Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 181
Date de la décision :
21/04/1975Sens de l'arrêt :
Le pourvoi doit être accueilli
Analyses
Droit criminel - Possession de marchandises volées - Requête de non-lieu - Suffisance de la preuve ou absence de preuve - Non-application de la règle de l’affaire Hodge - Code criminel, S.R.C. 1970, c. C-34, art. 312.
L’intimé est inculpé de possession de deux téléviseurs qu’il savait volés. Le ministère public n’a présenté aucune preuve et s’est appuyé uniquement sur les admissions des faits. Ceux-ci révèlent que les deux appareils avaient été mis dans un wagon qui fut scellé au départ de Brockville et l’était encore à son arrivée à Montréal. Les appareils ne sont jamais parvenus à leurs destinataires et ils ont été découverts chez l’intimé lors d’une perquisition effectuée par les policiers. L’intimé a alors présenté une requête de non-lieu pour le motif qu’il n’y avait aucune preuve que les biens avaient été volés. Le juge de la Cour des Sessions de la paix a accordé la requête. La Cour d’appel du Québec, majoritairement, a confirmé cette décision. D’où le pourvoi devant cette Cour.
Arrêt (Le juge en chef Laskin et les juges Spence et de Grandpré étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli.
Les juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson et Beetz: Une requête de non-lieu ne peut être accordée à moins qu’il n’y ait aucune preuve à la lumière de laquelle un jury agissant raisonnablement pourrait déclarer l’accusé coupable. Le critère formulé dans l’affaire Hodge (1838), 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136, se rapportait au poids à accorder à la preuve, tandis qu’en l’espèce la question est de savoir s’il y a une preuve. Les faits admis constituent une preuve selon laquelle un jury pourrait raisonnablement conclure au vol de la marchandise et à la connaissance par l’accusé qu’elle a été obtenue par la perpétration d’un vol. Même si les faits peuvent être interprétés autrement, le ministère public n’a pas à réfuter toute conjecture à laquelle une preuve indirecte pourrait donner naissance et qui pourrait cadrer avec l’innocence de l’accusé.
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Le juge en chef Laskin et les juges Spence et de Grandpré dissidents: Même s’il ne fait aucun doute que sur une requête de non-lieu, l’accusé ne peut être libéré que s’il y a absence de preuve, cela ne veut pas dire que la requête doit être renvoyée chaque fois qu’il y a un iota de preuve, si peu convaincant soit-il. En l’espèce le vol était un élément essentiel de l’infraction et le ministère public n’a pas fait la preuve qu’il y avait eu vol dans le wagon où étaient déposés les téléviseurs ni que les destinataires en avaient été privés illégalement. La doctrine de possession récente ne peut être admise si son fondement, savoir le vol, n’est pas établi.
[Distinction faite avec l’arrêt: Hodge’s Case (1838), 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136; arrêt considéré: R. c. Mitchell, [1964] R.C.S. 471; arrêts mentionnés: Feeley et autres c. La Reine, [1953] 1 R.C.S. 59; R. c. Morabito, [1949] R.C.S. 172; R. c. Comba, [1938] R.C.S. 396; R. v. Schama; R. v. Abramovitch (1914), 84 L.J.K.B. 396; Ungaro c. Le Roi, [1950] R.C.S. 430; R. v. Mclver, [1965] 1 O.R. 306; Wild c. La Reine, [1971] R.C.S. 101; R. c. Bagshaw, [1972] R.C.S. 2; R. c. Kyling, [1970] R.C.S. 953.]
POURVOI à l’encontre d’en arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé un jugement de la Cour des Sessions de la paix accueillant une requête de non-lieu. Pourvoi accueilli, le juge en chef Laskin et les juges Spence et de Grandpré étant dissidents.
G. Fortier et P. Sauvé, pour l’appelante.
G. Thouin et Fernande Rainville-Laporte, pour l’intimé.
Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence et de Grandpré a été rendu par
LE JUGE DE GRANDPRÉ (dissident) — La Couronne nous demande de mettre de côté un jugement de la Cour des Sessions de la paix accueillant une motion de non-lieu, jugement confirmé majoritairement par la Cour d’appel.
L’acte d’accusation se lit comme suit:
le ou vers le 12 janvier 1972, a illégalement eu en sa possession deux (2) téléviseurs de marque R.C.A. Victor, un téléviseur de marque Sylvania, et un stéréo de marque Phono‑Sonic, le tout d’une valeur d’environ $1,875.00, la propriété de différentes personnes et dans laquelle le Canadien National a un intérêt spécial, et ce sachant que les dites choses ont été obtenues par la
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perprétration au Canada d’une infraction punissable sur acte d’accusation, savoir: un vol, commettant par là, un acte criminel, prévu à l’article 312 du Code criminel.
L’appel ne porte que sur les deux téléviseurs de marque R.C.A. Victor, la Couronne ayant reconnu devant les tribunaux du Québec que sa preuve n’était pas suffisante quant aux deux autres appareils.
Dans la matière qui nous intéresse, la Couronne n’a présenté aucun témoin, s’appuyant uniquement sur les admissions suivantes:
…les parties s’entendent pour admettre:
1) Que le 11 janvier 1972 deux (2) téléviseurs de marque RCA Victor produits comme pièces P-l et P-2 et ici présents dans la salle d’audience, destinés à Paradis T.V. Enregistré de St-Pascal, province de Québec, et l’autre destiné à Ouellet et Fils Limitée de Rimouski, province de Québec, ont été remis à Prescott, province d’Ontario, par monsieur Thomas Degroot, expéditeur chez RCA Victor Limitée à monsieur Francis Ferguson, chauffeur du Canadien National.
2) Que cette remise a été consignée dans deux (2) contrats de transport portant les numéros P-10 403 et P-14 01976, signés par messieurs Degroot et Ferguson.
3) Que le même jour monsieur Ferguson a remis les deux (2) télévisions de marque RCA Victor à monsieur Pervus Dillabough à Brockville, province d’Ontario.
4) Que cette remise a été consignée dans les mêmes contrats de transport ci-haut mentionnés.
5) Que monsieur Dillabough a mis les deux (2) télévisions ci-haut mentionnées dans un wagon portant le numéro CN 523257 du train numéro 212 en provenance de Brockville qui se dirigeait vers Montréal le 11 janvier 1972 et a scellé le dit wagon CN 523257 du sceau numéro C 441889-90.
6) Qu’à Montréal, le 12 janvier 1972, vers cinq heures et cinquante-cinq (5:55) du matin, monsieur Thrimp (tel qu’entendu), vérificateur du Canadian National à Montréal, a vérifié le wagon portant le numéro CN 523257 du train numéro 212 et a constaté que les scellés étaient intacts.
7) Que Ouellet & Fils Limitée et Paradis T.V. Enregistré n’ont pas reçu les télévisions qu’ils avaient commandées à la compagnie RCA Victor Limitée à Prescott.
8) Que les télévisions ci-haut mentionnées ainsi qu’une télévision de marque Sylvania et un stéréo Phono-Sonic ont été trouvés lors d’une perquisition effectuée par des policiers du Canadian National et de la Sûreté de
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Montréal chez l’accusé, le 14 janvier 1972, vers une heure et trente (1:30) de l’après‑midi au 8877 Tolhurst à Montréal, province de Québec.
9) Que si les policiers qui ont effectué l’enquête étaient entendus, ils identifieraient l’accusé comme étant la personne chez laquelle ils ont trouvé les télévisions le 14 janvier 1972.
La Couronne ayant déclaré sa preuve close après avoir récité les admissions qui précèdent, la défense a immédiatement fait une motion de non-lieu qui fut prise en délibéré et finalement accordée. Sur le point, le procès-verbal se lit comme suit:
La Cour accorde la motion de non-lieu et acquitte l’accusé.
La Couronne n’ayant pu faire la preuve suffisante hors de tout doute.
Par ailleurs, dans son jugement oral, le juge de première instance s’exprime comme suit:
J’en viens à la conclusion d’accorder la motion de non-lieu, la Couronne n’ayant pas établi à ma satisfaction la commission d’un prérequis pour faire jouer l’offense telle que libellée, c’est-à-dire un vol.
M. le juge Brossard, parlant pour la majorité de la Cour d’appel, en vient à la conclusion
qu’il n’y a aucune preuve au dossier établissant que les effets susdits aient été effectivement volés. (le souligné est de moi)
Aussi partage-t-il la conclusion du juge de première instance tout en soulignant que les expressions utilisées par ce dernier juge n’étaient pas particulièrement heureuses, mais que cela ne peut avoir pour effet de faire mettre de côté le premier jugement si vraiment aucune preuve valable n’existe au soutien d’un des éléments essentiels de la plainte, savoir le vol. Voici le paragraphe pertinent des notes du juge Brossard:
Sans doute le premier juge eut-il été plus sage de ne pas aller au-delà de cette constatation d’absence de preuve de vol pour y ajouter l’opinion que, de toute manière, il n’avait pas devant lui une preuve pouvant le justifier de trouver l’accusé coupable hors de tout doute raisonnable d’une possession illégale de choses volées les sachant volées; mais ceci ne peut avoir aucun effet sur la validité du rejet de la plainte faute de preuve du vol des marchandises que l’on a trouvées en la possession de l’intimé
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et dès lors d’un lien entre tel vol et la possession de l’intimé.
M. le juge Turgeon est du même avis en affirmant qu’il n’existe
pas de preuve du vol des articles trouvés en la possession de l’intimé.
De son côté, M. le juge Lajoie résume sa dissidence dans les phrases suivantes:
La motion de non-lieu ne pouvait être accordée que s’il y avait absence totale de preuve contre le prévenu. S’il y avait matière à appréciation de la preuve quant à sa suffisance, tel qu’à mon avis c’est le cas ici, la motion devait être rejetée et l’accusé appelé à déclarer s’il avait ou non une défense à offrir. Ce n’est qu’après que la preuve eut été déclarée close de part et d’autre que le juge pouvait procéder à l’apprécier et à décider du mérite.
S’appuyant sur cette dissidence, la Couronne a inscrit l’affaire devant nous, exprimant dans les termes suivants le motif de droit qu’elle invoque:
La Cour d’Appel du Québec, a-t-elle erré en droit, en décidant, à sa majorité, qu’il y avait absence totale de preuve au dossier de l’élément essentiel de vol requis au soutien de l’accusation de possession illégale de biens volés.
Il ne fait aucun doute que sur une motion de non-lieu, l’accusé ne peut être libéré que s’il y a absence de preuve. Il suffit de relire à ce sujet ce que disait M. le juge Pigeon dans l’arrêt R. c. Kyling[1], à la p. 956:
Quant à ce que l’on trouve dans le rapport du juge il me faut, avec déférence, faire observer que le motif suivant ‘la Couronne n’avait pas fait la preuve essentielle pour justifier le bien-fondé de l’accusation’ signifie absence de preuve et non pas insuffisance.
Dans Le Roi c. Morabito, [1949] R.C.S. 172, cette Cour a statué qu’une ordonnance de non-lieu prononcée à la demande de la défense après la clôture de la preuve de la poursuite est une décision portant sur une question de droit, savoir l’absence de preuve. Cette même règle a été déclarée applicable à un procès sommaire par l’arrêt rendu dans Feeley et autres c. La Reine, [1953] 1 R.C.S. 59. Je n’ai rien trouvé dans le Code criminel de 1955 qui soit de nature à impliquer un changement dans les principes qui ont motivé ces arrêts et rien de tel nous a été signalé.
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Comme le souligne M. le juge Pigeon, les principes pertinents ont été discutés plus amplement dans les affaires Morabito et Feeley et je fais miens les motifs exprimés dans ces arrêts.
Toutefois, l’expression «absence de preuve» ne veut pas dire que la motion de non-lieu doive être renvoyée chaque fois qu’il y a un iota de preuve, si peu convaincant soit-il. Au contraire, une lecture attentive de l’arrêt Feeley précité démontre qu’il y avait là quelques iotas de preuve. Les appelants avaient été acquittés en première instance sur motion de non-lieu et la Cour d’appel avait mis de côté cet acquittement et ordonné un nouveau procès. Notre Cour à l’unanimité rétablît le jugement d’acquittement en faveur de trois des quatre appelants. Par la voix de M. le juge Cartwright, tel qu’il était alors, cette Cour souligne que les divers éléments de preuve [TRADUCTION] «pris ensemble, sont insuffisants pour en faire une affaire qui, de prime abord, paraît bien fondée» (à la p. 64). Cette conclusion doit se lire à la lumière du paragraphe suivant tiré des notes de M. le juge Carthwright: (à la p. 60)
[TRADUCTION] Il est reconnu que si le savant magistrat avait rejeté la requête, les appelants auraient alors eu le droit de faire une preuve pour la défense, s’ils l’avaient cru utile, et l’avocat de l’intimée prétend que la décision de cette Cour dans Le Roi c. Morabito établit (i) qu’à ce stade, il n’était pas permis au savant magistrat de rendre une ordonnance de non-lieu sauf s’il n’y avait aucune preuve à la lumière de laquelle un jury, ayant reçu les directives appropriées et agissant raisonnablement, aurait pu déclarer l’accusé coupable, si le procès s’était déroulé devant un jury, et (ii) que l’existence ou l’inexistence d’une telle preuve est «une simple question de droit» aux termes du par. (4) de l’art. 1013 du Code. Je suis d’accord avec cette prétention.
Je suis d’avis que les juges de la Cour d’appel ont donc appliqué les principes de droit pertinents lorsqu’ils ont examiné le dossier sur appel de la Couronne.
Il faut maintenant déterminer si MM. les juges Brossard et Turgeon ont eu raison de conclure, comme ils l’ont fait, qu’il n’y avait aucune preuve au dossier établissant vol des deux téléviseurs, suivant le sens qu’il faut donner à l’expression «absence de preuve». Voici comment M. le juge Brossard s’exprime sur le point:
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Je suis d’avis que le procureur de l’intimé a raison d’affirmer qu’il n’y a aucune preuve au dossier établissant que les effets susdits aient été effectivement volés; tout au plus, pouvait-il s’inférer, de la preuve de la Couronne et des admissions, qu’à un moment qui n’a cependant pas été déterminé, ces effets avaient, dans des circonstances non établies, cessé d’être en possession du transport[???] et n’étaient I as subséquemment entrés en la possession réelle de leurs destinataires originairement projetés. Cette preuve [???]n était pas une qui, à mon avis, pouvait servir de base à celle de la perpétration d’un vol effectué soit aux dépens de l’expéditeur, soit même aux dépens des destinataires. Conjectures et suppositions ne sont pas des moyens de preuve de l’illégalité de la possession.
A mes yeux, cette conclusion est bien fondée.
Dans une matière comme celle qui nous est soumise, où l’acte d’accusation reproche à l’intimé possession illégale d’objets volés sachant que ces objets avaient été obtenus par la perpétration d’un vol, le vol est un élément essentiel qui doit être prouvé par la Couronne: Geist c. La Reine[2], (Cour d’appel du Québec); R. v. Vogelle and Reid[3], (Cour d’appel du Manitoba); R. v. Gowing[4], (Cour d’appel d’Alberta).
Si la Couronne ne présente aucune preuve (au sens défini plus haut) de la perpétration d’un vol, le prévenu qui présente une motion de non-lieu doit être acquitté. La Couronne d’ailleurs reconnaît le bien fondé de ces principes puisque dans son factum, elle invoque «la preuve de la non-aliénation des marchandises par les acheteurs», «l’absence de preuve d’un titre quelconque qu’aurait l’accusé sur les dites marchandises» et «les autres circonstances de l’affaire». Or, en l’espèce, j’ai beau lire et relire les admissions qui sont la seule preuve de la Couronne, je ne trouve absolument rien pour affirmer
a) qu’il y a de fait eu vol dans le wagon dans lequel furent déposés les téléviseurs; au contraire, la dernière fois que ce wagon a été examiné (par. 6 des admissions) les scellés étaient intacts;
b) que les destinataires, à savoir Ouellet et Paradis, ont été privés illégalement des télévi-
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seurs; au contraire, la seule affirmation que l’on retrouve dans les admissions (par. 7) est qu’ils ne les ont pas reçus, mais ils n’affirment nullement que cette non-réception était contre leur gré.
Le dossier ne contient donc aucune preuve du vol allégué dans l’acte d’accusation et, par conséquent, toute l’argumentation de la Couronne fondée sur la «possession récentes ne peut réussir puisque Se fondement de cette argumentation, savoir le vol, n’a pas été établi.
Pour toutes ces raisons, je confirmerais le jugement de la Cour d’appel et l’acquittement de l’intimé.
Le jugement des juges Martland, Judson, Ritchie, Pigeon, Dickson et Beetz a été rendu par
LE JUGE RITCHIE — Le présent pourvoi est interjeté à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel de la province de Québec confirmant un jugement de la Cour des Sessions de la paix qui a accordé un non-lieu à la requête du présent intimé au cours de son procès sur une accusation de possession de biens qu’il savait volés. La requête a été accordée pour le motif qu’il n’y avait aucune preuve que les biens trouvés en possession de l’intimé avaient été volés. La conclusion du savant juge du procès, qui fut d’ailleurs confirmée par un arrêt majoritaire de la Cour d’appel (le juge Lajoie étant dissident), est formulée comme suit:
J’en viens à la conclusion d’accorder la motion de non-lieu, la Couronne n’ayant pas établi à ma satisfaction la commission d’un prérequis pour faire jouer l’offense telle que libellée, c’est-à-dire un vol.
Le ministère public n’a présenté aucune preuve et le présent pourvoi doit être tranché à la lumière d’un énoncé de faits admis reproduit dans les motifs de mon collègue le juge de Grandpré.
En gros, ces faits nous révèlent que deux téléviseurs de marque R.C.A. Victor, produits en preuve au cours du procès, avaient été expédiés par train du C.N. de la ville de Prescott (Ontario). Un des appareils étaient destiné à Paradis T.V. Enregistré
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de St-Pascal et l’autre à Ouellet et Fils Limitée de Rimouski. Ces téléviseurs ont été mis à bord d’un wagon qui fut scellé et qui l’était toujours lorsqu’il arriva à Montréal le matin du 12 janvier 1972. Ces téléviseurs ne sont jamais parvenus aux deux destinataires, lesdits appareils étant découverts, le 14 janvier 1972, lors d’une perquisition effectuée par des policiers chez l’intimé à Montréal.
Il a également été admis que si les mêmes policiers avaient été appelés à témoigner au cours du procès, ils auraient pu identifier l’accusé comme la personne chez qui les téléviseurs ont été trouvés.
Ce que doit être l’attitude d’un magistrat sur une requête de non-lieu est énoncé, avec autorité par le juge Cartwright, alors juge puîné, dans Feeley et autres c. La Reine[5], à la p. 61, où, après un renvoi à l’affaire R. c. Morabito[6], il fait sienne la proposition
[TRADUCTION] …t. qu’à ce stade, il n’était pas permis au savant magistrat de rendre une ordonnance de non-lieu à moins qu’il n’y eût aucune preuve à la lumière de laquelle un jury, ayant reçu les directives appropriées et agissant raisonnablement, aurait pu déclarer l’accusé coupable, si le procès s’était déroulé devant un jury, et (ii) que l’existence ou l’inexistence d’une telle preuve est «une simple question de droit» aux termes du par. (4) de l’art. 1013 du Code.
Le souligné est de moi.
Selon les faits admis, les deux téléviseurs ont été mis à bord d’un wagon du C.N. qui fut scellé et qui quitta Montréal le 12 janvier au matin en direction de St-Pascal et de Rimouski. Les destinataires ne les ont jamais reçus, mais deux jours et demi plus tard ils ont été trouvés chez l’intimé à Montréal. Je suis d’avis qu’à partir de ces faits, un jury, après avoir reçu des directives appropriées, aurait pu raisonnablement déduire que les téléviseurs étaient à cet endroit parce que quelqu’un les avait volés.
Cependant, on a laissé entendre que puisque la preuve découlant des faits est purement indirecte, son poids doit être évalué selon le critère formulé
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pour la première fois par le baron Alderson lorsqu’il a donné ses directives au jury dans l’affaire Hodge[7], critère qui fut repris par le juge en chef Sir Lyman Duff au nom de cette Cour dans R. c. Comba[8]. Cependant, ce critère doit être interprété à la lumière des propos du juge Spence lorsqu’il s’est exprimé au nom de la majorité de cette Cour dans R. c. Mitchell[9], à la p. 478:
[TRADUCTION] En présence d’une preuve indirecte, est-il toujours nécessaire que la directive donnée au jury soit conforme à celle qui fut donnée dans l’affaire Hodge?
Pour répondre à cette question il est à propos de rappeler les circonstances de l’affaire Hodge. D’après le recueil, l’inculpé a été accusé de meurtre; dans ce cas-là il y avait uniquement une preuve indirecte; aucun fait, considéré isolément, ne permettait de présumer la culpabilité.
Le Baron Alderson a dit aux jurés que la preuve était entièrement indirecte et qu’avant de pouvoir déclarer l’inculpé coupable, ils devaient être convaincus «mon seulement que ces circonstances étaient compatibles avec sa culpabilité, mais ils devaient également être convaincus que les faits étaient tels qu’ils étaient incompatibles avec toute autre conclusion logique que celle de la culpabilité de l’inculpé.»
Il est bien claire que cette directive ne s’appliquait qu’à l’identification de l’accusé comme la personne qui avait perpétré le crime. (Les soulignés sont de moi)
Ces propos ont également été retenus dans R. c. Bagshaw[10], à la p. 6, (une affaire de vol).
En l’espèce, l’identification du voleur n’est pas en litige. Il ne s’agit pas de déterminer qui a volé la marchandise mais plutôt s’il existe une preuve quelconque justifiant une conclusion de vol. Il faut noter également que la règle formulée dans l’affaire Hodge, précitée, qui a été suivie dans R. c. Comba, précitée, se rapportait au poids à accorder à la preuve, tandis qu’en l’espèce la question est de savoir s’il y a une preuve quelconque à peser.
Il est reconnu que la marchandise en question a été trouvée dans la maison de l’accusé le 14 janvier 1972, et si les faits admis constituent une preuve à
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la lumière de laquelle un jury, après avoir reçu des directives appropriées, pourrait raisonnablement conclure que la marchandise a été volée, il s’ensuivrait que le jury aurait pu également conclure que l’intimé savait que cette marchandise avait été obtenue par la perpétration d’un vol en raison de la présomption juris tantum qui accompagne la possession d’objets volés. Voir R. v. Schama: R. v. Abramovitch[11], Ungaro c. Le Roi[12], ainsi que plusieurs autres décisions rendues par cette Cour.
Cependant, on dit que les faits admis peuvent être interprétés de façon à mener à des conclusions logiques autres que le vol de la marchandise, par exemple à la conclusion que les destinataires auraient participé à l’opération visant à soustraire leur marchandise à la garde de la compagnie ferroviaire pour l’acheminer vers la maison de l’accusé. En ce qui concerne cette prétention, nous pouvons nous reporter aux propos tenus par le juge McRuer, juge en chef de la Haute Cour, dans R. v. Mclver[13], à la p. 309, qui ont été adoptés par cette Cour dans Wild c. La Reine[14], et dans R. c. Bagshaw, précité, et où il est dit:
[TRADUCTION] La règle (de l’affaire Hodge) dit clairement que la cause doit être jugée d’après les faits, c’est-à-dire les faits en preuve, et les solutions compatibles avec l’innocence de l’accusé doivent être logiques et fondées sur des déductions tirées des faits prouvés. Une conclusion ne peut être logique si elle ne se fonde pas sur la preuve. Une telle conclusion est conjecturale et imaginaire, mais non logique.
Je ne crois pas qu’au fardeau du ministère public de prouver la culpabilité de l’accusé hors de toute doute raisonnable s’ajoute celui de réfuter toute conjecture à laquelle une preuve indirecte pourrait donner naissance et qui pourrait cadrer avec l’innocence de l’accusé.
Cependant, comme je l’ai indiqué, je ne crois pas que le jugement de Sir Lyman Duff dans l’affaire Comba, précitée, où il réitère la règle formulée dans l’affaire Hodge, puisse s’appliquer ici. Je suis plutôt d’avis comme l’était mon collègue le juge Pigeon dans R. c. Kyling[15], à la p. 957,
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qu’avant d’accorder une requête de non-lieu, il faut d’abord déterminer si la preuve du ministère public ne fait simplement qu’éveiller un soupçon ou si elle justifie une déduction.
A mon avis, les faits admis permettaient à un jury régulièrement instruit de déduire raisonnablement que la marchandise avait été volée, et puisqu’aucune preuve n’étayait une autre conclusion logique, je suis d’avis qu’il ne fallait pas en l’espèce accorder une requête de non-lieu; c’est pourquoi je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et le verdict d’acquittement et d’ordonner un nouveau procès.
Pourvoi accueilli, le JUGE EN CHEF LASKIN et les JUGES SPENCE et DE GRANDPRÉ étant dissidents.
Procureur de l’appelant: Guy Fortier, Montréal,
Procureur de l’intimé: Gilles Thouin, Montréal,
[1] [1970] R.C.S. 953.
[2] [1959] B.R. 341.
[3] (1969), 70 W.W.R. 641.
[4] (1970), 2 C.C.C. (2d) 105.
[5] [1953] 1 R.C.S. 59.
[6] [1949] R.C.S. 172.
[7] (1838), 2 Lewin 227, 168 E.R. 1136.
[8] [1938] R.C.S. 396.
[9] [1964] R.C.S. 471.
[10] [1972] R.C.S. 2.
[11] (1914), 84 L.J.K.B. 396.
[12] [1950] R.C.S. 430.
[13] [1965] 1 O.R. 306.
[14] [1971] R.C.S. 101.
[15] [1970] R.C.S. 953.
Parties
Demandeurs :
Sa Majesté la ReineDéfendeurs :
PaulProposition de citation de la décision:
R. c. Paul, [1977] 1 R.C.S. 181 (21 avril 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-04-21;.1977..1.r.c.s..181