Cour suprême du Canada
Gamracy c. R., [1974] R.C.S. 640
Date: 1973-06-29
Peter Gerald Gamracy (Plaignant) Appelant;
et
Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.
1973: le 29 mai; 1973: le 29 juin.
Présents: Les Juges Judson, Ritchie, Spence, Pigeon et Laskin.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario[1], annulant une ordonnance d’acquittement et ordonnant un verdict de culpabilité. Appel rejeté, les Juges Spence et Laskin étant dissidents.
R.G. Murray et E.J. McGrath, pour l’appelant.
M. Manning, pour l’intimée.
Le jugement des Juges Judson, Ritchie et Pigeon a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Le présent appel est à l’encontre d’un jugement unanime de la Cour d’appel de l’Ontario qui a accueilli un appel de l’acquittement de l’appelant en première instance et ordonné qu’un verdict de culpabilité soit enregistré contre lui sous l’inculpation.
[TRADUCTION]... d’avoir exerçé des voies de fait contre John Cronkwright, un agent de la paix de la ville de London agissant dans l’exécution de ses fonctions, en contravention de l’article 232, paragraphe 2, alinéa a), du Code criminel.
Les incidents qui ont donné lieu à cette inculpation sont survenus lorsque l’agent de la paix cherchait à arrêter l’appelant contre qui un mandat d’arrestation était demeuré non exécuté.
L’agent de la paix avait interpelé l’appelant à un moment où ce dernier allait entrer chez lui et
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lorsqu’il se rendit compte que l’appelant n’avait pas l’intention de lui accorder d’attention, Cronkwright courut vers la maison et atteignit l’appelant juste au moment où celui-ci ouvrait la porte d’entrée, et, le saisissant par le bras, lui dit qu’il était en état d’arrestation en vertu d’un mandat qui était demeuré non exécuté. En fait, l’agent ne connaissait pas la nature de l’inculpation en vertu de laquelle le mandat avait été lançé, mais on lui en avait révélé l’existence au poste de police. L’appelant s’arracha des mains de l’agent et entra dans sa maison, et lorsque l’agent l’y suivit, il en résulta une altercation au cours de laquelle l’appelant tenta de jeter dehors l’agent qui, appréhendant ce qui pouvait arriver, téléphona au poste de police pour demander du renfort; il ne demanda toutefois pas à ce moment-là quelle était la nature de l’inculpation en cause. Par la suite, l’appelant devint assez violent et, se saisissant d’un pot ou d’un cruchon posé sur l’évier de la cuisine, il le tint au-dessus de sa tête et parut sur le point de le lancer à l’agent. Cronkwright recula et finalement courut vers la véranda où s’ensuivirent des poussées et l’agent fut projeté en bas de l’escalier, tombant sur le ciment avec l’appelant en partie sur lui et subissant une fracture et dislocation du coude gauche.
Au procès, tout en acquittant l’accusé de l’inculpation telle que portée, le savant juge a reconnu l’appelant coupable de voies de fait ayant causé des blessures à l’agent de la paix. Il est intéressant de noter les doutes qui ont porté le savant juge de première instance à acquitter Gamracy et que les extraits suivants de son jugement attestent:
[TRADUCTION] Gamracy résistait certainement à sa propre arrestation et effectivement il se portait à des voies de fait contre Cronkwright et ne partait pas de bon gré. Il s’agit simplement d’une question de degré dans les voies de fait et je suis disposé à statuer que Gamracy s’est porté à des voies de fait sur Cronkwright, un agent de service à ce moment-là, et la seule question à trancher est la suivante: Cronkwright, après avoir informé Gamracy uniquement du fait qu’il avait un mandat d’arrestation contre lui et sans mentionner sur quoi portait le mandat, agissait-il effectivement dans l’exécution de ses fonctions? Cronkwright, en contre-interrogatoire, indique qu’il ne
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connaissait pas le motif du mandat et il dépose dans les termes que voici: (traduction) «Je lui ai dit qu’il était en état d’arrestation en vertu d’un mandat qui était demeuré non exécuté». Dans ces conditions, l’accusé peut-il être déclaré coupable?
A mon avis, il est clair que l’agent agissait en vertu du pouvoir conféré par l’art. 450, par. (1), du Code criminel, qui se lit comme suit:
450. (1) Un agent de la paix peut arrêter sans mandat…
c) une personne contre laquelle il a des motifs raisonnables et probables de croire qu’un mandat d’arrestation est exécutoire dans les limites de la juridiction territoriale dans laquelle est trouvée cette personne.
Nonobstant les dispositions de cet article, et malgré qu’il ait jugé que Cronkwright était «un agent de service à ce moment-là», le juge de première instance paraît avoir conclu qu’il n’agissait pas dans «l’exécution de sa fonction» à cause des dispositions de l’art. 29 du Code criminel qui décrète:
29. (1) Quiconque exécute un acte judiciaire ou un mandat est tenu de l’avoir sur soi, si la chose est possible, et de le produire lorsque demande lui en est faite.
(2) Quiconque arrête une personne avec ou sans mandat; est tenu de donner à cette personne, si la chose est possible, avis
a) de l’acte judiciaire ou du mandat aux termes duquel il opère l’arrestation, ou
b) du motif de l’arrestation.
Je l’ai dit, l’arrestation était en voie d’être faite sans que l’agent ait le mandat en sa possession et il est donc clair, à mon avis, que le par. (2) de l’art. 29 est la disposition qui s’applique, et que les alinéas a) et b) de ce paragraphe doivent se lire de façon disjunctive, de sorte que, lorsqu’une arrestation est faite sans mandat, l’agent qui opère l’arrestation remplit pleinement son devoir en disant à la personne qu’il arrête que le motif de l’arrestation est l’existence d’un mandat à cet effet qui est demeuré non exécuté. Le juge de première instance semble cependant avoir pensé que, lorsqu’il a appelé le poste de police pour demander du renfort à cause du comportement violent et
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agressif de l’appelant, l’agent aurait dû, au même moment, demander des détails sur le mandat d’arrestation. A ce propos, le juge de première instance a dit:
[TRADUCTION] Était-il faisable, pour Cronkwright, d’informer l’accusé de la nature de l’accusation portée contre lui. Ici, les faits se contredisent en partie. Dès que l’accusé a demandé pourquoi on l’arrêtait, je suis convaincu que l’agent pouvait lui dire qu’il n’était pas au courant de l’infraction énoncée dans le mandat, et qu’il pouvait offrir à l’accusé de se procurer ce renseignement, soit au téléphone, soit à la radio de la voiture de patrouille que lui, Cronkwright, conduisait. Cependant, Cronkwright ne l’a pas fait. D’autre part, il ne fait pas de doute que les actes de Gamracy durant tout cet incident prouvaient à l’évidence qu’il n’avait aucunement l’intention de collaborer, et dans ce sens strict il n’était pas faisable pour l’agent de montrer le mandat à Gamracy, ni de lui dire les motifs de son arrestation. Certainement, après coup, on voit qu’il y a eu faute de part et d’autre.
A mon avis, non seulement ce n’était «pas faisable» dans un «sens strict», mais il ne faisait pas partie des fonctions de l’agent d’obtenir le mandat pour le montrer à Gamracy ou de s’assurer de sa teneur. Il a pleinement rempli son devoir en disant que le mandat qui était demeuré non exécuté était le motif de l’arrestation.
L’avocat de l’appelant a soutenu que les dispositions de l’article 450, par. (1), et de l’art. 29 du Code criminel doivent s’interpréter à la lumière des observations que le vicomte Simon a faites à la Chambre des Lords dans l’affaire Christie v. Leachinsky[2], où il a dit:
[TRADUCTION]…un citoyen a le droit de savoir en vertu de quelle inculpation ou de quel crime dont on le soupçonne on l’arrête.
Il s’agissait dans cette affaire-là d’une action pour incarcération arbitraire et il est intéressant de signaler que le vicomte Simon, au cours d’un jugement très savant, a fait remarquer, notamment, que la personne appréhendée ne peut se plaindre qu’il ne lui a pas été donné
[TRADUCTION]…de renseignements en la manière et au moment requis, s’il crée lui‑même la situation qui
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rend pratiquement impossible de la renseigner, par exemple, se livre immédiatement à une contre-attaque ou prend la fuite.
Même si l’arrêt Christie est sans doute intéressant dans le contexte anglais et mérite naturellement le plus grand respect, je pense qu’il faut dire que des arrêts de ce genre ne sont d’aucun secours pour statuer sur le sens et la portée véritable des art. 450, par. (1), et 29 du Code criminel, et je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’en dire davantage.
On voit donc que, en définitive, je suis d’accord avec M. le Juge en chef Gale lorsqu’il dit, dans les motifs de jugement qu’il a rédigés au nom de la Cour d’appel:
[TRADUCTION] Ici, l’agent de la paix n’avait pas un mandat sur lui; il opérait donc l’arrestation sans mandat. Mais il opérait l’arrestation en vertu d’un mandat qui était demeuré non exécuté et qui était toujours valide; et par conséquent, lorsque le motif de l’arrestation lui a été demandé, il a donné à l’intimé avis que l’arrestation était faite en vertu de ce mandat. Cela suffit pour satisfaire aux dispositions de l’art. 29, par. (2).
Pour tous ces motifs, ainsi que pour ceux que M. le Juge en chef Gale a avancés, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Le jugement des Juges Spence et Laskin a été rendu par
LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai eu l’occasion de lire les motifs rédigés par mon collègue le Juge Ritchie et j’accepte son exposé des faits tout en y ajoutant des faits que je citerai ci‑après. Je dois dire toutefois que je n’adopte pas la conclusion de mon collègue et je crois pouvoir exprimer mon désaccord en très peu de mots.
Il est admis de part et d’autre que, l’agent Cronkwright n’ayant pas en sa possession le mandat portant le nom de l’accusé, il se trouvait effectivement à arrêter l’accusé sans mandat. D’après les termes exprès de l’art. 450, par. (1), al. c), un agent de la paix peut arrêter sans mandat une personne contre laquelle il a des motifs raisonnables et probables de croire qu’un mandat d’arrestation est exécutoire dans les
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limites de la juridiction territoriale dans laquelle est trouvée cette personne. L’agent Cronkwright avait de tels motifs raisonnables et probables. Il avait été informé du mandat par les agents de la sûreté dont il faisait lui-même partie.
L’article 29 du Code criminel prescrit ensuite le devoir d’une personne qui en arrête une autre et le par. (2) dudit art. 29 s’applique directement aux circonstances du présent pourvoi. Il édicté:
29. (2) Quiconque arrête une personne avec ou sans mandat, est tenu de donner à cette personne, si la chose est possible, avis
a) de l’acte judiciaire ou du mandat aux termes duquel il opère l’arrestation, ou
b) du motif de l’arrestation.
Cet article, on le voit, prescrit que l’agent de police «est tenu de donner à cette personne, si la chose est possible, avis a) de l’acte judiciaire ou du mandat aux termes duquel il opère l’arrestation, ou b) du motif de l’arrestation». On a dit que ces deux exigences sont alternatives et disjunctives. Sur cela, je suis d’accord. La question est de savoir ce qu’est a) un avis du mandat, ou b) un motif de l’arrestation, et je suis fermement d’avis qu’un agent de la paix ne donne pas un avis du mandat ni le motif de l’arrestation simplement en informant la personne qu’il appréhende qu’un mandat quelconque a été «lancé contre lui».
Ces articles du Code criminel sont la consécration législative d’exigences de la common law qui existent littéralement depuis des siècles, et les obligations d’un agent de police en vertu de la common law ont été traitées par des cours de la plus haute autorité. Il est vrai que ces arrêts ont habituellement trait à des poursuites pour détention arbitraire, mais je pense qu’ils sont également applicables au critère suivant: l’agent de la paix était-il dans l’exécution de ses fonctions (duty)?
Je souligne que le par. (2) de l’art. 29 contient au début les mots «est tenu de» (It is the duty). L’un des plus importants de ces arrêts est peut-être celui de l’affaire Christie v. Leachinsky[3],
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rendu par la Chambre des Lords, et je reprends le passage souvent cité de l’allocation de Lord Simonds, à la p. 593:
[TRADUCTION] Ces considérations et d’autres semblables me portent à croire que ce n’est pas une condition essentielle d’une arrestation légale qu’au moment de l’arrestation l’agent de police formule une accusation quelconque, encore moins l’accusation qui pourra finalement se trouver dans l’acte d’accusation. Mais cela, et cela seulement, est la réserve que j’apporterais à la proposition générale. Ce qui laisse inchangé le principe, qui est au centre de la question, que l’homme mis en état d’arrestation a le droit de se faire dire pour quel acte il est arrêté. L’«accusation» qui sera finalement portée dépendra de la façon dont la loi juge son acte. Dans quatre‑vingt-dix-neuf pour cent des cas, les mêmes mots peuvent être employés pour définir l’accusation ou décrire l’acte, et la précision technique n’est pas, non plus, nécessaire: par exemple, si l’acte criminel dont il s’agit est un homicide, il n’est pas important que l’arrestation soit pour meurtre et que, plus tard, une accusation d’homicide involontaire soit substituée. Il n’est laissé à la personne appréhendée aucun doute que l’arrestation est faite à propos de cet homicide. C’est là, je pense, le principe fondamental, à savoir, qu’un homme a le droit de savoir ce que, selon les termes judicieux du Juge Lawrence, sont (traduction) «les faits qu’on dit constituer une infraction de sa part».
(Les italiques sont de moi.)
C’est la tentative de faire entrer ce principe dans la loi que traduit l’emploi par le législateur, au par. (2) de l’art. 29 du Code, des termes «donner à cette personne…avis a) de l’acte judiciaire ou du mandat…, ou b) du motif de l’arrestation».
Dans la présente affaire, il était certainement faisable pour l’agent de police de donner avis en informant l’accusé non seulement du fait qu’il existait un mandat exécutoire contre lui mais aussi de l’accusation énoncée dans ledit mandat. Lorsque l’agent, qui conduisait sa voiture de patrouille, s’est approché de l’accusé sur la route, il se dirigeait, dit-il, vers le numéro 26 de la rue Redan dans le but d’arrêter Gamracy parce qu’on lui avait dit qu’il existait contre Gamracy un mandat d’arrestation qui était demeuré non exécuté. Je trouve assez incroyable qu’on ait donné à l’agent de police ce rensei-
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gnement sans l’informer de l’accusation portée dans le mandat. Pourtant, plus tard, dans la maison de l’accusé, parce qu’il semblait que l’accusé avait l’intention de résister à l’arrestation, l’agent a téléphoné au poste de police pour demander de l’aide. En contre‑interrogatoire, l’agent a admis ne pas avoir demandé de renseignements, à celui qui lui a répondu au poste de police, quant à ce qui était l’accusation dans le mandat, en dépit du fait que l’accusé ne cessait d’exiger de tels renseignements. Le constable réitère en contre‑interrogatoire que le seul renseignement qu’il a donné à l’inculpé est que (traduction) «c’était pour un mandat qui était demeuré non exécuté».
D’après ces circonstances, je crois qu’il a été clairement démontré qu’il était faisable de renseigner l’inculpé sur le contenu du mandat et qu’il ne suffisait pas de l’informer qu’il existait un mandat pour lui donner avis du mandat ou du motif de son arrestation.
Je suis donc d’avis que l’agent de police a omis de s’acquitter de l’obligation légale qui lui était spécifiquement imposée par les dispositions de l’art. 29 du Code criminel et que, par conséquent, il n’agissait pas dans l’exécution de ses fonctions lorsqu’il a tenté d’arrêter l’inculpé, et que ce dernier ne peut pas être trouvé coupable, en vertu de l’art. 246, par. (2), de l’accusation de voies de fait contre un agent de police agissant dans l’exécution de ses fonctions.
Pour ces motifs, j’accueillerais le pourvoi et rétablirais la décision du juge de la Cour provinciale acquittant l’accusé de l’inculpation de voies de fait contre un agent de police mais le déclarant coupable de voies de fait simples.
Appel rejeté, les JUGES SPENCE et LASKIN étant dissidents.
Procureurs de l’appelant: Kelly, McRae & Murray, Toronto.
Procureur de l’intimée: Le Procureur général de l’Ontario, Toronto.
[1] [1972] 3 O.R. 110, 7 C.C.C. (2d) 221.
[2] [1947] 1 All E.R. 567.
[3] [1947] A.C. 573.