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21/12/1973 | CANADA | N°[1975]_2_R.C.S._275

Canada | Corbett c. R., [1975] 2 R.C.S. 275 (21 décembre 1973)


Cour suprême du Canada

Corbett c. R., [1975] 2 R.C.S. 275

Date: 1973-12-21

Lawrence Wilburn Corbett Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1973: le 12 décembre; 1973: le 21 décembre.

Présents: Les Juges Abbott, Martland, Judson, Spence, Pigeon, Laskin et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

Cour suprême du Canada

Corbett c. R., [1975] 2 R.C.S. 275

Date: 1973-12-21

Lawrence Wilburn Corbett Appelant;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1973: le 12 décembre; 1973: le 21 décembre.

Présents: Les Juges Abbott, Martland, Judson, Spence, Pigeon, Laskin et Dickson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE


Synthèse
Référence neutre : [1975] 2 R.C.S. 275 ?
Date de la décision : 21/12/1973
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit criminel - Déclaration de culpabilité à l’égard d’une accusation de meurtre non qualifié - Appel - Application de l’art. 613(1) a) (i) du Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34.

L’appelant a été trouvé coupable de meurtre non qualifié. Le témoin principal de la poursuite était la femme de la victime. Elle a identifié l’accusé dans une parade d’identification trois jours après la mort de son mari, mais il y a quelques divergences entre sa déposition et certains faits matériels pertinents que d’autres témoins ont constatés peu après le crime. La Cour d’appel a rejeté l’appel et la seule divergence d’opinions a porté sur l’application du sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613 du Code criminel qui prévoit que la Cour d’appel peut admettre l’appel si elle est d’avis que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve.

Arrêt (les Juges Spence et Laskin étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Les Juges Abbott, Martland, Judson, Pigeon et Dickson: Si les juges de la majorité en Cour d’appel avaient jugé que leur rôle en vertu du sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613 était seulement de déterminer s’il y avait preuve à l’appui du verdict, il y aurait là erreur donnant lieu à cassation. La Cour d’appel doit s’assurer non seulement qu’il existe une preuve exigeant que l’affaire soit soumise au jury, mais également que le poids de cette preuve n’est pas si faible qu’un verdict de culpabilité soit déraisonnable. Cela ne veut pas dire que la Cour d’appel doit substituer son opinion à celle du jury. Le texte de loi dit bien «déraisonnable», et non pas «injustifié». Ce sont les membres du jury qui jugent les faits et leur conclusion ne doit pas être écartée simplement parce que les juges de la Cour d’appel ne pensent pas qu’ils auraient eux-mêmes abouti à la même conclusion s’ils avaient siégé comme membres du jury. La conclusion du jury ne peut être rejetée que si la Cour d’appel arrive à la conclusion que le verdict est tel qu’aucun jury composé de douze hommes raisonnables jugeant de façon judiciaire n’aurait pu aboutir au verdict rendu.

[Page 276]

L’article 4(5) de la Loi sur la preuve au Canada qui porte que l’abstention d’une personne accusée de témoigner «ne peut faire le sujet de commentaires par le juge ou l’avocat de la poursuite», n’empêche pas le jury de tenir compte du fait sans qu’on le lui demande. Nul ne peut raisonnablement penser qu’un jury manquera, en rendant un verdict, de tenir compte de l’abstention de l’accusé de témoigner. Cela étant, il s’agit d’un fait que la Cour d’appel considère à bon droit lorsqu’elle répond à la question: «Est-ce là un verdict raisonnable?»

Les Juges Spence et Laskin, dissidents: La différence entre la question de savoir s’il y a une preuve sur laquelle le jury pouvait rendre son verdict et la question de savoir si «le verdict est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve» n’est pas seulement la différence entre les sous-al. (ii) et (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613, mais constitue la question centrale qui doit engager la Cour d’appel provinciale lorsque sa compétence est invoquée sur un appel d’une déclaration de culpabilité fondé sur les motifs énoncés au sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613. Là majorité de la Cour d’appel a basé le rejet de l’appel interjeté par l’accusé sur le motif qu’il y avait preuve sur laquelle le jury pouvait se fonder pour rendre un verdict de culpabilité.

Le jury a dû considérer la femme de la victime comme un témoin digne de foi. Mais le fait qu’un témoin soit, pour un jury, digne de foi, ne suffit pas à lui seul à infirmer la prétention suivant laquelle le verdict du jury est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve dans son ensemble. C’est là l’erreur que la majorité de la Cour d’appel a commise dans sa façon d’aborder le sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613. Les membres d’une cour d’appel provinciale doivent peser la preuve lorsque leur propre jugement se porte sur la question de savoir si le verdict du jury est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve et ils ont le droit, sur cette question, de remplacer l’opinion du jury par la leur.

L’abstention de rendre témoignage, si elle peut avoir une importance quelconque lors d’un appel interjeté par un accusé, peut seulement tendre vers le rejet de l’appel pour le motif d’absence de tort important ou d’erreur judiciaire, un motif qui est relié non pas au sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613, mais au sous-al. (ii), relatif à une décision erronée sur une question de droit.

[Page 277]

POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], rejetant un appel interjeté à l’encontre d’une déclaration de culpabilité à l’égard d’une accusation de meurtre non qualifié. Le pourvoi est rejeté, les Juges Spence et Laskin étant dissidents.

T.A. Dohm, c.r., pour l’appelant.

W.G. Burke-Robertson, c.r., pour l’intimée.

Le jugement des Juges Abbott, Martland, Judson, Pigeon et Dickson a été rendu par

LE JUGE PIGEON — L’appelant a été trouvé coupable de meurtre non qualifié après un procès devant le Juge Aikins et un jury, à Prince-George, (Colombie-Britannique), le 9 novembre 1971. Le témoin principal de la poursuite était la femme de la victime, un nommé MacDonald. Elle a été elle-même atteinte de trois balles tirées sur elle par le meurtrier immédiatement après avoir abattu son mari. Elle a identifié l’accusé dans une parade d’identification trois jours plus tard, mais il y a quelques divergences entre sa déposition et certains faits matériels pertinents que d’autres témoins ont constatés peu après le crime.

La Cour d’appel a été unanime à juger équitable l’exposé fait au jury et la seule question sur laquelle il y a eu divergence d’opinions a été l’application du sous-al. (i) de l’al. a) de l’art. 613.1 du Code criminel. Cet alinéa porte que la Cour d’appel

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve.

La conclusion du jugement de la Cour d’appel est la suivante:

[TRADUCTION] CETTE COUR DÉCIDE ET ORDONNE: la requête en vue d’obtenir l’autorisation d’appeler de la déclaration de culpabilité susdite est par ces présentes accordée, l’appel de la déclaration de culpabilité susdite est par ces présentes rejeté; l’honorable Juge Robertson, qui aurait accueilli l’ap-

[Page 278]

pel, est dissident en ce qui concerne le rôle de la Cour prévu au sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613 du Code criminel.

Le pourvoi devant cette Cour a été interjeté en verdu de l’al. a) de l’art. 618.1 aux termes duquel une personne déclarée coupable peut interjeter appel «sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident».

A mon avis, les motifs de jugement exposés par les Juges d’appel Branca et Taggart au nom de la majorité, et par le Juge d’appel Robertson, dissident, montrent clairement que la dissidence ne porte pas sur une question de droit mais seulement sur l’application de la loi. C’est la raison pour laquelle on a trouvé impossible de préciser, ainsi que l’exige l’art. 606, les motifs de droit sur lesquels repose la dissidence.

L’avocat de l’accusé, dans sa plaidoirie complète et minutieuse, n’a pu également formuler une question de droit découlant de la dissidence. Voici comment il a exposé le point dans le mémoire résumant ses prétentions:

[TRADUCTION] L’erreur de droit alléguée est que la majorité de la Cour d’appel a mal envisagé son rôle prévu à l’art. 613.

Nous prétendons que la majorité n’a pas tiré ses propres conclusions d’après le poids de la preuve comme elle doit le faire dans un appel interjeté en vertu de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i).

L’appelant prétend que sous le régime de cet article, il peut, en droit, exiger que la Cour d’appel provinciale arrive judiciairement à sa propre opinion, après examen de toute la preuve.

Il ne suffit pas que les juges de la cour d’appel provinciale considèrent seulement si la déclaration de culpabilité s’appuie sur une preuve quelconque.

Naturellement, si les juges de la majorité avaient jugé que leur rôle était seulement de déterminer s’il y avait preuve à l’appui du verdict, il y aurait là erreur donnant lieu à cassation. Le code prévoit expressément que l’appel peut être admis, non seulement lorsque le verdict est rendu sans aucune preuve mais également lorsqu’il est déraisonnable. En d’autres termes, la Cour d’appel doit s’assurer non seulement qu’il existe une preuve exigeant que l’af-

[Page 279]

faire soit soumise au jury, mais également que le poids de cette preuve n’est pas si faible qu’un verdict de culpabilité soit déraisonnable. Cela ne veut pas dire que la Cour d’appel doit substituer son opinion à celle du jury. Le texte de loi dit bien «déraisonnable», et non pas «injustifié». Ce sont les membres du jury qui jugent les faits et leur conclusion ne doit pas être écartée simplement parce que les juges de la cour d’appel ne pensent pas qu’ils auraient eux-mêmes abouti à la même conclusion s’ils avaient siégé comme membres du jury. La conclusion du jury ne peut être rejetée que si la Cour d’appel arrive à la conclusion que le verdict est tel qu’aucun jury composé de douze hommes raisonnables jugeant de façon judiciaire n’aurait pu aboutir au verdict rendu.

Je ne peux interpréter les motifs des juges de la majorité comme impliquant qu’ils n’ont pas appliqué le critère approprié et ont recherché seulement s’il y avait une preuve à l’appui du verdict. Les deux griefs d’appel sur ce point ont été exposés comme suit dans l’avis d’appel:

[TRADUCTION]

3. Le verdict du jury doit être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable et inique et qu’aucun jury de douze hommes ne l’aurait rendu après avoir reçu les directives appropriées.

4. Le verdict du jury doit être rejeté pour le motif qu’il ne peut pas s’appuyer sur la preuve.

Au sujet de ces griefs, le Juge d’appel Branca a déclaré:

[TRADUCTION] Cette Cour ne peut pas juger à nouveau cette affaire ou se substituer au jury et tirer des conclusions de fait. Cette tâche incombait au jury. Le rôle de cette Cour est simplement d’examiner la preuve et les directives du savant juge de première instance au jury et de voir si, oui ou non, la conclusion du jury pouvait raisonnablement s’appuyer sur la preuve, et de s’assurer qu’il n’y a dans l’exposé du savant juge de première instance aucune directive erronée ou absence de directive et que l’exposé rattache suffisamment la preuve aux questions que le jury devait trancher.

Peut-on dire que le verdict du jury dans la présente affaire est inique, c’est-à-dire que le verdict est si manifestement déraisonnable et injuste que cette

[Page 280]

Cour devrait être convaincue qu’aucun jury de douze hommes raisonnables considérant l’ensemble de la preuve et jugeant de façon judiciaire ne le rendrait? C’est seulement sur cette base qu’un verdict rendu par un jury peut être considéré comme inique. Mais on ne peut dire d’un verdict qu’il est inique, lorsqu’il y a une preuve sur laquelle peut s’appuyer la conclusion du jury, spécialement lorsque les directives du savant juge de première instance sont aussi complètes, aussi équitables et aussi lucides qu’elles l’ont été dans la présente affaire.

A mon avis, rien ne permet de déduire que le savant juge a considéré seulement la question de savoir s’il y avait une preuve à l’appui du verdict. S’il n’y avait eu aucune preuve, le devoir du savant juge de première instance aurait été de ne pas soumettre au jury l’examen de l’affaire. Ce n’est pas la question qui a été examinée. Le point traité reposait sur la prémisse que l’affaire avait été à bon droit soumise au jury. Ce qu’on s’est demandé, en fait, c’est si le jury pouvait raisonnablement répondre «coupable», et, à mon avis, c’était le critère voulu en Cour d’appel.

A la fin de ses motifs, le Juge d’appel Branca a ajouté:

[TRADUCTION] … L’accusé n’a pas témoigné. Il n’était absolument pas tenu de le faire et il avait le droit de s’appuyer sur la présomption d’innocence et le fait que la poursuite devait prouver sa culpabilité au-delà d’un doute raisonnable. Le fait qu’il n’ait pas témoigné n’a pas déchargé la poursuite du devoir de prouver sa culpabilité au-delà d’un doute raisonnable, mais quand, comme dans le cas présent, une preuve directe inculpe l’accusé, preuve que le jury a acceptée comme vraie, alors cette Cour peut très bien considérer son abstention de rendre témoignage comme un facteur qui entre en ligne de compte pour décider du sort de l’appel.

En présumant que l’exactitude de cet énoncé soit une question de droit qui peut être considérée dans le présent pourvoi, je ne trouve aucune raison de le contester. L’article 4.5 de la Loi sur la preuve au Canada porte que l’abstention d’une personne accusée «ne peut faire le sujet de commentaires par le juge ou l’avocat de la poursuite», il n’empêche pas le jury de tenir compte du fait sans qu’on le lui demande. Nul ne peut raisonnablement penser qu’un jury man-

[Page 281]

quera, en rendant un verdict, de tenir compte de l’abstention de l’accusé de témoigner, spécialement dans un cas comme celui-ci. Cela étant, il s’agit d’un fait que la Cour d’appel considère à bon droit lorsqu’elle répond à la question: «Est-ce là un verdict raisonnable?»

L’autre avis exprimé au nom de la majorité a été donné par le Juge d’appel Taggart. Au sujet du caractère raisonnable du verdict, il a déclaré:

[TRADUCTION] Incontestablement, il y avait des éléments de preuve tendant à affaiblir la preuve d’identification faite par Mme MacDonald, mais, en dernière analyse, il appartenait au jury de décider s’il devait accepter ou rejeter la preuve d’identification, après avoir entendu les directives données par le président du tribunal, directives que je décrirai simplement comme scrupuleusement équitables pour l’appelant. En l’espèce, je ne peux pas affirmer que le jury s’est montré inique en acceptant la preuve d’identification et il ne s’agit pas non plus d’une affaire dans laquelle cette Cour devrait appliquer les dispositions de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i), du Code.

Il ressort donc très clairement de ce qui précède que le savant juge n’a pas confondu le rôle que la Cour doit assumer lorsqu’il s’agit de considérer le caractère raisonnable d’un verdict, avec celui qui lui appartient lorsqu’il s’agit de déterminer s’il n’y a pas de preuve du tout. Par conséquent, ni lui et ni le Juge d’appel Branca n’ont été, sur le droit, en désaccord avec le point de vue exprimé par le juge dissident, le Juge d’appel Robertson, qui a déclaré:

[TRADUCTION] Étant donné que la Cour a le devoir de décider si le verdict est déraisonnable ou ne peut s’appuyer sur la preuve, elle doit considérer le poids de la preuve. En l’espèce, il est incontestable que la cour peut être à bon droit influencée par le poids que le jury a dû lui donner (en particulier lorsqu’il y a conflit entre les témoignages de témoins différents), mais cela ne décharge pas la cour de l’obligation d’arriver à sa propre conclusion. Le fait pour la cour de dire, «Oui, c’est notre conclusion que le verdict est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve, mais le jury est le juge des faits et il est évident qu’il a pensé que le verdict est raisonnable et peut s’appuyer sur la preuve, et donc nous n’interviendrons pas», équivaut, à mon avis, à remplir le rôle de la Cour d’une manière qu’on ne peut qualifier de judiciaire.

[Page 282]

En dernière analyse, la Cour se trouve à abdiquer en faveur du jury, à renoncer à l’accomplissement de son devoir judiciaire. Par une telle attitude, la Cour refuse de donner effet à la conclusion et à l’avis auxquels l’appelant a le droit de s’attendre qu’elle arrive.

Je ne pense pas que ce que je viens de citer signifie que le rôle de la Cour d’appel soit de statuer selon ce que ses membres pensent qu’ils auraient décidé s’ils avaient siégé en tant que jury, de telle sorte que, s’ils ne sont pas convaincus qu’ils auraient rendu le même verdict, ils doivent le trouver déraisonnable. Si c’est ce qu’a voulu dire le savant juge, alors je dois être en désaccord avec lui car ce n’est pas le critère voulu. Comme on l’a déjà signalé, la question est de savoir si le verdict est déraisonnable, non s’il est injustifié. Le rôle de la Cour n’est pas de se substituer au jury mais de décider si le verdict est l’un de ceux qu’un jury qui a reçu les directives appropriées et qui agit d’une manière judiciaire aurait pu raisonnablement rendre.

Je n’estime pas qu’il soit nécessaire de passer en revue les précédents cités par le Juge d’appel Robertson étant donné qu’aucun de ceux-ci ne me semble aller à l’encontre de ce que j’ai dit être le principe juridique applicable, et il ne semble pas que le savant juge ait voulu s’en écarter. A mon avis, sa dissidence est fondée seulement sur une manière différente de voir les faits, ce qu’il a exprimé dans l’alinéa final de ses motifs dans les termes suivants:

[TRADUCTION] En résumé, mon point de vue est que le témoignage présenté à l’appui des allégations de la poursuite est trop peu sûr, il est de par sa nature trop douteux, pour qu’une déclaration de culpabilité puisse en dépendre, et le verdict est, par conséquent, déraisonnable et ne s’appuie pas sur la preuve.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Le jugement des Juges Spence et Laskin a été rendu par

LE JUGE LASKIN (dissident) — Il y a deux questions en litige dans le pourvoi interjeté par l’accusé à l’encontre de la confirmation par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (les Juges Branca et Taggart, le Juge Robertson

[Page 283]

ayant été dissident) de la déclaration de culpabilité de meurtre non qualifié prononcée contre lui. La première question est une question de compétence mettant en cause l’autorité de cette Cour à connaître de l’appel en vertu de l’art. 618, par. (1), al. a), du Code criminel La seconde question, qui ne se pose que s’il y a compétence, consiste à savoir si cette Cour doit trancher le pourvoi d’après le bien-fondé des prétentions de fond ou si, advenant une erreur de droit dans le point de vue et la décision de la majorité de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, cette Cour doit renvoyer l’affaire devant la Cour d’appel ou décider la tenue d’un nouveau procès. En cette Cour, l’avocat de l’accusé et celui de la Couronne ont été d’accord pour dire que s’il y a eu dans la Cour d’appel provinciale une erreur de nature à donner à cette Cour l’autorité d’intervenir, l’affaire doit être renvoyée devant la Cour d’appel provinciale pour décision conforme à une juste application de l’art. 613, par. (1), al. a), sous‑al. (i), du Code criminel. C’est relativement à cette disposition que se pose la question de la compétence de cette Cour à connaître de l’appel en vertu de l’art. 618, par. (1), al. a).

L’art. 618, par. (1), al. a) est libellé comme suit:

Une personne déclarée coupable d’un acte criminel autre qu’une infraction punissable de mort et dont la condamnation est confirmée par la Cour d’appel, peut interjeter appel à la Cour suprême du Canada

a) sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident, …

Pour savoir s’il y a dissidence du Juge d’appel Robertson sur une question de droit, on peut se reporter tant au jugement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique qu’aux motifs de jugement des trois membres de cette Cour-là qui ont entendu l’appel de l’accusé à l’encontre de la déclaration de culpabilité prononcée contre lui.

Le jugement, dans la mesure où il est pertinent, est rédigé en ces termes:

[TRADUCTION] Cette Cour décide et ordonne: … l’appel de la déclaration de culpabilité susdite est par ces présentes rejeté; l’honorable Juge Robertson, qui aurait accueilli l’appel, est dissident en ce qui con-

[Page 284]

cerne le rôle de la Cour prévu au sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613 du Code criminel.

L’article 613, par. (1), al. a), sous-al. (i), est libellé comme suit:

Lors de l’audition d’un appel d’une déclaration de culpabilité ou d’un verdict portant que l’appelant est incapable de subir son procès, pour cause d’aliénation mentale, ou d’un verdict spécial de non-culpabilité pour cause d’aliénation mentale, la cour d’appel

a) peut admettre l’appel, si elle est d’avis

(i) que le verdict devrait être rejeté pour le motif qu’il est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve,

Ce que l’avocat de l’appelant dit être la question de droit sur laquelle le Juge d’appel Robertson a été dissident, c’est l’interprétation erronée de l’art. 613, par. (1), al. a), sous‑al. (i), donnée par la majorité des membres de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique lorsqu’elle a rempli le rôle qui lui revient en vertu de cette disposition. Dans l’examen de cette question, il faut éviter de l’embrouiller en invoquant les directives inattaquables (et en l’espèce, exemplaires) que le juge de première instance a données au jury. C’est une chose que de se demander si le juge de première instance a bien rempli son rôle, ce qu’on ne peut contester ici; c’est toute autre chose’ de se demander si la Cour d’appel a fait de même.

La question sous examen exige de même que l’on fasse une distinction entre le rôle du jury et le rôle qui incombe à la Cour d’appel dans son examen du verdict du jury sous le régime des prescriptions de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i). S’il n’y a pas de preuve sur laquelle un jury qui a reçu les directives appropriées pourrait fonder son verdict, cela soulève une question de droit sous le régime de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (ii); et, en outre, si à l’issue de la preuve de la Couronne le juge de première instance conclut qu’il n’y a pas d’affaire à soumettre au jury, il ordonne qu’un verdict d’acquittement soit rendu. Cependant, si l’affaire est soumise au jury, soit après que l’accusé a choisi de ne pas présenter de preuve (comme dans la présente affaire) soit après que

[Page 285]

la défense a également fait une preuve, le fait que le jury conclut à la culpabilité d’après la preuve n’est pas ipso facto déterminant quant à l’inapplicabilité de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i). La différence entre la question de savoir s’il y a une preuve sur laquelle le jury pouvait rendre son verdict et la question de savoir si «le verdict est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve» (et j’appuie sur les mots «une» et «la») n’est pas seulement la différence entre les alinéas (ii) et (i) de l’art. 613, par. (1), al. a), mais constitue la question centrale qui doit engager la Cour d’appel provinciale lorsque sa compétence est invoquée sur un appel d’une déclaration de culpabilité fondé sur les motifs énoncés à l’art. 613, par. (1), al. a) sous-al. (i). Autrement, invoquer le pouvoir que la Cour d’appel provinciale possède en vertu de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i), devient futile et oblige un appelant ou une appelante à limiter son recours à l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (ii), qui prévoit un appel sur une question de droit.

La distinction que j’ai notée dans les pouvoirs attribués à la Cour d’appel provinciale par les sous-al. (i) et (ii) de l’art. 613, par. (1), al. a), fait partie du Code criminel depuis l’introduction de ces dispositions, libellées sensiblement dans les mêmes termes, par l’art. 9 du c. 41 des statuts de 1923 (Canada). Le fait que, d’une manière générale, la Cour d’appel provinciale n’exercerait qu’une compétence étroite en vertu de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i), ne permet pas à celle-ci de renoncer à rendre un jugement, si tentant ou réconfortant que cela puisse être de s’en remettre à un simple verdict du jury. A coup sûr, deviendrait une question de jugement intéressante la question de savoir si la preuve, bien que suffisante pour permettre de soumettre l’affaire au jury, ne l’est cependant pas assez pour appuyer le verdict, ou la question de savoir si, d’après la preuve dans son ensemble, le verdict est déraisonnable.

La dissidence du Juge d’appel Robertson porte essentiellement sur ce point, à savoir, que ses collègues de la majorité ont basé le rejet de l’appel interjeté par l’accusé sur le motif qu’il y

[Page 286]

avait preuve sur laquelle le jury pouvait se fonder pour rendre un verdict de culpabilité. Suivant mon interprétation, c’est exactement ce que disent leurs motifs, que ce soit ce qu’ils aient voulu dire ou non.

La question dont cette Cour est saisie ne se présente pas dans une affaire insignifiante, bien que je m’empresse d’ajouter que le fait que l’accusé soit devant nous, sur la question en litige, dans une affaire aussi grave qu’une affaire de meurtre non qualifié, ou qu’il le soit dans une affaire infiniment moins grave, ne devrait faire aucune différence. La question dont nous sommes saisis découle, en outre, non pas d’un verdict fondé sur un conflit de témoignages quant à la question de savoir si l’action commise par l’accusé équivaut à un meurtre non qualifié, mais, plutôt, de l’identification de l’accusé par la femme de la victime, identification qui n’est corroborée sur aucun de ses éléments si ce n’est pas la version réitérée de la femme, pendant que le témoignage de celle-ci sur l’événement est complètement ébranlé par la preuve de divers faits matériels qui ne cadrent tout simplement pas avec son récit. Le juge de première instance a dit au cours de son exposé au jury que [traduction] «la preuve de la Couronne est difficile et me rend un peu perplexe». L’accusé n’avait aucun motif de tuer la victime; et le juge de première instance a à bon droit ajouté à ce propos que «lorsqu’on ne peut établir aucun motif, cela a pour effet de rendre moins vraisemblable d’autant que l’accusé est celui qui a tué».

Naturellement, pour rendre un verdict de culpabilité le jury a dû accepter la preuve d’identification; il a dû considérer la femme de la victime comme un témoin digne de foi à cet égard. Mais le fait qu’un témoin soit, pour un jury, digne de foi, ne suffit pas à lui seul à infirmer la prétention suivant laquelle le verdict du jury est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve dans son ensemble. C’est là, à mon avis, l’erreur que la majorité de la Cour d’appel a commise dans sa façon d’aborder l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i).

[Page 287]

Les motifs des Juges d’appel Branca et Taggart reconnaissent de manière explicite l’incompatibilité qui existe entre la preuve matérielle, par exemple, la preuve qui a trait à l’endroit où la victime a été découverte dans la pièce après le coup de feu fatal et la preuve qui a trait à l’endroit où du sang a été trouvé, et le témoignage de la femme de la victime sur ce qui s’est passé après qu’elle eut fait entrer dans la chambre du motel qu’elle occupait avec son mari la personne qu’elle a affirmé être l’accusé. Le Juge d’appel Branca a traité comme suit du sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613:

[TRADUCTION] Peut-on dire que le verdict du jury dans la présente affaire est inique, c’est-à-dire, que le verdict est si manifestement déraisonnable et injuste que cette Cour devrait être convaincue qu’aucun jury de douze hommes raisonnables considérant l’ensemble de la preuve et jugeant de façon judiciaire ne le rendrait? C’est seulement sur cette base qu’un verdict rendu par un jury peut être considéré comme inique. Mais on ne peut dire d’un verdict qu’il est inique, lorsqu’il y a une preuve sur laquelle peut s’appuyer la conclusion du jury, spécialement lorsque les directives du savant juge de première instance sont aussi complètes, aussi équitables et aussi lucides qu’elles l’ont été dans la présente affaire.

Cela, à mon avis, est manifestement erroné, ce que souligne la partie suivante des motifs dissidents du Juge d’appel Robertson:

[TRADUCTION] Étant donné que la Cour a le devoir de décider si le verdict est déraisonnable pu ne peut s’appuyer sur la preuve, elle doit considérer le poids de la preuve. En l’espèce, il est incontestable que la cour peut être à bon droit influencée par le poids que le jury a dû lui donner (en particulier lorsqu’il y a conflit entre les témoignages de témoins différents), mais cela ne décharge pas la cour de l’obligation d’arriver à sa propre conclusion. Le fait pour la cour de dire, «Oui, c’est notre conclusion que le verdict est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve, mais le jury est le juge des faits et il est évident qu’il a pensé que le verdict est raisonnable et peut s’appuyer sur la preuve, et donc nous n’interviendrons pas», équivaut, à mon avis, à remplir le rôle de la Cour d’une manière qu’on ne peut qualifier de judiciaire. En dernière analyse, la Cour se trouve à abdiquer en faveur du jury, à renoncer à l’accomplissement de son devoir judiciaire. Par une telle attitude,

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la Cour refuse de donner effet à la conclusion et à l’avis auxquels l’appelant avait le droit de s’attendre qu’elle arrive.

L’erreur du Juge d’appel Branca est aggravée par la phrase qui conclut ses motifs:

[TRADUCTION] Le fait qu’il n’ait pas témoigné n’a pas déchargé la poursuite du devoir de prouver sa culpabilité au-delà d’un doute raisonnable, mais quand, comme dans le cas présent, une preuve directe inculpe l’accusé, preuve que le jury a acceptée comme vraie, alors cette Cour peut très bien considérer son abstention de rendre témoignage comme un facteur qui entre en ligne de compte pour décider du sort de l’appel.

La mention que l’accusé n’a pas témoigné, si tant est qu’elle peut avoir une importance quelconque lors d’un appel interjeté par un accusé, peut seulement tendre vers Se rejet de l’appel pour le motif d’absence de tort important ou d’erreur judiciaire, un motif qui est relié non pas au sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613, mais au sous-al. (ii), relatif à une décision erronée sur une question de droit. En fait, dans la phrase qui conclut ses motifs, le Juge d’appel Branca réaffirme ce que j’ai dit être une conception erronée du rôle d’une cour d’appel sous le régime de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i); affirmer, comme il le fait, que l’appel doit être rejeté parce qu’il y a une preuve inculpant l’accusé et que le jury a acceptée, est méconnaître le devoir établi par l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i).

Même si les motifs du Juge d’appel Taggart ne révélaient pas l’erreur qui est évidente dans ceux du Juge d’appel Branca, cela ne pourrait porter atteinte à la conclusion suivant laquelle cette Cour est, sous le régime de l’art. 618, par. (1), al. a), régulièrement saisis de l’appel. A mon avis, cependant, ils révèlent bien la même façon de voir erronée. Voici ce que le Juge Taggart a déclaré:

[TRADUCTION] Incontestablement, il y avait des éléments de preuve tendant à affaiblir la preuve d’identification faite par Mme MacDonald, mais, en dernière analyse, il appartenait au jury de décider s’il devait accepter ou rejeter la preuve d’identification, après avoir entendu les directives données par le

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président du tribunal, directives que je décrirai simplement comme scrupuleusement équitables pour l’appelant. En l’espèce, je ne peux pas affirmer que le jury s’est montré inique en acceptant la preuve d’identification et il ne s’agit pas non plus d’une affaire dans laquelle cette Cour devrait appliquer les dispositions de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i), du Code.

C’est là simplement rejeter les prétentions de l’appelant sous l’art. 613, par. (1), al. a), sous‑al. (i) pour le motif que le jury avait le droit d’accepter la preuve d’identification, et que cette acceptation excluait en conséquence toute iniquité ou toute modification du verdict fondée sur le motif que celui-ci était, d’après l’ensemble de la preuve, déraisonnable. Ce n’est pas là une appréciation par le Juge d’appel Taggart du poids de la preuve, laquelle fait partie du devoir que l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i) impose à la Cour d’appel provinciale. A coup sûr, les membres de cette Cour-là doivent peser la preuve lorsque leur propre jugement se porte sur la question de savoir si le verdict du jury est déraisonnable ou ne peut pas s’appuyer sur la preuve. Ils ont parfaitement le droit, sur cette question, de remplacer l’opinion du jury par la leur.

J’ai déjà fait allusion au fait qu’une Cour d’appel peut répugner à renverser le verdict d’un jury sur simple examen du dossier, une chose inanimée. Une telle répugnance ne doit pas, cependant, se transformer en un principe de non-révisabilité; à mon avis, c’est ce qui s’est produit dans la présente affaire. J’admets volontiers que c’est trop simplifier les choses que d’assimiler le critère d’intervention à une question de savoir si la Cour d’appel aurait rendu le même verdict. C’est là une question qui ne peut trouver de réponse qu’après qu’il y a eu réexamen complet de la preuve sur laquelle le verdict s’est appuyé. Ce réexamen peut très bien amener la Cour d’appel à déclarer: bien que nous serions peut-être arrivés à un verdict différent, nous ne pensons pas que le verdict soit déraisonnable, et nous ne pensons pas non plus qu’il ne puisse s’appuyer sur l’ensemble de la preuve. Par contre, le réexamen peut amener la Cour d’appel à conclure que le verdict doit être renversé pour l’un ou l’autre des motifs énoncés.

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La difficulté soulevée par le sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613 réside dans le fait qu’il invite à des formules verbales qui constituent des rationalisations de conclusions auxquelles on est parvenu autrement. L’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i), est une source de pouvoir dans laquelle une Cour d’appel provinciale peut puiser à discrétion ou avec restriction. La Cour suprême du Canada ne peut contrôler l’emploi de ce pouvoir lorsque la Cour d’appel provinciale a démontré que c’est son appréciation indépendante qui lui sert de règle, malgré qu’on reconnaisse, et c’est compréhensible, les avantages que possède le jury. Cela, cependant, n’est pas le cas de la présente espèce.

La majorité de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a omis d’exercer comme il se devait, dans la présente affaire, le rôle que prévoit le sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613 et que cette Cour-là, différemment composée, a décrit dans l’arrêt R. v. Inglehart[2], où le Juge d’appel Bull, parlant au nom de la Cour, a déclaré (à la p. 215):

[TRADUCTION] Ce n’est pas le rôle de la Cour de juger à nouveau un appelant ou de décider de son innocence ou de sa culpabilité. Cela appartient au jury. Cependant, c’est le devoir de la Cour de déterminer si le verdict du jury est raisonnable, s’il peut trouver un appui, eu égard à la preuve. Elle doit rejeter le verdict du jury, même s’il y a preuve sur laquelle celui-ci pouvait conclure à la culpabilité, s’il est établi que l’accusation n’est pas prouvée avec la certitude nécessaire pour fonder un verdict de culpabilité et que, d’après les faits, une déclaration de culpabilité serait peu sûre et le verdict, dans l’ensemble, non satisfaisant.

Le Juge d’appel Branca a adopté ce point de vue dans l’arrêt subséquent R. v. Mohinder Singh Dhillon[3], tout comme le Juge d’appel Robertson, qui faisait partie du banc. Dans la présente affaire, le Juge d’appel Robertson a, une nouvelle fois, adopté ce point de vue mais non le Juge d’appel Branca. En ce faisant, le Juge

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d’appel Robertson a conclu, se fondant sur un examen approfondi de la preuve, tant orale que matérielle, que [TRADUCTION] «le témoignage présenté à l’appui des allégations de la poursuite est trop peu sûr, il est de par sa nature trop douteux, pour qu’une déclaration de culpabilité puisse en dépendre, et le verdict est, par conséquent, déraisonnable et ne s’appuie pas sur la preuve». En conséquence, il était d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler la déclaration de culpabilité et d’ordonner l’acquittement.

A mon avis, la majorité aurait dû arriver à la même conclusion, si elle avait exercé son rôle de révision selon une juste évaluation du devoir qui était imposé par l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i). Son erreur à cet égard a porté sur une question de droit au sujet de laquelle il y avait dissidence, et cette Cour a donc compétence pour connaître de l’appel. Forte de cette compétence, cette Cour peut, de par l’art. 613, par. (1), du Code criminel, rendre l’ordonnance que la cour d’appel provinciale aurait pu rendre selon une juste appréciation du droit. A cet égard, je n’ai rien à ajouter à ce que le Juge d’appel Robertson a déclaré dans son jugement soigneusement rédigé, et je suis par conséquent d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer la déclaration de culpabilité et d’inscrire un verdict d’acquittement. Bien que l’avocat de l’accusé et celui de la Couronne aient été disposés à ce que l’affaire fût simplement renvoyée devant la Cour d’appel pour nouvel examen selon la conception de sous-al. (i) de l’al. a) du par. (1) de l’art. 613 que cette Cour-là aurait dû adopter, je ne vois aucun avantage à le faire dans le présent cas.

En guise de post-scriptum, je mentionne le récent jugement de la Chambre des Lords dans l’affaire Stafford v. Director of Public Prosecutions[4], dans lequel je trouve un appui à ma conception du rôle indépendant d’une cour d’appel sous le régime de l’art. 613, par. (1), al. a), sous-al. (i). La Chambre des Lords avait à se prononcer sur l’art. 2, par. (1), du Criminal

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Appeal Act, 1968 (Royaume-Uni), c. 19, qui, entre autres choses, prescrit à la Cour d’appel d’accueillir un appel d’une déclaration de culpabilité (TRADUCTION) «si elle pense que le verdict du jury doit être écarté pour le motif que, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, il est peu sûr ou non satisfaisant». Cette disposition remplace l’art. 4, par. (1), du Criminal Appeal Act, 1907 (Royaume-Uni), c. 23, qui est à l’origine de notre art. 613, par. (1), al. a). Bien que l’on trouve mention dans les motifs de Lord Kilbrandon (des motifs ont été rédigés également par le vicomte Dilhorne, par Lord Diplock et par Lord Cross de Chelsea) du point de vue suivant lequel la disposition de 1968 peut avoir donné à la Cour d’appel une autorité plus grande que celle conférée par la loi de 1907, les motifs de tous les Lords juristes précisent que la Cour d’appel, dans l’exercice de son rôle de cour d’appel, doit juger selon ce qu’«elle pense».

Dans l’affaire Stafford, une preuve nouvelle avait été fournie en appel, et c’est en se fondant sur cette preuve ainsi que sur le dossier de première instance que la Cour d’appel avait examiné la question de savoir si la déclaration de culpabilité devait être infirmée comme peu sûre ou non satisfaisante. Elle avait refusé de ce faire, et la question en litige, dans le pourvoi subséquent, a été de savoir si elle aurait dû se demander si le jury aurait pu avoir un doute raisonnable même si la Cour d’appel n’en avait pas elle-même. La Chambre des Lords a bien précisé que c’était à la Cour d’appel, ou à la Chambre des Lords sur pourvoi subséquent comme c’est le cas ici, qu’il appartenait de trancher en toute indépendance.

Lord Kilbrandon a bien dit que, sous le régime de la loi de 1907, on insistait non pas tant sur le caractère déraisonnable d’un verdict mais sur la question de savoir si celui-ci avait été rendu sans preuve; et il a déclaré que les verdicts qui pouvaient s’appuyer sur une preuve que le jury était fondé en droit à accepter étaient jugés inattaquables. Je n’ai pas, ainsi que les présents motifs le démontrent, adopté une conception aussi étroite du rôle de la cour d’ap-

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pel; et Lord Kilbrandon a fait remarquer qu’il aurait été possible pour les tribunaux, après 1907, de déclarer que si un verdict était peu sûr ou non satisfaisant, il n’était pas raisonnable. C’est là mon avis, dont le passage suivant des motifs de Lord Kilbrandon (à la p. 769) donne une illustration:

[TRADUCTION] Une déclaration de culpabilité reposant entièrement sur l’identification fugitive que fait une personne qui ne connaissait pas l’accusé aurait pu, par exemple, être maintenue, bien qu’en se fondant sur une conception différente de la loi de 1907 il aurait été possible de la taxer de déraisonnable, tout comme aujourd’hui elle serait fort probablement jugée peu sûre ou non satisfaisante, et serait pour ce motif infirmée.

Appel rejeté, les JUGES SPENCE et LASKIN étant dissidents.

Procureur de l’appelant: Thomas A. Dohm, Vancouver.

Procureurs de l’intimée: Alexander, Guest & Co., Vancouver.

[1] [1973] 4 W.W.R. 234, 11 C.C.C. (2d) 137.

[2] [1968] 1 C.C.C. 211.

[3] [1973] 1 W.W.R. 510.

[4] [1973] 3 All E.R. 762.


Parties
Demandeurs : Corbett
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Corbett c. R., [1975] 2 R.C.S. 275 (21 décembre 1973)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1973-12-21;.1975..2.r.c.s..275 ?
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