couronne, sans nécessité, un fardeau onéreux, mais telle était l’accusation que l’appelant devait repousser.
La théorie de l’avocat de la défense est que la Couronne a omis d’établir la culpabilité hors de tout doute raisonnable, que la Couronne était tenue de prouver l’existence d’un motif et qu’elle ne l’a pas fait parce que le jury devrait croire la déclaration du prévenu.
En donnant ses directives au jury, le savant juge de première instance a adopté la même façon d’aborder le problème que la Couronne et la défense, savoir, que pour voir sa plainte accueillie, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable que le prévenu a délibérément renversé Latus; il a également prévenu les jurés qu’ils devaient considérer la déclaration du prévenu de la même façon que toute autre preuve, qu’ils pouvaient la croire, ne pas la croire, ou la croire ou la rejeter en partie. C’était la même chose qu’un témoignage et ils l’auraient à leur disposition dans la salle des délibérations et auraient amplement l’occasion de l’étudier.
A mon avis, la théorie de la défense que l’absence de motif (c.-à-d. d’intention) est établie par la déclaration, a été exposée clairement dans les directives que le juge a données. C’est là le seul moyen de défense qui a été invoqué devant le jury au nom de l’appelant, et eu égard au déroulement du procès et à l’ensemble de la preuve présentée par la Couronne (y compris la déclaration), je ne crois pas que l’appelant ait eu à sa disposition en défense une autre théorie qui soit réaliste, ou que le savant juge de première instance ait commis une erreur en omettant d’exposer dans ses directives quelque autre théorie réaliste.
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Étant donné que la délibération n’est pas, à mon avis, un élément essentiel de l’infraction imputée ici, je considère que le savant juge a commis une erreur en disant aux jurés que pour conclure à la culpabilité de l’appelant, ils devaient être convaincus hors de tout doute raisonnable qu’il avait [TRADUCTION] «délibérément renversé Robert Latus, le blessant gravement».
Je ne considère pas que cette mauvaise directive traite uniquement du fardeau de la preuve de la partie poursuivante, elle est plutôt l’expression de l’avis du savant juge de première instance quant à l’élément essentiel de l’infraction dont l’appelant est accusé. Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer une mauvaise directive qui favoriserait davantage le prévenu; mais le verdict des jurés doit être interprété comme voulant dire qu’ils étaient convaincus que l’appelant avait non seulement montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui, mais qu’il avait également renversé sa victime délibérément.
Comme je l’ai mentionné, avec le plus grand grand respect pour ceux qui pourront être d’avis contraire, je ne puis conclure à l’existence d’une erreur préjudiciable à l’appelant dans les directives du savant juge de première instance et je répondrais donc non à la seconde question.
Si je comprends bien, cette Cour suit de longue date la pratique selon laquelle lorsque la permission d’appeler est accordée à l’égard de questions de droit déterminées, les juges qui entendent l’appel se borneront à considérer uniquement ces questions; à plus forte raison il en est de même, à mon avis, lorsqu’on tente de soulever devant les juges qui entendent l’appel une question de droit supplémentaire qui a été proposée aux juges qui ont entendu la requête en vue d’obtenir la permission d’appeler et que ces derniers ont rejetée. Étant donné que je ne considère pas que la question de savoir si le juge aurait dû donner des directives au jury relativement à l’infraction de conduite dangereuse, est comprise dans la seconde question de droit à l’égard de laquelle la permission a été
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accordée, j’estime qu’il n’est pas nécessaire de me prononcer à cet égard.
Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel.
Depuis que j’ai rédigé les motifs qui précèdent, j’ai eu l’avantage de lire les motifs de jugement du Juge en chef, auxquels je souscris respectueusement.
LE JUGE HALL (dissident) — Les faits et circonstances en jeu dans le présent appel sont exposés dans les motifs de mon collègue le Juge Laskin; comme lui, je conviens qu’il devrait y avoir un nouveau procès et je souscris aux motifs qu’il donne à cet égard. Il y a un autre aspect de l’affaire que je crois important de commenter.
L’incident qui a abouti à l’accusation portée contre Arthurs, pour avoir,
[TRADUCTION] le 22 septembre 1968 ou vers cette date, dans la municipalité du Toronto métropolitain, comté de York, par négligence criminelle dans la mise en service d’un véhicule à moteur, causé des lésions corporelles à un nommé Robert Latus, en contravention du Code criminel,
a pris naissance au restaurant Webster, à Toronto. Arthurs, un Noir, est entré dans le restaurant pour manger. Robert Latus, un Blanc, qui admet avoir été quelque peu ivre, l’a accosté. Arthurs ne s’est pas occupé de Latus et a commandé. Après avoir mangé, comme il s’apprêtait à quitter le restaurant, deux autres Noirs sont entrés; l’un d’eux était Edward Payne. Latus a accosté Payne, l’a giflé au visage et une bataille s’ensuivit. Arthurs a quitté le restaurant et s’est rendu à sa voiture, stationnée à proximité. Quelques secondes plus tard, le Noir (Payne) avec qui s’était battu Latus est sorti en chancelant, le visage couvert de sang. Arthurs a fait monter Payne dans sa voiture; il voulait le conduire à l’hôpital Western. C’est immédiatement après cela que l’incident qui a abouti à l’accusation se serait produit; la Couronne a allégué qu’ Arthurs a attendu que Latus sorte et l’a intentionnellement renversé avec sa voiture. A l’hôpital, Arthurs a téléphoné à la police et l’agent Donaldson l’a interrogé sur le terrain de
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stationnement. L’agent McCleave est arrivé par la suite et le prévenu a été mis en état d’arrestation.
En arrivant au poste de police, Arthurs a fait une déclaration qui a été reçue en preuve et dans laquelle il disait entre autres ce qui suit: [TRADUCTION] «Il se peut que je l’aie frappé, je n’en suis pas trop sûr.» Plus loin dans la déclaration, il dit ce qui suit:
[TRADUCTION] J’ai réussi à le faire monter dans la voiture; j’ai démarré et viré pour prendre l’avenue Webster; un peu plus loin, ces deux types ont traversé l’avenue; ce qui est arrivé alors est embrouillé, mais je me rappelle qu’ils traversaient la rue en courant; le type à mes côtés gémissait; je me rappelle avoir jeté un coup d’œil sur lui; je me suis aperçu que je m’engageais sur le rebord du trottoir et qu’il y avait un réverbère à cet endroit; j’ai braqué dans l’autre sens; il y a eu un choc; je savais que les types avaient sauté pour m’éviter et qu’il était possible que j’en aie frappé un. Dans l’intervalle, je me suis rendu compte que l’un des types était celui qui m’avait cherché querelle dans le restaurant; par crainte, je ne me suis arrêté qu’une fois rendu à l’hôpital Western, d’où j’ai téléphoné à la police.
Lorsque le procès de Arthurs est venu à audition devant Son Honneur le Juge Martin et un jury, sous l’accusation ci-dessus mentionnée, il doit avoir été évident pour tous et particulièrement pour le juge, que les procédures pouvaient comporter des incidences raciales, d’autant plus que Arthurs était défendu par un jeune avocat de sa race. Le procureur de la Couronne était un Blanc et les jurés étaient eux aussi de race blanche. C’était là une situation délicate, mais elle était idéale pour montrer qu’à Toronto, la justice pouvait être et serait administrée avec impartialité, sans distinction de race, de couleur, de croyance et d’origine ethnique.
Après avoir longuement parlé de la preuve présentée à l’appui de la poursuite, le juge de première instance, en donnant ses directives, a fait mention de la déclaration de Arthurs, mais n’a pas exposé au jury le moyen de la défense alléguant l’accident; à mon avis, il s’est trouvé, en somme, à dénigrer les prétentions de la défense au point de vicier le procès. Le verdict ne peut pas tenir; il doit y avoir un nouveau
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procès. La justice ne requiert rien moins que cela. Je n’entends aucunement suggérer que le juge a été motivé par la malice ou par des préjugés — je suis certain que tel n’a pas été le cas. Son erreur consiste en ce qu’il a omis d’équilibrer le plateau de la balance de la justice, dans une situation où il aurait dû faire en sorte qu’il soit évident pour tout le monde qu’il veillait à cet équilibre. Cela ne veut pas dire que s’il est coupable, Arthurs doit demeurer impuni, mais plutôt que, coupable ou non, il avait droit à un procès équitable.
LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai eu l’occasion d’examiner les motifs de mon collègue le Juge Laskin et je souscris à son avis que l’appel devrait être accueilli et qu’un nouveau procès devrait être ordonné.
Toutefois, je ne veux pas que l’on considère que je souscris à l’avis exprimé par mon collègue le Juge Laskin qu’il existait des preuves autorisant le savant juge de première instance à soumettre l’affaire au jury une fois terminée la preuve de la Couronne. Je crois plutôt le contraire, mais j’estime inutile de me prononcer sur cette question étant donné que je souscris aux motifs de mon collègue le Juge Laskin quant à l’effet des erreurs se trouvant dans les directives au jury.
LE JUGE LASKIN (dissident) — Le prévenu appelant a été déclaré coupable, après avoir subi son procès devant Son Honneur le Juge Walter Martin et un jury, d’avoir, par négligence criminelle, causé des lésions corporelles à un nommé Robert Latus dans la mise en service d’une voiture. Le juge de première instance l’a condamné à trois ans de prison. La Cour d’appel de l’Ontario a rejeté sans motifs écrits l’appel contre la déclaration de culpabilité et la sentence. La permission d’interjeter appel à cette Cour a été accordée à l’égard des deux questions de droit suivantes:
[TRADUCTION] (1) Le savant juge de première instance a-t-il commis une erreur en refusant d’accéder à la demande de la défense présentée après la présentation de la preuve de la Couronne en vue d’obtenir que
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l’accusation ne soit pas retenue, la preuve présentée par la Couronne ne justifiant pas une accusation portée en vertu de l’art. 193 du Code criminel?
(2) Le savent juge de première instance a-t-il commis une erreur en omettant d’exposer au jury, dans ses directives, la théorie de la défense?
Sont pertinentes, en ce qui concerne ces deux questions et les points en litige à leur sujet, les considérations suivantes: (1) la preuve de la Couronne se fonde sur des faits qu’il est possible d’interpréter comme démontrant que l’accusé a délibérément renversé un dénommé Robert Latus dans les circonstances rapportées ci-dessous; (2) la Couronne a produit en preuve une déclaration par écrit que l’accusé a donnée à la police et selon laquelle l’accusé n’aurait pas heurté Latus délibérément ou par négligence mais accidentellement, par inadvertance, bien qu’il y ait eu négligence ordinaire; (3) la défense n’a pas présenté de preuve; (4) une fois la preuve de la Couronne close, l’avocat du prévenu a demandé le rejet de l’accusation, mais sa demande a été rejetée; et (5) dans ses directives au jury, le juge de première instance a parlé uniquement du fardeau de la Couronne, sans faire mention, expressément ou directement, de quelque moyen de défense que ce soit se rapportant à la preuve présentée par la Couronne ou à la déclaration de l’accusé, et sans indiquer s’il était possible de rendre un verdict sur une accusation moins grave, celle d’avoir conduit d’une façon dangereuse. Je parlerai plus en détail de l’accusation ainsi que de la preuve, mais l’énumération qui précède constitue le fondement des questions à l’égard desquelles permission d’interjeter appel a été accordée.
Le prévenu, marié et père de deux jeunes enfants, avait un emploi régulier et un casier judiciaire vierge avant sa condamnation. Il se trouvait dans un restaurant de Toronto tôt le matin du 22 septembre 1968, lorsqu’une bataille a éclaté entre Latus et un tiers, le nommé Payne. Le restaurant était du côté est de Avenue Road, au coin de l’avenue Webster, qui va vers l’est depuis Avenue Road jusqu’à l’avenue Hazelton, un bloc plus loin; celle-ci est une rue à sens unique, pour la circulation qui se dirige vers le nord. Le restaurant avait une
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entrée principale sur Avenue Road et une porte de côté du côté nord de l’avenue Webster. Au cours de la bataille, Payne a été blessé; de la rue, un chauffeur de taxi stationné du côté ouest de Avenue Road, en face du restaurant, a été témoin de la bataille.
Le chauffeur de taxi a demandé par radio à son régulateur de communiquer avec la police; peu après, une voiture tirant sur le vert, qui roulait en direction du sud sur Avenue Road, s’est immobilisée près de son taxi. L’accusé était au volant et avait comme passager Payne, dont le visage était ensanglanté. La portière droite était ouverte et un tiers, que le chauffeur de taxi ne connaissait pas et qui n’a pas été identifié par la suite, s’est assis aux côtés de l’accusé et de Payne, et ils ont parlé d’amener celui-ci à l’hôpital. Le prévenu a démarré, mais au lieu de rouler vers le sud sur Avenue Road, il a viré à gauche pour aller vers l’est sur l’avenue Webster; au même moment, il a éteint ses feux. Par la suite, le chauffeur de taxi a entendu le bruit d’une collision; se rendant en voiture sur les lieux, il a vu, du côté sud de l’avenue Webster, Latus étendu en partie sur le trottoir et en partie sur le gazon.
C’est un autre chauffeur de taxi qui s’adonnait à marcher vers l’est, du côté nord de l’avenue Webster, à ce moment-là, qui a relaté en témoignage ce qui s’est passé sur l’avenue Webster. Il a entendu une voiture venir derrière lui et a remarqué, au moment où la voiture le dépassait, que les feux arrière étaient éteints. La voiture, qui s’est avérée être celle que conduisait l’accusé, a fait une légère embardée à droite et a frappé un piéton, puis elle a poursuivi sa route jusqu’au bout de l’avenue Webster et a viré vers le sud sur l’avenue Hazelton, en sens inverse de la circulation. Le piéton blessé était Latus, qui avait quitté le restaurant par la porte de l’avenue Webster et traversait la rue obliquement lorsqu’il a été frappé comme il atteignait le côté sud de la rue. Dans sa déclaration, l’accusé a admis qu’il était possible qu’il ait frappé quelqu’un; après le choc, c’est par crainte qu’il ne s’est pas arrêté avant d’arriver à l’hôpital Toronto Western, où il a téléphoné à la police.
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Les agents l’ont trouvé au terrain de stationnement de la salle d’urgence de l’hôpital, où il les attendait à côté de sa voiture; le phare avant et le pare-brise étaient endommagés et l’antenne manquait, tout cela du côté droit de la voiture.
La Couronne ayant présenté toute sa preuve, l’avocat du prévenu a demandé le rejet de l’accusation pour le motif que [TRADUCTION] «la Couronne…n’a pas réussi à présenter une preuve suffisante pour saisir le jury», c.-à-d. qu’il n’y avait aucune preuve à soumettre au jury en ce sens que [TRADUCTION] «la seule preuve que l’on a présentée, ce que nous avons ici, c’est un accident et c’est à peu près tout». La demande a vite été rejetée, le juge de première instance déclarant: [TRADUCTION] «il existe une preuve abondante, la déclaration du prévenu à l’agent de police…et il admet qu’il était au volant de la voiture, et il y a le témoignage de ceux qui ont vu l’homme se faire frapper; il existe donc beaucoup de preuves pour saisir le jury...».
L’accusation, à laquelle la preuve devait se rapporter, semble être un amalgame des infractions créées aux art. 193 et 221(1) du Code criminel (actuellement les art. 204 et 233(1)); le premier article édicte que commet une infraction quiconque, par négligence criminelle, cause des lésions corporelles; le second édicte que commet une infraction quiconque est criminellement négligent dans la mise en service d’un véhicule à moteur; en l’espèce, l’acte d’accusation inculpe le prévenu d’avoir [TRADUCTION] «par négligence criminelle dans la mise en service d’un véhicule à moteur, causé des lésions corporelles à un nommé Robert Latus». Toutefois, il est plus approprié de le considérer comme inculpant le prévenu d’une infraction créée à l’art. 193, et donnant un détail de plus sur la négligence criminelle alléguée. Le procureur de la Couronne et l’avocat du prévenu ont tous deux considéré que l’accusation avait été portée en vertu de l’art. 193. Dans ses directives au jury, le juge de première instance a dit incidemment de l’art. 193 qu’il avait été lu à haute voix par l’avocat de la défense; puis, il a lu au jury l’art. 191 du Code criminel (actuellement
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l’art. 202), qu’il a ensuite paraphrasé; à la fin de ses directives, il a lu au jury l’art. 221(1) et a repris l’art. 191. Puis, il a expliqué au jury quel était [TRADUCTION] «le degré de négligence que la Couronne devait prouver pour qu’un accusé puisse être déclaré coupable de négligence criminelle dans la mise en service d’un véhicule à moteur». Je reviendrai un peu plus loin sur ce point, mais je remarque que cet exposé est précédé dans les directives de certains commentaires énonçant que les deux questions en jeu étaient les suivantes: [TRADUCTION] «Le prévenu conduisait-il cette voiture sur l’avenue Webster à cinq heures du matin le 22 septembre, et la conduisait-il d’une façon criminellement négligente»; et que [TRADUCTION] «d’après la théorie avancée par la Couronne, c’est délibérément que le prévenu a renversé Latus sur l’avenue Webster, le blessant gravement».
Il est manifeste que le juge de première instance n’a pas défini clairement l’infraction que le jury devait examiner; il a, certes, laissé celui-ci étudier la question de la négligence criminelle dans la mise en service d’un véhicule à moteur, mais compte tenu des blessures corporelles infligées à Latus.
La négligence criminelle est définie comme suit à l’art. 191:
(1) Est coupable de négligence criminelle quiconque,
a) en faisant quelque chose, ou
b) en omettant de faire quelque chose qu’il est de son devoir d’accomplir, montre une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité d’autrui.
(2) Aux fins du présent article, l’expression «devoir» signifie une obligation imposée par la loi.
Après avoir expliqué au jury que le conducteur d’un véhicule à moteur est légalement tenu [TRADUCTION] «de faire preuve d’une diligence raisonnable en vue d’éviter de mettre en danger la vie et la sécurité d’autrui sur les routes», le juge de première instance a parlé de la négligence criminelle en ces termes:
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[TRADUCTION] Messieurs, je vous signale que la Couronne doit prouver à votre satisfaction et hors de tout doute raisonnable que le prévenu a agi soit: —
a) avec l’intention délibérée de faire quelque chose ou d’omettre de faire quelque chose qu’il était de son devoir d’accomplir, sachant ou ayant dû savoir que cela aurait pour conséquence de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui, soit
b) avec une insouciance à l’égard de la vie et de la sécurité d’autrui manifestant son indifférence vis-à-vis des conséquences de sa conduite.
D’après ce qui précède, vous remarquerez qu’en ce qui concerne l’infraction dont le prévenu Arthurs est accusé, la Couronne doit réussir à prouver à votre satisfaction et hors de tout doute raisonnable, chacun des éléments suivants —
Premier élément. — qu’étant au volant d’un véhicule à moteur sur l’avenue Webster à Toronto le 22 septembre 1968, le prévenu a délibérément renversé Robert Latus, le blessant gravement.
Deuxième élément. — qu’à l’endroit et à l’époque susdits, le prévenu Arthurs a montré une insouciance déréglée ou téméraire à l’égard de la vie ou de la sécurité de Latus et d’autres personnes.
Cette directive est énoncée dans les termes utilisés par feu le Juge Morden, qui parlait au nom de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Regina c. Titchner[2], et elle ne semble pas avoir été suivie, quant à la première proposition, dans d’autres juridictions provinciales: voir Regina c. Beibeck[3], et Regina c. Rogers[4]; la Cour d’appel de l’Ontario elle-même semble l’avoir abandonnée: voir Regina c. Torrie[5]. De fait, à mon avis, la directive au sujet de l’intention délibérée impose à la Couronne un fardeau trop lourd pour une accusation fondée sur la négligence criminelle. Bien que la question du genre de mens rea compris dans la négligence criminelle, telle qu’elle est définie à l’art. 191(1), n’était pas directement en cause dans les jugements que cette Cour a rendus dans O’Grady c.
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Sparling[6], Binus c. La Reine[7] et Peda c. La Reine[8], ces arrêts étayent néanmoins la conclusion que l’intention subjective n’est pas un élément essentiel de la négligence criminelle.
Cette considération a un certain rapport avec la position prise par l’avocat de l’appelant quant à la première question à l’égard de laquelle permission d’interjeter appel a été accordée. L’avocat soutient que compte tenu de ce que la preuve de la Couronne tend à établir, de la théorie de la Couronne, et de fait, de la façon analogue dont le juge de première instance a considéré l’affaire, (témoin, les remarques qu’il a faites en imposant la sentence), l’imputation d’une intention a eu pour effet d’annuler la négligence criminelle et de donner droit au prévenu d’être acquitté. Le principe invoqué devant cette Cour a été énoncé dans la cause Regina c. Barnard[9], dans laquelle un juge seul (ne souscrivant pas à l’avis qu’un autre juge de la même cour avait exprimé sur la même question à un procès antérieur que le prévenu avait subi sous la même accusation) a décidé que l’acte d’accusation inculpant un prévenu d’avoir causé des lésions corporelles en conduisant d’une façon déréglée ne pouvait être fondé lorsque la preuve démontrait que la victime était décédée par suite de cette façon déréglée de conduire. Par conséquent, une fois la preuve de la Couronne close, le jury avait reçu la directive de rendre un verdict de non-culpabilité.
A mon sens, il n’est pas nécessaire d’examiner si la décision Barnard énonce un principe applicable en l’espèce, ou jusqu’à quel point elle découle de dispositions particulières au droit tasmanien, ou si le fait que la preuve tendait à
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établir un homicide coupable signifiait, selon le droit local, que c’est cette dernière accusation qui aurait dû être portée, ou s’il est essentiel à la prétention de l’avocat de l’appelant qu’il puisse démontrer que celui-ci serait privé du droit d’invoquer le plaidoyer d’autrefois convict ou d’autrefois acquit, selon le cas, s’il était jugé sous une accusation à l’égard de laquelle la preuve, telle que présentée, établirait la commission d’une infraction plus grave. En ce qui concerne ce dernier point, il convient de mentionner l’art. 519(1) du Code criminel (actuellement l’art. 538(1)), qui se lit comme suit:
Lorsqu’un acte d’accusation impute sensiblement la même infraction que celle qui est portée dans un acte d’accusation sur lequel un prévenu a été antérieurement reconnu coupable ou acquitté, mais ajoute un énoncé d’intention ou de circonstances aggravantes tendant, si elles sont prouvées, à accroître la peine, la déclaration antérieure de culpabilité ou l’acquittement antérieur constitue une fin de non-recevoir contre l’acte d’accusation subséquent.
Ce qui est clair ici, c’est qu’une fois la preuve de la Couronne close, et c’est là le moment précis du procès qui nous intéresse, certains points de la déclaration du prévenu niaient l’existence d’une intention. Par conséquent, il était juste de soumettre l’affaire au jury, même avec les directives erronées qui lui ont été données, puisqu’on ne pouvait dire que toute déclaration de culpabilité, le cas échéant, devrait nécessairement se fonder sur une preuve établissant la commission d’une infraction plus grave que l’infraction imputée. Voilà qui suffit à régler le problème soulevé par la première question, sans qu’il soit nécessaire de discuter du pouvoir discrétionnaire de la Couronne de porter une accusation moins grave que celle qu’établirait la preuve à sa disposition, si celle-ci était entièrement acceptée.
Quant à la seconde question, je suis d’avis que le juge de première instance a déplorablement omis de soumettre au jury le système de défense du prévenu. Nulle part dans les directives il ne mentionne un moyen quelconque de défense du prévenu en vertu de la loi, particulièrement en ce qui concerne les parties de sa déclaration qui le disculperaient, si elles étaient
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crues. En demandant le rejet de l’accusation, l’avocat du prévenu a soulevé le moyen relatif à l’accident; en s’adressant au jury, il a lu la déclaration du prévenu et demandé qu’on y ajoute foi. En tant que moyen de défense, l’allégation d’accident commandait plus qu’une mention, elle commandait également des explications, étant donné qu’elle pouvait avoir plus d’une signification, y compris aussi bien l’absence totale de négligence qu’un moment d’inattention. La déclaration qu’avait faite le prévenu est la suivante:
[TRADUCTION] Il se peut que je l’aie frappé. Je n’en suis pas trop sûr. Tout a commencé lorsque je suis entré dans le restaurant; un type m’a alors abordé et m’a demandé ce que je faisait là. Je lui ai demandé en quoi cela pouvait le regarder; il a insisté; il paraissait ivre. Je ne me suis plus occupé de lui et j’ai commandé. J’ai été servi et j’étais sur le point de sortir lorsque deux Noirs entrèrent; le type s’est approché de l’un d’eux; il voulait savoir ce qu’il faisait dans le restaurant lui aussi. A un moment donné, lorsqu’il m’a abordé, il m’a dit que j’étais Noir et qu’il était Blanc; je lui ai répondu que je le savais. Lorsqu’il a demandé à l’autre Noir ce qu’il faisait là, celui-ci a souri; le Blanc s’est fâché et a giflé le Noir; celui-ci a rétorqué et la bataille a éclaté; j’ai quitté le restaurant et me suis rendu à ma voiture, stationnée sur Avenue Rd., juste à côté du restaurant; j’y ai pris place. Quelques secondes plus tard, le Noir est sorti en chancelant; il avait tout le visage ensanglanté. J’ai réussi à le faire monter dans la voiture; j’ai démarré et viré pour prendre l’avenue Webster; un peu plus loin, ces deux types ont traversé l’avenue; ce qui est arrivé alors est embrouillé, mais je me rappelle qu’ils traversaient la rue en courant; le type à mes côtés gémissait; je me rappelle avoir jeté un coup d’oeil sur lui; je me suis aperçu que je m’engageais sur le rebord du trottoir et qu’il y avait un réverbère à cet endroit; j’ai braqué dans l’autre sens; il y a eu un choc; je savais que les types avaient sauté pour m’éviter et qu’il était possible que j’en aie frappé un. Dans l’intervalle, je me suis rendu compte que l’un des types était celui qui m’avait cherché querelle dans le restaurant; par crainte, je ne me suis arrêté qu’une fois rendu à l’hôpital Western, d’où j’ai téléphoné à la police. Par la suite, j’ai appris de l’un des agents qu’un des types était blessé. C’est à peu près tout.
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En donnant ses directives, le juge de première instance a d’abord fait mention de la déclaration aux fins d’appuyer les témoignages d’identification offerts par la Couronne. Puis, il a dit au jury que cette preuve devait être considérée de la même façon que toutes les autres preuves présentées; on pouvait la croire ou ne pas la croire, en tout ou en partie. Une grande partie des directives a été consacrée à un exposé minutieux des dépositions des témoins de la Couronne, lequel exposé était expressément associé à la théorie de la Couronne. Vers la fin de ses directives, le juge a de nouveau parlé de la déclaration en ces termes:
[TRADUCTION] Je ne vais pas faire état de tout le contenu de la déclaration écrite de l’accusé, parce qu’elle est passablement longue. Vous l’aurez à votre disposition dans la salle des délibérations et vous aurez amplement l’occasion de l’étudier. Il admet qu’il conduisait la voiture. Rien ne fait supposer qu’il était malade. Rien ne fait supposer que la voiture était défectueuse. Il y est dit quelque chose à propos de faits embrouillés. J’ignore ce qu’embrouillé veut dire. Le premier agent n’a rien dit à propos de faits embrouillés. Je crois vous avoir déjà mentionné que, en ce qui concerne la bataille au restaurant, cela n’autorise ni l’accusé ni qui que ce soit à renverser quelqu’un avec sa voiture.
La seule autre mention de la position adoptée par le prévenu est la phrase suivante:
[TRADUCTION] En ce qui concerne la défense, Me Lindsay [l’avocat du prévenu] dit que la Couronne n’a pas réussi à prouver son accusation hors de tout doute raisonnable et qu’il ne faut pas croire Latus.
Ce n’est pas simplement en soulignant que la Couronne a le fardeau de la preuve jusqu’à la fin du procès, ni en énonçant au jury les questions à trancher en vertu du droit applicable, qu’un juge de première instance expose au jury le système de défense d’un accusé. Les tribunaux ont dit à maintes reprises que le prévenu a droit à ce que tout moyen de défense soulevé par la preuve, si peu convaincant soit-il, soit directement exposé au jury, et ce, que l’avocat du prévenu l’ait invoqué ou non et qu’une
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preuve ait été présentée par la défense ou non: voir Henderson c. Le Roi[10]. Il en est ainsi a fortiori lorsqu’un moyen de défense a été avancé, comme en l’espèce, et que, advenant que ce moyen soit accepté ou soulève un doute raisonnable au regard de la preuve de la Couronne, il faille rendre un verdict de non-culpabilité.
Dans un procès par jury, il importe peu que le juge de première instance ne croie pas les moyens de défense que soulève la preuve. S’il soumet l’affaire au jury, il doit le faire d’une façon égale, aussi équitablement pour l’accusé, compte tenu de la preuve, que pour la Couronne. Ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce; de fait, on peut décrire plus exactement les directives données en disant qu’elles voilent et cachent au jury tous facteurs tendant à disculper le prévenu. Évidemment, le jury a entendu les témoignages; évidemment, il avait à sa disposition la déclaration du prévenu puisque c’était une pièce produite par la Couronne (déclaration dont le juge de première instance n’a mentionné que les aspects défavorables au prévenu, lorsqu’il en a parlé.) Ces considérations ne remplacent pas l’obligation du juge de première instance de mener le procès de façon équitable pour l’État et pour le particulier. Il doit exposer au jury l’importance, du point de vue de la loi, de la preuve que constitue la déclaration du prévenu. S’il doit leur expliquer le droit applicable (et c’est là, selon nous, un aspect fondamental des procès criminels devant juge et jury), il ne peut manquer à son devoir d’établir le rapport entre ce droit et la preuve.
Je ne dis pas que le juge de première instance est tenu de passer la preuve minutieusement en revue, bien que, comme je l’ai signalé, c’est ce qu’il a fait en l’espèce pour la preuve de la Couronne. Ainsi, je ne m’arrêterai pas ici à la situation que devait examiner cette Cour dans l’affaire Azoulay c. La Reine[11]. Paraphraser la preuve, en exposer le contenu au jury, c’est là
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une partie seulement de l’obligation composite qu’a le juge d’exposer clairement au jury les moyens de défense à une accusation. Il doit également expliquer les aspects juridiques de la preuve. La nécessité de s’attarder aux détails de la preuve qui étayent un ou plus d’un moyen de défense varie selon les cas. Toutefois, je ne puis concevoir aucun cas où, à un procès ayant lieu à la suite d’un plaidoyer de non-culpabilité, il n’est pas nécessaire de dire au jury en quoi consistent les moyens de défense. Dans la cause Provencher c. La Reine[12], le Juge Cartwright, alors juge puîné, qui parlait au nom de la Cour, a dit (p. 100): [TRADUCTION] «La théorie de la défense était assez simple et aucune directive détaillée n’était nécessaire; il incombait toutefois au juge de première instance de signaler au jury (ce) que cette théorie était…». [C’est moi qui ai un mot en italique]. Se dispenser de donner une directive détaillée est une chose; n’en donner aucune est autre chose, et c’est ce qui s’est produit ici.
Pour ce motif, je suis d’avis d’accueillir l’appel, d’infirmer la déclaration de culpabilité et d’ordonner un nouveau procès.
L’avocat du prévenu a soulevé un autre point touchant à la deuxième question de droit, soit que le juge de première instance aurait dû donner des directives au jury au sujet de l’infraction de conduite dangereuse, comme infraction comprise à l’égard de laquelle un verdict pouvait être rendu sous l’accusation portée et par suite de la preuve présentée à son appui. Je ne suis pas disposé à interpréter la seconde question de façon à éliminer ce moyen qui, de fait, a été soulevé dans la requête en vue d’obtenir permission d’appeler. De toute façon, cette Cour a la faculté d’étendre les motifs relatifs à la permission d’appeler; en l’espèce, comme le montre son factum, la Couronne n’a pas été prise par surprise et a répondu de façon complète à ce moyen, dans son factum, bien qu’il ne soit que très brièvement énoncé dans le factum de l’appelant.
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La conduite dangereuse peut être une infraction comprise dans l’accusation d’avoir commis l’infraction créée à l’art. 193, comme l’édicté expressément l’art. 569(4) (actuellement l’art. 589(5)) qui, en ce qui concerne la présente affaire prévoit que: «lorsqu’un chef d’accusation inculpe d’une infraction prévue par l’article… 193… découlant de la conduite d’un véhicule à moteur... et que les témoignages ne prouvent pas la perpétration de cette infraction, mais prouvent la perpétration d’une infraction prévue par le paragraphe (4) de l’article 221... l’accusé peut être déclaré coupable de [cette dernière] infraction...». Il s’agit donc uniquement de déterminer s’il est possible d’interpréter la preuve, y compris la déclaration du prévenu, comme étayant une condamnation pour conduite dangereuse, advenant le cas où elle ne suffirait pas à établir la perpétration de l’infraction imputée. A mon avis, il est possible de le faire; je ne crois pas que le simple fait d’alléguer qu’il s’agit d’un accident, ce qui peut s’entendre de plus d’une manière, suffise à priver le prévenu du droit à une directive quant à l’infraction comprise. Je ne puis considérer comme un principe général l’énoncé du Juge Richards dans l’affaire Regina c. Billingsley[13], sans tenir compte de la nature de l’infraction à l’égard de laquelle le moyen de défense alléguant accident est soulevé.
Cette seconde irrégularité des directives me fournit de nouvelles raisons d’ordonner un nouveau procès; je répète que l’appel devrait donc être accueilli et un nouveau procès ordonné. D’après le dossier à notre disposition, il ne serait pas juste d’accéder à la demande de l’avocat de l’appelant et de substituer une déclaration de culpabilité de conduite dangereuse à la déclaration de culpabilité qui avait été formulée, même si cette Cour a le pouvoir de le faire.
Appel rejeté, les Juges HALL, SPENCE et LASKIN étant dissidents.
Procureur de l’appelant: A. Maloney, Toronto.
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Procureur de l’intimée: Le Procureur général de l’Ontario, Toronto.
[1] [1956] Tas. S.R. 19.
[2] [1961] O.R. 606, 131,C.C.C. 64, 35 C.R. 11, 29 D.L.R. (2d)1.
[3] [1968] 2 C.C.C. 331, 3 C.R.N.S. 173.
[4] [1968] 4 C.C.C. 278, 4 C.R.N.S. 303, 65 W.W.R. 193.
[5] [1967] 3 C.C.C. 303 à 307, [1967] 2 O.R. 8, 50 C.R. 300.
[6] [1960] R.C.S. 804, 128 C.C.C. 1,33 C.R. 293, 25 D.L.R. (2d) 145.
[7] [1967] R.C.S. 597, [1968] 1 C.C.C. 227, 2 C.R.N.S. 118.
[8] [1969] R.C.S. 905, [1969] 4 C.C.C. 245, 7 C.R.N.S. 243, 6 D.L.R. (3d) 177.
[9] [1956] Tas. S.R. 19.
[10] [1948] R.C.S. 226, 91 C.C.C. 97, 5 C.R. 112, [1949] 2 D.L.R. 121.
[11] [1952] 2 R.C.S. 495, 104 C.C.C. 97, 15 C.R. 181.
[12] [1956] R.C.S. 95, 114 C.C.C. 100, 22 C.R. 407.
[13] (1946), 89 C.C.C. 376 à 382, 4 C.R. 89 à 95, [1947] 4 D.L.R. 542 à 547.