Cour suprême du Canada
R. c. Drouin, [1973] R.C.S. 747
Date: 1972-12-22
Sa Majesté La Reine (Demanderesse) Appelante;
et
Alfredo et Nelson Drouin (Défendeurs) Intimés.
1972: le 6 novembre; 1972: le 22 décembre.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Ritchie, Hall et Pigeon.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de
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la reine, province de Québec[1], confirmant un jugement d’acquittement de la Cour des Sessions de la Paix. Appel rejeté.
F. Tremblay, pour la demanderesse, appelante.
René Letarte et Louise Simard, pour les défendeurs, intimés.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE EN CHEF — A l’issue de procès séparés en Cour des Sessions de la Paix, les deux frères Drouin ont été déclarés non coupables sur les accusations d’avoir volontairement mis le feu à un bâtiment, propriété de Laurent Veilleux, et d’avoir comploté à ces fins.
La Couronne appela dans chaque cause. Dans les deux cas, l’appel fut rejeté par une décision unanime de la Cour d’appel[2].
D’où le pourvoi à cette Cour.
C’est la prétention de l’appelante que la Cour d’appel a erré en droit (i) en ne statuant pas que le juge de première instance avait erronément écarté les aveux fait sous serment par les frères Drouin au cours de l’enquête devant le Commissaire des Incendies et (ii) en statuant que la présomption prescrite au Code criminel à l’art. 376 n’avait pas d’application en l’espèce.
Sur le premier grief: — Au cours de l’enquête, le juge de première instance a, sans procéder à un voir-dire et nonobstant l’objection de la défense, admis en preuve les notes sténographiques où sont rapportés les aveux faits sous serment par les frères Drouin devant le Commissaire des Incendies. D’autre part, au jugement prononçant l’acquittement, le juge a déclaré:
Je dois donc mettre de côté tous les aveux exprimés par l’accusé devant le Commissariat des Incendies parce qu’ils ne répondent pas aux exigences de déclaration volontaire, consciente, libre.
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Selon l’interprétation que lui donne la Couronne, cette déclaration signifie que le juge a répudié le jugement qu’il avait rendu sur l’admissibilité des aveux faits devant le Commissaire des Incendies et que pour ainsi mettre de côté ces aveux qui sont de nature judiciaire, il a appliqué les critères propres à l’admissibilité des aveux extra-judiciaires. Ainsi donc, poursuit‑on, le juge de première instance aurait violé le principe invariablement suivi depuis la décision du Comité Judiciaire du Conseil Privé dans La Reine v. Coote[3], voulant que les déclarations faites par une personne sous la contrainte d’une loi ne sont pas, du seul fait de cette contrainte, inadmissibles dans une procédure criminelle impliquant cette personne. Cf. Walker v. Le Roi[4]; Tass v. Le Roi[5]; Le Roi v. Mazerall[6]. La Cour d’appel a refusé à bon droit d’accepter cette interprétation. La question d’admissibilité d’une preuve et la question de la valeur probante de cette preuve une fois admise au dossier, sont deux questions différentes; la première étant une question de droit laissée au juge du droit et la seconde étant une question de fait du ressort des jurés ou du juge du fait selon le cas. On ne saurait prétendre, à mon avis, que le principe affirmé dans La Reine v. Coote (supra) — où, précisément, la validité de l’admission des aveux faits devant le Commissaire des Incendies était en question — fut méconnu par le juge. En témoigne suffisamment le fait qu’il a admis les aveux sans procéder à un voir-dire nonobstant l’objection de la défense. De plus, il ressort clairement que replacée dans le contexte du jugement, la déclaration reprochée se rattache non pas à l’admissibilité mais à la force probante de ces aveux, ce qui n’est pas une question de droit nous donnant juridiction mais une pure question de fait. J’écarterais donc ce grief comme étant non fondé.
Sur le second grief: — L’art. 376 du Code criminel, qui est aujourd’hui substantiellement dans les mêmes termes qu’il était au jour de l’infraction, édicté:
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376. Lorsqu’une personne est inculpée d’une infraction visée par l’article 374 ou 375, la preuve qu’elle est le détenteur ou le bénéficiaire désigné d’une police d’assurance‑incendie à l’égard des biens concernant lesquels il est allégué que l’infraction a été commise, fait preuve, en l’absence de toute preuve contraire et lorsque l’intention de frauder est essentielle, de l’intention de frauder.
En l’espèce, les intimés furent inculpés d’une infraction visée par l’art. 374(1)(a), soit d’avoir mis volontairement le feu à un bâtiment, et non à des biens mobiliers tel que le prévoit le paragraphe (2) du même article. Il suffit donc, pour rejeter le second grief, de constater que les accusés, bien qu’ils fussent détenteurs d’une police d’assurance-incendie à l’égard de certains biens mobiliers situés dans le bâtiment, n’étaient ni détenteurs ni bénéficiaires désignés d’une telle police à l’égard du bâtiment concernant lequel il est allégué que l’infraction a été commise. C’est donc à bon droit que la Cour d’appel a statué que la présomption légale édictée par l’art. 376 du Code criminel n’a pas d’application en l’espèce.
Pour ces raisons, je rejetterais l’appel.
Appel rejeté.
Procureur de la demanderesse, appelante: Louis Carrier, Québec.
Procureurs des défendeurs, intimés: Letarte & St-Hilaire, Québec.
[1] [1971] C.A. 426.
[2] [1971] C.A. 426.
[3] [1873] L.R. — 4 P.C. 599.
[4] [1939] R.C.S. 214.
[5] [1947] R.C.S. 103.
[6] (1946-7) 2 C.R. 261.