Cour suprême du Canada
R. c. Caouette, [1973] R.C.S. 859
Date: 1972-12-22
Sa Majesté la Reine (Demanderesse) Appelante;
et
Jean Caouette (Défendeur) Intimé.
1972: le 18 février; 1972: le 22 décembre.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC
APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant la condamnation de l’intimé pour meurtre non qualifié. Appel accueilli et condamnation inscrite sur verdict du jury rétablie, les Juges Martland, Hall, Spence et Laskin étant dissidents.
François Tremblay, pour la demanderesse, appelante.
Jacques Bouchard, pour le défendeur, intimé.
Le jugement du Juge en Chef Fauteux et des Juges Abbott, Judson et Pigeon a été rendu par
LE JUGE EN CHEF — L’intimé a été accusé et trouvé coupable, par un jury, présidé par M. le Juge Antoine Lacoursière, d’avoir le ou vers le 9 novembre 1968, en les cité et district de Québec, illégalement causé la mort de Albert Burran, commettant par là un meurtre.
Il appela de cette déclaration de culpabilité. La Cour d’appel, alors composée de M. le Juge en chef Tremblay et de MM. les Juges Casey, Taschereau, Montgomery et Rivard, accueillit cet appel par une décision majoritaire, annula la déclaration de culpabilité et acquitta l’accusé.
A l’encontre de cette décision, l’appelante logea à cette Cour un appel de plano basé sur la dissidence de MM. les Juges Casey et Taschereau et quelque temps après obtint la permission d’appeler sur toute question de droit.
Voici les faits essentiels établis au cours de la preuve apportée en poursuite. Le 8 novembre 1968, l’intimé Jean Caouette, Denis Daigle et Diane Lessard se sont tous trois réunis dans un appartement d’un motel sis en banlieue de la ville de Québec. Cet appartement fut loué par
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Caouette qui s’enregistra sous un nom fictif et donna un numéro fictif d’immatriculation de l’automobile alors utilisée. Caouette connaissait Daigle depuis plusieurs années et il connaissait aussi Diane Lessard. Les trois étaient à ce temps-là engagés à comploter pour commettre un vol par effraction dans la demeure d’une certaine Thérèse Grondin qui était connue de Caouette et de Diane Lessard. Ces deux derniers savaient que lorsque le soir entre 10 h. 30 et 11 h. 30, Thérèse Grondin quittait l’épicerie qu’elle exploitait sur la rue d’Aiguillon, elle apportait chez-elle, sur la rue de Repentigny, l’argent qu’elle avait encaissé durant la journée. Le vendredi, 8 novembre, Caouette et Daigle, ayant en vue de perpétrer ce soir-là le crime projeté et utilisant à ces fins une automobile volée, suivirent mademoiselle Grondin de son établissement de commerce jusqu’à sa résidence. Le projet, cependant, ne fut pas exécuté ce soir-là parce que Daigle ne se trouvait pas suffisamment renseigné pour pénétrer à l’intérieur de la maison. Le lendemain, samedi 9 novembre, vers 7 h. 30 du soir, les trois complices se dirigèrent, en utilisant cette fois un véhicule différent, vers la maison de Mlle Grondin pour mettre leur dessein à exécution. Il avait été convenu que Daigle serait celui qui pénétrerait à l’intérieur de la maison. Étant arrivés à une maison qu’ils croyaient être celle de Mlle Grondin, mais qui en réalité était la maison voisine où demeurait Albert Burran, Daigle descendit de la voiture et alla sonner à la porte principale. Voici, selon son témoignage, ce qui se passa à ce moment:
Q. Alors, lorsque vous êtes arrivés, qu’est-ce que vous avez fait lorsque vous êtes arrivés?
R. Pour se rassurer, nous avons …j’ai débarqué de la voiture, puis j’ai été sonner pour être sûr qu’il y avait personne à la maison, à l’intérieur.
Q. Oui?
R. Puis, un homme m’a adressé la parole, qui m’a répondu, de cette maison.
Q. Oui?
R. Ça fait qu’on pouvait pas savoir si c’était ses parents…
Selon la preuve, cet homme, c’était Burran. Et le témoignage continue:
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…
Q. Et pendant le temps que vous avez sonné à la porte, où était-il, lui, Jean Caouette?
R. En avant, à la porte, en avant, près du trottoir.
(Les italiques sont de moi.)
Pour expliquer sa visite à cette maison, Daigle demanda alors à Burran à voir une personne dont il imagina le nom. Puis, informé par ce dernier qu’il n’y avait là personne de ce nom, il se retira et rejoignit ses compagnons. Ainsi donc, Caouette et Daigle ont pu se rendre compte qu’il ne s’agissait pas là d’une maison où il n’y avait personne. Après avoir tourné en automobile dans le quartier pendant environ trois-quarts d’heure, les trois conspirateurs revinrent à la même maison. Daigle descendit du véhicule et pénétra à l’intérieur en forçant une fenêtre à l’étage supérieur. Pendant ce temps, les deux autres faisaient le guet, circulaient dans le quadrilatère et s’apprêtaient à reprendre leur compagnon au moment opportun. Daigle, ayant fouillé l’étage supérieur de la maison et n’y ayant pas trouvé d’argent, décida d’aller à l’étage inférieur. C’est alors qu’il sortit de sa ceinture une arme de calibre 22 à canon tronçonné chargée de balles et qu’il descendit l’escalier, arme en main. Arrrivé au plancher de l’étage inférieur, une tuile craqua sous ses pas; il s’arrêta un moment, s’avança dans un petit passage adjacent et se trouva soudainement face à face avec l’occupant, M. Burran, qui entreprit de se défendre. Daigle lui infligea plusieurs lésions corporelles, le frappa plusieurs fois à la tête avec la crosse de son arme et Burran, qui reçut une balle de calibre 22 dans l’abdomen, décéda quelques jours après. Ayant enfin réussi à se dégager, Daigle s’enfuit pour rejoindre Caouette. Daigle rapporte ainsi la conversation qu’il eut avec ce dernier une fois monté dans le véhicule:
Q. Et là, est-ce que vous avez parlé avec Caouette, est-ce qu’il s’est dit quelque chose entre Caouette et vous?
R. Je crois que, un peu plus tard, je lui ai dit que l’homme avait été blessé.
(L’italique est de moi.)
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L’homme auquel référait Daigle était évidemment Burran que lui et Caouette venaient de voir lorsqu’il était allé sonner à la porte.
Caouette, Daigle et Diane Lessard retournèrent au motel. Le lundi suivant, 11 novembre, les agents de la Sûreté du Québec se rendirent au motel où ils arrêtèrent les trois complices et trouvèrent, parmi les effets de Caouette, une boite de balles de calibre 22 — soit de même calibre que l’arme qui avait servi au crime et que Daigle avait abandonnée à la résidence de la victime. Cette arme était la propriété conjointe de Caouette et de Daigle.
Tels sont les faits essentiels établis par la preuve. Caouette n’a pas témoigné et n’a produit aucun témoin en défense.
En droit: —
Les dispositions suivantes de l’art. 202 reçoivent ici leur application:
202. L’homicide coupable est un meurtre lorsqu’une personne cause la mort d’un être humain pendant qu’elle commet ou tente de commettre… un vol qualifié, un vol avec effraction…, qu’elle ait ou non l’intention de causer la mort d’un être humain et qu’elle sache ou non qu’il en résultera vraisemblablement la mort d’un être humain
a) si elle a l’intention de causer des lésions corporelles aux fins
(i) de faciliter la perpétration de l’infraction, ou
(ii) de faciliter sa fuite après avoir commis ou tenté de commettre l’infraction,
et que la mort résulte des lésions corporelles;
…
d) si elle emploie une arme ou l’a sur sa personne
(i) pendant ou alors qu’elle commet ou tente de commettre l’infraction, ou
(ii) au cours ou au moment de sa fuite après avoir commis ou tenté de commettre l’infraction,
et que la mort en soit la conséquence.
Personne ne conteste que Daigle s’est rendu coupable de l’infraction de meurtre. Son propre témoignage en est l’aveu. Il avait sur sa personne une arme à canon tronçonné et chargée. Il s’en est saisi et l’avait en main en descendant l’escalier. Il a infligé des lésions corporelles à Burran et s’est servi de cette arme pour disposer
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de l’obstacle que ce dernier présentait à la perpétration do vol ou à sa fuite. Aussi bien a-t-il, selon son propre témoignage, commis le meurtre tel que défini à l’alinéa a) de l’art. 202, aussi bien que tel que défini à l’alinéa d) du même article.
Le cas de Caouette est régi par ces dispositions de l’art. 202 et celles du deuxième paragraphe de l’art. 21 qui édicte:
21. (1) …
(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s’y entraider et que l’une d’entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d’elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction, est partie à cette infraction.
(Les italiques sont de moi.)
Dans The Queen v. Trinneer[2], cette Cour a statué sur la portée de l’art. 21(2) dans le cas d’une accusation de meurtre basée sur l’art. 202. Parlant au nom de tous les membres de cette Cour, M. le Juge en chef Cartwright déclara ce qui suit aux pages 644 et 645:
Si l’intimé aurait dû savoir qu’il était probable que des lésions corporelles seraient infligées à la victime pour faciliter l’exécution du vol qualifié, alors il n’était pas nécessaire que la poursuite établisse qu’il aurait dû prévoir que la mort de la victime en résulterait vraisemblablement. L’infraction visée par l’article 21(2) (c’est-à-dire le meurtre défini à l’art. 202a) et/ou d)) a été commise lorsque Frank a infligé des lésions corporelles à la victime aux fins de faciliter le vol qualifié ou la fuite. La nature de l’infraction a été déterminée lorsque la mort en est résultée.
En l’espèce, les jurés devaient donc décider s’ils pouvaient raisonnablement déduire des faits prouvés et au surplus, non contredits et inexpliqués par lui ou autres personnes, que Caouette savait ou devait savoir non seulement que Daigle aurait avec lui et utiliserait au besoin l’arme dont ils étaient co-propriétaires, pendant ou alors qu’il commettrait ou tenterait de commettre ce vol, ou au cours ou au moment de sa fuite après l’avoir commis ou tenté de le commettre, mais aussi que Caouette savait ou devait
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savoir qu’au besoin, Daigle causerait des blessures corporelles par quelque moyen que ce soit, pour faciliter la perpétration de ce vol ou sa fuite.
Sûrement ne manqueraient pas de réalisme les jurés qui assigneraient à l’association de Daigle et Caouette le caractère incriminant qui s’attache, dans les circonstances, à leur co‑propriété de cette arme tronçonnée et qui croiraient que ce n’est pas à l’insu de son complice mais d’acord avec lui que Daigle aux fins de l’exécution de leur commune intention, avait emporté sur lui cette arme chargée de balles de même calibre que les balles trouvées parmi les effets personnels de Caouette et que, de toute façon, ce dernier savait ou devait savoir qu’au besoin, Daigle aurait recours à la violence pour faciliter sa fuite.
Aussi bien, je dirais, en tout respect pour l’opinion contraire, qu’une réponse affirmative aux questions ci-dessus est non seulement raisonnable mais irrésistible et que le verdict auquel les jurés se sont arrêtés est amplement justifié.
Par ailleurs, et à mon avis, ne saurait être accueillie la prétention de l’intimé qu’il n’y a aucune question de droit sur laquelle un juge de la Cour d’appel est dissident et que, pour cette raison, cette Cour est sans juridiction pour reviser le jugement a quo.
Je dirais d’abord que l’absence et non la suffisance de preuve, sur la question de savoir si Caouette savait que Daigle était armé, est le point sur lequel les juges de la Cour d’appel se sont divisés. Les juges de la majorité ont clairement déclaré qu’aucune preuve n’indiquait cette connaissance, alors que les juges de la minorité ont exprimé l’avis contraire et auraient, pour leur part, rejeté l’appel et confirmé le verdict des jurés. En attestent les textes ci-après des motifs de M. le Juge Rivard — auxquels M. le Juge en chef Tremblay donna son accord — et ceux de M. le Juge Montgomery qui a formulé ses propres vues. Référant au témoignage de Daigle, M. le Juge Rivard déclare ce qui suit:
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J’ai lu et relu son témoignage, et le savant procureur de la Défense a raison d’affirmer que rien dans les réponses qu’il a données ne peut permettre de conclure que Caouette savait que Daigle était armé.
…
Mais rien dans la preuve n’indique que Caouette savait que Daigle avait chargé l’arme en question ou avait apporté avec lui des balles.
De son côté, M. le Juge Montgomery, après avoir dit au début de ses motifs «I agree with my colleague Mr. Justice Rivard that we should maintain this appeal» — ce qui réfère à la conclusion et non aux motifs tels que formulés par son collègue — termine en disant:
[TRADUCTION] A mon avis, il n’y avait pas de preuve de connaissance à soumettre au jury. Par conséquent, je conviens que l’appel doit être accueilli et que l’appelant doit être acquitté.
(Les italiques sont de moi.)
Ces vues de M. le Juge Rivard et sûrement celles de M. le Juge Montgomery sont en termes clairs. Il n’y a pas lieu d’interpréter ces termes qui doivent recevoir le sens ordinaire et la portée qui leur est propre. Point n’est besoin de citer d’autorités pour réitérer que l’absence de preuve constitue une question de droit. Il y a donc dissidence donnant juridiction à cette Cour suivant les dispositions de l’art. 598(1)a) C. Cr.:
598. (1) Lorsqu’un jugement d’une cour d’appel annule une déclaration de culpabilité par suite d’un appel interjeté aux termes de l’article 583 ou 583A ou rejette un appel interjeté aux termes de l’alinéa a) du paragraphe (1) ou du paragraphe (3) de l’article 584, le procureur général peut interjeter appel devant la Cour suprême du Canada
a) sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident, ou
A ce qui précède, il faut ajouter que cette Cour a aussi juridiction en vertu des dispositions suivantes de l’art. 598(1)b) C. Cr.:
b) sur toute question de droit, si l’autorisation d’appel est accordée par la Cour suprême du Canada dans un délai…
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Comme déjà indiqué, une permission d’appeler sur toute question de droit a été accordée à l’appelante. La preuve au dossier exigeait que la Cour d’appel considère l’application des dispositions de l’alinéa a) de l’art. 202 qui décrivent un autre mode selon lequel l’infraction prévue peut être commise, aussi bien que l’application des dispositions de l’alinéa d) du même article. Ainsi donc, même si l’on était d’avis qu’il y avait absence ou insuffisance de preuve sur la question de savoir si Caouette savait que Daigle était armé, on ne pouvait écarter le verdict des jurés et conclure à l’acquittement de l’intimé avant de considérer la question de savoir si la preuve permettait aux jurés de conclure — comme l’implique leur verdict — que Caouette savait ou devait savoir que, au besoin, son complice aurait recours à la violence et causerait des lésions corporelles, par quelque moyen que ce soit, pour faciliter l’exécution de leur commune intention ou, à tout le moins, pour faciliter sa fuite après avoir commis ou tenté de commettre ce vol qualifié. On a omis de considérer cette question et cette omission entache en droit le fondement juridique du dispositif du jugement a quo.
Pour ces raisons, j’accueillerais le pourvoi, infirmerais le jugement de la Cour d’appel et, jugeant sans fondement les griefs soulevés par l’intimé en Cour d’appel et par lui virtuellement non plaidés en cette Cour, d’accord avec les Juges Casey et Taschereau, je rétablirais le verdict des jurés, ainsi que notre autorité de ce faire a été notamment reconnue dans Sa Majesté la Reine c. McKay[3]; Sa Majesté la Reine c. Borg[4].
LE JUGE MARTLAND (dissident) — Je souscris aux motifs de mon collègue le Juge Spence; je désire uniquement ajouter les commentaires suivants.
Pour que l’intimé puisse être déclaré coupable de meurtre non qualifié en vertu du par. (2) de l’art. 21 du Code criminel, la Couronne était tenue d’établir, hors de tout doute raisonnable,
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que l’intimé savait ou aurait dû savoir que la commission de l’infraction de meurtre serait une conséquence probable de la réalisation par Daigle de leur objectif commun, soit le vol avec effraction. L’infraction de meurtre a été commise par Daigle vu l’application aux faits de l’espèce des alinéas a) et d) de l’art. 202 (actuellement l’art. 213) du Code criminel, qui édicte ce qui suit:
213. L’homicide coupable est un meurtre lorsqu’une personne cause la mort d’un être humain pendant qu’elle commet ou tente de commettre une trahison ou une infraction mentionnée à l’article 52, une piraterie, l’évasion ou la délivrance de prison ou d’une garde légale, la résistance à une arrestation légale, un viol, un attentat à la pudeur, un rapt, un vol qualifié, un vol avec effraction ou le crime d’incendie, qu’elle ait ou non l’intention de causer la mort d’un être humain et qu’elle sache ou non qu’il en résultera vraisemblablement la mort d’un être humain
a) si elle a l’intention de causer des lésions corporelles aux fins
(i) pendant ou alors qu’elle commet ou tente de
(ii) au cours ou au moment de sa fuite après avoir tenté de commettre l’infraction,
et que la mort résulte des lésions corporelles;
…
d) si elle emploie une arme ou l’a sur sa personne
(i) pendant ou alors qu’elle commet ou tente de commettre l’infraction, ou
(ii) au cours ou au moment de sa fuite après avoir commis ou tenté de commettre l’infraction,
et que la mort en soit la conséquence.
Eu égard aux faits de la présente cause, les lésions corporelles qui ont causé la mort découlent de l’emploi par Daigle de l’arme qu’il avait sur sa personne. En se prononçant sur la responsabilité criminelle de l’intimé en vertu du paragraphe (1) de l’art. 21 du Code criminel, le savant juge de première instance était d’avis que la question fondamentale était celle de savoir. s’il savait ou aurait dû savoir que Daigle était armé au moment où il est entré dans la maison, en vue de commettre l’infraction de vol avec effraction. Dans ses directives au jury, il a dit:
Et pour cela, évidemment, il y a une question à vous poser, la question excessivement importante, et c’est, à mon point de vue, la question la plus impor-
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tante pour que vous puissiez rendre votre jugement: est-ce que Caouette savait ou devait savoir que Daigle avait une arme lorsqu’il est entré dans la maison? Parce qu’évidemment s’il n’avait pas su que Daigle avait une arme, l’on ne peut pas dire qu’il pouvait trouver probable que la mort de quelqu’un pouvait s’ensuivre.
Puis, après avoir parlé de la question des preuves directe et indirecte, il a dit:
Est-il raisonnable de croire qu’il ne savait pas que Daigle était armé lorsqu’il est entré dans la maison de monsieur Burran? C’est la question, et vous devez être capables d’y répondre, pour trouver l’accusé coupable, être capables d’y répondre, hors de tout doute raisonnable. Ceci m’amène à vous parler du doute raisonnable.
Eu égard à cette directive, il est clair qu’en concluant que l’intimé était coupable de meurtre non qualifié, le jury s’est senti convaincu, hors de tout doute raisonnable, que l’intimé savait, ou aurait dû savoir, que Daigle était armé lorsqu’il a pénétré dans la maison.
La Cour d’appel avait le pouvoir, en vertu de l’art. 592 (actuellement l’art. 613), lors de l’appel que l’intimé avait porté contre sa condamnation, d’accueillir l’appel si elle était d’avis que le verdict devait être rejeté pour le motif qu’il ne pouvait pas s’appuyer sur la preuve. La Cour s’est penchée sur la question qui a été présentée au jury et s’est demandée si la conclusion que l’intimé savait, ou aurait dû savoir, que Daigle était armé lorsqu’il est entré dans la maison, pouvait s’appuyer sur la preuve. La majorité a décidé que tel n’était pas le cas.
Le Juge d’appel Rivard a considéré la preuve directe présentée par Daigle et les agents de la paix, et a dit:
J’ai lu et relu son témoignage, et le savant procureur de la Défense a raison d’affirmer que rien dans les réponses qu’il a données ne peut permettre de conclure que Caouette savait que Daigle était armé.
…
Il est exact de dire que suivant le témoignage des agents de la Sûreté, ces derniers affirment qu’ils ont trouvé une ou deux boîtes de balles dans le motel n° 15, parmi les effets de Caouette (D.C. p. 129). Mais
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rien dans la preuve n’indique que Caouette savait que Daigle avait chargé l’arme en question ou avait apporté avec lui des balles.
Puis il a parlé de la preuve indirecte et dit ce qui suit:
Pour prouver l’élément essentiel de la culpabilité de Caouette, nous n’avons en somme qu’une preuve de circonstances qui, suivant les règles bien connues, ne peuvent conduire à un verdict incriminant que si aucune autre déduction que la culpabilité de l’appelant peut être faite.
Je ne crois pas que la preuve de la Couronne rencontre ces exigences. Il est impératif que pour trouver quelqu’un coupable du crime commis par un autre, il soit nécessaire de satisfaire à toutes les conditions posées par la loi.
Sa conclusion est la suivante:
L’association de Daigle, de Diane Lessard et de Caouette établit hors de tout doute leur intention de commettre le crime de vol avec effraction. Leurs agissements avant le crime, et dans les jours qui ont suivi, s’expliquent sans qu’il soit nécessaire de conclure que Caouette savait ou devait savoir qu’en pénétrant par effraction dans la demeure de Mlle Grondin, en son absence, il était probable que l’on utiliserait la violence de façon à tuer ou à blesser quelqu’un.
Pour ce motif, j’accueillerais l’appel, et j’acquitterais l’appelant.
Le Juge d’appel Montgomery en est venu à une conclusion semblable et a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Pour conclure que l’appelant était coupable de meurtre, la Couronne devait établir hors de tout doute raisonnable qu’il savait ou aurait dû savoir que la réalisation de l’intention commune d’entrer par effraction aurait pour conséquence probable la perpétration de l’infraction de meurtre (par. (2) de l’art. 21, Code criminel). Je ne vois pas pourquoi il faudrait présumer qu’il aurait dû savoir que c’était là une conséquence probable à moins qu’il ait su que Daigle était armé. A ce sujet, il n’existe aucune preuve directe. La Couronne avait comme témoin Daigle, qui semble avoir été franc et disposé à coopérer, cependant aucune question ne lui a été posée en vue d’établir que l’appelant savait que Daigle portait une arme à feu. Tout ce que nous avons à notre disposition, c’est le témoignage de Daigle que l’arme leur appartenait conjointement et la preuve que les balles, que Daigle s’était procurées, ont été trouvées
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deux jours plus tard parmi les effets de l’appelant, dans la chambre de motel qu’ils occupaient tous deux. Ces circonstances peuvent soulever des soupçons, mais je ne crois pas qu’elles constituent une preuve.
A mon avis, il n’existait aucune preuve de connaissance à soumettre au jury. Par conséquent, je conviens que l’appel doit être accueilli et que l’appelant doit être acquitté.
Le Juge en chef Tremblay a souscrit à l’avis du Juge d’appel Rivard. Les Juges d’appel Casey et Taschereau se sont prononcés sur exactement la même question pour en arriver à une conclusion contraire, c’est-à-dire, qu’il existait une preuve suffisante permettant de conclure que l’intimé savait, ou aurait dû savoir, que Daigle était armé lorsqu’il est entré dans la maison.
Dans ces circonstances, je suis d’avis que la Cour d’appel en est arrivée à une décision qui n’est pas sujette à un appel devant cette Cour. Il est reconnu que le Juge d’appel Montgomery a fait la déclaration que: [TRADUCTION] «il n’existait aucune preuve de connaisance à soumettre au jury», mais, à mon avis, la décision par un juge de la Cour d’appel, à l’occasion de l’appel porté par le prévenu contre sa condamnation, qu’il n’existe aucune preuve à soumettre au jury, doit nécessairement vouloir également dire qu’il a conclu que le verdic du jury ne peut pas s’appuyer sur la preuve. Il est vrai que la conclusion qu’il n’existe aucune preuve est une conclusion sur une question de droit, qui pourrait servir de fondement à un appel, mais une conclusion tirée relativement à la suffisance de la preuve est une conclusion de fait, ou une conclusion mixte de droit et de fait, contre laquelle il est impossible d’interjeter appel à cette Cour.
Dans l’arrêt La Reine c. Warner[5], il a été décidé que la conclusion tirée par une Cour d’appel au sujet de l’insuffisance de la preuve, à l’occasion d’un appel contre une condamnation, est une conclusion de fait, ou une conclusion mixte de droit et de fait, et n’est pas sujette à un appel devant cette Cour. Il a également été
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décidé que lorsque pareille conclusion a été tirée, il importe peu que d’autres motifs sur lesquels s’est fondée la Cour d’appel soulèvent des questions de droit.
S’il doit être décidé que parce que l’un des juges formant la majorité a déclaré qu’il n’existait aucune preuve à soumettre au jury, une question de droit dont cette Cour peut être saisie se trouve soulevée, la situation résultante est anormale. La question de droit est la suivante: «Existe-t-il une preuve à soumettre au jury?» La réponse à cette question est qu’il existe une preuve ou qu’il n’en existe pas. Si la première conclusion est tirée, il est alors nécessaire, avant de rétablir la condamnation, de conclure qu’il existe une preuve suffisante à l’appui de celle-ci. Mais la question de la suffisance de la preuve relève de la Cour d’appel, en vertu de l’art. 613 du Code.
C’est cette question même que la Cour d’appel a examinée en l’espèce. Sur ce point précis, les deux juges dissidents n’ont pas souscrit à l’avis de la majorité. Pour ce motif, la présente cause diffère de l’affaire La Reine c. McKay[6]. Dans cette cause-là, la Courronne pouvait porter un appel de plein droit, parce que, en Cour d’appel, le juge dissident avait exprimé sa dissidence à l’encontre de la majorité sur une question de droit, la majorité ayant décidé qu’il n’existait aucune preuve impliquant le prévenu à soumettre au jury. En cette Cour, il fut décidé que le juge dissident avait raison et que cette Cour, étant saisie de l’appel, pouvait accorder le redressement que la Cour d’appel aurait dû accorder; soit, rétablir la condamnation.
En la présente espèce, à mon avis, aucun appel ne pouvait être porté de plein droit, parce qu’il n’y avait pas dissidence sur une question de droit. L’autorisation d’interjeter appel a été accordée, mais, à mon avis, cette Cour ne peut pas, en accordant l’autorisation d’interjeter appel, devenir compétente pour se prononcer sur la question de la suffisance de la preuve lorsque la Cour d’appel en est elle-même venue
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à la conclusion que la preuve n’était pas suffisante pour justifier la condamnation. C’est la situation qui s’était présentée dans l’affaire Warner. L’autorisation d’interjeter appel avait été accordée, mais cette Cour a par la suite décidé, lorsqu’elle a entendu l’appel, que la conclusion de la Chambre d’appel selon laquelle la preuve n’était pas suffisante pour justifier la condamnation n’était sujette à aucun appel devant cette Cour, et l’appel a été rejeté.
A mon avis, suivant l’arrêt Warner, la Cour d’appel ayant tiré une conclusion sur une question de fait, ou sur une question mixte de droit et de fait, aucun appel ne peut être interjeté devant cette Cour, à moins qu’il puisse être démontré que la Cour d’appel a tiré cette conclusion par suite d’une erreur de droit. En la présente espèce, à mon avis, le Juge d’appel Montgomery a bien défini ce qui devait en droit être établi pour conclure que l’intimé était coupable de meurtre non qualifié, étant donné la décision que cette Cour a rendue dans l’affaire La Reine c. Trinneer[7]. Le Juge d’appel Rivard a expressément mentionné cette cause, et, à mon avis, il a bien exposé son application.
Je suis d’avis de rejeter l’appel.
LE JUGE RITCHIE — Étant donné que j’accepte l’interprétation qu’a donnée le Juge en chef de cette Cour aux termes employés en Cour d’appel par M. le Juge Rivard, à l’avis de qui le Juge en chef Tremblay souscrivait, et compte tenu de l’avis exprimé par M. le Juge d’appel Montgomery, je me sens obligé de conclure que la majorité de la Cour d’appel a accueilli l’appel de l’intimé pour le motif qu’aucune preuve n’impliquait Caouette comme complice du crime de meurtre, au sens des art. 21 et 202 du Code criminel, suivant l’interprétation donnée à ces articles en cette Cour dans l’arrêt La Reine c. Trinneer[8].
Comme il me parait y avoir au moins une certaine preuve en ce sens, je déciderais l’affaire comme l’a proposé le Juge en chef.
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Le jugement des Juges Hall et Spence a été rendu par
LE JUGE SPENCE (dissident) — La Couronne a interjeté le présent appel contre le jugement rendu le 14 janvier 1971 par la Cour d’appel du Québec, qui accueillait, par une décision majoritaire, l’appel de l’intimé contre la déclaration de culpabilité que la Cour du banc de la reine avait prononcée contre lui le 26 mai 1969 à l’égard d’une accusation de meurtre non qualifié. L’intimé a déposé à la Cour d’appel un avis d’appel de plein droit, dans lequel il demandait également l’autorisation d’appeler sur des questions de fait. Le paragraphe 8 de ce document, qui, comme je l’ai dit, est à la fois un avis d’appel et une requête en vue d’obtenir l’autorisation d’appeler, se lit comme suit:
La preuve du Ministère Public est insuffisante pour motiver le jugement de culpabilité et les lacunes qu’elle contient font que ledit jugement est déraisonnable, tant en fait qu’en droit.
La Couronne a allégué que l’intimé avait comploté avec un certain Denis Daigle et une certaine Diane Lessard en vue de s’introduire par effraction chez Mlle Thérèse Grondin et d’y voler les recettes de son commerce d’épicerie qu’elle avait, croyaient-ils, apportées chez elle la veille au soir. L’intimé a conduit Daigle à la résidence des conspirateurs; Daigle s’y est introduit par une fenêtre du premier, a cherché l’argent et, ne le trouvant pas, commençait à descendre l’escalier lorsqu’il s’est trouvé face à face avec le colonel Burran, chez qui il s’était introduit par erreur; les deux hommes en sont venus aux mains, Daigle a sorti de sa ceinture une carabine a canon tronçonné de calibre 22 et a tiré sur le colonel, lui infligeant des blessures qui ont entraîné la mort. En appliquant les art. 202 et 21(2), il était donc essentiel de déterminer si l’intimé savait ou aurait dû savoir que le cambriolage aurait pour conséquence probable la commission d’un meurtre non qualifié. A cet égard, la Cour d’appel du Québec a conclu qu’il fallait d’abord se demander si l’intimé savait que Daigle était armé au moment de l’effraction. MM. les Juges Casey et Taschereau ont exposé les motifs pour lesquels ils auraient rejeté l’ap-
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pel du présent intimé Caouette. M. le Juge Rivard, à l’avis duquel souscrivait M. le Juge en chef, a exposé ses motifs d’accueillir l’appel. M. le Juge Montgomery a souscrit à ce dernier avis et a donné d’autres motifs d’accueillir l’appel.
Bien que ce soit dans les dissidences du Juge Casey ou du Juge Taschereau que doive se trouver la dissidence quant à une question de droit sur laquelle la Couronne a le droit d’en appeler devant cette Cour sans autorisation, en vertu de l’art. 598(1)a), maintenant S.R.C. 1970, c. C-34, art. 621(1)a), du Code criminel j’examinerai d’abord les motifs qui ont été donnés au nom de la majorité, étant donné que la Couronne a obtenu «de bene esse» l’autorisation d’en appeler devant cette Cour.
Dans ses motifs, M. le Juge Rivard dit:
Le premier motif d’appel invoqué par l’appelant à l’encontre de ce verdict est que la preuve offerte par le Ministère Public ne peut raisonnablement justifier ni soutenir le verdict de culpabilité prononcé contre l’appelant.
Plus loin, il ajoute:
L’appelant soumet qu’il n’y a au dossier aucune preuve qui pourrait permettre de déduire raisonnablement que dans la poursuite de la fin illégale de l’entraide qu’ils se donnaient pour commettre le vol par effraction, Caouette savait ou devait savoir que la réalisation de l’intention commune, soit la perpétration du vol par effraction, dans la maison inhabitée de Mlle Grondin, aurait pour conséquence l’usage de la violence contre une personne.
La preuve de l’infraction est faite presque exclusivement par le témoignage de Denis Daigle, complice de Caouette, pour la perpétration du vol avec effraction. Il prétend que l’arme dont il s’est servi était la propriété de lui-même et de Caouette. Mais il ne dit nulle part que Caouette savait qu’il avait cette arme avec lui lors du crime ou lors de sa préparation.
J’ai lu et relu son témoignage, et le savant procureur de la Défense a raison d’affirmer que rien dans les réponses qu’il a données ne peut permettre de conclure que Caouette savait que Daigle était armé.
Cette arme que l’on a retrouvée brisée, dans la demeure de Burran, n’est pas d’un volume considérable. Comme question de fait, Daigle la portait dans sa ceinture pour faire feu sur Burran.
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Il est exact de dire que suivant le témoignage des agents de la Sûreté, ces derniers affirment qu’ils ont trouvé une ou deux boites de balles dans le motel n° 15, parmi les effets de Caouette (D.C. p. 129). Mais rien dans la preuve n’indique que Caouette savait que Daigle avait chargé l’arme en question ou avait apporté avec lui des balles.
Pour prouver l’élément essentiel de la culpabilité de Caouette, nous n’avons en somme qu’une preuve de circonstances qui, suivant les règles bien connues, ne peuvent conduire à un verdict incriminant que si aucune autre déduction que la culpabilité de l’appelant peut être faite.
Je ne crois pas que la preuve de la Couronne rencontre ces exigences. Il est impératif que pour trouver quelqu’un coupable du crime commis par un autre, il soit nécessaire de satisfaire à toutes les conditions posées par la loi.
Il conclut:
L’association de Daigle, de Diane Lessard et de Caouette établit hors de tout doute leur intention de commettre le crime de vol avec effraction. Leurs agissements avant le crime, et dans les jours qui ont suivi, s’expliquent sans qu’il soit nécessaire de conclure que Caouette savait ou devait savoir qu’en pénétrant par effraction dans la demeure de Mlle Grondin, en son absence, il était probable que l’on utiliserait la violence de façon à tuer ou à blesser quelqu’un.
Pour ce motif, j’accueillerais l’appel, et j’acquitterais l’appelant.
M. le Juge Rivard n’invoque l’absence de preuve à l’appui de la déclaration de culpabilité dans aucun de ces extraits. Par contre, dans chacun de ceux-ci, le savant juge d’appel discute de la suffisance de la preuve.
En exprimant brièvement ses motifs concordants, M. le Juge Montgomery mentionne des faits qui avaient été avancés en preuve pour montrer que l’intimé savait que Daigle était armé, et il conclut:
[TRADUCTION] Ces circonstances peuvent soulever des soupçons, mais je ne crois pas qu’elles constituent une preuve.
Bien que M. le Juge Montgomery ait terminé en disant
[TRADUCTION] A mon avis, il n’y avait aucune preuve de connaissance à soumettre au jury.
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(C’est moi qui ai mis un mot en italique.)
Je suis d’avis que dans ces motifs, il a voulu déterminer, comme M. le Juge Rivard, si la preuve était suffisante pour fonder le verdict.
Dans ses motifs, également courts, M. le Juge Casey se reporte lui aussi aux faits avancés par la Couronne à l’appui de sa prétention que l’intimé savait que Daigle était armé, et leur reconnaît une force probante à cet effet. A mon avis, il est clair qu’il cherchait à apprécier la suffisance de la preuve. M. le Juge Taschereau a adopté un raisonnement presque identique à celui de M. le Juge Casey.
Par conséquent, j’en suis venu à la conclusion que ce n’est pas sur la question de l’existence d’une preuve justifiant la déclaration de culpabilité, mais plutôt sur la question de la suffisance de cette preuve que les cinq savants juges d’appel ont considéré qu’il fallait décider l’appel, ce que leur permettait de faire l’art. 592(1)a)(i) (maintenant S.R.C. 1970, c. C-34, art. 613(1)a)(i)) du Code criminel.
Comme je l’ai signalé, le droit de la Couronne d’interjeter appel à cette Cour sans autorisation, sur une question au sujet de laquelle un juge est dissident, en vertu de l’art. 598(1)a), ou avec autorisation, en vertu de l’art. 598(1)b), porte sur une question de droit. L’existence ou l’inexistence d’une preuve quelconque susceptible de fonder un verdict est une question de droit. La question de la suffisance de la preuve sur laquelle on cherche à fonder un verdict n’est pas une question de droit mais une question de fait ou, tout au plus, une question mixte de droit et de fait. Dans l’affaire La Reine c. Warner[9], cette Cour a examiné un appel d’un jugement dans lequel le Juge en chef de la Cour d’où l’appel était interjeté avait dit:
[TRADUCTION] Je suis fermement d’avis que la preuve ne peut étayer le verdict de meurtre. Mais je crois de mon devoir d’aller plus loin et d’exposer d’autres motifs d’écarter la condamnation.
Le Juge en chef Kerwin a dit, p. 147:
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[TRADUCTION] La première phrase, comme je la lis, signifie que le Juge en chef estime que la preuve n’était pas suffisante pour étayer une condamnation, — et ceci est une question de fait…
Il a été déclaré que nous avions compétence, mais un examen plus poussé a convaincu la majorité de la Cour que ce n’est pas le cas.
Le Juge Cartwright, alors juge puîné, a dit, pp. 149-150:
[TRADUCTION] Pour autant que l’arrêt de la Chambre d’appel se fonde sur le premier motif mentionné, cette Cour n’a pas le droit de réformer sa décision. La question de savoir si la Chambre d’appel a eu raison d’invoquer ce motif n’est pas une question de droit au sens strict du mot. C’est une question de fait ou, au mieux, du point de vue de l’appelant, une question mixte de fait et de droit.
…
A la lecture de l’ensemble des motifs, je suis convaincu que la Chambre d’appel a exercé les pouvoirs qui étaient siens en vertu de l’art. 592(1)a)(i) et infirmé le verdict pour le motif qu’à son avis, ce verdict ne pouvait pas s’appuyer sur la preuve.
MM. les Juges Taschereau et Abbott partageaient l’avis du Juge en chef Kerwin et du Juge Cartwright. Dans ses motifs concordants, M. le Juge Ritchie dit, pp. 162-3:
[TRADUCTION] Si la chambre d’appel a commis une erreur en concluant à l’existence de ce doute, c’est là une erreur de fait qui a nécessairement entraîné d’autres erreurs, entre autres, la conclusion que l’art. 202 est le seul article en vertu duquel le jury pouvait déclarer le prévenu coupable de meurtre. Cette dernière conclusion découle directement de la première; par conséquent, je suis d’avis que l’erreur, si erreur il y a, soulève une question mixte de fait et de droit, et, à ce titre, ne constitue pas un motif valable d’appel à cette Cour (voir Le Roi c. Décary, [1942] R.C.S. 80, p. 83, 2 D.L.R. 401.)
Par conséquent, je suis d’avis que dans le présent appel, comme dans l’affaire Le Roi c. Warner, la Couronne veut en appeler sur une question de fait ou sur une question mixte de droit et de fait.
C’est pourquoi je suis d’avis de rejeter l’appel pour le motif que cette Cour n’est pas compétente pour examiner la question.
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LE JUGE LASKIN (dissident) — La question fondamentale qui se pose dans le présent appel, porté par la Couronne contre l’acquittement du prévenu prononcé par la Cour d’appel du Québec sur une accusation de meurtre non qualifié, est celle de savoir si cette Cour est compétente pour entendre l’appel. La Cour d’appel du Québec, par une simple majorité, a infirmé la condamnation inscrite sur verdict d’un jury.
La Couronne revendique un appel de plein droit en vertu de l’art. 621(1)a) du Code criminel; elle a considéré que les avis exprimés en dissidence par les Juges d’appel Casey et Taschereau soulèvent des questions de droit au sens de cette disposition. La permission d’interjeter appel a également été obtenue en vertu de l’art. 621(1)b) «de bene esse sur toute question de droit». Cette permission, accordée dans la mesure où elle pouvait être requise, doit, selon moi, être considérée comme ayant trait à toute question de droit influant sur la validité du verdict d’acquittement; elle ne peut s’interpréter comme ayant trait à une question de droit dont la solution ne changerait rien à la conclusion tirée par la majorité de la Cour d’appel du Québec. Le caractère illimité de l’autorisation nous oblige à déterminer quels sont les motifs pour lesquels la Cour d’appel du Québec a infirmé la condamnation prononcée en l’espèce et à examiner les motifs invoqués en cette Cour à l’encontre de l’acquittement; sur ce dernier point, il n’est pas nécessaire de se restreindre aux motifs sur lesquels la Cour d’appel du Québec s’est fondée.
Je parlerai d’abord de la revendication par la Couronne d’un appel de plein droit. Sur ce point, je suis disposé à souscrire à l’interprétation donnée à l’art. 621(1)a) par le Juge Cartwright, alors juge puîné, dans l’arrêt Rozon c. Le Roi[10], selon laquelle la dissidence sur une question de droit ne doit pas nécessairement être une dissidence à l’égard de laquelle le juge ou les
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juges dissidents et les juges majoritaires ont des opinions divergentes: voir également l’arrêt Brown c. La Reine[11]. Selon cette interprétation, ici favorable à la Couronne, il suffit que la dissidence porte sur une question de droit influant sur le fond de la cause et par conséquent sur la décision. Je suis bien au courant de la série d’arrêts rendus en cette Cour, dont l’arrêt Pearson c. La Reine[12], qui appuyent la prétention que l’appel de plein droit dépend d’une dissidence ayant trait à une question de droit sur laquelle la majorité de la Cour d’appel provinciale s’est prononcée d’une façon différente. Ces arrêts n’ont pas à être étudiés de nouveau en l’espèce parce que, d’après l’interprétation plus générale que je donnerais à l’art. 621(1)a), les dissidences des Juges Casey et Taschereau ne soulèvent aucune question de droit décisive.
Le prévenu a interjeté appel à la Cour d’appel du Québec, tant de plein droit sur des questions de droit, que par autorisation sur des questions mixtes de droit et de fait et sur de simples questions de fait. La question qui occupait principalement les cinq membres de cette Cour-là était celle de savoir s’il existe quelque preuve à l’appui de la conclusion, hors de tout doute raisonnable, que le prévenu savait que son complice Daigle était armé lorsque ce dernier est entré par effraction chez le défunt pendant que le prévenu était resté dehors. Le Juge d’appel Casey a conclu (et je reproduis ses paroles) que [TRADUCTION] «les faits connus sont uniquement compatibles avec la conclusion que l’appelant avait une connaissance coupable, c’est-à-dire qu’il savait que Daigle était armé et que ce qui est arrivé serait une conséquence probable de ce qu’ils s’étaient proposés de faire». Ce n’est là, selon moi, qu’une conclusion qui porte sur la suffisance de la preuve en regard du fardeau de la preuve incombant à la Couronne, et qui suggère à cet égard que l’on se fonde sur la formule de la preuve indirecte énoncée dans
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l’arrêt Hodge. (Entre parenthèses, j’aimerais ajouter que ce recours implicite à l’arrêt Hodge ne met pas en question les propositions énoncées par cette Cour dans l’arrêt Wild c. La Reine[13], lesquelles visaient les motifs oraux d’un juge de première instance siégeant sans jury.) C’est une conclusion qui porte sur l’effet des faits produits en preuve, ou qui décide tout au plus une question mixte de droit et de fait, ce que la Cour d’appel du Québec avait la faculté de faire. Toutefois, cette Cour n’a pas la faculté de statuer ici sur la même base.
Dans les motifs plus longs qu’il a rendus en dissidence, lesquels traitaient davantage de la preuve, le Juge Taschereau a souscrit à l’avis du Juge Casey au sujet de là question de savoir si le prévenu savait que Daigle était armé lorsqu’il est entré par effraction chez la victime. Aussi clairement, sinon plus clairement que son collègue co-dissident, le Juge d’appel Taschereau s’est fondé sur la suffisance de la preuve. Étant donné que l’ensemble de la preuve examinée par les deux juges dissidents était à la disposition du jury, ils se sont trouvés simplement à confirmer, dans leurs dissidences, l’appréciation qu’avait faite le jury de cette preuve quant à la question de la connaissance coupable. Même si l’on admet par hypothèse que la majorité a commis une erreur en infirmant la condamnation, rien dans les motifs rendus en dissidence ne soulève une simple question de droit qui pourrait influer sur le bien-fondé de l’acquittement.
Une telle évaluation se justifie amplement si l’on examine les motifs du Juge d’appel Rivard, à l’avis duquel a souscrit le Juge en chef Tremblay, J.C.Q., comme membre de la majorité. Après avoir longuement passé la preuve en revue, le Juge d’appel Rivard dit en somme qu’à l’égard de la question fondamentale de la connaissance coupable, la preuve ne va pas jusqu’à établir que la seule conclusion raisonnable à tirer est que le prévenu savait que Daigle était armé. Comme ses collègues dissidents, le Juge Rivard n’a pas estimé nécessaire de considérer quelque autre moyen d’appel.
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Étant donné que je conclus qu’il n’y a pas eu dissidence sur une simple question de droit, il reste à décider si en l’espèce quelque question de droit pertinente se pose par suite de l’autorisation d’interjeter appel. C’est sur ce point que les motifs rendus par le Juge Montgomery, en sa qualité de membre de la majorité en faveur de l’acquittement, deviennent importants. Dans ses motifs, il s’est également borné à se prononcer sur la question cruciale de la connaissance coupable que Daigle était armé; après avoir brièvement fait mention de la preuve, il a dit ce qui suit:
[TRADUCTION] Ces circonstances peuvent donner lieu à des soupçons, mais je ne crois pas qu’elles constituent une preuve.
A mon avis, il n’y avait aucune preuve de connaissance à soumettre au jury.
Ces phrases peuvent être interprétées comme voulant dire que le Juge d’appel Montgomery était convaincu non seulement que la preuve relative à la connaissance n’était pas suffisante pour établir celle-ci, mais également qu’il n’existait aucune preuve pouvant l’établir. Si l’on accepte que la conclusion qu’il n’existe aucune preuve soulève une question de droit, l’erreur commise dans cette conclusion importe peu si dans sa décision, le Juge d’appel Montgomery souscrit également à l’avis de ses collègues majoritaires que la preuve est insuffisante pour établir le fait qu’elle tend à établir.
On aurait une illustration plus claire de cette conséquence si l’avis qu’il n’existe «aucune preuve» était exprimé lorsqu’une nette majorité est d’avis qu’il existe une preuve du fait en question mais que cette preuve ne suffit pas, en regard du fardeau de la preuve incombant à la Couronne. Dans ces conditions, conclure que le juge a commis une erreur en décidant qu’il n’existe aucune preuve importerait peu si une majorité concluait que la preuve est insuffisante.
Si la seule interprétation qu’il convient de donner aux motifs du Juge d’appel Montgomery est celle qu’il n’existe aucune preuve de connaissance coupable à la disposition du jury, une simple question de droit se trouve soulevée; si
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son appréciation est erronée, cela influe sur l’ensemble de la cause étant donné que les quatres autres membres de la Cour d’appel du Québec sont d’avis partagé, à deux contre deux, quant à la question de savoir si la preuve est suffisante pour permettre une condamnation.
Dans les prétentions qu’il a formulées devant cette Cour, le procureur de la Couronne s’est fondé en partie sur pareille interprétation des motifs du Juge d’appel Montgomery. Il a allégué les trois erreurs de droit suivantes:
1. Les Juges Tremblay, Montgomery et Rivard ont-ils erré en Droit dans l’interprétation et l’application des dispositions du sous-paragraphe (i) de l’alinéa a) de l’art. 592 du Code Criminel du Canada, en décidant comme ils l’ont fait de se substituer aux jurés en appréciant des faits qui ont constitué la preuve circonstancielle de la Couronne? En conséquence, ils ont décidé que le Jury avait rendu un verdict «déraisonnable ou non supporté par la preuve».
2. Les Juges Tremblay, Montgomery et Rivard en se substituant au Jury, et en interprétant la preuve comme ils l’ont fait, ont-ils erré en Droit dans l’interprétation juridique des art. 202 et 21 par. (2) du Code Criminel du Canada?
(a) En interprétant erronément la possession conjointe en vertu de l’article 3, par. 4(b);
(b) En omettant d’interpréter le changement d’intention de la part de l’accusé Caouette, tel que démontré par la preuve, au moment où son complice Denis Daigle a sonné à la porte pour vérifier s’il y avait quelqu’un dans la maison de la victime.
3. Les Juges Tremblay, Montgomery et Rivard ont-ils erré en Droit dans l’application de la jurisprudence citée dans leur jugement?
Je me propose de me prononcer sur ces questions en commençant par la dernière.
La troisième allégation d’erreur de droit n’est pas longue à décider. On soutient que la jurisprudence citée dans les motifs de la majorité a été mal appliquée. Seul le Juge d’appel Rivard a fait mention de certaines causes; les deux causes qu’il a mentionnées, soit, l’affaire Regina v. Simmons and Lotharp[14], dont il a reproduit
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un passage à la p. 130, et La Reine c. Trinneer[15], devaient appuyer la conclusion, qu’il avait déjà tirée, qu’avant qu’une personne puisse être déclarée coupable d’un crime effectivement commis par un tiers, tous les éléments de la complicité coupable doivent être établis par une preuve satisfaisant à la norme de preuve requise. Ce n’est pas relativement à quelque examen des éléments du meurtre par interprétation que les causes ont été mentionnées. Comme je l’ai déjà mentionné, seulement une question, celle de la connaissance coupable, a été le point de mire de tous les motifs de la Cour d’appel du Québec. Je ne puis trouver, eu égard à cette troisième prétention, quelque erreur de droit au sens de l’art. 621, par. (1), al. b).
A l’appui de sa prétention que les causes citées auraient été mal appliquées, le procureur de la Couronne a signalé un élément qui, selon ses allégations, constituerait dans le passage suivant des motifs du Juge d’appel Montgomery une erreur de droit, erreur qui tiendrait au fait que le Juge Montgomery se serait écarté de la règle de droit établie par cette Cour dans l’arrêt La Reine c. Trinneer, précité (arrêt que le Juge d’appel Montgomery n’a pas mentionné):
[TRADUCTION] Pour arriver à la conclusion que l’appelant était coupable de meurtre, la Couronne devait prouver hors de tout doute raisonnable que celui-ci savait on aurait dû savoir que la commission du meurtre serait une conséquence probable de la réalisation du but commun qui consistait à commettre une effraction… Je ne vois pas pourquoi il faudrait présumer qu’il aurait dû savoir que c’était là une conséquence probable, à moins qu’il ait su que Daigle était armé.
Les commentaires du Juge d’appel Montgomery au sujet de la connaissance ou de la connaissance présumée que le meurtre serait une conséquence probable de l’entrée par effraction ne comporte aucune erreur de droit influant sur la validité de l’acquittement. La question en jeu dans les motifs de la Cour d’appel du Québec est celle de savoir si le prévenu savait que Daigle était armé. Ce n’est qu’une fois cette
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question bien résolue que l’autre question mentionnée par le Juge d’appel Montgomery acquiert de l’importance. Étant donné que tous les juges de la Cour d’appel du Québec étaient d’avis que la question fondamentale était celle de la connaissance coupable que Daigle était armé, le fait que les juges majoritaires ont donné à cette question une réponse défavorable rendait non pertinente toute question résultante mentionnée dans leurs motifs.
La seconde allégation d’erreur de droit constitue en partie un rappel de la question de savoir s’il existe ou non quelque preuve que le prévenu savait que Daigle était armé et en partie une allégation d’intention changée de la part du prévenu et de Daigle en vue d’entrer par effraction dans une maison qu’ils avaient constatée être alors occupée plutôt que dans une maison inoccupée. A cet égard, la prétention semble être que l’imposition de lésions corporelles devait être une conséquence probable et que par conséquent le prévenu, en sa qualité de complice de Daigle, serait coupable de meurtre en vertu du principe établi dans l’arrêt La Reine c. Trinneer. Pour des motifs que j’ai déjà mentionnés, cette dernière question n’influe aucunement sur la validité de l’acquittement. De fait, rien ne permet de dire que la Cour d’appel du Québec s’est de quelque façon prononcée sur la question du changement d’intention d’une façon défavorable à la prétention de la Couronne.
La question de savoir s’il existe ou non une quelque preuve se trouve de nouveau soulevée dans la première allégation d’erreur de droit formulée par la Couronne; je l’étudierai dans le passage suivant de mes motifs.
La première question de droit soulevée par la Couronne est fondée sur la prétention que les juges majoritaires ont commis une erreur de droit en interprétant et en appliquant ce qui est maintenant l’art. 613(1)a)(i) du Code criminel lorsqu’ils ont substitué leur opinion à celle du jury dans l’appréciation des faits fondés sur la preuve indirecte présentée par la Couronne. La disposition mentionnée autorise la Cour d’appel du Québec à accueillir l’appel contre une condamnation lorsqu’elle est d’avis que «le verdict
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devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve.» Ce qui ressort des prétentions formulées sur ce point, réitérant les commentaires que la Couronne avait faits à ce sujet dans son factum, c’est que les juges majoritaires ont commis une erreur de droit en décidant qu’il n’existait aucune preuve à présenter au jury.
Je ne considère pas que le fait de s’opposer à ce que la Cour d’appel provinciale ait eu recours à l’art. 613(1)a)(i) soulève nécessairement une question de droit aux fins d’un appel devant cette Cour. L’article 613(1), précisant les cas dans lesquels une Cour d’appel peut accueillir un appel contre une condamnation, doit s’interpréter compte tenu de l’art. 603(1), qui énonce les conditions régissant le droit d’appel du prévenu. Lorsque comme en l’espèce, l’appel à la Cour d’appel provinciale a une portée générale (par suite de l’autorisation qui a été donnée), il doit être rare que l’on puisse faire appel à la compétence de cette Cour, limitée à une question de droit, en alléguant que les pouvoirs de la Cour d’appel en vertu de l’art. 613(1) ont mal été interprétés. A mon avis, la question pertinente est celle de savoir si les motifs de la Cour d’appel posent une question de droit autorisant cette Cour à entendre l’appel. Il suffit donc de dire, sans qu’il soit question de l’art. 613(1)a)(i), que pour autant que la Couronne prétend ici que la majorité de la Cour d’appel du Québec a jugé à tort qu’il n’existait aucune preuve à présenter au jury quant à la question de la connaissance coupable, une question de droit dont cette Cour peut être saisie, si la prétention tient toujours, se trouve soulevée.
A l’appui de cette prétention, on a cité deux passages des motifs du Juge d’appel Rivard. J’estime qu’il n’est pas nécessaire de les reproduire parce que, comme l’a signalé la Couronne dans son factum, on n’a pas tenu compte du contexte dans lequel ils s’insèrent, lorsqu’ils ont trait à des déclarations que Daigle lui-même et certains agents de police ont faites dans leurs témoignages et qui touchent à la connaissance coupable du prévenu. En déclarant que l’ensemble de la preuve ne permettait pas de conclure
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qu’il y avait eu connaissance coupable, le Juge d’appel Rivard, comme je l’ai déjà signalé, se penchait sur la question de la suffisance de la preuve. Le fait, comme c’est le cas ici, qu’un juge d’appel décide qu’il n’existe aucune preuve provenant de la bouche d’un témoin particulier relativement à une question se posant dans la cause ne soulève pas à lui seul une question de droit. Le Juge d’appel Rivard ne dit nulle part que la Couronne avait omis de présenter une preuve à soumettre au jury.
Il existe toutefois la déclaration, précitée, faite en ce sens par le Juge d’appel Montgomery. Elle porte sur la question de la connaissance coupable (et non pas simplement sur la déposition d’un témoin à ce sujet); et le procureur de la Couronne l’invoque également dans l’énoncé de sa première allégation d’erreur de droit. Si la déclaration du Juge d’appel Montgomery portait sur une question fondamentale sur laquelle ses collègues de la majorité, et même ceux de la minorité, ne s’étaient pas prononcés, et s’il avait commis une erreur en affirmant qu’il n’existait aucune preuve reliée à cette question, je serais obligé de conclure que l’acquittement ne saurait être maintenu; mais, même en ce cas, la condamnation ne devrait pas nécessairement être rétablie. Le rétablissement par cette Cour de la condamnation dans l’arrêt La Reine c. Taylor[16], à l’égard duquel le Juge Cartwright, alors jugé puîné, était le seul juge dissident, est dû au fait que tous les avis rendus en la Cour d’appel provinciale ont été interprétés comme fondés sur une décision erronée qu’il n’existait aucune preuve à présenter au jury. Les juges de la Cour d’appel provinciale étaient tous d’accord dans cette cause-là; et étant donné que le jury avait examiné la preuve, la condamnation a nécessairement été rétablie.
La distinction à faire entre la présente cause et la situation que j’ai envisagée plus haut est qu’en la présente espèce, les membres de la majorité de la Cour d’appel provinciale ont traité la même question déterminante et la preuve y afférente comme représentant un enchaînement. Le fait que le Juge d’appel Mont-
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gomery est celui qui a le plus favorisé le prévenu ne peut faire oublier qu’il est passé là où ses collègues ont cru devoir s’arrêter. Ses motifs appuient cette évaluation. Inversement, même si l’on disait qu’il n’est pas allé aussi loin que ses collègues de la majorité, ses motifs peuvent s’interprétercomme concluant néanmoins que la preuve est déficiente, en ce qui concerne le fardeau de la preuve incombant à la Couronne. A mon avis, on peut ici appliquer par analogie les commentaires que cette Cour a faits dans les motifs de la majorité dans l’affaire La Reine c. Warner[17]. Comme l’a signalé le Juge Cartwright, alors juge puîné, (p. 151), lorsque l’un des motifs de la décision de la Cour d’appel provinciale est fondé sur l’insuffisance de la preuve (cette Cour se trouvant ainsi incompétente pour entendre l’appel) le fait que les juges ont invoqué un autre motif pouvant par ailleurs servir de fondement de compétence n’autorisera pas l’exercice de cette compétence.
Par conséquent, je suis d’avis d’annuler l’appel de la Couronne pour le motif qu’il n’est fondé sur aucune question de droit découlant des motifs de la Cour d’appel du Québec.
Appel accueilli, les Juges Martland, Hall, Spence et Laskin étant dissidents.
Procureur de la demanderesse, appelante: François Tremblay, Québec.
Procureurs du défendeur, intimé: Corriveau, Gauvin, Bouchard, Samson, Bilodeau & Gaudreau, Québec.
[1] [1971] C.A. 183.
[2] [1970] R.C.S. 638.
[3] [1954] R.C.S. 1.
[4] [1969] R.C.S. 551.
[5] [1961] R.C.S. 144.
[6] [1954] R.C.S. 3.
[7] [1970] R.C.S. 638.
[8] [1970] R.C.S. 638.
[9] [1961] R.C.S. 144.
[10] [1951] R.C.S. 248, pp. 264-265.
[11] [1962] R.C.S. 371, p. 376.
[12] [1959] R.C.S. 369.
[13] [1971] R.C.S. 101.
[14] [1955] O.R. 118.
[15] [1970] R.C.S. 638.
[16] [1963] R.C.S. 492.
[17] [1961] R.C.S. 144.