Cour suprême du Canada
Alberta Giftwares Ltd. c. R., [1974] R.C.S. 584
Date: 1973-05-07
Alberta Giftwares Ltd. Appelante;
et
Sa Majesté La Reine Intimée.
1972: le 6 décembre; 1973: le 7 mai.
Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Martland, Judson, Ritchie, Hall, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR SUPRÊME DE L’ALBERTA, DIVISION D’APPEL
APPEL d’un jugement de la Cour suprême de l’Alberta, Division d’appel[1], infirmant l’acquittement de l’appelante. Appel rejeté.
L.H. McDonald, c.r., pour l’appelante.
I.C. Hutton, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta qui a infirmé l’acquittement de l’appelante relativement à trois accusations selon lesquelles elle a fait publier au moyen d’un catalogue distribué parmi le public des déclarations paraissant être des déclarations de fait, lesquelles déclarations étaient trompeuses, contrairement aux dispositions de l’art. 37 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, S.R.C. 1970, c. C.-23. L’article pertinent de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions se lit comme suit:
37. (1) Quiconque publie ou fait publier une annonce contenant une déclaration paraissant être une déclaration de fait, mais qui est fausse, fallacieuse ou trompeuse ou qui est intentionnellement rédigée ou préparée de telle manière qu’elle soit fallacieuse ou trompeuse, est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement de cinq ans si l’annonce est publiée
a) en vue de favoriser, directement ou indirectement, la vente ou l’aliénation de biens ou d’un intérêt dans des biens, ou
b) en vue de favoriser un intérêt d’affaires ou un intérêt commercial.
L’appelante est une entreprise de vente à rabais sur catalogue; elle s’adresse au public en général et elle a distribué un catalogue dans lequel les prix de certains modèles de tricycles et de bicyclettes «Leader» sont indiqués au moyen d’un genre de code dont l’explication se
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trouve dans le catalogue. Les articles particuliers à l’égard desquels les accusations ont été portées contre l’appelante sont les suivantes:
[TRADUCTION] (1) Mini-bicyclette de trottoir Leader modèle «Duster». Roues de 16″… VPW 196/3850 — Prix de détail $56.95.
(2) Mini-bicyclette de trottoir Leader modèle «Pinto». Roues de 12″. VPW 912/2835 — Prix de détail $33.95.
(3) Tricycle Tike-Trike Leader… Roue avant de 10″… VPW-T-10/1095 — Prix de détail $15.95.
La note explicative qui se trouve au début du catalogue indique que les chiffres ou lettres apparaissant immédiatement après les initiales «VPW» et avant le tiret oblique sont le numéro de marchandise de l’article tandis que les chiffres après le tiret oblique représentent le prix de vente de l’appelante (c’est-à-dire $38.50, $28.35, $10.95).
La déclaration fausse reprochée concerne le prix de «détail» inscrit et à ce sujet, le catalogue nous renseigne de la façon suivante:
[TRADUCTION] Dans le présent catalogue, les prix indiqués ne sont pas fixes, étant sujets aux fluctuations du marché sans préavis. Ils coïncident toutefois avec les listes de prix courantes les plus récentes au moment de la publication. Vous constaterez que nos prix sont aussi bas que le permet la bonne pratique des affaires. Toutes les fois que les prix de détail suggérés du manufacturier sont procurables, nous les avons mentionnés. Lorsque ce prix n’est pas disponible, nous avons suggéré nous-mêmes ce que nous croyons être un juste prix de détail. (Les caractères italiques sont de moi).
Comme l’a conclu le savant juge de première instance, dans tous les cas, les «prix de détail suggérés du manufacturier» étaient non seulement procurables, mais en possession de l’accusée, mais les chiffres qui apparaissaient dans le catalogue après le mot «détail» excédaient toujours ce prix.
Les marchandises étaient fabriquées à Montréal et le juge de première instance a considéré que des témoignages selon lesquels le prix de détail suggéré par le manufacturier était destiné à s’appliquer dans cette région le rendaient [TRADUCTION] «de toute évidence illusoire à
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Edmonton» parce que pareil prix ne tenait pas compte des coûts de transport, taxes de vente et concurrence locale dans la majoration. Cependant, il semble que le véritable «prix de détail suggéré du manuacturier» était dans la même gamme et dans certains cas plus élevé que le prix de détail couramment demandé par d’autres marchands d’Edmonton. La question pourrait s’illustrer graphiquement sous forme de tableau comme suit:
Duster
Pinto
Trike
Prix du catalogue...................................................
$38.50
$28.95
10.95
«Prix de détail» indiqué dans le catalogue........
$56.95
$33.95
15.95
Véritable prix de détail suggéré du manufacturier.........................................................
$42.95
$31.95
12.59
Prix de détail d’autres marchands d’Edmonton.
$36.99
$24.95
10.00
jusqu’à un maximum de
á
á
$44.95
$29.98
13.95
Je suis d’accord avec le savant juge de première instance que le «prix de détail» inscrit par l’appelante ne peut être considéré comme une représentation de ce qu’est le [TRADUCTION] «prix de détail courant» à Edmonton. Cependant, l’argument principal de l’intimée est que le catalogue dans son ensemble constitue une représentation que le «prix de détail» qui y est inscrit est le «prix de détail suggéré du manufacturier», ce qui est «faux» au sens où ce terme est employé au par. (1) de l’art. 37 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions, précitée, et aurait pour effet de tromper le public.
Le savant juge de première instance était d’accord que [TRADUCTION] «la simple déclaration, «Toutes les fois que les prix de détail suggérés du manufacturier sont procurables, nous les avons mentionnés», est fausse, et il a ajouté au sujet de cette déclaration:
[TRADUCTION] Il faut toutefois la relier à la déclaration qui suit:
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«Lorsque ce prix n’est pas disponible, nous avons suggéré nous-mêmes ce que nous croyons être un juste prix de détail».
Si, au lieu d’employer le terme «disponible», l’accusée avait répété le terme «procurable», il serait évident que les deux déclarations lues en regard l’une de l’autre comportaient une fausseté. En fait, le terme «disponible» a un sens beaucoup plus large que le terme «procurable». Il ne signifie pas simplement «susceptible d’être acquis ou obtenu», mais il a plutôt le sens de «susceptible de servir, d’être utilisé ou de profiter».
Le savant juge de première instance a acquitté l’appelante parce qu’il avait [TRADUCTION] «un doute sérieux… sur le caractère trompeur de l’annonce» et il ressort clairement que ce doute était engendré par l’effet juridique qu’il attribuait au terme «disponible». Le facteur qui a déterminé sa conclusion était que la fausseté manifeste contenue dans l’annonce était atténuée par le sens qu’il a donné au terme «disponible» de manière à créer un doute qui n’aurait pas autrement existé.
Le terme «available» (disponible), comme de nombreux autres termes de la langue anglaise, peut avoir différentes nuances de signification, et, à mon avis, en interprétant un testament, un acte, un contrat, un prospectus ou autre document de nature commerciale, l’effet juridique à donner aux termes employés est une question de droit et, en interprétant pareil document, c’est une erreur de droit que d’attribuer un sens déterminé à un terme de connotations différentes en choisissant une des diverses acceptions du dictionnaire sans tenir compte du contexte de l’alinéa ou de la phrase où le terme est employé.
Le savant juge de première instance a toutefois justifié l’interprétation qu’il a donné au terme «available» (disponible) de la façon suivante:
[TRADUCTION] Les dictionnaires Webster et Oxford définissent le terme «disponible» comme voulant dire susceptible d’être employé avantageusement; tandis que le Bouvier’s Law Dictionary définit le terme comme voulant dire: «Susceptible d’être utilisé; valide ou avantageux».
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Ainsi, il est clair que l’annonce n’est pas fausse. Le prix de détail suggéré du manufacturier était procurable mais n’était pas «disponible» en ce sens qu’il n’était évidemment pas susceptible d’être utilisé avantageusement dans la région d’Edmonton.
Si on regarde le Oxford English Dictionary, on voit que le savant juge n’a pas reproduit toute la définition à laquelle il s’est reporté. Dans cet ouvrage, la définition à laquelle il paraît s’être reporté est la suivante:
[TRADUCTION] Susceptible d’être employé avantageusement ou mis à profit; d’où, susceptible d’être utilisé à la disposition de quelqu’un, à la portée de quelqu’un. (Les caractères italiques sont du dictionnaire).
Il fait peu de doute que le «prix de détail suggéré du manufacturier» était à la portée de l’appelante puisque le manufacturier le lui avait fourni. En consultant le Webster’s Third New International Dictionary, nous verrons aussi que bien que la définition du terme «available» (disponible) soit [TRADUCTION] «tel qu’on peut s’en servir: susceptible d’être utilisé pour réaliser une fin: d’une utilisation immédiate», il est aussi défini comme [traduction] «Ce qui est accessible ou ce qu’on peut se procurer: procurable personnellement».
J’ai étudié la signification du terme «available» (disponible) que le savant juge de première instance a puisé dans le Bouvier’s Law Dictionary et je constate que le seul précédent cité au soutien de la signification donnée est l’arrêt Brigham v. Tillinghast[2], où l’expression [TRADUCTION] «moyens disponibles», dans une cession de biens faite pour le compte de créanciers, a été définie comme [TRADUCTION] «un terme qui est reçu comme désignant toute chose qui peut facilement être convertie en argent».
La définition de Bouvier ne m’aide en rien à déterminer la signification véritable du terme «disponible» tel qu’il se trouve relié au terme «procurable» dans le catalogue de l’appelante et je retiens le sens que lui a donné la Cour d’appel. Dans ses motifs de jugement, M. le Juge Cairns en a exposé succinctement l’effet comme suit:
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[TRADUCTION] Dans la présente affaire… l’intimée avait effectivement un état du manufacturier indiquant le prix de détail suggéré de chaque article de sorte que le prix de l’article avait été obtenu et lui était évidemment disponible au moment de la publication du catalogue en question.
C’est la différence d’opinions entre le juge de première instance et la Division d’appel quant à l’effet juridique du terme «disponible» employé dans le catalogue qui donne lieu au présent appel et, comme je l’ai indiqué, je suis d’avis que le juge de première instance a commis une erreur en attribuant à ce terme, dans le contexte du catalogue de l’appelante, le sens qu’il lui a donné, et qu’il s’agissait d’une erreur de droit de sa part.
L’appelante a prétendu que la question de savoir si, oui ou non, l’annonce était trompeuse ne soulève pas «une question de droit seulement» de manière à permettre à la Couronne d’interjeter appel à la Division d’appel en vertu des dispositions de l’al. a) du par. (1) de l’art. 605 du Code criminel. Au soutien de cette dernière prétention, on a cité les arrêts Sunbeam Corporation (Canada) Limited c. Sa Majesté la Reine[3], et Lampard c. la Reine[4], mais dans ces deux dernières affaires, le juge de première instance avait décidé que la preuve n’était pas suffisante pour le convaincre de la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable et cette Cour a statué, tout en partageant l’avis de la Cour d’appel que la preuve était suffisante, que la question supplémentaire de savoir si l’on devait tirer de cette preuve une conclusion de culpabilité était une question de fait relevant de la compétence du juge de première instance et que la Cour d’appel n’avait pas juridiction pour entendre un appel interjeté par le procureur général.
Contrairement aux affaires Sunbeam et Lampard, le présent appel ne soulève pas une question de suffisance de preuve ou de conclusion valable parce que le juge de première instance a indiqué clairement que si ce n’avait été de l’erreur de droit que j’ai mentionnée, il aurait été
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convaincu que la preuve était suffisante pour soutenir une conclusion que la déclaration mentionnée était «fausse», et je crois qu’il s’ensuit que cette déclaration pouvait par conséquent tromper au moins certains acheteurs éventuels. A mon avis, la décision du présent appel en Division d’appel et en cette Cour ne repose que sur la seule question de savoir si, oui ou non, le juge de première instance a commis une erreur en attribuant au terme «disponible» l’effet qu’il lui a donné. Comme je l’ai indiqué, je crois qu’il a effectivement commis une erreur et que cette erreur constitue une erreur de droit, de sorte que l’appel pour ce motif «soulève une question de droit seulement» au sens de l’al. a) du par. (1) de l’art. 605 du Code criminel.
L’appelante a aussi prétendu qu’il n’y avait aucune preuve de mens rea mais, si l’intention est un élément essentiel de l’infraction reprochée, question à l’égard de laquelle il n’est pas nécessaire d’exprimer un avis, je suis convaincu qu’en ayant en sa possession le «prix de détail suggéré du manufacturier» l’appelante se trouvait à connaître la fausseté des déclarations faites dans son annonce et elle a donc sciemment publié une annonce contenant une déclaration paraissant être une déclaration de fait mais qui était fausse, fallacieuse et trompeuse au sens du par. (1) de l’art. 37 de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions.
Pour les motifs susmentionnés, je suis d’avis de rejeter l’appel.
Appel rejeté.
Procureurs de l’appelant: Friedman, Lieberman, Newson, Cipin, Caffaro & Heffernan, Edmonton.
Procureur de l’intimée: D.S. Maxwell, Ottawa.
[1] [1972] 4 W.W.R. 696, 7 C.C.C. (2d) 203, 6 C.P.R. (2d) 10.
[2] (1855), 13 N.Y. 218.
[3] [1969] R.C.S. 221, 1 D.L.R. (3d) 161.
[4] [1969] R.C.S. 373, 4 D.L.R. (3d) 98.