Cour suprême du Canada
La Reine c. Sommerville, [1974] R.C.S. 387
Date: 1972-10-18
Sa Majesté La Reine Appelante;
et
Raymond Silas Boyd Sommerville Intimé.
1972: le 26 mai; 1972; le 18 octobre.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Spence et Pigeon.
EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA
APPEL d’un jugement de la Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta[1], confirmant l’acquittement de l’intimé. Appel rejeté, les Juges Judson et Pigeon étant dissidents.
H.B. Monk, c.r., et E.I. MacDonald, c.r., pour l’appelante.
S.E. Halyk, pour l’intimé.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Martland, Ritchie et Spence a été rendu par
LE JUGE MARTLAND — Le présent appel est à l’encontre d’un arrêt unanime de la Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta rejetant l’appel porté par l’appelante à l’encontre d’un jugement du Juge Yanosik, de la cour de district, qui avait rejeté l’appel de l’appelante contre l’acquittement de l’intimé par un magistrat sous l’accusation d’avoir:
[TRADUCTION] illégalement transporté de la province de la Saskatchewan à la province de l’Alberta 4326 boisseaux de blé, lorsqu’il a transporté le blé en question depuis Mantario, province de la Saskatchewan, jusqu’à Medicine Hat, province de l’Alberta, en contravention des dispositions de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
L’accusation était fondée sur le par. b) de l’art. 32 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, ci-après appelée «la loi», S.R.C. 1952, c. 44 (actuellement l’art. 33 du c. C-12, S.R.C. 1970). Cet article se lit comme suit:
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32. Sauf une autorisation prévue par les règlements, nulle personne autre que la Commission ne doit
a) exporter du Canada, ou y importer, du blé ou des produits du blé possédés par une personne autre que la Commission;
b) transporter ou faire transporter d’une province à une autre du blé ou des produits du blé possédés par une personne autre que la Commission;
c) vendre ou consentir à vendre du blé ou des produits du blé situés dans une province pour livraison dans une autre province ou en dehors du Canada; ou
d) acheter ou consentir à acheter du blé ou des produits du blé situés dans une province pour livraison dans une autre province ou en dehors du Canada.
On s’est entendu sur l’exposé des faits convenus suivant:
[TRADUCTION] 1. Le prévenu Raymond Silas Boyd Sommerville réside dans le district de Mantario, Saskatchewan, où il exploite une ferme avec son père.
2. Entre le 4 mars 1969 et le 29 avril 1969, le prévenu a transporté de sa ferme située en Saskatchewan jusqu’en Alberta, environ 4,326 boisseaux de blé de provende, cultivé sur ladite ferme et lui appartenant ainsi qu’à son père.
3. Ledit blé de provende a été livré à Coaldale Southern Feed Ltd., à Coaldale, Alberta, et au Canada Packers Feed Mill, à Medicine Hat, Alberta, où il a été moulu et enrichi de concentrés.
4. De ces moulins à provendes, le grain a été transporté, pour être emmagasiné, jusqu’aux entrepôts fournis au prévenu et à son père aux locaux de Valley Feeders Ltd., à Lethbridge, Alberta, et à Coaldale, Alberta.
5. Le prévenu paie ledit moulin à provendes pour transformer le grain et paie les frais de tout additif utilisé; le blé en question n’a jamais été vendu ni échangé.
6. A la suite de la livraison du grain transformé aux entrepôts ci-dessus mentionnés, les employés de Valley Feeders Ltd. ont nourri du bétail appartenant exclusivement au prévenu et à son père avec le grain transformé.
7. Valley Feeders Ltd. demande au prévenu et à son père, pour l’entretien dudit bétail, un montant fixe par jour par tête de bétail, plus le coût de tout supplément
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fourni par elle pendant que le bétail appartenant au prévenu et à son père se trouve à ses locaux.
8. Jamais au cours de l’époque visée par la présente accusation le prévenu ou son père n’ont détenu une licence de la Commission canadienne du blé autorisant le transport du blé d’une province à une autre sous le régime des règlements établis en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
L’avocat de l’appelante a reconnu dans sa plaidoirie devant le juge Yanosik de la cour de district qu’au moment où l’infraction aurait été commise, aucune disposition des règlements établis en vertu de la Loi ne permettait à l’intimé d’obtenir un permis ou une licence de la Commission relativement au transport de son blé de la Saskatchewan en Alberta.
Il s’agit de déterminer si, eu égard à ces faits, l’intimé a violé les dispositions de l’art. 32b). L’article 32b) interdit-il au producteur de grain de la Saskatchewan d’utiliser son propre grain pour nourrir son propre bétail en Alberta?
L’appelante soutient que les dispositions devraient être interprétées littéralement; elle se fonde sur la proposition énoncée par Lord Reid dans l’affaire Inland Revenue Commissioners v. Hinchy[2]:
[TRADUCTION] Mais nous pouvons déterminer l’intention du Parlement uniquement en nous fondant sur les termes qu’il a employés dans la Loi; par conséquent, il s’agit de savoir si ces termes peuvent avoir un sens plus restreint. Si la réponse est non, nous devons les appliquer tels quels, quelque déraisonnables ou injustes que soient les conséquences, et quelle que soit la force de nos soupçons que ce n’était pas là l’intention réelle du Parlement.
La prétention de l’intimé est résumée en Chambre d’appel dans le passage suivant des motifs du Juge Johnson:
[TRADUCTION] La règle fondamentale d’interprétation des lois dit-on, c’est «que chaque loi doit s’interpréter selon l’intention manifeste ou expresse qui s’y trouve» (Canadian Wheat Board v. Manitoba Pool Elevators et al, 6 WWR (NS), p. 36). Généralement, le libellé d’un article peut faire voir l’intention mais lorsque ce libellé semble entrer en conflit avec le
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programme et le but de la loi, il faut tenir compte de l’ensemble de la loi pour voir si l’on ne voulait pas plutôt que l’article ait un sens plus restreint que ne le laisserait ressortir l’examen de ce seul article.
La Loi est elle-même décrite comme étant une «Loi pourvoyant à la constitution et aux attributions de la Commission canadienne du blé». L’objet de la Commission est exposé à l’art. 4(4):
La Commission est constituée en corporation pour l’organisation ordonnée des marchés interprovincial et extérieur du grain cultivé au Canada,….
La constitutionnalité de la Loi a été contestée dans l’affaire Murphy c. Canadian Pacific Railway Company. L’arrêt rendu par la Cour d’appel du Manitoba dans cette affaire-là est publié[3] et la décision de cette Cour est publiée[4]. La Loi fut jugée valide pour le motif qu’elle a trait à la réglementation du trafic et du commerce en vertu de l’art. 91(2) de l’acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867.
Le Juge Locke, qui a rendu les motifs de la majorité de cette Cour, dit p. 631:
[TRADUCTION] Quant à la première question, il me semble que l’on ne saurait nier que la Loi sur la Commission canadienne du blé, dans la mesure où ses dispositions ont trait à l’exportation du grain à partir d’une province, aux fins de la vente, constitue une loi ayant trait à la réglementation du trafic et du commerce selon le sens qu’a cette expression à l’art. 91.
Le Juge Rand décrit comme suit le programme de la loi, p. 634:
[TRADUCTION] D’un point de vue général, le programme de la Loi est principalement que tout le grain qui entre sur le marché interprovincial et extérieur doit être acheté et mis en marché par la Commission; le grain acheté directement des fermiers des Prairies ne peut pas être expédié dans une autre province sans que ne soit produite une licence de la Commission.
Le Juge Adamson, Juge en chef du Manitoba, qui avait rendu les motifs de la Cour d’appel, s’était reporté à l’art. 32b), p. 62:
[TRADUCTION] Le demandeur soutient que l’ensemble de la Loi est ultra vires. Il me semble que dans la
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présente action seul l’art. 32b), précité, de la Loi est en cause. L’article 32b) est rédigé en termes très généraux. Je crois toutefois qu’il devrait être interprété et appliqué en conformité et sous réserve du but et de l’intention du législateur, soit, l’organisation ordonnée des marchés du grain, tel que mentionné à l’art. 4(4), précité, de la Loi. S’il n’y a pas mise en marché ou commerce de grain, la disposition ne doit pas s’appliquer.
Dans cette cause-là, lors des plaidoiries devant cette Cour, l’avocat de l’appelant avait fait état de la position dans laquelle se trouve, en vertu de l’art. 32 de la Loi, le producteur de grain qui désire expédier son propre grain dans une autre province pour y utiliser ce grain à ses propres fins. Le Juge Locke signale, p. 633, que cette question n’était pas soulevée dans les procédures, ni par les faits mis en preuve. On n’avait pas soutenu que l’appelant était le producteur du grain qu’il voulait expédier par chemin de fer.
Il ajoute, p. 633:
[TRADUCTION] Si toutefois, contrairement à mes vues, la question de la validité de l’interdiction d’effectuer pareil transport du propre grain du producteur devait être considérée comme ayant été soulevée et si l’on présumait, aux fins des plaidoiries, que pareille interdiction est invalide parce que, pour une raison ou une autre, le Parlement se trouve ainsi à excéder ses pouvoirs, pareille interdiction serait clairement séparable.
A mon avis, en décidant si l’art. 32b) s’applique aux faits de la présente cause, il convient d’examiner l’intention qui se dégage de la Loi, ainsi que les motifs pour lesquels cette Cour a décidé que l’adoption de cet article était intra vires des pouvoirs du Parlement du Canada. Il s’agit d’une loi pourvoyant à la constitution et aux attributions de la Commission canadienne du blé. Cette Commission a été créée en vue d’organiser, d’une façon ordonnée, les marchés interprovincial et extérieur du grain au Canada. La Loi ne vise pas à conférer à la Commission un contrôle intégral sur tout le grain cultivé dans les provinces situées dans les régions désignées auxquelles s’applique la Loi. Elle n’empêche pas l’appelant de vendre son grain en Saskatchewan ou d’en nourrir son bétail en Saskatchewan. Elle
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ne l’empêche pas d’acheter en Alberta, d’une personne autre que la Commission, le grain devant être utilisé pour son bétail en Alberta. La Loi a pour but d’empêcher qu’il mette en marché son grain en dehors de la Saskatchewan, et l’art. 32b) est destiné à empêcher le transport du grain à cette fin en dehors de la Saskatchewan.
Cette Cour a décidé que la Loi est valide pour le motif que le Parlement canadien a exercé en l’adoptant son pouvoir de légiférer sur la réglementation du trafic et du commerce. Elle a conclu que le contrôle, par la Commission, de la vente d’exportation du grain, relativement au commerce interprovincial ou international, constitue un exercice valide de ce pouvoir.
Interpréter l’art. 32b) comme s’appliquant aux circonstances de l’espèce, c’est appliquer cet article à un objet non visé par la loi et conclure que la Loi s’applique à des fins autres que la réglementation du trafic et du commerce. Les faits de l’espèce ne comportent aucun commerce de grain par l’intimé ni aucune opération commerciale. L’intimé s’est servi de son propre grain à ses propres fins et n’a pas conclu de marché avec qui que ce soit.
Dans l’affaire McKay c. La Reine[5], le Juge Cartwright, alors juge puîné, qui a rendu les motifs au nom de la majorité de cette Cour, a dit, p. 803:
[TRADUCTION] La deuxième règle d’interprétation qui s’applique est la suivante: si une disposition législative, adoptée par le Parlement, par une législature ou par un organisme subordonné auquel un pouvoir législatif est délégué, peut être interprétée de façon que son application se limite aux questions relevant de l’organisme qui l’a adoptée, il faut interpréter la disposition en conséquence.
En ce qui concerne l’interprétation de l’art. 32b) (maintenant l’art. 33b)) de la Loi, je partage l’avis exprimé par le Juge Adamson, Juge en chef du Manitoba, dans l’affaire Murphy:
[TRADUCTION] s’il n’y a pas mise en marché ou commerce de grain, la disposition ne doit pas s’appliquer.
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je partage également l’avis exprimé en la présente espèce par le Juge d’appel Johnson:
[TRADUCTION] Cette interprétation ne violente pas le libellé de l’article 32b) mais limite simplement l’application de celui-ci au transport du grain d’une province à une autre effectué soit en vue de l’achat ou de la vente, soit par suite de l’achat ou de la vente.
Pour ces motifs, ainsi que pour ceux qu’a énoncés le Juge d’appel Johnson, auxquels je souscris, je suis d’avis de rejeter l’appel. Conformément aux dispositions de l’ordonnance accordant l’autorisation d’appeler devant cette Court, l’intimé aura droit aux dépens de l’appel ainsi qu’aux dépens de la requête en vue d’obtenir l’autorisation d’appeler.
Le jugement des Juges Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE PIGEON (dissident) — Les faits de la présente cause ne sont pas en litige; ils sont énoncés dans les motifs de mon collègue le Juge Martland, comme l’est aussi la disposition pertinente, l’art. 32 de la Loi sur la Commission canadienne du blé. La seule question qui se pose est celle de savoir si cette disposition est assujettie à une exception implicite. Le blé qui était transporté d’une province à une autre était indubitablement possédé par une personne autre que la Commission canadienne du blé. Doit-on tenir compte de ce que c’est celui qui l’a cultivé qui l’a aussi fait transporter pour son propre usage? En Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta, le Juge Johnson a écrit ce qui suit:
[TRADUCTION] La règle fondamentale d’interprétation des lois, dit-on, c’est «que chaque loi doit s’interpréter selon l’intention manifeste ou expresse qui s’y trouve» (Canadian Wheat Board v. Manitoba Pool Elevators et al, 6 WWR (NS) p. 36). Généralement, le libellé d’un article peut faire voir l’intention mais lorsque ce libellé semble entrer en conflit avec le programme et le but de la loi, il faut tenir compte de l’ensemble de la loi pour voir si l’on ne voulait pas plutôt que l’article ait un sens plus restreint que ne le laisserait ressortir l’examen de ce seul article.
Soit dit respectueusement, ce raisonnement est contraire à la règle fondamentale d’interprétation selon laquelle il faut rechercher l’inten-
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tion dans les termes employés. Il appartient au Parlement, et non pas aux cours, de déterminer l’étendue exacte des restrictions nécessaires ou souhaitables pour la réalisation du programme et du but d’une loi. Il appartient au Parlement, non aux cours, de décider si un certain libellé est en accord avec pareil programme ou but. Je n’ai pu trouver aucun précédent à l’appui de la proposition selon laquelle on peut déroger au sens clair d’un texte législatif s’il paraît aller à l’encontre de son programme ou de son but. Bien sûr, il en va autrement si le texte législatif n’est pas clair. Il est alors tout à fait approprié d’étudier le but et l’intention générale afin de choisir parmi les divers sens possibles celui qui paraît le plus conforme à l’intention générale. Mais lorsque, comme en l’espèce, le sens est clair, tous les précédents montrent qu’il faut adhérer au sens littéral. À mon avis, dans l’arrêt Inland Revenue Commissioners v. Hinchy[6], Lord Reid a bien énoncé la règle:
[TRADUCTION] Mais nous pouvons déterminer l’intention du Parlement uniquement en nous fondant sur les termes qu’il a employés dans la Loi; par conséquent, il s’agit de savoir si ces termes peuvent avoir un sens plus restreint. Si la réponse est non, nous devons les appliquer tels quels, quelque déraisonnables ou injustes que soient les conséquences, et quelle que soit la force de nos soupçons que ce n’était pas là l’intention réelle du Parlement.
Auparavant, Lord Atkinson avait dit ce qui suit dans l’arrêt City of Victoria v. Bishop of Vancouver Island[7]:
[TRADUCTION] Il faut interpréter les termes d’une loi selon leur sens grammatical ordinaire, à moins que quelque chose dans le contexte, dans l’objet de la loi ou dans les circonstances auxquelles ils se rapportent indique qu’ils sont employés dans un sens spécial différent de leur sens grammatical ordinaire. Dans l’arrêt Grey v. Pearson, (1857, 6 H.L.C. 61, 106), Lord Wensleydale dit: «J’ai toujours été profondément impressionné par la sagesse de la règle, qui est, je crois, actuellement adoptée par tout le monde, du moins par les tribunaux judiciaires de Westminster Hall, et selon laquelle, en interprétant les testaments, et de fait les lois et tous les documents, il faut adhérer
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au sens grammatical et ordinaire des mots, à moins que cela n’entraîne quelque absurdité, contradiction ou incompatibilité eu égard au reste du texte; dans ce dernier cas, on peut modifier le sens grammatical et ordinaire des mots de façon à éviter cette absurdité ou incompatibilité, mais uniquement dans cette mesure.» Lord Blackburn a cité ce passage en l’approuvant dans l’arrêt Caledonian Ry. Co. v. North British Ry. Co. (1881, 6 App. Cas. 114, 131), comme l’a également fait le maître des rôles Jessel dans Ex parte Walton (1881, 17 Ch. D. 746, 751).
Il existe un autre principe d’interprétation des lois qui s’applique particulièrement à cet article. Lord Esher l’énonce comme suit dans l’arrêt Reg. v. Judge of the City of London Court (1892, 1 Q.B. 273, 290): «Si les termes de la loi sont clairs, vous devez les appliquer même s’ils mènent à une absurdité manifeste. La cour n’a pas à décider si la législature a commis une absurdité. A mon avis, la règle a toujours été la suivante: — si les termes d’une loi admettent deux interprétations, ils ne sont pas clairs; et si l’une des interprétations mène à une absurdité et non pas l’autre, la cour conclura que la législature ne voulait pas créer cette absurdité et adoptera la seconde interprétation.» Dans l’arrêt Cooke v. Charles A. Vogeler Co. (1901, A.C. 102, 107), Lord Halsbury dit ce qui suit: «Mais les tribunaux judiciaires n’ont pas à se préoccuper du caractère raisonnable ou déraisonnable d’une disposition, sauf dans la mesure où cela peut les aider à interpréter ce que la législature a dit.» Ce qui veut nécessairement dire qu’à cette dernière fin il est légitime de prendre en considération le caractère raisonnable ou déraisonnable d’une disposition législative.
En ce qui concerne la décision que cette Cour a rendue dans l’arrêt Murphy c. Canadian Pacific Railway[8], il convient de faire les observations suivantes. Dans le tout premier paragraphe des motifs qu’il a rédigés au nom de la majorité, le Juge Locke dit ce qui suit, pp. 627-628:
[TRADUCTION] Il est dit, dans le jugement que le comité judiciaire a rendu dans l’affaire Citizens’ Insurance Company v. Parsons, (1881, 7 App. Cas. 96, p. 109, 51 L.J.P.C. 11), et il a été dit plusieurs fois depuis, qu’en s’acquittant du difficile devoir de trancher des questions relatives à l’interprétation des art. 91 et 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, il est sage de trancher chaque affaire qui se présente sans entrer plus avant dans l’interprétation
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de la loi qu’il n’est nécessaire pour trancher la question particulière à l’étude.
Dans cette cause-là, comme le mentionne le résumé de l’arrêtiste, «Le grain a été cultivé au Manitoba, mais on n’a pas donné à entendre qu’il avait été cultivé par le demandeur ou par la compagnie dont il était président et actionnaire majoritaire.» Par conséquent, la cour n’avait pas à considérer la situation qui se présente ici. C’est dans ce contexte qu’il faut lire la phrase suivante des motifs du Juge Locke, p. 631:
[TRADUCTION] Quant à la première question, il me semble que l’on ne saurait nier que la Loi sur la Commission canadienne du blé, dans la mesure où ses dispositions ont trait à l’exportation du grain à partir d’une province, aux fins de la vente, constitue une loi ayant trait à la réglementation du trafic et du commerce selon le sens qu’a cette expression à l’art. 91.
De toute façon, le fait que la constitutionnalité de la Loi a été assise sur un fondement déterminé ne peut pas être considéré comme voulant dire que c’est là le seul fondement possible, surtout lorsqu’on a pris soin de dire dès le début qu’on n’avait pas l’intention de pousser l’examen plus loin qu’il n’était nécessaire pour se prononcer sur l’affaire. Le fait qu’on a décidé que la Loi est valide à titre de loi concernant la réglementation du trafic et du commerce ne signifie pas qu’en ce qui concerne les dispositions relatives aux denrées ne faisant pas réellement l’objet d’un commerce, elle ne peut avoir d’autre fondement, par exemple, la restriction apportée à la compétence provinciale en matière de propriété et de droits civils par l’emploi de l’expression «dans la province», ou, peut-être, la conclusion que l’utilisation par le cultivateur de son propre grain à ses propres fins est visée par le terme «agriculture».
En la présente espèce, la constitutionnalité de la Loi n’est pas contestée et je ne peux souscrire à l’argument selon lequel sa portée doit être restreinte au fondement de compétence invoqué en cette Cour lorsqu’a voulu étayer sa validité relativement à une contestation particulière. Il est sans doute vrai que l’intention générale de la Loi est de réglementer le commerce interprovincial ou international du grain, mais
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cela ne veut pas dire que chaque disposition doit être interprétée comme portant uniquement sur les opérations visées par cette description. Si le Parlement avait voulu qu’il en soit ainsi, il aurait inséré une disposition générale à cet effet. Il ne l’a pas fait et par conséquent, on ne saurait présumer que c’est ce qu’il a voulu.
A mon avis, la Loi sur la Commission canadienne du blé devrait être interprétée de la même façon qu’a été interprétée, dans l’arrêt Canadian Warehousing Association c. La Reine[9], la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, une autre loi ayant trait au commerce. Cette Cour y a décidé à l’unanimité que les meubles de maison étaient des articles visés par la définition contenue dans la loi même s’il ne s’agissait pas de «denrées faisant l’objet d’un commerce» parce que, si le Parlement avait voulu que seules ces denrées soient visées, il l’aurait dit.
Dans le texte législatif à l’étude dans la présente espèce, il n’existe aucune ambiguïté, aucune exception, aucune restriction et par conséquent, il n’existe aucun motif valable de déroger au sens littéral.
Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les jugements de la Chambre d’appel de la Cour suprême de l’Alberta et de la Cour de district du District de l’Alberta du Sud, district judiciaire de Medicine Hat, et d’infirmer la décision du magistrat E.W.N. Macdonald qui a acquitté l’intimé, de déclarer l’intimé coupable de l’infraction imputée et de renvoyer l’affaire au magistrat aux fins de la sentence.
Appel rejeté, les JUGES JUBSON et PIGEON étant dissidents.
Procureur de l’appelante: Henry B. Monk, Winnipeg.
Procureurs de l’intimé: Halyk & Burlingham, Saskatoon.
[1] [1971] 2 W.W.R. 191, 3 C.C.C. (2d) 79, 18 D.L.R. (3d) 343.
[2] [1960] A.C. 748 à 767.
[3] (1956), 19 W.W.R. 57, 74 C.R.T.C. 166, 4 D.L.R. (2d) 443.
[4] [1958] R.C.S. 626, 19 W.W.R. 57, 15 D.L.R. (2d) 145.
[5] [1965] R.C.S. 798, 53 D.L.R. (2d) 532.
[6] [1960] A.C. 748 à 767.
[7] [1921] 2 A.C. 384 à 387-388, [1921] 3 W.W.R. 214, [1921], 59 D.L.R. 402.
[8] [1958] R.C.S. 626, 19 W.W.R. 57, 15 D.L.R. (2d) 145.
[9] [1969] R.C.S. 176, [1969] 3 C.C.C. 1, 1 D.L.R. (3d) 501.