Synthèse
Référence neutre : [1977] 1 R.C.S. 441
Date de la décision :
26/06/1975Sens de l'arrêt :
(le juge en chef laskin et le juge spence étant dissidents)
Analyses
Droit criminel - Procès devant juge seul - Témoignage de l’inculpé sur «voir-dire» - Limite du contre-interrogatoire - Preuve sur «voir-dire» ne fait pas partie de la preuve du procès - Code criminel, art. 502.
L’intimé a été acquitté par un juge siégeant sans jury de deux inculpations de vol qualifié. Au procès, le ministère public a fait d’abord une preuve de «voir-dire» afin de faire déclarer admissibles certaines déclarations extra-judiciaires de l’accusé. Ce dernier, qui n’était pas représenté par avocat, a alors témoigné pour déclarer qu’il n’avait pas reçu de promesse ou menace mais qu’il n’avait jamais fait de déclaration. A la fin de cette preuve, le juge a décidé que les déclarations avaient été obtenues librement et volontairement et étaient donc admissibles. Par la suite, l’intimé a fait entendre des témoins en défense mais n’a pas témoigné. A l’issue du procès, le juge, considérant l’ensemble de la preuve et plus particulièrement la déposition de l’inculpé sur le «voir-dire», a conclu qu’il avait un doute raisonnable quant à la participation de ce dernier à l’infraction et qu’il lui accordait le bénéfice du doute. La Cour d’appel a unanimement rejeté les appels de la poursuite. D’où le pourvoi devant cette Cour.
Arrêt: (Le juge en chef Laskin et le juge Spence étant dissidents): Le pourvoi doit être accueilli et un nouveau procès ordonné.
Les juges Martland, Judson, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré: Sur le «voir-dire», le juge du procès n’était pas appelé à décider si la déclaration que la poursuite voulait mettre en preuve avait réellement été faite et si elle était vraie. Dans un procès par jury, ces questions-là sont du ressort du jury et le juge qui entend la preuve sur le «voir-dire» ne statue que sur l’admissibilité de la déclaration qui en fait l’objet. Quand il n’y a pas de jury et que le même juge est appelé à statuer tant sur l’admissibilité de la preuve que sur sa valeur probante, il doit nécessairement garder pour la fin, soit après avoir entendu toute la cause, la conclusion sur le second aspect.
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Puisque dans un procès sans jury le «voir-dire» est nécessaire, comme dans un procès avec jury, on ne peut soutenir que les règles y sont modifiées. Étant donné que la poursuite est limitée dans son contre-interrogatoire de l’accusé qui témoigne sur «voir-dire», considérer que cette déposition fait partie de la preuve dans un procès sans jury accorderait à l’accusé un singulier privilège et à la poursuite un désavantage exceptionnel. Cela permettrait à l’accusé de témoigner lors d’un «voir-dire» sur une partie de la cause où cela fait son affaire tout en se soustrayant au contre-interrogatoire sur le reste.
Il n’y a rien dans le dossier qui fasse voir un consentement de la poursuite à faire servir comme preuve au procès la preuve faite lors du «voir-dire». En l’absence de ce consentement et devant le fait que la déposition de l’inculpé sur le «voir-dire» a été la base même de la conclusion à l’existence du doute sur lequel l’acquittement est fondé, il y a lieu d’accorder un nouveau procès.
Le juge en chef Laskin et le juge Spence, dissidents: La preuve sur «voir-dire» ne peut-être versée au dossier comme partie de la preuve au procès sauf si les parties y consentent. En l’espèce, il semble que le juge au procès, l’accusé, qui n’était pas représenté par un avocat, et le substitut étaient tous disposés à considérer la preuve faite sur «voir-dire» comme faisant partie de la preuve à considérer sur le fond. Le juge de première instance n’a donc pas erré en droit en faisant usage du témoignage rendu par le prévenu lors du «voir-dire».
[Arrêts suivis: Re R. v. Shepherd (1951), 100 C.C.C. 95; R. v. Bannerman (1966), 48 C.R. 110; arrêt considéré: DeClercq c. La Reine. [1968] R.C.S. 902; arrêts mentionnés: R. v. Mulligan (1955), 20 C.R. 269; White c. Le Roi [1947] R.C.S. 268; arrêt non suivi: R. v. Milner (1969), 11 C.R. N.S. 178]
POURVOI à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé l’acquittement de l’intimé par un juge sans jury. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné.
G. Girouard, pour l’appelante.
G. Dansereau, pour l’intimé.
Le jugement du juge en chef Laskin et du juge Spence a été rendu par
LE JUGE SPENCE (dissident) — J’ai lu les motifs de jugement de mon collègue le juge Pigeon et je fais mien l’exposé des faits qu’on y trouve, compte tenu de ce que je vais y ajouter.
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Je partage l’avis du juge Pigeon que lorsqu’un juge siégeant sans jury a jugé nécessaire de tenir un «voir-dire» relativement à la recevabilité d’une déclaration de l’accusé, a jugé cette déclaration recevable en droit et le procès a repris son cours, il doit faire abstraction, quant vient le temps de décider de l’innocence ou de la culpabilité de l’accusé, de toute la preuve faite au cours de ce «voir-dire» et surtout du témoignage de l’accusé si celui-ci a lui-même témoigné au cours du «voir-dire». Cependant, je suis d’avis qu’il faut admettre l’exception formulée par le juge en chef Miller dans R. v. Bannerman[1], aux pp. 114 et 115, d’ailleurs mentionnée par le juge Pigeon, c.-à-d. [TRADUCTION] «sauf si, pour gagner du temps, tous consentent à ce que la preuve faite sur le «voir-dire» soit versée au dossier».
Il faut noter qu’en l’espèce, l’accusé n’était pas représenté par un avocat lors de son procès et que le savant juge du procès a bien pris soin d’informer l’accusé de ses droits et particulièrement des conséquences de son témoignage. Comme l’a souligné le juge Dubé dans ses motifs, en Cour d’appel du Québec, l’intimé avait l’impression que le témoignage qu’il avait rendu au cours du «voir-dire» faisait également partie de sa défense, et il semble que le substitut avait la même impression. Le juge du procès, qui possède une vaste expérience, a de toute évidence présumé, lorsqu’il a formulé ses motifs, qu’il pouvait considérer la preuve faite au cours du «voir-dire» pour décider de la culpabilité ou de l’innocence de l’accusé.
Dans les circonstances, il semble que le savant juge du procès, l’accusé et le substitut étaient tous disposés à considérer la preuve faite sur «voir-dire» comme faisant partie de la preuve à considérer sur le fond.
Par conséquent, je suis d’accord avec l’opinion formulée par les juges de la Cour d’appel du Québec et particulièrement avec les propos suivants, tenus par le juge Dubé:
Il me paraît donc évident que le juge de première instance n’a pas erré en droit en faisant usage du témoignage rendu par le prévenu lors du «voir-dire»
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lorsqu’il a rendu son jugement final, et ceci même si on a négligé de répéter ce témoignage en défense; le contraire me paraîtrait plutôt un très sérieux motif d’appel.
Pour ces motifs, je rejetterais le pourvoi.
Le jugement des juges Martland, Judson, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré a été rendu par
LE JUGE PIGEON — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui a confirmé l’acquittement de l’intimé prononcé à la suite d’un procès sans jury. Ce procès a eu lieu sur trois inculpations de vol qualifié. Il a débuté par un «voir-dire» où l’inculpé a témoigné. Après un ajournement, le juge a statué dans les termes suivants:
…lors de l’audition du 4 mai dernier, la Couronne a manifesté l’intention de produire des déclarations extrajudiciaires provenant de l’accusé, lors de son arrestation et la Couronne a procède à faire un voir-dire, c’est-à-dire un procès dans le procès afin d’établir que les déclarations avaient été obtenues librement et volontairement.
En vertu du Code Criminel, la Couronne doit établir et ce, hors de tout doute raisonnable, que les déclarations sont obtenues librement et volontairement, sans promesse ni menace.
Dans la preuve sur «voir-dire», la Couronne a fait entendre les témoins suivants: le détective Alfred Maccarone, le détective Jacques Grondines, le détective Maurice Fleurent, le détective Yvon Beaulieu, le constable Pierre Tétreault, le constable Wilkofsky, le constable Roger Deschamps, le constable André Yvon, le constable Pierre Morin et toutes ces personnes qui ont été en contact avec l’accusé depuis son arrestation jusqu’au moment où les déclarations ont été données au détective Maccarone et au détective Jacques Grondines, le treize (13) mai 1972, ont témoigné à l’effet qu’en leur présence l’accusé n’a eu aucune promesse ni menace l’incitant à faire quelque déclaration que ce soit.
L’accusé s’est fait entendre en défense et il a lui-même admis qu’il n’avait eu aucune promesse ni menace de la part des officiers; soit les détectives, soit les agents de police qui étaient sur les lieux lors de son arrestation et qui par la suite l’ont gardé au quartier de détention. L’accusé affirme qu’il n’a fait aucune déclaration et confirme également qu’il n’a pas reçu de promesse ou menace.
Au stage du «voir-dire», le fait de savoir si l’accusé a fait ou non une déclaration ne doit pas être pris en considé-
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ration mais servira surtout et pourra affecter la preuve qui sera faite à savoir s’il a fait ou non une déclaration mais la preuve de «voir-dire» doit tendre uniquement à savoir si la déclaration a été donnée librement et volontairement.
Or, après avoir entendu toute cette preuve, la Cour en vient à la conclusion que les déclarations sont admissibles en preuve, la Couronne ayant présenté une preuve hors de tout doute raisonnable que les déclarations ont été obtenues librement et volontairement.
Après cette décision, la poursuite a fait entendre le détective Maccarone qui avait recueilli les déclarations qui lui avaient été faites par l’intimé et les avait consignées par écrit. Ces déclarations ont alors été versées au dossier et reçues en preuve. L’inculpé a fait entendre des témoins en défense mais il n’a pas témoigné lui-même. Le juge du procès l’a acquitté dans deux jugements dont l’essentiel est comme suit:
La déclaration extra-judiciaire n’a pas été signée par l’accusé. Nonobstant ce fait, peut‑elle servir de preuve contre l’accusé? Il semble qu’on puisse répondre affirmativement suite à l’arrêt R. v. VAUPOTIC, 70 W.W.R. 128,…
L’accusé a témoigné lors du «voir-dire» et a catégoriquement nié avoir fait quelque déclaration que ce soit aux détectives MACCARONE et GRONDINES. Cette preuve faite dans le «voir-dire» constitue-t-elle une preuve dans le procès? Il faut répondre oui si l’on s’en tient à une décision de la Cour d’Appel de la Colombie-Britannique dans R. v. MILNER, 11 C.R.N.S. 178…
Lorsqu’une confession extra-judiciaire a été admise en preuve, il incombe aux jurés ou au juge siégeant seul, d’apprécier la véracité ou la fausseté de sa teneur. La jurisprudence a depuis longtemps reconnu qu’un aveu extra-judiciaire pouvait faire la base d’une condamnation. Voir à ce sujet une décision de la Cour d’Appel du Québec dans FORD v. THE QUEEN, 17 C.R. 26. Notons qu’il s’agissait d’une déclaration extra‑judiciaire signée par l’accusé, déclaration qu’il a voulu répudier lors du procès…
Dans le présent dossier, considérant le témoignage de Madame Marcelle LAVOIE, considérant que la déclaration extra-judiciaire n’a pas été signée par l’accusé, considérant qu’il nie l’avoir faite, le Tribunal a un doute raisonnable dans son esprit quant à la participation de l’accusé au vol commis au bar salon FELIPE le vingt-et-un (21) mars mil neuf cent soixante-douze (1972).
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EN CONSÉQUENCE, il doit en faire bénéficier l’accusé et l’acquitter de l’accusation telle que portée dans le No. 72-3756.
Quant au dossier No. 72-3754, soit un vol qualifié perpétré sur la personne de M. Claude ST-AMOUR le vingt-et-un (21) mars mil neuf cent soixante-douze (1972), sauf la déclaration extra-judiciaire de l’accusé produite comme exhibit P-cinq (P-5), la Couronne n’a pas fait de preuve directe du vol. Quant à la teneur de la déclaration extra-judiciaire, pour les motifs plus haut mentionnés, le Tribunal en vient à la même conclusion, c’est‑à‑dire qu’il a un doute raisonnable quant à la participation de l’accusé pour vol commis sur la personne de M. Claude ST-AMOUR le vingt-et-un (21) mars mil neuf cent soixante-douze (1972).
EN CONSÉQUENCE, il l’acquitte de l’accusation telle que portée.
Les appels interjetés par la poursuite ont été rejetés unanimement, M. le juge en chef disant en particulier:
Sur le «voir dire», le premier juge ne devait décider que de l’admissibilité de la confession que présentait la poursuite, c’est-à-dire, si cette confession était libre et volontaire. A mon avis, il ne lui appartenait pas à ce moment de décider si elle avait été réellement faite par l’intimé et si elle était vraie. En l’admettant en preuve, il prononçait que la Couronne avait prouvé hors de tout doute raisonnable et à sa satisfaction que l’intimé n’avait été soumis à aucune pression indue avant le moment où la Couronne prétend que la confession fut faite. En acquittant ensuite l’accusé, il ne se contredit nullement. Il prononce que la preuve additionnelle faite au cours du procès a créé un doute raisonnable dans son esprit.
Quant à la prétention de la Couronne à l’effet que le premier juge ne pouvait, en vue de sa décision finale, tenir compte du témoignage de l’intimé au cours du «voir-dire», elle me paraît faire appel à un formalisme exagéré. Obliger le juge à entendre une deuxième fois l’accusé et, si l’on veut être logique, tous les autres témoins sur le «voir-dire» me paraît une perte de temps injustifiée.
De son côté, M. le juge Turgeon a dit notamment:
Je ne suis pas convaincu que lorsqu’il s’agit d’un procès devant un juge seul, celui-ci peut tenir compte lorsqu’il décide sur le mérite, sans le consentement des parties, du témoignage rendu par l’accusé sur le «voirdire», puisqu’en principe la poursuite est alors limitée dans son contre-interrogatoire de l’accusé…
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Dans le présent litige cependant, comme le démontre mon collègue, l’accusé, le procureur de la poursuite et le premier juge ont tous pris pour acquis que le témoignage de l’accusé sur le «voir-dire» faisait partie de la preuve au procès. Cela fut fait sans aucune objection ou protestation de la part du procureur de la Couronne. Il y a donc eu consentement tacite sur ce point et il est trop tard en appel pour soulever l’objection.
Quant à M. le juge Dubé il a, avec l’accord de M. le juge Bélanger, dit spécialement:
Lorsqu’il s’agit d’un procès devant un juge seul, il n’est pas nécessaire de traiter le «voir-dire» comme un procès dans le procès, étant donné que c’est le même juge qui doit décider de l’admissibilité de la confession et aussi de sa valeur probante.
L’expression couramment acceptée dans notre jurisprudence à l’effet que le «voir-dire» est un procès dans le procès, est plutôt une expression qu’une réalité: en effet, il s’agit toujours du même procès, mais lorsque l’on procède devant le jury, le juge a le devoir de prendre toutes les précautions possibles pour que les jurés ne soient pas affectés par des éléments de preuve qui seraient illégaux ou inadmissibles…
Mais lorsqu’il s’agit d’un procès devant un juge seul, ces formalités deviennent tout à fait inutiles; la preuve entendue par le juge de première instance sur le «voir-dire» fait partie du procès comme toute autre preuve. Il n’est même pas nécessaire que les parties s’entendent pour que cette preuve soit versée au dossier puisqu’elle y est déjà.
Je suis d’opinion que cette règle vaut tout autant quant au témoignage de l’accusé s’il a choisi de témoigner au cours de la preuve de «voir-dire»; évidemment, le juge ne devra pas alors tenir compte des questions qu’on aurait pu poser à l’accusé en vue de sonder la véracité de son témoignage soit sur ses antécédents judiciaires, soit même sur la véracité de sa confession (DE CLERCQ, Cour Suprême, rapporté à 4 C.R. N.S. p. 205) (arrêt majoritaire, 3 dissidences). Il devra dans son esprit faire abstraction de ces «à côté» de la cause et s’en tenir strictement aux faits prouvés…
D’ailleurs, dans le présent procès, on voit que l’accusé, assumant lui-même sa propre défense, a toujours été sous l’impression que le témoignage qu’il rendait au cours du «voir-dire» faisait aussi partie de sa défense (D.C. Vol. 3, p. 480):
«Non mais Votre Seigneurie, je veux vous faire comprendre que cette preuve, vu que c’est la preuve de «voir-dire» qui est dans les trois (3) chefs d’accusation, que je vais m’en servir dans le futur dans les autres causes.»
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Le procureur de la Couronne a lui-même donné cette impression qu’il considérait que la preuve de «voir-dire» faisait partie de la preuve tout au long des procédures, et plus particulièrement à la page 312 D.C. Vol. 2, alors qu’il s’exprime ainsi:
«Là Votre Seigneurie je m’objecte, je m’objecte pas aux arguments de l’accusé, je m’objecte à sa façon de les faire parce que je voudrais bien savoir dans quel dossier il fait une motion de non-lieu, j’ai indiqué au début du procès qu’on procédait dans le dossier 3756, je vous ai indiqué également que la preuve de «voir-dire» serait versée dans les deux autres dossiers parce que c’est la même preuve de «voir-dire», ce sont les déclarations qui ont été prises successivement monsieur fait une motion de non-lieu.»
Disons tout d’abord que c’est à bon droit que la Cour d’appel a statué que sur le «voir-dire», le juge du procès n’était pas appelé à décider si la déclaration que la poursuite voulait mettre en preuve avait réellement été faite et si elle était vraie. Dans un procès par jury, ces questions-là sont du ressort du jury. Par conséquent, le juge qui entend la preuve sur le «voir‑dire» ne statue définitivement que sur l’admissibilité de la déclaration qui en fait l’objet: R. v. Mulligan[2] (Cour d’appel de l’Ontario). Quand il n’y a pas de jury et que le même juge est appelé à statuer tant sur l’admissibilité de la preuve que sur sa valeur probante, il doit nécessairement garder pour la fin la conclusion sur le second aspect. En effet, sur la question de savoir si la déclaration a vraiment été faite et si elle est vraie, le juge qui préside un «voir‑dire» dans un procès par jury n’a pas à aller plus loin que de décider qu’il y a une preuve à soumettre au jury, il ne lui appartient pas d’en apprécier la valeur. Rien ne lui permet d’agir autrement lorsqu’il siège seul et de statuer définitivement sur ces questions avant d’avoir entendu toute la cause. Il est vrai que dans DeClercq c. La Reine[3], M. Le juge Hall, dissident, semble dire au bas de la p. 921 que sur un «voir-dire», il appartient au juge de décider si la déclaration a vraiment été faite par l’accusé, mais il faut lire cela en regard de l’affirmation catégorique au haut de la même page.
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[TRADUCTION] «Lorsqu’elle est jugée recevable, la déclaration est soumise au jury qui, seul, peut décider si cette déclaration a effectivement été faite, si elle est véridique et quelle valeur il convient de lui attribuer.»
La question importante en la présente cause est celle de savoir si, lorsqu’il n’y a pas de jury, la preuve sur le «voir-dire» fait partie du procès comme toute autre preuve, ainsi que le soutient M. le juge Dubé. Cette affirmation me paraît dépourvue de toute base juridique. On ne mentionne à l’appui aucune disposition du Code criminel et je ne vois rien qui puisse l’étayer. La Partie XVI du Code criminel, intitulée Actes criminels — Procès sans jury, en vertu de laquelle le procès a eu lieu, se termine par l’article suivant:
502. Les dispositions de la Partie XIV, les dispositions de la Partie XV relatives à la transmission du dossier par un magistrat, lorsqu’il tient une enquête préliminaire, et les dispositions des Parties XVII et XX, dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la présente Partie, s’appliquent, mutatis mutandis, aux procédures prévues à la présente Partie.
C’est dans la Partie XVII intitulée Procédure par acte d’accusation que l’on trouve les dispositions relatives au procès devant jury. Même si les règles relatives à l’admissibilité des confessions y compris celles du «voir-dire» n’y sont pas énoncées, elles font indubitablement partie des dispositions à suivre dans la procédure par acte d’accusation. On peut donc, à mon avis, affirmer sans crainte d’erreur, que ces mêmes règles doivent être suivies mutatis mutandis lors d’un procès sans jury «dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles» avec les dispositions de la Partie XVII. Je ne vois rien que l’on puisse considérer incompatible. Par conséquent, il suffît de s’arrêter à considérer quels changements peuvent être nécessaires comme conséquence de l’absence d’un jury. Je ne vois pas comment on pourrait soutenir que l’un des changements nécessaires serait la suppression du «voir-dire». Il n’y a sûrement rien qui empêche le juge siégeant sans jury de procéder à cet égard exactement comme s’il y en avait un. Évidemment, il en résultera que c’est lui qui devra à la fin du procès décider si la confession a vraiment été faite après avoir antérieurement décidé si la preuve en est recevable. Mais rien ne l’empêche de procéder distinctement à ces deux étapes et de tenir sur
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l’admissibilité de la preuve de la confession «le procès dans un procès» qui se tient comme avoir-dire» quand il y a un jury. Mutatis mutandis signifie: en faisant les changements nécessaires, mais les changements nécessaires seulement. C’est pourquoi je ne vois pas comment on pourrait décider que dans un procès sans jury un avoir-dire» n’est pas nécessaire et la preuve de déclarations par l’accusé peut être reçue sans décision préliminaire sur leur caractère libre et volontaire. Au reste, personne ne semble suggérer que dans un procès sans jury un «voir-dire» n’est pas nécessaire. Mais s’il en est ainsi, comment peut-on soutenir que les règles en sont alors modifiées?
Avec respect, je dois d’ailleurs dire que la position de M. Le juge Dubé me paraît contradictoire. En effet, tout en affirmant que si l’accusé a témoigné au «voir-dire», mais non au procès proprement dit, sa déposition peut servir en sa faveur, il ajoute:
…évidemment, le juge ne devra pas alors tenir compte des questions qu’on aurait pu poser à l’accusé en vue de sonder la véracité de son témoignage soit sur ses antécédents judiciaires, soit même sur la véracité de sa confession (DE CLERCQ, Cour suprême, rapporté à 4 C.R. N.S. p. 205).
A toutes fins pratiques, cela me paraît équivaloir à soutenir que, dans un procès sans jury, la déposition d’un accusé sur un «voir-dire» peut ensuite servir pour lui mais non contre lui. Rien de semblable n’a été décidé par cette Cour dans De Clercq. L’accusé y avait été trouvé coupable par le juge du procès sans jury et la seule question dont nous avons été saisis a été de savoir si ce juge avait commis une erreur en demandant à l’accusé témoignant lors du «voir-dire» si la déclaration qu’il avait signée était vraie. M. le juge Martland, exprimant l’opinion majoritaire, dit (à la p. 910):
[TRADUCTION] …La seule question litigieuse soulevée devant cette Cour/est de savoir si le savant juge du procès a commis une erreur de droit lorsqu’il a demandé à l’appelant si la déclaration qu’il avait signée était véridique.
En conclusion, il a dit (aux pp. 911-912):
[TRADUCTION] Le juge du procès n’a jamais tenté en l’espèce d’utiliser le avoir-dire» comme un moyen de déterminer la culpabilité de l’appelant. Il a déclaré dès le début de l’enquête qu’il n’avait pas vu la déclaration
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et qu’il n’avait pas l’intention de l’examiner. Lorsque la déclaration a été produite, elle a été remise au témoin pour identification et il a été interrogé à son sujet. Si le juge du procès avait été convaincu que la déclaration n’était pas volontaire, il n’en aurait pas connu la teneur. L’enquête sur la véridicité n’avait rapport qu’à la crédibilité du témoignage donné sur la question de savoir si la déclaration était volontaire ou non.
A mon avis, il importe de considérer comme l’a fait M. le juge Turgeon que lorsque l’accusé témoigne sur un «voir-dire», la poursuite est limitée dans son contre-interrogatoire de l’accusé. Comme le dit M. le juge Kaufman dans son ouvrage The Admissibility of Confessions (2ème éd. p. 30) [TRADUCTION] «ce contre-interrogatoire ne peut porter que sur la question en litige ou sur ce qui peut servir à éprouver la crédibilité.» Il en résulte donc que si l’on tient que dans un procès sans jury la déposition de l’accusé sur un «voir-dire» fait partie de la preuve et peut servir pour lui tout en ne pouvant servir contre lui dans la mesure ci-dessus indiquée, l’accusé jouit alors d’un singulier privilège et la poursuite d’un désavantage exceptionnel. Cela vient à l’encontre de la grande règle établie par la Loi de la preuve au Canada, savoir que l’accusé n’est pas obligé de témoigner et son silence ne peut être invoqué contre lui, mais s’il choisit de témoigner, il est traité comme un témoin ordinaire. Il peut donc être contre-interrogé sur tous les faits de la cause de même que sur tout ce qui peut porter atteinte à sa crédibilité sous la seule réserve généralement admise qu’on ne peut le contre-interroger sur une déclaration qui n’a pas été jugée admissible lors d’un «voir-dire».
En statuant comme on l’a fait dans la présente cause, on permet à l’accusé de témoigner lors d’un «voir-dire» sur une partie de la cause où cela fait son affaire tout en se soustrayant au contre-interrogatoire sur le reste et en empêchant la poursuite d’en faire état. On ne saurait voir là du formalisme car on touche à ce qu’il y a de plus fondamental dans l’administration de la justice, c’est-à-dire la règle qu’il faut juger exclusivement suivant la preuve faite au procès. Si l’on disait que lors d’un procès sans jury il n’est pas indispensable de recourir au «voir-dire» et le juge peut recevoir la preuve de déclarations de l’accusé sous réserve de statuer à la fin sur leur admissibilité, je ne serais pas
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d’accord mais j’y verrais une moindre grande objection qu’à procéder au «voir-dire» sans en respecter la règle fondamentale, savoir que c’est un procès dans un procès, de telle sorte que la preuve qui y est faite ne sert que pour cette fin-là quoique ce soit le même juge qui préside le «voir-dire» et prononce sur le fond.
A mon avis, la vraie doctrine a été énoncée par M. le juge Kelly dans Re R. v. Shepherd[4], savoir que, même dans un procès sans jury, la preuve faite sur «voir-dire» ne fait pas partie de la preuve à considérer sur le fond. Avec respect, je ne trouve ni logique ni convaincant le raisonnement contraire fait par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans R. v. Milner[5], où M. le juge en chef Davey dit (à la p. 180):
[TRADUCTION] …lorsque le procès se déroule devant un juge siégeant seul. Ce dernier est alors juge des faits; il entend la preuve faite au cours du «voir-dire»; le «voir-dire» fait partie du procès et, peu importe la conclusion tirée par le savant juge du procès dans ces circonstances au regard de la recevabilité de la preuve, toute preuve faite sur «voir-dire» est considérée comme faite au cours du procès et, si elle est pertinente, elle est recevable en faveur ou au détriment des parties. Naturellement, il va sans dire que la preuve faite sur «voir-dire» doit être pertinente et recevable au regard de la question à trancher au avoir-dire».
Si le «voir-dire» est partie intégrante du procès sans jury, pourquoi faut-il que la preuve y soit restreinte à une certaine question?
Par ailleurs, je ne vois rien à redire à l’arrêt rendu par la Cour d’appel du Manitoba dans R. v. Bannerman[6]. L’accusé trouvé coupable y prétendait que le juge siégeant sans jury devait entendre de nouveau la preuve faite lors du «voir-dire» sur le caractère libre et volontaire de la déclaration. Il soutenait que le juge ayant en conclusion du «voir-dire» déclaré la déclaration admissible, il ne suffisait pas que la personne qui l’avait recueillie soit entendue aux fins de la produire en preuve, comme on l’a fait dans la présente cause. A mon avis, c’est à bon droit que la Cour d’appel du Manitoba a dit (aux pp. 114-115):
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[TRADUCTION] La déclaration n’a été reçue qu’après un «voir-dire». Le savant juge du procès a conclu au caractère volontaire de la déclaration et l’a jugée recevable, de sorte qu’à la suite du «voir-dire» elle a été produite au procès comme Pièce n° 3. L’avocat n’a alors soulevé aucune objection à l’égard du caractère volontaire de la déclaration avant qu’elle soit ainsi cotée. Me Walsh prétend maintenant qu’une preuve aurait dû être produite au procès, après la conclusion du «voir-dire», afin de démontrer le caractère volontaire de la déclaration. Je ne puis accepter cette prétention. Il est vrai qu’à la reprise d’un procès devant jury après un «voir-dire», il faut prouver la déclaration ou la confession, y compris son caractère libre et volontaire, de la façon ordinaire en présence du jury. Cela est nécessaire en raison de l’exclusion du jury au cours du «voir‑dire» et de plus parce qu’il appartient au jury d’apprécier la véracité et le caractère volontaire de la déclaration. Cependant, il est déraisonnable d’exiger la répétition, à la reprise du procès devant un juge seul, de toute la preuve qui a été faite sur le «voir‑dire» pour démontrer que la déclaration était volontaire. Je conçois bien qu’il faut séparer le «voir-dire» du procès et que le juge se doit d’effacer de son esprit certaines preuves présentées au cours du «voir-dire» — telle que le témoignage qu’aurait pu rendre l’accusé ou d’autres témoins — sauf si, pour gagner du temps, tous consentent à ce que la preuve faite sur le «voir-dire» soit versée au dossier. Le juge a pour tâche de décider si la déclaration est recevable et cette décision doit être prise à la suite du «voir‑dire». Si la déclaration est jugée recevable, elle devient non pas une pièce cotée pour identification comme au cours du «voir-dire», mais bien une pièce déposée au procès, et à ce titre elle forme partie de la preuve au procès en raison de sa recevabilité décidée par le savant juge du procès.
J’ai souligné le passage où dans ce texte l’on refuse d’admettre que la déposition de l’accusé sur le «voir-dire» puisse être considérée comme partie de la preuve au procès. Il est possible qu’on ait alors songé uniquement à la question de savoir si pareille déposition peut faire preuve contre l’accusé mais, encore une fois, je ne vois pas comment l’on pourrait distinguer et dire que, sans faire preuve contre lui, cela fait preuve pour lui. La règle c’est que ce qui fait preuve contre une partie fait également preuve pour elle. Si l’on met en preuve une déclaration de l’accusé, il a parfaitement le droit d’invoquer tout ce qui peut s’y trouver en sa faveur. Cela n’est pas douteux.
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Il ne reste plus qu’à se demander si dans le présent dossier, on trouve un consentement par la poursuite à faire servir comme preuve au procès la preuve faite lors du «voir-dire». A mon avis, M. le juge Dubé s’est complètement mépris sur la portée des déclarations du procureur de la poursuite qu’il cite. Pour bien apprécier la portée de ces déclarations, il faut considérer que l’accusé subissait son procès sur trois actes d’accusation distincts, donc dans trois causes distinctes devant le même juge. Tout ce que les déclarations du procureur comportent c’est qu’il entendait que la preuve faite sur le «voir-dire» dans la première cause serve également dans les deux autres causes. Il est clair qu’il n’était pas question de la faire servir autrement que comme preuve sur «voir-dire» dans ces autres causes. En effet, dans chacune de ces causes-là, la poursuite invoquait une déclaration distincte faite en la même occasion devant le même témoin, le détective Maccarone.
En regard de ces faits, il est évident que lorsque l’inculpé parlait de trois «chefs» d’accusation il voulait dire trois actes d’accusation. Après examen attentif du dossier à ce sujet, je dois en venir à la conclusion que les déclarations citées par M. le juge Dubé signifient uniquement que l’on entendait que la preuve faite sur «voir-dire» dans le premier dossier, serve à cette même fin dans chacun des deux autres dossiers. Ce que l’accusé a dit à ce sujet démontre qu’il ne s’est pas mépris sur la portée de ces déclarations et il n’y a rien d’où l’on puisse conclure à l’existence d’un consentement par la poursuite à ce que la preuve faite sur «voir‑dire» serve comme preuve faite au procès. En l’absence d’un tel consentement, cette preuve ne pouvait pas plus servir à juger au fond qu’une déposition recueillie à une enquête préliminaire qui n’aurait pas été mise en preuve au procès de la façon prescrite dans les cas où, par exception, cela peut être permis ou convenu. Il arrive sans doute bien souvent que lors d’un appel d’un jugement rendu sur poursuite sommaire, l’on convient de se servir de la preuve faite devant le magistrat au lieu de faire un procès de novo. Il n’en reste pas moins qu’en l’absence de consentement à cette fin, la preuve faite au premier procès ne fait pas partie du dossier de l’affaire lors d’un appel et on ne peut pas considérer cela comme du formalisme à écarter.
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Notons enfin que le jugement de première instance fait voir que la mention de la déposition de l’inculpé sur le «voir-dire» est la base même de la conclusion à l’existence du doute sur lequel l’acquittement est fondé. En conséquence, il me paraît que le ministère public a démontré l’existence de la condition requise pour qu’un nouveau procès soit accordé suivant les principes exposés dans l’arrêt White c. Le Roi[7].
Je conclus qu’il y a lieu d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les arrêts de la Cour d’appel, d’annuler le jugement d’acquittement prononcé par le premier juge sur les deux inculpations y mentionnées et d’ordonner un nouveau procès sur ces inculpations.
Pourvoi accueilli.
Procureur de l’appelante: Gérard Girouard, Montréal.
Procureur de l’intimé: Gilles Dansereau, Montréal.
[1] (1966), 48 C.R. 110.
[2] (1955), 20 C.R. 269.
[3] [1968] R.C.S. 902.
[4] (1951), 100 C.C.C. 95.
[5] (1969), 11 C.R. N.S. 178.
[6] (1966), 48 C.R. 110.
[7] [1947] R.C.S. 268.
Parties
Demandeurs :
Sa Majesté la ReineDéfendeurs :
GauthierProposition de citation de la décision:
R. c. Gauthier, [1977] 1 R.C.S. 441 (26 juin 1975)
Origine de la décision
Date de l'import :
06/04/2012Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1975-06-26;.1977..1.r.c.s..441