Cour suprême du Canada
Knowlton c. R., [1974] R.C.S. 443
Date: 1973-04-02
E.J.N. Knowlton Appelant;
et
Sa Majesté la Reine Intimée.
1972: le 6 décembre; 1973: le 2 avril.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA CHAMBRE D’APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA
APPEL d’un jugement de la Chambre d’Appel de la Cour suprême de l’Alberta, annulant l’acquittement de l’appelant. Appel rejeté.
B.M. Barker, pour l’appelant.
J.W. Shortreed, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE EN CHEF — L’appelant a été accusé d’avoir, le 24 octobre 1971 ou vers cette date, en la Ville d’Edmonton, dans la province d’Alberta, illégalement et volontairement entravé le sergent Grandish, un agent de la paix, dans l’exécution de son devoir, commettant de ce fait l’infraction qui était alors décrite comme suit à l’al. a) de l’art. 118 du Code criminel:
118. Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de deux ans, quiconque
a) volontairement entrave un fonctionnaire public ou un agent de la paix dans l’exécution de son devoir ou toute personne prêtant légalement main-forte à un tel fonctionnaire ou agent, ou lui résiste en pareil cas;
Knowlton a été jugé et acquitté par le Juge provincial J. Rennie.
En vertu de l’al. a) du par. (1) de l’art. 605, la Couronne a interjeté un appel à l’encontre de ce jugement d’acquittement. Dans un jugement unanime rendu par M. le Juge Cairns au nom de la Cour, l’appel a été accueilli, l’intimé a été déclaré coupable de l’infraction alléguée et l’affaire a été renvoyée au Juge provincial pour qu’il détermine la sentence.
D’où l’appel interjeté à cette Cour en vertu de l’al. a) du par. (2) de l’art. 618 du Code criminel.
L’accusation est née de faits relativement simples. Le dimanche 24 octobre 1971, le Pre-
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mier ministre Kosygin de l’U.R.S.S. devait se rendre à Edmonton dans le cadre de sa visite officielle au Canada et, à cette occasion, il devait s’arrêter brièvement à l’hôtel Chateau Lacombe. Le sergent Grandish, un agent de la sûreté municipale d’Edmonton, avait été chargé de la sécurité aux alentours de l’entrée de l’hôtel. A cette fin et avec l’aide de 25 agents de police, sur les directives de ses supérieurs, il a formé un cordon de policiers encerclant l’espace qui se trouvait à l’entrée de l’hôtel et qui comprenait une partie du trottoir du côté sud de la promenade Macdonald. A un certain moment, avant l’arrivée imminente du Premier ministre Kosygin, le sergent Grandish a été appelé par deux agents postés du côté sud du trottoir. Il y a rencontré l’appelant qui avait indiqué aux deux agents qu’il voulait prendre des photographies et que pour cela, il désirait descendre la voie Bellamy Hill, en passant par la partie du trottoir qui était ceinturée. Le sergent Grandish a fait savoir à l’appelant qu’il ne pouvait pénétrer dans ce périmètre et, ce dernier revendiquant énergiquement son droit de le faire, il l’a averti que s’il passait, il serait arrêté. Knowlton a refusé de tenir compte de cet avertissement. Il s’est dirigé vers la zone interdite en se frayant un chemin entre deux constables. Il a alors été arrêté et accusé en vertu de l’al. a) de l’art. 118 du Code criminel. L’incident s’est produit à 11 h 45 du matin, heure approximative à laquelle, d’après les arrangements officiels, le Premier ministre Kosygin était attendu au Chateau Lacombe.
Se fondant sur ces faits, le juge de première instance a conclu ses motifs de jugement en disant:
[TRADUCTION] …au temps pertinent, les agents de police ne faisaient observer aucune disposition du Code criminel, aucun règlement ou autre loi; par conséquent, ils n’agissaient pas dans l’exécution de leur devoir et l’accusé n’a pu les entraver et se rendre coupable de l’infraction consistant à entraver les agents de police. Comme je conclus qu’on ne faisait observer aucune loi, l’accusé n’a pas pu commettre d’infraction justifiant une arrestation sans mandat et l’accusation est donc rejetée.
En Cour d’appel, M. le Juge Cairns, parlant au nom de tous les membres de la Cour, a dit:
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[TRADUCTION] II y a le témoignage du sergent Grandish selon lequel la zone avait été fermée par un cordon de policiers à cause de l’arrivée imminente du Premier ministre de l’U.R.S.S., M. Kosygin. À partir de ce renseignement, le savant juge provincial aurait dû prendre judiciairement connaissance du fait que le Premier ministre Kosygin était un dignitaire étranger en visite au pays, qu’il avait déjà été assailli à Ottawa peu de temps auparavant, et qu’il fallait prendre des mesures pour qu’il ne soit plus attaqué ou exposé à d’autres affronts.
S’il avait tenu compte de ces faits, le savant juge provincial aurait dû être convaincu que les agents de police agissaient dans l’exécution de leur devoir et que les actes de l’accusé en l’espèce équivalaient à une entrave à l’exécution de ce devoir.
Le devoir de la police et l’exercice des pouvoirs reliés à ce devoir sont les seules questions en litige en l’espèce. Vu que la police a porté atteinte à la liberté de l’appelant ou, plus précisément, à son droit de circuler librement sur une voie publique, il s’agit de déterminer les questions suivantes, telles qu’elles ont été formulées par la Court of Criminal Appeals dans l’arrêt Regina v. Waterfield and Another[1]:
[TRADUCTION] (i) si pareille conduite de la police entre dans le cadre général de quelque devoir imposé par la loi ou reconnu en common law et
(ii) si pareille conduite, bien qu’elle entre dans le cadre général de ce devoir, comportait un exercice injustifié de pouvoirs reliés à ce devoir.
Relativement à la première question: — Le par. (1) de l’art. 26 de la loi dite Alberta Police Act (1971), c. 85, confère à un membre d’une sûreté municipale, à l’intérieur des limites de la municipalité, tous les pouvoirs et devoirs d’un membre de la Sûreté provinciale en vertu de la Partie I de la Loi. Le par. (1) de l’art. 2 de la Partie I prévoit l’établissement d’une Sûreté provinciale [TRADUCTION] «…pour le maintien de la paix, de l’ordre et de la sécurité publique, le respect de la loi et la prévention du crime…». Et le par. (1) de l’art. 3 de la Partie I prévoit, notamment, que:
[TRADUCTION] 3. (1) Tout membre de la Sûreté provinciale de l’Alberta a le pouvoir et est tenu
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a) d’exécuter tous les devoirs qui sont imposés aux agents de police en ce qui a trait
(i) au maintien de la paix,
(ii) à la prévention du crime et des infractions aux lois en vigueur en Alberta, et
(iii) à l’arrestation de criminels, délinquants ou autres personnes qui peuvent être légalement détenues.
C’est un fait de notoriété publique que la visite officielle d’un chef d’État ou d’un haut dignitaire d’un pays étranger, quels que soient les liens d’amitié qui existent, est un événement qui comporte fréquemment une menace réelle ou appréhendée pour le maintien de la paix et qui, par conséquent, demande l’adoption de mesures de sécurité convenables et raisonnables par le pays d’accueil. Pour démontrer le bien-fondé de cette affirmation, il suffit amplement en l’espèce de mentionner l’attaque criminelle effectivement commise sur la personne du Premier ministre Kosygin dans la ville d’Ottawa, quelques jours seulement avant son arrivée à Edmonton. Cette attaque a reçu une publicité instantanée à travers tout le Canada et un très grand nombre de personnes au pays, y compris, tel qu’il a été reconnu, l’appelant lui-même, en ont été témoins à la télévision, au moment même où elle était commise. De ces faits, il est naturel de déduire que les personnes spécialement chargées au Canada d’assurer le maintien de la paix, de l’ordre et de la sécurité publique, ainsi que la sécurité du dignitaire en visite, ont pris immédiatement connaissance de cet incident regrettable.
Suivant les principes qui, pour le maintien de la paix et la prévention du crime, sont sous‑jacents aux dispositions de l’art. 30, entre autres, du Code criminel, les autorités policières n’avaient pas seulement le droit, mais étaient tenues, en tant qu’agents de la paix, d’empêcher que pareille attaque criminelle sur la personne du Premier ministre Kosygin ne se répète au cours de sa visite officielle au Canada. A cet égard, ils avaient l’obligation précise de prendre des mesures convenables et raisonnables. La restriction au droit de libre accès du public aux voies publiques, au point stratégique susmentionné, constituait une mesure — non inusitée —
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que les autorités policières ont considérée et adoptée comme nécessaire pour atteindre ce but. A mon avis, pareille conduite de la police entrait clairement dans le cadre général des devoirs qui leur étaient imposés.
Relativement à la seconde question: — Nous ne sommes pas saisis en l’espèce d’un cas d’arrestation illégale, mais d’un cas d’entrave volontaire à un agent de police dans l’exécution de son devoir. Ainsi, même s’ils étaient fondés, les griefs de l’appelant, autres que ceux qu’il relie aux circonstances qui ont précédé et conduit à son arrestation, ne sont pas pertinents. Quant à ces derniers griefs, le principal, si ce n’est le seul, est que, malgré sa demande à cet effet, la police ne l’a informé d’aucune justification légale les autorisant à restreindre son droit de libre accès aux voies publiques. On peut raisonnablement supposer que toutes les personnes présentes à cette occasion, y compris l’appelant lui-même, qui, comme il a été mentionné plus haut, avait été témoin à la télévision de l’attaque criminelle subie, seulement quelques jours plus tôt, par le Premier ministre Kosygin à Ottawa, étaient pleinement conscientes des problèmes de sécurité. En droit, l’appelant ne peut, pas plus qu’en fait, plaider l’ignorance du devoir légal alors exécuté par la police. Sur demande de la police, il a produit une carte d’identité qu’on a jugé inacceptable. Il aurait peut-être pu obtenir le privilège conféré aux membres de la presse et à certaines autres personnes d’avoir accès à la zone interdite s’il avait demandé un laissez-passer en temps utile, aux autorités compétentes. Il ne l’a pas fait. Je ne puis trouver au dossier aucune preuve démontrant que le sergent Grandish ou d’autres agents de police ont fait, à cette occasion, un usage injustifié des pouvoirs reliés au devoir qui leur était imposé.
Je suis d’avis de rejeter l’appel.
Appel rejeté.
Procureurs de l’appelant: Langlois & Lennie, Edmonton.
Procureur de l’intimée: Le Procureur général de l’Alberta.
[1] [1964] 1 Q.B. 164 à la p. 170.