Synthèse
Référence neutre : [1976] 1 R.C.S. 20
Date de la décision :
19/12/1974Sens de l'arrêt :
Les pourvois doivent être rejetés
Analyses
Droit criminel - Vol - Acte d’accusation - L’acte d’accusation désigne «Westwood Jewellers Limited» comme propriétaire - La preuve établit que le propriétaire est une personne qui exerce des affaires sous la raison sociale de «Westwood Jewellers» - Cela entraîne-t-il un acquittement?.
Les appelants ont été inculpés du vol de deux bagues de diamants, propriété de Westwood Jewellers Limited. La preuve a établi que la bijouterie où les bagues avaient été dérobées était connue sous le nom de Westwood Jewellers, dont le propriétaire et gérant était un certain M. Nuytten. A la fin de la présentation de la preuve par le Ministère public, la défense a demandé le rejet de l’accusation pour le motif que le Ministère public n’avait pas prouvé que les bagues appartenaient à Westwood Jewellers Limited, tel que mentionné dans l’acte d’accusation. Le juge a prononcé un acquittement pour le motif que le Ministère public avait dans l’acte d’accusation désigné Westwood Jewellers Limited comme propriétaire et qu’il avait été prouvé que le propriétaire était M. Nuytten. En appel, la Cour d’appel a accueilli l’appel et a déclaré coupables les deux accusés. Des pourvois ont alors été interjetés à cette Cour par les accusés.
Arrêt: Les pourvois doivent être rejetés.
Les juges Martland, Ritchie et de Grandpré: Si le propriétaire de l’objet présumé volé est mentionné dans l’acte d’accusation et si l’on ne prouve pas son droit de propriétaire, en l’absence d’autres éléments pour indiquer à l’inculpé la nature réelle de l’accusation, celui-ci devrait être acquitté. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, il n’y a rien qui puisse empêcher les inculpés d’identifier l’affaire qui fait l’objet de l’accusation, il n’y a aucune raison de les libérer pour le seul motif qu’il n’a pas été fait mention au cours des témoignages du propriétaire nommé dans l’acte d’accusation.
Les juges Dickson et Beetz: Dans une inculpation de vol, sauf en des circonstances exceptionnelles comme, par exemple, lorsque le vol peut s’inférer des circon-
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stances équivoques de la possession par l’inculpé, une allégation relative à la propriété n’est pas simplement superflue. Si un acte d’accusation contient une allégation quant à la propriété et que la preuve n’en est pas faite, l’accusation doit être rejetée.
Le présent cas se situe à l’intérieur de limites plus étroites, à savoir s’il est fatal pour le Ministère public d’alléguer que le propriétaire est la Compagnie X Limitée et de faire la preuve que le propriétaire est la Compagnie X. Dans une inculpation de vol, l’identité du propriétaire du bien dont on allègue le vol est suffisamment établie, dans les affaires où le propriétaire est désigné dans le chef d’accusation, lorsque, comme en l’espèce, (i) la preuve soumise par le Ministère public identifie suffisamment le propriétaire avec la personne désignée dans le chef d’accusation sous ce titre, et (ii) il est évident que le défaut de prouver l’identité du propriétaire avec plus de précision n’a pas induit l’inculpé en erreur ou ne lui a pas causé de préjudice dans la préparation ou la présentation de sa défense.
[Arrêt appliqué: Brodie c. Le Roi, [1936] R.C.S. 188; distinction faite avec l’arrêt: Trainer v. The King (1906), 4 C.L.R. 126; arrêts mentionnés: R. v. Carswell (1916), 26 C.C.C. 288; R. v. Cassils (1932), 57 C.C.C. 366; R. v. Scott, [1970] 3 C.C.C. 109; R. v. Meloche, [1970] 1 C.C.C. (2d) 187; R. v. Sheppard (1949), 95 C.C.C. 298; R. v. Pelletier, [1970] 3 C.C.C. 387; R. v. Emmons (1970), 13 C.R.N.S. 310; R. v. Schemenaur (1968), 65 W.W.R. 425.]
POURVOIS interjetés à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1] qui a accueilli l’appel interjeté par le Ministère public à l’encontre du verdict d’acquittement des accusés prononcé par le juge Hewak de la Cour de comté, relativement à une inculpation de vol. Pourvois rejetés.
P. Schulman, pour les appelants.
J. Guy, pour l’intimée.
Le jugement des juges Martland, Ritchie et de Grandpré a été rendu par
LE JUGE DE GRANDPRÉ — Les appelants ont été inculpés en ces termes:
[TRADUCTION] Que, le ou vers le 22 juillet 1972, lesdits Richard William Wolski et Robert Gary Little ont, en ou dans les environs de la ville de Winnipeg, du district judiciaire Eastern de la province du Manitoba, illégalement volé deux bagues de diamant d’une valeur totale
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dépassant deux cents dollars, propriété de Westwood Jewellers Limited sise au 3298 avenue Portage en ladite ville de Winnipeg, commettant ainsi un vol.
Après que la Couronne eut complété la présentation de sa preuve, l’inculpé a demandé le rejet de l’accusation pour le motif qu’il n’y avait aucun élément de preuve établissant que Westwood Jewellers Limited était le propriétaire des bagues de diamants mentionnées dans l’acte d’accusation. Le juge Hewak, de la Cour de comté, après une revue complète des autorités, s’est vu [TRADUCTION] «obligé de libérer l’inculpé».
Le juge au procès a exposé le problème comme suit:
[TRADUCTION] L’ensemble de la preuve que j’ai devant moi me convainc que Little et Wolski non seulement se connaissaient mais qu’ils ont pénétré dans les locaux de Westwood Jewellers Limited en vue de commettre un vol. Je suis convaincu que l’inculpé Little a servi à détourner l’attention pendant que Wolski se rendait au coffret à bijoux pour y enlever les bagues, après quoi les deux inculpés s’enfuirent.
La seule question à résoudre a trait au propriétaire spécifié dans l’acte d’accusation.
Pour résoudre la question, il s’est inspiré d’un principe qu’il a énoncé comme suit:
[TRADUCTION] Bien qu’il soit parfaitement admis en droit que la preuve de propriété peut être établie non seulement par une preuve directe mais aussi par une preuve circonstancielle, il reste qu’il doit exister des éléments de preuve établissant que la personne présentée dans l’acte d’accusation comme propriétaire, l’est effectivement.
Dans cette perspective, il a examiné les témoignages qui contiennent, entre autres, ce qui suit:
[TRADUCTION] Q. Je comprends, M. Nuytten, que vous êtes gérant de Westwood Jewellers située au 3298 avenue Portage, en la ville de Winnipeg, province du Manitoba; est-ce exact?
R. C’est exact.
Q. Étiez-vous propriétaire et gérant de Westwood Jewellers le 22 juillet 1972?
R. Oui, je l’étais.
et il a conclu:
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[TRADUCTION] Cependant en l’espèce, Westwood Jewellers Limited a été nommée comme propriétaire dans l’acte d’accusation alors que la preuve établit que le propriétaire est Nuytten. Nuytten et Westwood Jewellers Limited sont juridiquement deux personnes séparées et distinctes.
Sur l’appel interjeté par la Couronne, la Cour d’appel a conclu à l’existence d’un point de droit permettant un appel de la Couronne, et s’est prononcée sur le fond comme suit:
[TRADUCTION] Personne au cours du procès n’a fait mention de l’entité «Westwood Jewellers Limited», mais il n’y a pas de doute que l’endroit où l’infraction est présumée s’être produite était appelé «Westwood Jewellers», située au 3298 avenue Portage à Winnipeg et que c’est là que les bagues ont été volées.
Le juge Matas, parlant au nom de la Cour, a examiné à nouveau tous les arrêts pertinents et a conclu:
[TRADUCTION] En l’espèce, l’emploi du nom de la compagnie dans l’acte d’accusation ‘ n’a aucunement porté à confusion; l’acte d’accusation fournissait aux inculpés une connaissance suffisante des circonstances de l’infraction; l’acte d’accusation contenait des détails suffisants pour les renseigner raisonnablement sur l’acte reproché et pour identifier l’affaire. Ils n’ont pas subi de préjudice. Il ne s’agit pas d’un cas d’inculpation d’une compagnie où le statut et la désignation exacte pourraient être un détail important, (cf. R. v. Pelissiers Limited [1926] 1 W.W.R. 189 (Man. C.A.).)
Respectueusement, un acquittement dans les circonstances présentes irait directement à l’encontre de l’énoncé clair de l’al. g) de l’art. 512 du Code et démentirait l’intention évidente du Parlement.
Je suis d’accord avec cette conclusion.
Le vol est défini à l’art. 283 du Code criminel et je cite l’alinéa pertinent:
283. (1) Commet un vol, quiconque prend frauduleusement et sans apparence de droit, ou détourne à son propre usage ou à l’usage d’une autre personne, frauduleusement et sans apparence de droit, une chose quelconque, animée ou inanimée avec l’intention
a) de priver, temporairement ou absolument, son propriétaire, ou une personne y ayant un droit de propriété spécial ou un intérêt spécial, de cette chose ou de son droit ou intérêt dans cette chose,
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Par souci de justice envers les prévenus et pour leur bien faire comprendre la nature de l’infraction dont ils sont inculpés, le Code a édicté certaines dispositions quant aux chefs d’accusation et aux actes d’accusation parmi lesquels il convient de citer les suivantes:
510. (2) La déclaration mentionnée au paragraphe (1) peut être faite
a) en langage populaire sans expressions techniques ni allégations de choses dont la preuve n’est pas essentielle,
b) dans les termes mêmes de la disposition qui décrit l’infraction ou déclare que le fait imputé est un acte criminel, ou
c) en des termes suffisants pour notifier au prévenu l’infraction dont il est inculpé.
(3) Un chef d’accusation doit contenir, à l’égard des circonstances de l’infraction alléguée, des détails suffisants pour renseigner raisonnablement le prévenu sur l’acte ou omission à prouver contre lui, et pour identifier l’affaire mentionnée, mais autrement l’absence ou insuffisance de détails ne vicie par le chef d’accusation.
512. Aucun chef dans un acte d’accusation n’est insuffisant en raison de l’absence de détails lorsque, d’après la cour, le chef d’accusation répond autrement aux exigences de l’article 510 et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, nul chef d’accusation dans un acte d’accusation n’est insuffisant du seul fait
b) qu’il ne nomme pas la personne qui est le propriétaire d’un bien mentionné dans le chef d’accusation, ou qui a un droit de propriété ou intérêt spécial dans ces biens,
g) qu’il ne nomme ni ne décrit avec précision une personne, un endroit ou une chose, ou
Ces dispositions ont clairement pour but, d’une part, d’éviter des technicalités indues et, d’autre part, de permettre à l’inculpé de connaître exactement l’affaire qui est à la base de l’accusation. Sous ce dernier aspect, le juge Rinfret, alors juge puîné, parlant au nom de la Cour, a déclaré ceci dans Brodie c. Le Roi[2], à la p. 194:
[TRADUCTION] Ce sont là les mots mêmes de l’article et ils ont pour objet de mettre en application l’esprit de la loi dont l’un des buts principaux est que le prévenu puisse avoir un procès équitable et, par conséquent, que l’acte d’accusation en soi identifie de façon raisonnablement précise l’acte ou les actes dont il est inculpé de
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sorte qu’il puisse connaître la nature de l’infraction qu’on lui reproche et préparer sa défense en conséquence.
Une fois que l’on a tenu compte de cet aspect et que l’inculpé est assuré d’un procès équitable parce qu’on l’a renseigné sur la nature de l’accusation et sur les circonstances de l’affaire, l’autre aspect doit être considéré, c’est-à-dire le désir du Parlement de ne pas imposer à l’administration de la justice une conception étroite, technique et légaliste. Sur ce point, il y a lieu de comparer le texte du par. (1) de l’art. 283 et celui de l’al. b) de l’art. 512; ces deux articles parlent du propriétaire d’une chose ou d’une personne qui a un droit de propriété ou intérêt spécial dans cette chose.
Toutefois, si le nom du propriétaire allégué est mentionné dans l’acte d’accusation, est-il exact de déclarer que, à moins que la Couronne ne prouve que cette personne-là est effectivement le propriétaire, l’accusation doit être rejetée? Je ne suis pas prêt à admettre que ce soit là un exposé exact de l’état du droit.
Tous les arrêts pertinents ont été examinés par les cours d’instance inférieure et il ne servirait à rien de le faire à nouveau ici. Cependant, il convient de signaler que beaucoup de ces décisions s’appuient sur l’arrêt australien Trainer v. The King[3], où le juge en chef Griffith a exprimé le point de vue suivant:
[TRADUCTION] La loi anglaise, et c’est la même chose ici, exige que le nom du propriétaire de l’objet soit énonce dans l’acte d’accusation et qu’on prouve que la personne dont le nom est ainsi énoncé est effectivement propriétaire de l’objet. Il existe de très larges pouvoirs d’amender l’acte, mais si l’on ne le fait pas, la preuve doit alors se conformer aux termes de l’énoncé.
A mon avis, cette opinion ne prend pas en considération ce que prévoient maintenant les art. 510 et 512 du Code criminel, articles qui, en substance, existent depuis 1892 et créent au Canada une situation différente de celle résumée ci-dessus par le juge en chef Griffith. Naturellement, cette situation rappelle l’avertissement suivant que l’on trouve à la fin de l’arrêt Brodie, supra, à la p. 199;
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[TRADUCTION] Toutefois, nous ne voulons pas disposer de ce pourvoi sans mentionner que notre décision se limite strictement aux questions en litige. Nous ne voulons pas donner à entendre que nous acceptons certaines généralités contenues dans quelques-uns des jugements qu’on nous a cités et qui pourraient faire croire que, malgré la mise en vigueur du Code criminel, le droit criminel en ce pays devrait continuer à être régi comme si le Code n’avait pas été adopté.
Il n’y a aucun doute que, si le propriétaire de l’objet présumé volé est mentionné dans l’acte d’accusation et que si l’on ne prouve pas son droit de propriétaire et qu’il n’y a pas d’autres éléments pour indiquer à l’inculpé la nature réelle de l’accusation, celui-ci devrait être acquitté. Cependant, lorsque, comme en l’espèce, il n’y a rien qui puisse empêcher les inculpés d’identifier l’affaire qui fait l’objet de l’accusation, il n’y a aucune raison de les libérer pour le seul motif qu’il n’a pas été fait mention au cours des témoignages, du propriétaire nommé dans l’acte d’accusation.
En l’espèce, les éléments suivants doivent être soulignés:
(1) la bijouterie où, allègue-t-on, l’infraction a été commise était située au centre commercial Westwood;
(2) la bijouterie était connue, et la preuve l’a démontré, sous le nom de Westwood Jewellers;
(3) la bijouterie avait ses locaux au 3298 avenue Portage à Winnipeg;
(4) Little a fait une déclaration à la police, déclaration qui a été reçue en preuve, où il a admis avoir été présent dans la bijouterie Westwood Jewellers au moment du présumé vol;
(5) Wolski, de son côté, bien qu’il ait nié aux policiers être entré dans la bijouterie Westwood Jewellers, a été conduit par ceux-ci au centre commercial et on a dirigé son attention vers la bijouterie Westwood Jewellers.
A mon avis, selon l’ensemble de la preuve, il est clair que les inculpés ont été suffisamment renseignés sur les circonstances de l’infraction alléguée et ont toujours été en mesure d’identifier l’affaire mentionnée dans l’acte d’accusation. En conséquence, je considère qu’ils ont eu un procès équitable.
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De ce qui précède, il est évident que l’appel de la Couronne à la Cour d’appel du Manitoba soulevait un point de droit de sorte que cette dernière était compétente.
En résumé, je suis d’avis de confirmer le jugement dont appel et de décider l’affaire conformément à l’ordonnance de la Cour d’appel.
Le jugement des juges Dickson et Beetz a été rendu par
LE JUGE DICKSON — Cette affaire soulève une question simple mais intéressante quant à la preuve de propriété dans une inculpation de vol. Les appelants ont été inculpés du vol de deux bagues de diamants, propriété de Westwood Jewellers Limited sise au 3298 avenue Portage en la Ville de Winnipeg. La preuve a établi que la bijouterie où les bagues avaient été dérobées était connue sous le nom de Westwood Jewellers, qu’elle était sise au 3298 avenue Portage en la Ville de Winnipeg et que, le jour de l’infraction allégué, le propriétaire et gérant de Westwood Jewellers était un certain M. Nuytten. A la fin de la présentation de la preuve par le Ministère public, la défense a demandé le rejet de l’accusation pour le motif que le Ministère public n’avait pas prouvé que les bagues appartenaient à Westwood Jewellers Limited, tel que mentionné dans l’acte d’accusation. Sur le point précis de l’identité du propriétaire, M. Nuytten a témoigné comme suit:
[TRADUCTION] Q. Je comprends, M. Nuytten, que vous êtes gérant de Westwood Jewellers située au 3298 avenue Portage, en la ville de Winnipeg, province du Manitoba, est-ce exact?
R. C’est exact.
Q. Étiez-vous propriétaire et gérant de Westwood Jewellers le 22 juillet 1972?
R. Oui, je l’étais.
M. Nuytten n’a pas été contre-interrogé sur ce point.
Le juge Hewak, de la Cour de comté, a déclaré:
[TRADUCTION] Comme mentionné auparavant, l’acte d’accusation en l’espèce allègue que le propriétaire est une personne morale, Westwood Jewellers Limited. Mais la preuve établit que le propriétaire des marchandises est une personne physique, c.-à-d. Nuytten. Le tribunal ne peut pas combler cette lacune en déduisant
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que puisque Nuytten s’est décrit lui-même comme gérant et propriétaire de Westwood Jewellers sise au 3298 avenue Portage et puisque l’acte d’accusation désigne comme propriétaire Westwood Jewellers Limited, sise au 3298 avenue Portage, les objets volés appartenaient réellement à Westwood Jewellers Limited et non pas à George Nuytten. Une telle déduction aurait été possible si la preuve avait établie que Nuytten détenait la majorité des actions dans une compagnie appelée Westwood Jewellers Limited ou que Westwood Jewellers Limited exerçait des affaires sous la raison sociale de Westwood Jewellers. Cependant, en l’absence d’une telle preuve, il est raisonnable de déduire que c’est Nuytten plutôt que la compagnie à responsabilité limitée, qui personnellement exerçait des affaires sous la raison sociale de Westwood Jewellers à l’adresse mentionnée.
Le juge a prononcé un acquittement pour le motif que le Ministère public avait dans l’acte d’accusation désigné Westwood Jewellers Limited comme propriétaire et qu’il avait prouvé que le propriétaire était M. Nuytten. Il a appliqué des arrêts tels que R. v. Carswell[4]; R. v. Cassils[5], et R. v. Scott[6], tous des arrêts de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta, lesquels appuient la proposition que si A est nommé comme propriétaire de biens allégués avoir été volés, le Ministère public ne peut obtenir gain de cause si la preuve démontre que B est de fait le propriétaire. Le juge semble avoir eu l’impression que le Ministère public avait allégué que le propriétaire était une personne donnée et qu’il avait prouvé qu’une autre personne l’était. Respectueusement, je ne crois pas qu’en l’espèce c’est ce qui s’est produit. L’acte d’accusation a allégué que Westwood Jewellers Limited était propriétaire; la preuve a établie que le propriétaire était Westwood Jewellers, ou plus précisément, Nuytten exerçant des affaires sous la raison sociale de Westwood Jewellers. La question est donc de savoir si l’omission du Ministère public de faire la preuve du «Limited» entraîne un acquittement. La Cour d’appel du Manitoba a répondu à cette question par la négative, à bon droit je crois.
J’ai eu l’avantage de lire les motifs rédigés par mon collègue le juge de Grandpré et je suis d’accord avec lui que ces pourvois doivent être rejetés. Je regrette toutefois ne pouvoir partager son opi-
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nion que si le nom d’un propriétaire allégué est inscrit dans un acte d’accusation et si le Ministère public ne prouve pas que cette personne-là est le propriétaire, l’accusation sera néanmoins maintenue si l’inculpé ne peut se méprendre sur l’identification de l’affaire mentionnée. A mon avis, sauf en des circonstances exceptionnelles comme, par exemple, lorsque le vol peut s’inférer des circonstances équivoques de la possession par l’inculpé, une allégation relative à la propriété n’est pas simplement superflue. Il y a beaucoup de précédents à l’appui de la thèse que si un acte d’accusation contient une allégation quant à la propriété et que la preuve n’en n’est pas faite, l’accusation doit être rejetée. Voir, par exemple, R. v. Meloche[7], où le juge d’appel Schroeder déclarait, à la p. 189:
[TRADUCTION] Il est bien établi que sur une inculpation de vol le Ministère public doit prouver que le propriétaire de l’objet allégué volé est une autre personne que l’inculpé. Dans un cas comme celui-ci, où le Ministère public désigne une personne dans l’acte d’accusation comme propriétaire, il doit prouver que cette personne-là et non une autre est le propriétaire: R. v. Carswell (1916), 26 C.C.C. 288, 29 D.L.R. 589, 10 Alta. L.R. 76; R. v. Cassils, 57 C.C.C. 366, 26 Alta. L.R. 180, [1932] 1 W.W.R. 572; R. v. Bagshaw (pas encore publié) (publié depuis [1970] 3 O.R. 3, [1970] 4 C.C.C. 193, 10 C.R.N.S. 245), décidé par cette Cour le 25 février 1970.
Je ne puis non plus partager l’opinion de mon collègue le juge de Grandpré qu’il s’agit d’un cas où le nom du propriétaire allégué est désigné dans l’acte d’accusation et le Ministère public a omis d’en faire mention dans sa preuve. Il me semble que ce cas se situe à l’intérieur des limites plus étroites que j’ai mentionnées, c’est-à-dire à savoir s’il est fatal pour le Ministère public d’alléguer que le propriétaire est la Compagnie X Limitée et de faire la preuve que le propriétaire est la Compagnie X. Il s’agit d’une question de suffisance de preuve et non pas d’absence de preuve quant à ce qui est en l’espèce un élément essentiel de l’acte d’accusation. On devrait aussi signaler que l’acte d’accusation n’est pas ici mis en cause, les avocats des appelants ayant admis qu’il était suffisant.
Je mentionnerais d’abord l’arrêt R. v. Shep-
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pard[8], une décision de la Cour d’appel de l’Ontario, où l’acte d’accusation portait sur la falsification d’un chèque et nommait W.J. Lintell and Sons, alors qu’effectivement le chèque était celui de W.J. Lintell and Sons Ltd. Les faits représentaient l’inverse de la présente affaire. Le juge d’appel Roach, qui a rendu le jugement de la Cour, a fait ce commentaire, p. 302:
[TRADUCTION] Même sous le régime de l’ancienne common law, une personne pouvait être désignée par son nom réel ou par commune renommée.
Ici à Toronto si quelqu’un entend parler de «The T. Eaton Company», y a-t-il quelque doute dans l’esprit de l’auditeur quant à l’identité de la maison? Il en va de même lorsque les gens parlent de «Simpsons» ou de «Ryrie-Birks».
Dans R. v. Meloche, supra, il s’agissait d’une accusation de vol chez Steinberg’s Miracle Mart. En rejetant l’accusation, le juge de la Cour provinciale a dit qu’il y avait un doute raisonnable à savoir si Steinberg’s Miracle Mart était habilité à posséder quelque chose. La Cour d’appel de l’Ontario a accueilli l’appel du Ministère public. Le juge d’appel Schroeder a déclaré, à la p. 192:
[TRADUCTION] Le Ministère public ayant établi prima facie la culpabilité de l’inculpé en démontrant qu’il avait été effectivement en possession des marchandises en question dans un établissement connu dans le public sous le nom de Steinberg’s Miracle Mart, le titre de propriété de l’établissement n’a jamais été soulevé et la preuve prima facie demeure incontestée. Si la question avait été soulevée, il aurait alors incombé au Ministère public de prouver l’identité du propriétaire des marchandises de façon précise — ce qui aurait été très facile.
Après l’affaire Meloche la Cour d’appel de l’Ontario a entendu l’affaire R. v. Francis (1970), arrêt non publié, où l’intimé a été inculpé du vol de huit sacs de dépêches contenant de l’argent, propriété de Modern Music Co. Ltd. et acquitté par un juge de la Cour provinciale à Sault Ste-Marie. En appel, le juge Gale, juge en chef de l’Ontario, a déclaré au nom de la Cour:
[TRADUCTION] La preuve indique que des sacs de toile contenant de l’argent ont été volés à «Modern Music Company» ou à «Modem Music». Cependant, aucun témoin n’a effectivement déclaré que les sacs
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appartenaient à «Modem Music Co. Ltd.», et, par conséquent, le savant juge a décidé que l’accusation devrait être rejetée. Nous sommes tous d’avis qu’il a été tout à fait dans l’erreur en concluant ainsi et nous n’avons qu’à nous rapporter aux dispositions de l’art. 498 du Code criminel et à un récent jugement de cette cour rendu le 10 juin 1970 dans R. v. Catherine Anne Meloche, et pas encore publié.
Dans l’arrêt R. v. Pelletier[9], de la Division d’appel de la Cour suprême du Nouveau-Brunswick, l’inculpation était pour vol de fil de cuivre à Fraser Companies Limited. Différents témoins ont parlé de la compagnie sous les noms de «Fraser Company», «Fraser», «Fraser’s» et «Fraser Pulpmill». La Cour a décidé que cela constituait une preuve suffisante de la propriété de Fraser Companies Limited. Il n’a pas été nécessaire de faire la preuve du statut de la compagnie ni de la situation régulière de celui-ci. Dans l’arrêt R. v. Emmons[10], le juge d’appel Allen de la Division d’appel de la Cour suprême de l’Alberta a fait l’examen d’un bon nombre de précédents. Dans cette affaire-là, le propriétaire des marchandises volées était décrit dans l’acte d’accusation comme «Taylor Pearson and Carson Electronics Ltd.» Selon les faits mis en preuve, cette compagnie n’existait pas. Le propriétaire des objets volés était Taylor Pearson & Carson Ltd. qui exerçait des affaires sous trois divisions de noms différents dont l’une était Taylor Pearson & Carson Electronics Division. Il a été soutenu en appel que l’identité véritable et l’existence du propriétaire allégué de la marchandise volée n’avaient pas été établies au procès mais la Cour a rejeté l’appel. Enfin, je pourrais mentionner l’arrêt R. v. Schemenaur[11], où la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a décidé que Kelly Douglas & Co. Ltd., propriétaire du bien volé, était suffisamment identifiée par la mention de Kelly Douglas Company ou de Kelly Douglas.
On peut discerner dans ces divers arrêts un appui à la proposition que, dans une inculpation de vol, l’identité du propriétaire du bien dont on allègue le vol est suffisamment établi, dans les affaires où le propriétaire est désigné dans le chef d’accusation, lorsque (i) la preuve soumise par le
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Ministère public identifie suffisamment le propriétaire avec la personne désignée dans le chef d’accusation sous ce titre, et (ii) il est évident que le défaut de prouver l’identité du propriétaire avec plus de précision n’a pas induit l’inculpé en erreur ou ne lui a pas causé de préjudice dans la préparation ou la présentation de sa défense. A mon avis, la preuve en l’espèce identifie de façon raisonnable le propriétaire des bagues de diamants volées avec la personne désignée par l’acte d’accusation comme propriétaire, et le défaut de prouver l’identité avec plus de précision n’a d’aucune façon induit les inculpés en erreur ni causé de préjudice à leur défense.
Par conséquent, je suis d’avis de rejeter les pourvois.
Pourvois rejetés.
Procureurs des appelantes: Schulman & Schulman, Winnipeg.
Procureur de l’intimée: J.P. Guy, Winnipeg.
[1] [1974] 1 W.W.R. 720, 14 C.C.C. (2d) 531, 24 C.R.N.S. 326.
[2] [1936] R.C.S. 188.
[3] (1906), 4 C.L.R. 126.
[4] (1916), 26 C.C.C. 288.
[5] (1932), 57 C.C.C. 366.
[6] [1970] 3 C.C.C. 109.
[7] [1970] 1 C.C.C. (2d) 187.
[8] (1949), 95 C.C.C. 298.
[9] [1970] 3 C.C.C. 387.
[10] (1970), 13 C.R.N.S. 310.
[11] (1968), 65 W.W.R. 425.
Parties
Demandeurs :
Sa Majesté la ReineDéfendeurs :
LittleProposition de citation de la décision:
R. c. Little, [1976] 1 R.C.S. 20 (19 décembre 1974)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1974-12-19;.1976..1.r.c.s..20