Cour suprême du Canada
Imperial Oil Ltd. c. R., [1974] R.C.S. 623
Date: 1973-02-28
Imperial Oil Limited Appelante;
et
Sa Majesté La Reine Intimée.
1972: le 27 mars; 1973: le 28 février.
Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Hall, Spence et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA
APPEL d’un jugement du Juge Cattanach de la Cour de l’Échiquier du Canada, refusant d’accorder une indemnité. Appel accueilli, le Juge Judson étant dissident.
D.K. Laidlaw, c.r., et T.G. Heintzman, pour l’appelante.
P.M. Troop, c.r., et E.A. Bowie, pour l’intimée.
LE JUGE JUDSON (dissident) — J’adopte le motif unique sur lequel le Juge Cattanach a fondé son jugement en Cour de l’Échiquier. L’accord de 1952 conclu par Imperial Oil et les commissaires du havre n’a pas, et ne pouvait pas, conférer un droit non restreint de maintenir en place ces conduites. Ce droit a toujours été soumis aux dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables et de ses règlements d’application.
L’approbation subséquente du ministre ne rend pas meilleure la situation d’Imperial Oil. Cette approbation était également soumise aux conditions de la Loi et des Règlements. Les instructions données par le ministre en 1961, qui demandaient que l’on abaisse la conduite et que l’on réinstalle ailleurs une partie d’icelle, ont été données à bon droit à des fins de navigation
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ainsi que l’autorise l’art. 2 des Règlements. Elles étaient une conséquence de l’achèvement de la Voie maritime. C’était un risque qui existait depuis le tout début et il ne donne pas ouverture à une réclamation d’indemnité.
L’arrêt City of Toronto v. Consumers’ Gas Company[1] n’est pas pertinent. La compagnie de gaz avait un droit inconditionnel et non restreint, lequel lui avait été accordé par sa loi de constitution (11 Vict., c14), d’installer ces canalisations sous les rues de la ville.
J’accepte une des conclusions du juge de première instance avec quelque réserve. Les conduites auraient dû être installées six pieds sous le lit du havre. Au lieu de faire ça, la compagnie les avaient installées sur la surface du lit, espérant qu’elles s’enfonceraient jusqu’à la profondeur requise. Selon le juge de première instance, les conduites ne s’étaient pas enfoncées de plus que 2 pieds. Néanmoins, il a refusé de fonder son jugement sur ce motif, étant d’avis que le ministre, s’il n’était pas satisfait des pièces qui lui avaient été soumises lors de la demande d’approbation, aurait dû demander une preuve additionnelle que les conduites étaient là où elles devaient être. Il se peut que le juge de première instance aurait conclu que les conduites étaient à la bonne place. Cependant, il a fondé son avis sur l’autorité prépondérante de la Loi et des Règlements, ce à quoi je souscris.
Je rejetterais l’appel.
Le jugement des Juges Ritchie, Hall, Spence et Laskin a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — L’appel est interjeté à l’encontre d’un jugement dans lequel le Juge Cattanach, de la Cour de l’Échiquier du Canada, a statué que la pétitionnaire n’avait pas le droit d’être indemnisée par Sa Majesté La Reine pour les dommages qui auraient été causés à des biens défavorablement atteints par la construction d’un ouvrage public.
Dans un bail daté du 1er avril 1952, les commissaires du havre de Hamilton accordaient à la
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pétitionnaire, pour une durée de 21 ans, une servitude en vertu de laquelle cette dernière avait le droit de
[TRADUCTION] poser, construire, exploiter, entretenir, vérifier, modifier, enlever, replacer, et reconstruire un maximum de quatre conduites sur une longue étendue de sol dont la plus grande partie constitue le lit perpétuellement immergé du havre de Hamilton.
Une des dispositions du bail prévoyait que toutes les conduites devaient être enfouies au moins 6 pieds au-dessous du lit du havre, et bien que la pétitionnaire n’ait pas respecté cette condition, on verra que son installation des conduites a reçu l’approbation subséquente du ministre des Travaux publics.
A l’époque où les conduites ont été posées pour la première fois, le par. (1) de l’art. 4 de la Loi sur la protection des eaux navigables, S.R.C. 1952, c.193,édictait que:
4. (1) Aucun ouvrage ne doit être construit ou placé dans des eaux navigables, ni sur, sous ou à travers de telles eaux, ni au-dessus, à moins que l’emplacement n’en ait été agréé par le gouverneur en conseil, et que ledit ouvrage ne soit construit, placé et entretenu en conformité des plans et règlements approuvés ou établis par le gouverneur en conseil.
La demande d’approbation initiale de la pétitionnaire ne fut pas accueillie parce que l’ouvrage était déjà achevé à l’époque où avait été faite la demande, mais la Loi sur la protection des eaux navigables fut modifiée par le chap. 41, S.C. 1956, dont les articles qui suivent me semblent pertinents en l’espèce:
4. (1) Aucun ouvrage ne doit être construit ou placé dans des eaux navigables, ni sur, sous ou à travers de telles eaux, ni au-dessus, à moins
a) que l’emplacement et les plans n’en aient été agréés par le Ministre; et
b) que ledit ouvrage ne soit construit, placé et entretenu en conformité des plans et règlements.
5. …
(2) Le Ministre peut, sous réserve de dépôt et d’annonce comme dans le cas d’un ouvrage projeté, approuver les plans et l’emplacement d’un ouvrage après que la construction en est commencée,
…
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b) si cinq années se sont écoulées depuis l’achèvement de la construction de l’ouvrage;
et ladite approbation a le même effet que si elle avait été donnée avant le début de la construction de l’ouvrage.
En vertu du pouvoir conféré par l’article cité en dernier lieu, le ministre a donné son approbation officielle le 19 février 1958 dans les termes suivants:
[TRADUCTION] APPROBATION
2 CONDUITES DE 6 POUCES DE DIAMÈTRE
LOT MARITIME «A», LOT MARITIME «B»,
HAVRE D’HAMILTON, ET LOT MARITIME
ATTENANT AU HAVRE D’HAMILTON
PROVINCE D’ONTARIO.
L’Honorable Ministre des Travaux publics, conformément aux dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables, statuts revisés du Canada, 1952, chapitre 193, modifié par le chapitre 41 des Statuts du Canada, 1956, approuve par les présentes l’emplacement de l’ouvrage ci-dessus mentionné d’après la description qui en est faite et les plans ci-annexés.
A l’al. a) du par. 3 de sa défense modifiée, l’intimée allègue que cette approbation ministérielle était fondée sur une fausse déclaration de la pétitionnaire quant à la position de la conduite, et elle allègue en outre que les deux conduites de la pétitionnaire n’avaient pas été construites ni placées à l’emplacement approuvé par le ministre, ni construites en conformité des plans approuvés. A cet égard, j’adopte l’avis exprimé par le savant juge de première instance:
A mon avis la preuve ne vient pas confirmer cette défense. On prétend que les conduites n’ont pas été placées comme l’indiquait le plan accompagnant la demande d’approbation, en ce sens qu’elles n’étaient pas au niveau ni enfouies à la profondeur portée sur le plan, et que le Ministre a été trompé en approuvant un projet qu’il ne voulait pas approuver. Or, ce plan n’était rien de plus qu’une esquisse schématique. Il représente une coupe prise le long d’une ligne centrale et n’a pas la prétention de montrer, d’ailleurs il ne pourrait le faire avec exactitude, l’endroit où les deux conduites, qui étaient bien éloignées de la ligne centrale, se trouvaient par rapport à la surface du lit du havre. Il n’y a eu ni fausse déclaration ni intention frauduleuse. Si, d’après le Ministre, le plan ne convenait pas ou était insuffisant de quelque manière, il me semble que le remède était d’en exiger un plus précis
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et plus détaillé. On a fait prévaloir par la suite que les conduites ne se trouvaient pas à six pied au-dessous de la surface du lit mais, à mon avis, ce que le Ministre a approuvé le 19 février 1958, c’est la localisation verticale et horizontale des conduites telles qu’elles se trouvaient à ce moment-là. Une déclaration faite à l’examen préalable d’un témoin de la Couronne et lue comme partie de la preuve de la pétitionnaire, vient confirmer ma conclusion; elle énonce que l’approbation a été donnée pour les ouvrages «tels qu’ils se trouvaient à ce moment-là».
En 1961, les commissaires du havre de Hamilton et le ministre des Travaux publics ont décidé que vu l’achèvement de la Voie maritime et la circulation accrue à laquelle on pouvait par conséquent s’attendre dans le havre de Hamilton, il devenait nécessaire d’agrandir les installations portuaires et de draguer le havre jusqu’à 27 pieds de profondeur afin de recevoir les navires ayant ce tirant d’eau.
A cette fin, les commissaires, de concert avec le ministère des Travaux publics, ont entrepris d’agrandir le quai situé au bas de la rue St. Catherines en empiétant, en direction ouest, sur les eaux du havre. Cela devait recouvrir les deux conduites de la pétitionnaire sur une longueur approximative de 960 pieds, ce qui empêcherait celle-ci d’avoir accès aux conduites. Cet agrandissement, joint à l’accroissement prévu de l’utilisation du havre par des navires d’un plus fort tirant d’eau, rendait manifeste la nécessité de réinstaller ailleurs les conduites de la pétitionnaire et de les enfouir six pieds plus profond. A cet égard, le savant juge de première instance a fait remarquer:
Elles ont travaillé en coopération très étroite pour la conception des plans techniques afin de se créer le moins d’inconvénients possible. La seule mésentente portait sur la question de savoir qui en supporterait le coût.
Les coûts de dragage de la baie ont été assumés en totalité par la Couronne et payés à même le Fonds du revenu consolidé.
Le coût de construction du quai a été partagé également entre la Couronne et les commissaires du havre d’Hamilton. Les 50 p. 100 supportés par la Couronne ont été payés à même le Fonds du revenu consolidé; la part de 50 p. 100 du coût assumée par les commissaires l’a été dans la proportion de 25 p.
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100 à même les fonds des commissaires et de 75 p. 100 par un prêt de la Couronne.
Le dragage du havre et la construction du quai ne pouvaient que constituer des «travaux publics» au sens de ces mots définis à l’article 2g) de la Loi sur les expropriations et le procureur de la Couronne ne l’a pas contesté.
Dans deux lettres datées des 18 juillet et 4 décembre 1961, le ministre des Travaux publics a donné à la pétitionnaire des instructions lui demandant d’abaisser ces conduites de six pieds au-dessous du niveau indiqué sur les plans approuvés par le ministre en 1958 et de les réinstaller ailleurs afin de laisser la place libre pour l’agrandissement du quai. Ces instructions ont été suivies par la pétitionnaire à la satisfaction du ministre, au coût de $95,000, et, comme je l’ai indiqué, la seule question en litige dans l’appel est celle de savoir si la pétitionnaire a le droit d’être indemnisée pour cette dépense.
Les instructions du ministre quant aux conduites se fondent sur les pouvoirs conférés par le par. (3) de l’art. 2 des Règlements sur la construction et l’entretien d’ouvrages construits dans des eaux navigables, D.O.R.S. 1956-300, qui prévoit que:
2. (3) Le propriétaire ou la personne en possession d’un ouvrage se conformera aux instructions données à des fins de navigation par le Ministre relativement à cet ouvrage.
Le fondement général de la demande d’indemnisation de la pétitionnaire est le principe général énoncé par Lord Warrington de Clyffe dans l’arrêt Colonial Sugar Refining Co. Ltd. v. Melbourne Harbour Trust Comrs.[2], quand, relativement à la loi qui était en cause en cette affaire-là, il a dit:
[TRADUCTION] Pour déterminer l’interprétation et la portée de cette loi, le Comité se laisse guider par le principe bien connu selon lequel une loi n’est pas censée enlever des droits de propriété privés sans compensation à moins qu’une intention de ce faire soit exprimée dans des termes clairs et non ambigus.
On a prétendu au nom de l’intimée que l’approbation ministérielle de février 1958 avait été
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donnée à la condition que la pétitionnaire se conforme aux dispositions de la Loi sur la protection des eaux navigables et de ses règlements d’application, et que, comme le par. (3) de la règle 2, précité, avait été adopté en vertu des pouvoirs conférés au ministre sous le régime de l’art. 10 de la Loi sur la protection des eaux navigables et vu qu’il n’était pas contesté que les conduites en question constituaient un «ouvrage» au sens de cette loi, le titre de la pétitionnaire avait été, à toutes les époques, assujetti à l’obligation de «se conformer aux instructions données à des fins de navigation par le ministre relativement à cet ouvrage».
Même si l’on accepte qu’il en est ainsi, il ne me paraît pas exister de disposition dans la Loi sur les expropriations ou dans la Loi sur la protection des eaux navigables exprimant clairement et sans ambiguïté l’intention du Parlement d’habiliter le ministre, par règlement ou autrement, à permettre que le terrain d’un pétitionnaire puisse être défavorablement atteint par la construction d’un ouvrage public sans indemnisation.
On ne peut contester que les droits que la pétitionnaire avait en vertu de l’accord qu’elle a conclu avec la Commission du havre de Hamilton sont inclus dans la définition des mots «terrains» et «immeubles» à l’ai, d) de l’art. 2 de la Loi sur les expropriations, ni que le prolongement du quai de la rue St. Catherines que l’on projetait de construire dans les eaux du havre de Hamilton constituait un ouvrage public au sens de l’al. g) de l’art. 2 de ladite loi. Il me paraît clair que l’intention d’indemniser un propriétaire de bien-fonds pour atteinte défavorable causée par la construction d’un ouvrage public est rendue manifeste par les dispositions de l’art. 23 de la Loi sur les expropriations, ainsi conçu:
L’indemnité pécuniaire convenue ou adjugée pour tout terrain ou bien acquis ou exproprié pour la construction d’ouvrages publics, ou défavorablement atteint par ces ouvrages, tient lieu de ce terrain ou bien; et toute réclamation ou charge sur ce terrain ou bien est convertie, à l’égard de Sa Majesté, en une réclamation contre cette indemnité pécuniaire, ou contre une part proportionnelle de cette indemnité; et
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elle est nulle à l’égard du terrain ou immeuble ainsi acquis ou exproprié, lequel, par le fait de la prise de possession du terrain ou du dépôt du plan et de la description, selon le cas, devient la propriété absolue de Sa Majesté.
En ce qui concerne les circonstances de la présente affaire, cet article fonde, selon moi, l’opinion selon laquelle si la pétitionnaire a été requise de déplacer ses conduites à cause du prolongement du quai jusqu’à l’emplacement qu’elles occupaient, elle a le droit d’obtenir une indemnité payable en conformité des modalités égales prévues à cet égard.
Le savant juge de première instance, dans sa description de ce qui a motivé la demande que l’on déplace les conduites, a dit ceci:
A l’achèvement de la voie maritime, les commissaires du havre d’Hamilton ont décidé d’améliorer l’accès au bassin, et de creuser le havre, là où c’était nécessaire, jusqu’à une profondeur de 27 pieds pour pouvoir accueillir les gros navires de ce tirant qui, éventuellement, utiliseraient le port.
A cette fin, les commissaires ont entrepris d’agrandir le bassin connu sous le nom de bassin de la rue Catherine, en empiétant, en direction ouest, sur les eaux du havre. Cela devait recouvrir les deux conduites de la pétitionnaire sur une longueur approximative de 960 pieds, l’empêchant ainsi d’y avoir accès. De plus, à la profondeur où elles se trouvaient, les conduites risquaient d’être heurtées par les ancres de navires utilisant cette zone et leur présence empêchait les opérations de dragage nécessaires au creusement du havre ainsi que l’emploi de remblais pour la construction du bassin.
Voilà qui me semble conclure que si les conduites devaient être réinstallées ailleurs et abaissées, c’était par suite de la décision de la Couronne de construire un ouvrage public; mais, nonobstant cette conclusion le savant juge de première instance a jugé erronée la demande d’indemnisation de la pétitionnaire pour les motifs suivants:
L’erreur de l’argument avancé au nom de la pétitionnaire est, à mon avis, de prétendre qu’on lui a demandé de déplacer ses conduites en raison de l’empiétement de l’ouvrage public sur l’emplacement qu’elles occupaient. Or ce n’était pas le cas.
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Il est bien établi que le droit d’expropriation, droit inhabituel et exorbitant, n’est jamais sous-entendu et doit être expressément prévu par la loi. Le Ministre n’a pas exproprié ni n’a voulu exproprier quoi que ce soit appartenant à la pétitionnaire. L’article 3 de la Loi sur les expropriations expose les pouvoirs du Ministre. Ces pouvoirs n’ont pas été invoqués et il n’a pas prétendu agir en vertu d’aucune autre loi lui donnant le pouvoir d’exproprier. L’avocat de la pétitionnaire a naturellement attiré mon attention sur les mots de l’article 23 de la Loi sur les expropriations où il est question de l’indemnité accordée pour des terrains défavorablement atteints par la construction d’ouvrages publics; en l’espèce, il n’y a eu aucune construction d’ouvrages publics avant l’enlèvement des conduites.
La pétitionnaire a dû déplacer ces conduites sur ordre du Ministre, comme l’y autorisait à des fins de navigation, l’article 2(3) des règlements. On l’avait autorisée à poser ses conduites à l’endroit et de la façon dont elle l’a fait, mais cette approbation est soumise au même règlement que ceux invoqués pour ordonner l’enlèvement des conduites. Puisque l’approbation originairement donnée était limitée, elle ne pouvait être absolue mais sujette à révocation ou modification, comme ce fut effectivement le cas. Ayant posé ses conduites sous réserve de ces conditions, le fait de les invoquer correctement ne donne pas lieu, à mon avis, à une cause d’action pour les frais de leur déplacement.
J’ai mis des mots en italique.
Il me semble que le savant juge de première instance a reconnu la valeur de l’argument de la pétitionnaire, basé sur l’art. 23 de la Loi sur les expropriations, mais a considéré que parce que l’ouvrage public n’avait été construit qu’après l’enlèvement des conduites, le droit de celle-ci ne se trouvait pas à avoir été défavorablement atteint par la construction de l’ouvrage. Je ne puis souscrire à cet argument étant donné que, comme le savant juge de première instance l’a dit lui-même, si les conduites ont dû être enlevées c’est parce que le quai devait les couvrir sur une longueur approximative de 960 pieds et empêcher d’y avoir accès et aussi parce que ces conduites gêneraient les travaux de dragage. C’est à cause de la décision de procéder à la construction de ces ouvrages publics que les conduites ont dû être déplacées et abaissées, et le fait que ces changements ont été exécutés
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avant la construction des ouvrages publics ne permet pas, à mon avis, de conclure que l’atteinte défavorable qu’a incontestablement subie la pétitionnaire n’a pas été causée «par la construction d’ouvrages publics». Le raisonnement suivi par le savant juge de première instance me paraît comporter la proposition que si, comme condition nécessaire et préalable de la construction d’un ouvrage public, on doit porter atteinte au droit de la pétitionnaire, celle‑ci n’a droit à aucune indemnité, alors que des considérations différentes s’appliquent lorsque l’ouvrage a été construit. Ce genre de raisonnement a été rejeté par le Conseil privé dans l’affaire Toronto Corporation v. Consumers’ Gas Co.[3] L’essentiel de l’affaire en question a été, à mon avis, décrit de façon exacte dans les motifs de jugement de M. le Juge Cattanach, qui l’a résumé comme suit:
La ville a construit un égout sous une rue dont elle était propriétaire. Cette construction a exigé de la compagnie de gaz l’abaissement de ses canalisations principales. Il fut jugé que les canalisations de gaz entraient dans la définition des immeubles de l’article 321b) de l’Ontario Municipal Act. La définition de cet article englobait un droit, un intérêt ou une servitude sur un terrain. La définition des «terrains» ou «immeubles» de l’article 231b) de l’Ontario Municipal Act alors en vigueur, est semblable, dans un sens même plus restreint, à celle de l’article 2d) de la Loi sur les expropriations.
On a jugé aussi, sous l’autorité de l’article 325(1) de l’Ontario Municipal Act, dont le langage est en substance semblable à celui de l’article 23 de la Loi sur les expropriations, que la ville de Toronto était responsable du coût de l’abaissement des canalisations de gaz car le «bien immeuble» de la compagnie de gaz avait été défavorablement atteint par l’exercice des pouvoirs statutaires de la ville.
Dans ses motifs de jugement rédigés au nom de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Consumers Gas[4], le Juge Meredith, Juge en chef de l’Ontario, a souligné le fait que l’abaissement des canalisations de gaz avait été effectué afin que l’égout puisse être construit; il a dit, à la page 23:
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[TRADUCTION] L’appelante admet que l’abaissement de la canalisation de gaz a été rendu nécessaire afin de permettre la construction de l’égout, et que, si l’appelante est obligée de payer la dépense subie pour l’abaissement de la canalisation de gaz, l’intimée a droit de recouvrer le montant réclamé; ainsi, l’action vise en fait à obtenir une décision de justice sur la question de savoir si le coût de semblable ouvrage doit être supporté par l’appelante ou s’il doit être supporté par l’intimée.
En conclusion, le Juge en chef Meredith a dit, à la page 24:
[TRADUCTION] Le terrain de l’appelante, (Consumers’ Gas Co.) c.-à-d., le sol dans lequel ces tuyaux avaient été posés, a été défavorablement atteint par l’exercice du pouvoir de l’intimée ou de son conseil en ce qui a trait à la construction de l’égout, dont l’installation a nécessité l’enlèvement des tuyaux, et l’appelante avait droit à une indemnité pour les dommages résultant nécessairement de l’exercice de ce pouvoir; il s’ensuit que l’appelante ne peut être obligée à rembourser l’intimée de la dépense subie pour enlever les tuyaux et les poser à nouveau.
Il me semble que l’avis de M. le Juge Cattanach selon lequel l’indemnisation doit être refusée en vertu de l’art. 23 de la Loi sur les expropriations parce qu’il «n’y a eu aucune construction d’ouvrages publics avant l’enlèvement des conduites» va directement à l’encontre du raisonnement suivi dans l’arrêt Consumers’ Gas, et, comme je suis en tout état de cause incapable de souscrire à cet avis, j’accueillerais l’appel et ferais droit à la demande d’une indemnité de $95,000 faite par la pétitionnaire, avec intérêt sur cette somme au taux de 5 pour cent l’an à compter du 1er octobre 1962, date d’achèvement des travaux d’abaissement et de réinstallation des conduites, jusqu’à la date du jugement.
L’appelante aura droit à ses dépens en cette Cour et en Cour de l’Échiquier du Canada.
Appel accueilli, le Juge Judson étant dissident.
Procureurs de l’appelante: McCarthy & McCarthy, Toronto.
Procureur de l’intimée: D.S. Maxwell, Ottawa.
[1] (1914), 32 O.L.R. 19, (1914), 19 D.L.R. 882, [1916] 2 A.C. 618, (1916), 30 D.L.R. 590.
[2] [1927] A.C. 343 à 359.
[3] [1916] 2 A.C. 618, (1916), 30 D.L.R. 590.
[4] (1914), 32 O.L.R. 19, (1914), 19 D.L.R. 882.