Cour suprême du Canada
Taraschuk c. R., [1977] 1 R.C.S. 385
Date: 1975-06-26
Borden Taraschuk (Plaignant) Appelant;
et
Sa Majesté la Reine (Défendeur) Intimée.
1975: les 17 et 18 juin; 1975: le 26 juin.
Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Dickson, Beetz et de Grandpré.
EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.
APPEL d’un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario[1] confirmant un jugement du juge Fraser, qui confirmait, à la suite d’un exposé de cause formulé par le juge Waisberg de la Cour provinciale, une déclaration de culpabilité en vertu de l’art. 235 du Code criminel. Pourvoi rejeté.
R. Murray, pour l’appelant.
E.J. Hachborn, pour l’intimée.
Le jugement de la Cour a été rendu par
LE JUGE EN CHEF — La question litigieuse à trancher est de savoir si un individu inculpé en vertu du par. (2) de l’art. 235 du Code criminel peut être acquitté s’il invoque comme excuse raisonnable aux termes de ce paragraphe le fait qu’il a déjà été acquitté, au regard du même incident, d’une accusation portée en vertu de l’art. 234. Posée autrement, la question litigieuse est de savoir si une accusation portée en vertu du par. (2) de l’art. 235 doit être retirée si, au cours du procès, la Cour vient à la conclusion que le prévenu ne conduisait pas pendant que sa capacité de conduire était affaiblie ou qu’il n’avait pas la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur pendant que sa capacité de conduire était affaiblie, bien que l’accusation découle d’une sommation régulière de fournir un échantillon d’haleine, faite par un agent de la paix aux termes du par. (1) de l’art. 235.
Les articles 234 et 235 du Code criminel sont ainsi libellés:
234. Quiconque, à un moment où sa capacité de conduire un véhicule à moteur est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, conduit un véhicule à moteur ou en a la garde ou le contrôle, que ce véhicule soit en mouvement ou non, est coupable d’un apte criminel ou d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité,…
235. (1) Lorsqu’un agent de la paix croit, en s’appuyant sur des motifs raisonnables et probables, qu’une personne est en train de commettre, ou a commis à quelque moment au cours des deux heures précédentes, une infraction à l’article 234, il peut, par sommation faite à cette personne sur-le-champ ou aussitôt que c’est matériellement possible, exiger que cette personne fournisse alors ou aussitôt que c’est matériellement possible par la suite, un échantillon de son haleine propre à
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permettre de faire une analyse en vue d’établir la proportion d’alcool dans son sang, le cas échéant, et qu’elle le suive afin de permettre le prélèvement d’un tel échantillon.
(2) Quiconque, sans excuse raisonnable, fait défaut ou refuse d’obtempérer à une sommation qui lui est faite par un agent de la paix aux termes du paragraphe (1), est coupable d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité, et passible d’une amende d’au moins cinquante dollars et d’au plus mille dollars ou d’un emprisonnement d’au plus six mois, ou des deux peines à la fois.
Le présent pourvoi est interjeté à l’encontre d’une déclaration de culpabilité faisant suite à une accusation d’avoir fait défaut ou refusé d’obtempérer, sans excuse raisonnable, à une sommation faite par un agent de la paix de fournir un échantillon d’haleine. Le juge Waisberg de la Cour provinciale a formulé un exposé de cause dont l’alinéa 1 est libellé comme suit:
[TRADUCTION] Ai-je commis une erreur de droit en concluant que le fait que l’appelant n’avait pas la garde ou le contrôle d’un véhicule à moteur à l’époque et à l’endroit allégués, ne constitue pas une excuse raisonnable pour faire défaut ou refuser d’obtempérer à la sommation faite par un policier aux termes de l’art. 235 du Code criminel de fournir un échantillon d’haleine propre à permettre de faire une analyse en vue d’établir le taux d’alcoolémie dans son sang, et d’accompagner le policier en vue de permettre le prélèvement d’un tel échantillon.
Le juge Fraser a répondu négativement à cette question et son jugement a été confirmé par un arrêt unanime et très détaillé de la Cour d’appel de l’Ontario rendu par le juge d’appel Martin.
Je partage l’avis des cours d’instance inférieure. Nous n’avons pas à déterminer, en l’espèce, si l’agent de la paix qui a fait la sommation avait des motifs raisonnables et probables de ce faire aux termes du par. (1) de l’art. 235. Cela a d’ailleurs été admis par l’avocat de l’appelant. Sous ce rapport, il convient d’attacher une certaine importance aux deux phrases suivantes formulées par le juge Martin:
[TRADUCTION] En l’espèce, l’on n’a pas prétendu et l’on ne pouvait prétendre que le policier n’avait aucun motif raisonnable ou probable de croire que le prévenu avait la garde ou le contrôle du véhicule à moteur.
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Nulle part a-t-on allégué que le policier n’avait aucun motif raisonnable ou probable de croire que la capacité de conduire du prévenu était affaiblie.
Selon la prétention de l’appelant, le fait que le prévenu ne conduisait pas pendant que sa capacité de conduire était affaiblie ou qu’il n’avait pas effectivement la garde ou le contrôle du véhicule, constitue une excuse raisonnable, ex post facto pour ainsi dire, au regard d’une accusation portée en vertu du par. (2) de l’art. 235. Cette prétention implique une interprétation de l’art. 235 qui en détruit tout l’effet et élimine la différence, clairement établie aux art. 234 et 235, entre la culpabilité aux termes du premier et la culpabilité aux termes du second. L’avocat voudrait qu’une personne qui ne peut être déclarée coupable en vertu de l’art. 234 ne puisse l’être en vertu du par. (2) de l’art. 235, même si les conditions d’une sommation régulière de fournir un échantillon d’haleine ont été remplies. A mon avis, une excuse raisonnable aux termes du par. (2) de l’art. 235 signifie un facteur qui se situe à l’extérieur des exigences à rencontrer (c.-à-d. celles du par. (1) de l’art. 235) pour justifier une accusation portée en vertu du par. (2) de l’art. 235. Voir, par exemple, Brownridge c. La Reine[2].
Je juge inutile en l’espèce d’examiner les différences entre la loi canadienne et la loi anglaise discutées dans R. v. Downey[3], et R. v. Richardson[4]. Le seul point litigieux présentement en cause n’a aucun rapport avec ces différences. Il s’ensuit que je considère que les décisions rendues dans R. v. Canstone[5] (C.S.C.B.) et dans R. v. Mitchell[6] (C.S.C.B.), sont mal fondées en droit, et que les décisions rendues dans R. v. Nadeau[7] (C.A.N.B.), dans R. v. Nicholls[8], (C.A. Man.) et dans R. v. Yuzicappi[9], (C.A. Sask.), pas encore publiées, sont bien fondées en droit.
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Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.
Pourvoi rejeté.
Procureurs de l’appelant: Kelly, McRae & Murray, Toronto.
Procureur de l’intimée: Procureur général de l’Ontario, Toronto.
[1] (1973), 12 C.C.C (2d) 161.
[2] [1972] R.C.S. 926.
[3] [1970] R.T.R. 257.
[4] [1975] R.T.R. 173.
[5] (1971), 3 C.C.C. (2d) 539.
[6] (1973), 11 C.C.C. (2d) 12.
[7] (1974), 19 C.C.C. (2d) 199.
[8] [1974] 1 W.W.R. 97.
[9] [1975] W.W.D. 56.