Traduction française officielle
Coram : Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon et Côté
Motifs de jugement (par. 1 à 29) : Le juge Gascon (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis et Côté)
R. c. George, 2017 CSC 38, [2017] 1 R.C.S. 1021
Répertorié : R. c. George
2017 CSC 38
No du greffe : 37372.
Audition et jugement : 28 avril 2017.
Motifs déposés : 7 juillet 2017.
Présents : Les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Gascon et Côté.
en appel de la cour d’appel de la saskatchewan
Arrêt : L’appel est accueilli et les acquittements sont rétablis.
Les appels susceptibles d’être formés par le ministère public contre un acquittement prononcé à l’égard de procédures sur acte d’accusation se limitent aux appels fondés sur des questions de droit seulement. Le jugement de première instance concernait des actes criminels et ne comportait aucune erreur de droit. En conséquence, la Cour d’appel n’avait pas compétence pour intervenir à l’égard de ce jugement.
Pour que soit déclaré coupable un accusé qui démontre que sa défense d’erreur sur l’âge possède une apparence de vraisemblance, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable soit que l’accusé ne croyait pas sincèrement que le plaignant était âgé d’au moins 16 ans, soit que l’accusé n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour s’assurer de l’âge du plaignant. Déterminer s’il existe un doute raisonnable constitue une analyse éminemment contextuelle et tributaire des faits. Plus la perception qu’a l’accusé de l’âge du plaignant est raisonnable, moins le nombre de mesures raisonnablement requises de la part du premier sera élevé. En l’espèce, le juge du procès a examiné divers facteurs tels l’apparence physique, le comportement et les activités de C.D., l’âge et l’apparence des membres du groupe social de C.D., ainsi que les situations dans lesquelles G avait observé celui‑ci.
En général, la question de savoir si une erreur constitue une erreur de droit dépend de son caractère, et non de sa gravité. La majorité de la Cour d’appel a fait erreur en assimilant sa forte opposition aux inférences factuelles du juge du procès à de prétendues erreurs de droit. Le juge du procès ne s’est pas appuyé sur le niveau d’expérience sexuelle de C.D. que révélait la relation sexuelle elle‑même. Il a plutôt considéré l’information connue de G avant que ne se déroule l’activité sexuelle, par exemple le fait que C.D. était entré dans la chambre à coucher de G sans y être invité et qu’il avait parlé avec elle pendant plusieurs heures de sujets variés, dont bon nombre révélaient de la maturité, alors que d’autres avaient un caractère suggestif. Il n’en découle aucune erreur de droit. Il s’agissait de mentions concernant la conduite de C.D. dans les heures qui ont précédé l’activité sexuelle, facteur ayant raisonnablement contribué, avant l’activité sexuelle, à la perception de G quant à l’âge de C.D. Le juge du procès n’a pas non plus commis d’erreur en considérant des éléments de preuve qui n’étaient pas antérieurs à l’activité sexuelle. Les mesures raisonnables doivent avoir été prises avant l’activité sexuelle, mais exiger que la preuve visant à établir ces mesures soit elle aussi antérieure à l’activité sexuelle confond le fait qui doit être prouvé avec la preuve qui peut être utilisée à cette fin. Le tribunal appelé à statuer sur la pertinence d’éléments de preuve doit tenir compte à la fois de l’objectif de ces éléments et de leur chronologie. Le juge du procès peut prendre en compte un élément de preuve qui étaye adéquatement la crédibilité ou la fiabilité de tout témoin, même si cet élément est postérieur à l’activité sexuelle en question. De même, un élément de preuve établissant le caractère raisonnable de la perception de l’accusé quant à l’âge du plaignant avant l’activité sexuelle est pertinent, même si cet élément de preuve est postérieur à l’activité sexuelle, ou n’était pas connu de l’accusé avant l’activité sexuelle.
Même si le juge du procès avait commis des erreurs de droit, ces erreurs n’auraient pas justifié l’intervention de la Cour d’appel. Pour qu’une erreur justifie une cour d’appel d’intervenir dans un appel interjeté par le ministère public contre un acquittement, il doit s’agir d’une erreur dont l’importance présente un degré raisonnable de certitude. Ce seuil n’est pas atteint en l’espèce. Il n’est pas possible de conclure avec un degré raisonnable de certitude que les erreurs reprochées au juge du procès avaient une incidence substantielle sur son verdict.
Jurisprudence
Arrêts mentionnés : R. c. Duran, 2013 ONCA 343, 3 C.R. (7th) 274; R. c. P. (L.T.) (1997), 113 C.C.C. (3d) 42; R. c. K. (R.A.) (1996), 106 C.C.C. (3d) 93; R. c. Tannas, 2015 SKCA 61, 21 C.R. (7th) 166; R. c. Gashikanyi, 2015 ABCA 1, 588 A.R. 386; R. c. Dragos, 2012 ONCA 538, 111 O.R. (3d) 481; R. c. Osborne (1992), 17 C.R. (4th) 350; R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197; R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609; R. c. Morrisey (1995), 97 C.C.C. (3d) 193; R. c. Mastel, 2011 SKCA 16, 84 C.R. (6th) 405; R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46, art. 150.1(1) , 150.1(2.1) , 150.1(4) , 151 , 153 , 271 , 273.1(2) c), 676(1) a).
Doctrine et autres documents cités
Benedet, Janine. Annotation to R. v. Mastel (2011), 84 C.R. (6th) 405.
Benedet, Janine. Comment on R. v. Tannas (2015), 21 C.R. (7th) 166.
Maleszyk, Anna. Crimes Against Children : Prosecution and Defence, vol. 1, Aurora (Ont.), Canada Law Book, 2001 (loose‑leaf updated April 2017, release 32).
Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law, 5th ed., by Morris Manning and Peter Sankoff, Markham (Ont.), LexisNexis, 2015.
Stewart, Hamish C. Sexual Offences in Canadian Law, Aurora (Ont.), Canada Law Book, 2004 (loose‑leaf updated March 2017, release 25).
Vandervort, Lucinda. « “Too Young to Sell Me Sex?!” Mens Rea, Mistake of Fact, Reckless Exploitation, and the Underage Sex Worker » (2012), 58 Crim. L.Q. 355.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan (le juge en chef Richards et les juges Jackson et Whitmore), 2016 SKCA 155, 344 C.C.C. (3d) 543, [2016] S.J. No. 637 (QL), 2016 CarswellSask 754 (WL Can.), qui a annulé les acquittements prononcés en faveur de l’accusée par le juge Kovach relativement à des accusations de contacts sexuels et d’agression sexuelle, et qui a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi accueilli.
Ross Macnab et Thomas Hynes, pour l’appelante.
Erin Bartsch, pour l’intimée.
Version française du jugement de la Cour rendu par
[1] Le juge Gascon — À l’audience, la Cour a accueilli l’appel et rétabli les acquittements prononcés en faveur de Mme George, avec motifs à suivre. Voici ces motifs.
I. Aperçu
[2] Les crimes sexuels sont commis de façon disproportionnée contre des personnes vulnérables, dont les jeunes personnes. L’obligation relative aux « mesures raisonnables » — qui est énoncée au par. 150.1(4) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46 , et qui précise que, dans les cas où l’accusé est de cinq ans ou plus l’aîné d’un plaignant âgé d’au moins 14 ans mais de moins de 16 ans, l’accusé doit avoir pris « toutes les mesures raisonnables pour s’assurer de l’âge du plaignant » avant l’activité sexuelle — vise à protéger les jeunes personnes contre de tels crimes. Elle réalise cet objectif en imposant la responsabilité de prévenir les activités sexuelles entre adultes et jeunes personnes à ceux et celles à qui elle incombe : les adultes. Il est crucial que le Parlement assigne cette responsabilité aux adultes afin de protéger les jeunes personnes contre les crimes sexuels. Cependant, aux termes de l’al. 676(1) a) du Code criminel , le Parlement limite les appels susceptibles d’être formés par le ministère public contre un acquittement prononcé à l’égard de procédures sur acte d’accusation aux appels fondés sur des « question[s] de droit seulement ». Il s’ensuit donc que le Parlement accepte qu’un acquittement prononcé au procès à l’égard d’un acte criminel ne peut pas être annulé, sauf si une erreur de droit a été commise. Comme le jugement de première instance concernait des actes criminels et ne comportait aucune erreur de droit, les acquittements prononcés en faveur de Mme George ont été maintenus, et l’appel formé par cette dernière a été accueilli.
II. Contexte
[3] Madame George a eu des rapports sexuels avec un adolescent, C.D. Au moment de l’activité sexuelle, Mme George était âgée de 35 ans et C.D. avait environ 14 ans et demi. Il a été jugé que l’activité sexuelle était en apparence consensuelle, ce qui signifie que les deux partenaires y avaient volontairement participé. De fait, c’est C.D. qui en a été l’instigateur, malgré les protestations sincères de Mme George. Toutefois, en raison de l’effet conjugué de son jeune âge et de sa différence d’âge avec Mme George, C.D. ne pouvait légalement consentir à l’activité sexuelle.
[4] L’activité sexuelle s’est déroulée après une fête organisée par le fils de Mme George — qui était âgé de 17 ans au moment des faits — dans l’appartement de ces derniers. Madame George n’avait pas prévu l’activité sexuelle avec C.D. Pendant une grande partie de la fête, elle est restée dans sa chambre. Cependant, une fois la fête terminée, C.D. est entré dans la chambre de Mme George, où ils ont parlé pendant plusieurs heures de musique, de questions liées à la garde d’enfants, des relations de C.D. et de ses difficultés à rencontrer des petites amies matures.
[5] Finalement, C.D. a pris l’initiative de l’activité sexuelle. Il a demandé à Mme George [traduction] « s’il serait bizarre » qu’il l’embrasse. Presque simultanément, C.D. s’est penché pour embrasser cette dernière. Elle a reculé, mais C.D. s’est à nouveau approché d’elle, et elle l’a laissé l’embrasser brièvement. C.D. s’est ensuite « immédiatement » placé au‑dessus de Mme George, il a retiré les couvertures qui recouvraient le corps de celle‑ci, puis il a baissé son propre pantalon et écarté les sous‑vêtements de Mme George. Elle lui a demandé ce qu’il faisait. Elle lui a également demandé à plusieurs reprises d’arrêter, mais il a ignoré ces demandes et a persisté. En fin de compte, Mme George « l’a simplement laissé finir ». Elle a décrit en ces termes les rapports sexuels : « bizarres, maladroits et rapides ». Malgré ces faits, il est « incontesté que, bien que réticente au départ, Mme George a participé volontairement » à ces rapports. De plus, devant notre Cour, ni l’une ou l’autre des parties n’ont remis en question le fait que Mme George avait consenti à l’activité sexuelle.
[6] C.D. ne s’est pas plaint auprès de quelque autorité que ce soit de son activité sexuelle avec Mme George; de fait, il a même proposé qu’ils continuent d’avoir des rapports sexuels une fois par semaine. C’est d’ailleurs par hasard que la GRC a appris l’existence de l’activité sexuelle entre C.D. et Mme George. En effet, cette dernière a posé sa candidature pour un poste au sein de la GRC et, dans le cadre du processus de sélection, elle devait répondre à une question lui demandant si elle [traduction] « s’était déjà livrée à une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de 16 ans ». Au moment de l’activité sexuelle, Mme George a présumé que C.D. avait environ 17 ans, car elle le connaissait depuis plusieurs mois et il paraissait avoir cet âge, il se rasait, il ne se cachait pas pour fumer, il n’avait aucune difficulté à s’acheter des cigarettes et il était un ami de son fils (qui était âgé de 17 ans, fréquentait habituellement des amis plus vieux que lui et démontrait une maturité moins grande que C.D. sur le plan affectif). Mais ce volet du questionnaire a incité Mme George à s’enquérir de l’âge exact de C.D. Lorsqu’elle a appris que celui‑ci avait en fait 14 ans et demi au moment de leur activité sexuelle, elle a été [traduction] « prise de panique ». Elle a tout de même soumis le questionnaire et avoué à la GRC s’être livrée à une activité sexuelle avec un mineur. Elle a en conséquence été accusée de deux infractions prévues au Code criminel : (1) contacts sexuels (art. 151 ); et (2) agression sexuelle (art. 271 ).
[7] Dans le cas de ces deux infractions, le Code criminel n’autorisait pas Mme George à plaider en défense le consentement de C.D., puisque celui‑ci était âgé de moins de 16 ans (par. 150.1(1) ) et qu’elle‑même était de plus de cinq ans son aînée (par. 150.1(2.1) ). De ce fait, le seul moyen de défense qu’elle pouvait invoquer — ou, pour être plus précis, le seul moyen dont elle disposait pour réfuter qu’elle avait eu l’intention criminelle (mens rea) d’avoir des rapports sexuels avec un mineur (H. C. Stewart, Sexual Offences in Canadian Law (feuilles mobiles), p. 4‑24) — était de faire valoir qu’elle avait commis une « erreur sur l’âge », c’est‑à‑dire qu’elle croyait que C.D. avait au moins 16 ans. Cependant, le Code criminel limite l’ouverture de la défense d’erreur sur l’âge en exigeant d’un accusé qu’il ait pris « toutes les mesures raisonnables » pour s’assurer de l’âge du plaignant :
150.1 . . .
Inadmissibilité de l’erreur
(4) Le fait que l’accusé croyait que le plaignant était âgé de seize ans au moins au moment de la perpétration de l’infraction reprochée ne constitue un moyen de défense contre une accusation portée en vertu des articles 151 ou 152 , des paragraphes 160(3) ou 173(2) ou des articles 271 , 272 ou 273 que si l’accusé a pris toutes les mesures raisonnables pour s’assurer de l’âge du plaignant.
[8] En common law, les [traduction] « crimes véritables » — du genre de ceux en cause dans la présente affaire — comportent un élément de faute purement subjectif. Toutefois, par voie de dispositions législatives, le Parlement a importé dans l’analyse de la faute un élément objectif afin d’accorder une protection accrue aux jeunes personnes (Stewart, p. 4‑23 et 4‑24). Par conséquent, pour que soit déclaré coupable un accusé qui démontre que sa défense d’erreur sur l’âge possède une « apparence de vraisemblance », le ministère public doit alors prouver hors de tout doute raisonnable soit que l’accusé (1) ne croyait pas sincèrement que le plaignant était âgé d’au moins 16 ans (l’élément subjectif), soit que l’accusé (2) n’a pas pris « toutes les mesures raisonnables » pour s’assurer de l’âge du plaignant (l’élément objectif) (Stewart, p. 4‑24; M. Manning, c.r., et P. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff : Criminal Law (5e éd. 2015), p. 1113 (« Manning, Mewett & Sankoff »)).
[9] Déterminer si un doute raisonnable se soulève à l’égard de l’élément objectif constitue une analyse éminemment contextuelle et tributaire des faits (R. c. Duran, 2013 ONCA 343, 3 C.R. (7th) 274, par. 52; R. c. P. (L.T.) (1997), 113 C.C.C. (3d) 42 (C.A. C.-B.), par. 20; R. c. K. (R.A.) (1996), 106 C.C.C. (3d) 93 (C.A. N.‑B.), p. 96; Stewart, p. 4‑25; A. Maleszyk, Crimes Against Children: Prosecution and Defence (feuilles mobiles), vol. 1, p. 11‑4). Dans certains cas, il est sans doute raisonnable de demander l’âge de son partenaire. Par contre, il serait erroné d’exiger qu’une personne raisonnable s’enquière dans tous les cas de l’âge de son partenaire (voir, p. ex., R. c. Tannas, 2015 SKCA 61, 21 C.R. (7th) 166, par. 27; R. c. Gashikanyi, 2015 ABCA 1, 588 A.R. 386, par. 17). À l’inverse, il serait erroné de prétendre qu’une personne raisonnable se contenterait dans tous les cas de simplement demander à son partenaire quel est son âge, vu la motivation — généralement reconnue — qu’ont les jeunes à mentir au sujet de leur âge (R. c. Dragos, 2012 ONCA 538, 111 O.R. (3d) 481, par. 17, 26, 45 et 51; L. Vandervort, « “Too Young to Sell Me Sex?!” Mens Rea, Mistake of Fact, Reckless Exploitation, and the Underage Sex Worker » (2012), 58 Crim. L.Q. 355, p. 360 et 375; J. Benedet, Comment on R. v. Tannas (2015), 21 C.R. (7th) 166, p. 168; Stewart, p. 4‑26.1). De telles interprétations restrictives iraient à l’encontre du libellé non limitatif de la disposition relative aux mesures raisonnables. Cela dit, au moins une règle générale peut être dégagée : plus la perception qu’a l’accusé de l’âge du plaignant est raisonnable, moins le nombre de mesures raisonnablement requises de la part du premier sera élevé. Cette conclusion découle inéluctablement du libellé de la disposition (« toutes les mesures raisonnables »), en plus de refléter la jurisprudence (R. c. Osborne (1992), 17 C.R. (4th) 350 (C.A. T.‑N.), par. 64) et la doctrine (Manning, Mewett & Sankoff, p. 1113).
III. Décisions des juridictions inférieures
[10] Au procès, le juge Kovach a acquitté Mme George des deux infractions. Il a souligné le caractère contextuel de l’analyse concernant les mesures raisonnables, puis examiné divers facteurs tels l’apparence physique, le comportement et les activités de C.D., l’âge et l’apparence des membres du groupe social de C.D., ainsi que les situations dans lesquelles Mme George avait observé celui‑ci. Au terme d’un examen détaillé de ces facteurs, le juge Kovach a conclu qu’un doute raisonnable persistait relativement à la question de savoir si le ministère public avait prouvé que Mme George avait omis de prendre toutes les mesures raisonnables pour déterminer l’âge de C.D.
[11] L’arrêt de la Cour d’appel était constitué d’une opinion majoritaire et d’une opinion minoritaire. Ces opinions divergeaient sur deux aspects : (1) la question de savoir si le juge Kovach avait commis des erreurs de droit, une condition fixée par la loi pour que le ministère public puisse appeler d’un acquittement prononcé à l’égard d’un acte criminel (Code criminel, al. 676(1) a); R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, par. 24); et (2) la question de savoir si ces erreurs avaient eu une incidence suffisamment importante sur le verdict, une exigence d’origine jurisprudentielle applicable à l’égard de tels appels (R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, par. 14).
[12] S’exprimant au nom de la majorité, le juge en chef Richards a accueilli l’appel, annulé les acquittements et ordonné un nouveau procès (2016 SKCA 155, 344 C.C.C. (3d) 543, par. 50‑51). Il a conclu que le juge Kovach avait commis deux erreurs de droit : (1) d’une part en considérant des éléments de preuve concomitants ou postérieurs à l’activité sexuelle dans son appréciation du caractère raisonnable des mesures prises par Mme George avant l’activité; (2) d’autre part en s’appuyant sur des inférences factuelles douteuses concernant la possibilité que C.D. ait présenté une apparence mature pour son âge au moment de l’activité sexuelle (par. 41‑46). Il a également conclu que ces erreurs de droit portaient sur des facteurs [traduction] « fondamentaux » de l’analyse du juge Kovach, ce qui démontrait leur importance sur le verdict et justifiait l’intervention de la Cour d’appel (par. 48-49).
[13] À l’inverse, la juge d’appel Jackson a exprimé sa dissidence et elle aurait pour sa part rejeté l’appel et confirmé les acquittements (par. 100). À son avis, le juge Kovach n’avait commis aucune erreur de droit (par. 89). Plus précisément, les erreurs que le juge en chef Richards considéraient comme des erreurs de droit constituaient plutôt selon elle un désaccord sur des inférences factuelles tirées par le juge du procès (par. 77‑80, 85‑88 et 92). Subsidiairement, la juge Jackson a conclu que les erreurs constatées par le juge en chef Richards, si tant est qu’elles constituaient des erreurs de droit, n’étaient toutefois pas suffisamment importantes pour justifier l’intervention de la Cour d’appel, car elle n’était pas convaincue que le verdict n’aurait pas « nécessairement » été le même en l’absence de ces erreurs (par. 73, 94 et 99). À de nombreuses reprises dans ses motifs, la juge Jackson a également estimé nécessaire de souligner que cette affaire ne présentait pas les caractéristiques des crimes sexuels visant des enfants, par exemple la manipulation psychologique de ceux‑ci et l’exploitation délibérée de leur vulnérabilité (par. 65‑67, 96(d) à (f) et 97).
IV. Questions en litige
[14] Le présent pourvoi soulève deux questions : (1) Le juge du procès a‑t‑il commis des erreurs de droit lors de son analyse des mesures raisonnables? (2) Dans l’affirmative, ces erreurs étaient‑elles suffisamment importantes pour justifier l’intervention de la Cour d’appel?
V. Analyse
[15] Il ressort d’un examen attentif des motifs du juge du procès que celui‑ci n’a commis aucune erreur de droit. En conséquence, la Cour d’appel n’avait pas compétence pour intervenir à l’égard du jugement de ce dernier.
[16] D’entrée de jeu, je constate que le juge du procès a énoncé avec justesse les principes de droit applicables et s’est référé à plusieurs arrêts faisant autorité à cet égard. Évidemment, le simple fait que le juge du procès ait exposé la bonne analyse juridique ne met pas fin à notre examen et ne met pas celui‑ci à l’abri d’erreurs de droit. Mais ce fait oriente utilement le reste de notre examen visant à déterminer si l’application des principes en question par le juge du procès a donné lieu à des erreurs de droit.
[17] En général, la question de savoir si une erreur constitue une erreur « de droit » dépend de son caractère, et non de sa gravité (J.M.H., par. 24‑39). Dans la présente affaire, la majorité de la Cour d’appel a confondu ces deux concepts, assimilant sa forte opposition aux inférences factuelles du juge du procès (gravité) à de prétendues erreurs de droit (caractère). En l’espèce, il s’agissait d’une approche inappropriée, qui faisait abstraction de la retenue requise de la part des cours d’appel par la décision du Parlement de limiter aux « question[s] de droit seulement » les appels susceptibles d’être formés par le ministère public contre les acquittements prononcés à l’égard de procédures sur acte d’accusation (Code criminel, al. 676(1) a)).
[18] Tout d’abord, il va sans dire qu’un accusé ne saurait invoquer l’activité sexuelle reprochée elle‑même comme une mesure raisonnable ayant permis de s’assurer de l’âge du plaignant avant l’activité en question. Sur cette base, les juges majoritaires ont conclu que le juge du procès s’était à tort appuyé sur [traduction] « le niveau d’expérience sexuelle de C.D. que révélait la relation sexuelle elle‑même » pour décider si Mme George avait pris toutes les mesures raisonnables avant l’activité sexuelle (par. 47). Toutefois, cette conclusion constitue une interprétation erronée des motifs du juge du procès lorsque, comme il se doit, on les considère globalement et contextuellement (R. c. Morrisey (1995), 97 C.C.C. (3d) 193, p. 203‑204). Le juge du procès a donné les explications suivantes :
[traduction] L’activité la plus évocatrice d’un niveau de maturité supérieur à celui d’une personne de son âge c’est l’activité sexuelle elle‑même à laquelle s’est livré [C.D.]. Ce n’est pas le simple fait qu’il ait eu des rapports sexuels avec une femme beaucoup plus âgée, mais plutôt l’aisance évidente avec laquelle il a abordé ces rapports . . . [Je souligne.]
(Transcription du procès, d.a., p. 11)
[19] Considérée conjointement avec la reconnaissance non ambiguë par le juge du procès du fait que toutes les mesures raisonnables doivent être prises préalablement à l’activité sexuelle, l’[traduction] « aisance évidente » avec laquelle C.D. a « abordé » l’activité en question doit s’entendre du fait que C.D. est entré dans la chambre à coucher de Mme George sans y être invité et qu’il a parlé avec elle pendant plusieurs heures de sujets variés, dont bon nombre révélaient de la maturité, alors que d’autres avaient un caractère suggestif. Toute cette information était connue de Mme George avant que ne se déroule l’activité sexuelle. Selon le juge du procès, il s’agissait là d’un des nombreux facteurs ayant raisonnablement contribué, avant l’activité sexuelle, à la perception de Mme George quant à l’âge de C.D. Cette conclusion ne révèle aucune erreur de droit.
[20] Il est vrai que le juge du procès a considéré d’autres éléments de preuve qui n’étaient pas antérieurs à l’activité sexuelle. Les juges majoritaires ont estimé que cela constituait une autre erreur de droit. Mais ce n’est pas le cas. Comme il a été précisé plus tôt, les mesures raisonnables prises par Mme George doivent l’avoir été avant son activité sexuelle avec C.D., ce qu’a expressément reconnu le juge du procès. Il ne s’ensuit pas pour autant que la preuve présentée par Mme George devait elle aussi porter sur des aspects antérieurs à son activité sexuelle avec C.D. Une telle interprétation confond le fait qui doit être prouvé avec la preuve qui peut être utilisée à cette fin.
[21] Le tribunal appelé à statuer sur la pertinence d’éléments de preuve dans un tel contexte doit tenir compte à la fois de l’objectif de ces éléments et de leur chronologie. Des éléments de preuve démontrant la prise de mesures par l’accusé après l’activité sexuelle pour s’assurer de l’âge du plaignant — par exemple la vérification par l’accusé, immédiatement après l’activité sexuelle, d’une carte d’identité du plaignant munie d’une photo — n’est pas pertinente pour l’examen des mesures raisonnables. La prise en considération de tels éléments de preuve constituerait donc une erreur de droit, puisqu’elle révélerait une « mauvaise compréhension d’un principe juridique » (J.M.H., par. 29). Cependant, le juge du procès peut prendre en compte un élément de preuve qui étaye adéquatement la crédibilité ou la fiabilité de tout témoin, même si cet élément est postérieur à l’activité sexuelle en question. De même, un élément de preuve établissant le caractère raisonnable de la perception de l’accusé quant à l’âge du plaignant avant l’activité sexuelle est pertinent pour statuer sur le caractère raisonnable des mesures prises par l’accusé (Duran, par. 51‑54), et ce, même si cet élément de preuve est postérieur à l’activité sexuelle, ou n’était pas connu de l’accusé avant l’activité sexuelle (voir, p. ex., Osborne, par. 22(4) et (5)).
[22] Par exemple, pensons à une photo d’un plaignant mineur, qui aurait été prise une semaine après l’activité sexuelle en cause et sur laquelle le plaignant semble être âgé de 21 ans. L’adulte accusé d’agression sexuelle à l’endroit de ce plaignant n’aurait pas pu utiliser cette photo comme mesure raisonnable, étant donné qu’elle a été prise après que soit survenue l’activité sexuelle. Mais ce n’est pas l’objectif pour lequel la photo serait soumise en preuve. Elle serait plutôt présentée afin de prouver l’apparence physique du plaignant durant la période où a eu lieu l’activité sexuelle, et elle pourrait, selon les circonstances, se révéler pertinente pour juger du caractère raisonnable de la perception de l’accusé concernant l’âge du plaignant.
[23] Les éléments de preuve postérieurs à l’activité sexuelle qui ont été pris en compte par le juge du procès en l’espèce, et à l’égard desquels les juges majoritaires ont exprimé leur désaccord (par. 34), ne discréditaient pas le témoignage de Mme George concernant l’apparence de C.D. à ses yeux ou le comportement de celui‑ci en sa présence au cours des quelques mois où ils se sont côtoyés avant l’activité sexuelle, et ils étaient compatibles avec ce témoignage. Dans cette mesure, ces éléments étaient admissibles pour évaluer la crédibilité de Mme George en général, y compris son témoignage au sujet de sa perception du plaignant au cours des mois ayant précédé l’activité sexuelle.
[24] Bien que l’on puisse être en désaccord avec le poids que le juge du procès a accordé à ces éléments de preuve, aucune erreur de droit ne découle de simples divergences d’opinions sur des inférences factuelles ou sur le poids de la preuve (J.M.H., par. 28). D’ailleurs, bon nombre de commentaires des juges majoritaires indiquent que leur inconfort par rapport à ces éléments ne reposait pas sur l’absence de pertinence de ceux‑ci (situation qui aurait révélé l’existence d’une interprétation erronée d’un principe, une question de droit : ibid., par. 29), mais plutôt sur leur faible pertinence (une question de fait). Le juge du procès est le mieux placé pour déterminer le poids qui doit être accordé à la preuve. Quoi qu’il en soit, si le ministère public conteste les inférences tirées au sujet de l’apparence physique d’un plaignant lorsqu’il était plus jeune, il lui est permis de présenter des preuves directes de cette apparence physique (une photo par exemple). L’opinion des juges majoritaires selon laquelle le juge du procès ne pouvait tirer une telle inférence, étant donné que Mme George n’avait pas soumis de preuve établissant que l’apparence de C.D. [traduction] « n’avait pas changé » de 14 à 17 ans (par. 46), laisse entendre que le juge des faits ne peut tirer d’inférences factuelles. Au contraire, de telles inférences constituent la démarche essentielle par laquelle le juge des faits considère l’ensemble des éléments de preuve (directe et indirecte) qui lui sont soumis.
[25] Compte tenu de ce qui précède, la Cour d’appel n’avait pas compétence pour contrôler la décision du juge du procès. Pour cette raison, notre Cour a accueilli le pourvoi. Cela dit, deux derniers points soulevés dans la dissidence de la Cour d’appel méritent un bref examen.
[26] Premièrement, la juge dissidente a considéré nécessaire de mentionner que la présente affaire ne présentait pas les caractéristiques habituelles des crimes sexuels contre les enfants, notamment la manipulation psychologique de ceux-ci et l’exploitation de leur vulnérabilité (par. 65‑67, 96(d) à (f) et 97). Mais aucune de ces caractéristiques n’est requise pour les infractions en cause. Commet un acte criminel la personne qui touche à des fins d’ordre sexuel un enfant âgé d’au moins 14 ans mais de moins de 16 ans, si cette personne est de plus de cinq ans l’aînée de cet enfant, et ce, même si elle croit sincèrement que l’enfant est âgé de plus de 16 ans, sauf si elle a pris « toutes les mesures raisonnables » pour s’assurer de son âge; rien de plus n’est requis (Benedet, p. 167). D’ailleurs, le fait de suggérer que l’exploitation est un élément essentiel de l’infraction va à l’encontre (1) de l’économie du Code criminel , lequel interdit déjà l’exploitation sexuelle (art. 153 ) et les activités sexuelles où l’accusé a obtenu le « consentement » par abus de confiance ou de pouvoir (al. 273.1(2) c)); et (2) de la reconnaissance par le Parlement que les relations sexuelles entre un adulte et un adolescent constituent intrinsèquement un acte d’exploitation. Dans la mesure où la juge dissidente a conclu que de telles considérations incidentes sont nécessaires pour faire la preuve de tout crime sexuel contre un enfant, je rejette cette proposition. Il va de soi que des indices manifestes d’exploitation peuvent miner la crédibilité de la prétendue croyance erronée d’un accusé quant à l’âge du plaignant, ou encore le caractère raisonnable des mesures prises par cet accusé (voir, p. ex., Dragos, par. 52; R. c. Mastel, 2011 SKCA 16, 84 C.R. (6th) 405, par. 18; J. Benedet, Annotation to R. v. Mastel (2015), 84 C.R. (6th) 405, p. 406), mais ils ne sont pas nécessaires pour que l’infraction soit établie.
[27] Deuxièmement, la juge dissidente a déclaré que, pour être justifiée d’annuler un acquittement, une cour d’appel doit être convaincue que le verdict [traduction] « n’aurait pas nécessairement été le même » n’eût été les erreurs de droit commises par le juge du procès (par. 74 et 99, voir également les par. 73 et 94). Si par là la juge dissidente sous‑entendait qu’une cour d’appel peut annuler un acquittement en présence d’une simple possibilité qu’un verdict différent aurait pu être prononcé, un tel seuil serait trop peu élevé. Notre Cour a formulé de différentes façons le degré d’importance que doit présenter une erreur pour qu’une cour d’appel soit justifiée d’intervenir dans un recours intenté par le ministère public contre un acquittement. Une « possibilité abstraite ou purement hypothétique » ne suffit pas (Graveline, par. 14). Une erreur qui « aurait nécessairement » eu une incidence substantielle sur le verdict dépasse ce seuil (ibid., par. 14-15; R. c. Morin, [1988] 2 R.C.S. 345, p. 374). Et une erreur dont l’importance présente un « degré raisonnable de certitude » correspond au seuil requis (Graveline, par. 14-15; Morin, p. 374).
[28] Ce seuil n’est pas atteint en l’espèce. Les erreurs par ailleurs soutenables qui sont reprochées au juge du procès se rapportent à deux éléments de preuve corroborants. De plus, ces éléments de preuve étaient accompagnés d’autres éléments de preuve — notamment l’apparence physique, le comportement et les activités de C.D., l’âge et l’apparence des membres du groupe social de C.D., et les situations dans lesquelles Mme George avait observé celui‑ci — qui étayaient tous l’opinion du juge du procès selon laquelle il subsistait un doute quant à la question de savoir si le ministère public avait fait la preuve que Mme George ne s’était pas conformée à l’obligation qui lui incombait d’avoir pris des mesures raisonnables. À mon avis, il n’était pas possible de conclure avec un degré raisonnable de certitude que les inférences controversées du juge du procès avaient un caractère substantiel dans son verdict. Il s’ensuit donc que, même si ces inférences avaient constitué des erreurs de droit, elles ne justifiaient pas l’intervention de la Cour d’appel.
VI. Conclusion
[29] Comme il a été expliqué dans les présents motifs, les inférences factuelles du juge du procès n’ont pas entraîné d’erreurs de droit conférant compétence à une juridiction d’appel en l’espèce. C’est pourquoi, à l’audience, la Cour a accueilli l’appel et rétabli les acquittements prononcés en faveur de Mme George.
Pourvoi accueilli.
Procureurs de l’appelante : Gerrand Rath Johnson, Regina.
Procureur de l’intimée : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.