ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)
5 mars 2015 ( *1 )
«Renvoi préjudiciel — Fiscalité — Directive 92/12/CEE — Régime général des produits soumis à accise — Imposition des marchandises de contrebande — Marchandises mises à la consommation dans un État membre et acheminées vers un autre État membre — Détermination de l’État membre compétent — Droit de l’État de transit d’imposer lesdites marchandises»
Dans l’affaire C‑175/14,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Autriche), par décision du 28 mars 2014, parvenue à la Cour le 10 avril 2014, dans la procédure
Ralph Prankl,
LA COUR (sixième chambre),
composée de M. S. Rodin, président de chambre, Mme M. Berger et M. F. Biltgen (rapporteur), juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
— pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,
— pour le gouvernement allemand, par M. T. Henze et Mme K. Petersen, en qualité d’agents,
— pour la Commission européenne, par MM. M. Wasmeier et R. Lyal, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 7, paragraphes 1 et 2, ainsi que 9, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992 (JO L 390, p. 124, ci-après la «directive 92/12»).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Prankl, chauffeur routier, au Zollamt Wien (bureau des douanes de Vienne) au sujet de la décision de ce dernier de le soumettre au paiement de l’accise sur des produits de tabac.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les cinquième à septième considérants de la directive 92/12 sont ainsi libellés:
«considérant que toute livraison, détention en vue de la livraison ou affectation aux besoins d’un opérateur accomplissant de manière indépendante une activité économique ou aux besoins d’un organisme de droit public ayant lieu dans un État membre autre que celui de la mise à la consommation donne lieu à exigibilité de l’accise dans cet autre État membre;
considérant que les produits soumis à accise qui sont acquis par les particuliers pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes doivent être taxés dans l’État membre où ces produits sont acquis;
considérant que, pour établir que les produits soumis à accise ne sont pas détenus à des fins personnelles mais à des fins commerciales, les États membres doivent tenir compte d’un certain nombre de critères».
4 L’article 6 de cette directive dispose:
«1. L’accise devient exigible lors de la mise à la consommation ou lors de la constatation des manquants qui devront être soumis à accise conformément à l’article 14 paragraphe 3.
Est considérée comme mise à la consommation de produits soumis à accise:
a) toute sortie, y compris irrégulière, d’un régime suspensif;
b) toute fabrication, y compris irrégulière, de ces produits hors d’un régime suspensif;
c) toute importation, y compris irrégulière, de ces produits lorsque ces produits ne sont pas mis sous un régime suspensif.
2. Les conditions d’exigibilité et le taux de l’accise à retenir sont ceux en vigueur à la date de l’exigibilité dans l’État membre où s’effectue la mise à la consommation ou la constatation des manquants. L’accise est perçue et recouvrée selon les modalités établies par chaque État membre, étant entendu que les États membres appliquent les mêmes modalités de perception et de recouvrement aux produits nationaux et aux produits en provenance des autres États membres.»
5 L’article 7, paragraphes 1 à 6, de ladite directive énonce:
«1. Dans le cas où des produits soumis à accise ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales dans un autre État membre, les droits d’accises sont perçus dans l’État membre dans lequel ces produits sont détenus.
2. À cette fin, sans préjudice de l’article 6, lorsque les produits ayant déjà été mis à la consommation telle que définie à l’article 6 dans un État membre sont livrés, ou destinés à être livrés à l’intérieur d’un autre État membre ou affectés à l’intérieur d’un autre État membre aux besoins d’un opérateur accomplissant de manière indépendante une activité économique ou aux besoins d’un organisme de droit public, l’accise devient exigible dans cet autre État membre.
3. L’accise est due, selon le cas, auprès de la personne qui effectue la livraison, qui détient les produits destinés à être livrés ou auprès de la personne où a lieu l’affectation des produits à l’intérieur d’un autre État membre que celui où les produits ont déjà été mis à la consommation, ou auprès de l’opérateur professionnel ou de l’organisme de droit public.
4. Les produits visés au paragraphe 1 circulent entre les territoires des différents États membres sous le couvert d’un document d’accompagnement qui mentionne les éléments principaux du document visé à l’article 18 paragraphe 1. La forme et le contenu de ce document sont définis selon la procédure prévue à l’article 24 de la présente directive.
5. La personne, l’opérateur ou l’organisme visé au paragraphe 3 doit se conformer aux prescriptions suivantes:
a) effectuer, préalablement à l’expédition des marchandises, une déclaration auprès des autorités fiscales de l’État membre de destination et garantir le paiement des droits d’accises;
b) acquitter les droits d’accises de l’État membre de destination selon les modalités prévues par cet État membre;
c) se prêter à tout contrôle permettant à l’administration de l’État membre de destination de s’assurer de la réception effective des marchandises et du paiement des droits d’accises dont elles sont passibles.
6. Les droits d’accises acquittés dans le premier État membre, visé au paragraphe 1, sont remboursés conformément à l’article 22 paragraphe 3.»
6 L’article 8 de la même directive prévoit:
«Pour les produits acquis par les particuliers, pour leurs besoins propres et transportés par eux-mêmes, le principe régissant le marché intérieur dispose que les droits d’accises sont perçus dans l’État membre où les produits sont acquis.»
7 L’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/12 dispose:
«1. Sans préjudice des articles 6, 7 et 8, l’accise devient exigible lorsque les produits mis à la consommation dans un État membre sont détenus à des fins commerciales dans un autre État membre.
Dans ce cas, l’accise est due dans l’État membre sur le territoire duquel les produits se trouvent et devient exigible auprès du détenteur des produits.
2. Pour établir que les produits visés à l’article 8 sont destinés à des fins commerciales, les États membres doivent, entre autres, tenir compte des points suivants:
— le statut commercial et les motifs du détenteur des produits,
— le lieu où ces produits se trouvent ou, le cas échéant, le mode de transport utilisé,
— tout document relatif à ces produits,
— la nature de ces produits,
— la quantité de ces produits.
[...]»
8 Aux termes de l’article 10 de cette directive:
«1. Les produits soumis à accise achetés par des personnes qui n’ont pas la qualité d’entrepositaire agréé, d’opérateur enregistré ou non enregistré et qui sont expédiés ou transportés directement ou indirectement par le vendeur ou pour son compte propre sont soumis à accise dans l’État membre de destination. Aux fins du présent article, on entend par l’État membre de destination, l’État membre d’arrivée de l’expédition ou du transport.
2. À cette fin, la livraison de produits soumis à accise ayant déjà été mis à la consommation dans un État membre donnant lieu à l’expédition ou au transport de ces produits à destination d’une personne visée au paragraphe 1 établie dans un autre État membre et qui sont expédiés ou transportés directement ou indirectement par le vendeur ou pour son compte propre donne lieu à exigibilité de l’accise sur ces produits dans l’État membre de destination.
3. L’accise de l’État membre de destination est exigible auprès du vendeur au moment où la livraison est effectuée. Toutefois, les États membres peuvent prendre des dispositions prévoyant que l’accise est due par un représentant fiscal, autre que le destinataire des produits. Ce représentant fiscal doit être établi dans l’État membre de destination et agréé par les autorités fiscales de cet État membre.
L’État membre dans lequel le vendeur est établi doit s’assurer que celui-ci se conforme aux prescriptions suivantes:
— garantir le paiement des droits d’accises, dans les conditions fixées par l’État membre de destination, préalablement à l’expédition des produits et assurer le paiement des droits d’accises après l’arrivée des produits,
— tenir une comptabilité des livraisons des produits.
4. Dans le cas visé au paragraphe 2, les droits d’accises acquittés dans le premier État membre sont remboursés conformément à l’article 22 paragraphe 4.
5. Les États membres peuvent, dans le respect du droit communautaire, fixer des modalités spécifiques d’application de la présente disposition pour les produits soumis à accise faisant l’objet d’une réglementation nationale particulière de distribution compatible avec le traité.»
9 L’article 20 de ladite directive, qui figure sous le titre III de celle-ci, intitulé «Circulation», énonce:
«1. Lorsqu’une irrégularité ou une infraction a été commise en cours de circulation entraînant l’exigibilité de l’accise, l’accise est due dans l’État membre où l’irrégularité ou l’infraction a été commise, auprès de la personne physique ou morale qui a garanti le paiement des droits d’accises conformément à l’article 15 paragraphe 3, sans préjudice de l’exercice des actions pénales.
Lorsque le recouvrement de l’accise s’effectue dans un État membre autre que celui de départ, l’État membre qui procède au recouvrement informe les autorités compétentes du pays de départ.
2. Lorsque, en cours de circulation, une infraction ou une irrégularité a été constatée sans qu’il soit possible d’établir le lieu où elle a été commise, elle est réputée avoir été commise dans l’État membre où elle a été constatée.
3. Sans préjudice de l’article 6 paragraphe 2, lorsque les produits soumis à accise n’arrivent pas à destination et lorsqu’il n’est pas possible d’établir le lieu de l’infraction ou de l’irrégularité, cette infraction ou cette irrégularité est réputée avoir été commise dans l’État membre de départ qui procède au recouvrement des droits d’accises au taux en vigueur à la date d’expédition des produits [...] Les États membres prennent les mesures requises pour remédier à toute infraction ou
irrégularité et pour imposer des sanctions efficaces.
4. Si, avant l’expiration d’un délai de trois ans à compter de la date d’établissement du document d’accompagnement, l’État membre où l’infraction ou l’irrégularité a effectivement été commise vient à être déterminé, cet État procède au recouvrement de l’accise au taux en vigueur à la date d’expédition des marchandises. Dans ce cas, dès que la preuve de ce recouvrement est fournie, l’accise initialement perçue est remboursée.»
10 L’article 22 de la directive 92/12, qui figure sous le titre IV de celle-ci, intitulé «Remboursement», prévoit:
«1. Les produits soumis à accise et mis à la consommation peuvent, dans des cas appropriés et à la demande d’un opérateur dans l’exercice de sa profession, faire l’objet d’un remboursement de l’accise par les autorités fiscales de l’État membre où a lieu la mise à la consommation, lorsqu’ils ne sont pas destinés à être consommés dans cet État membre.
Toutefois, les États membres peuvent ne pas donner suite à cette demande de remboursement lorsqu’elle ne satisfait pas aux critères de régularité qu’ils établissent.
2. Pour l’application du paragraphe 1, les dispositions suivantes sont applicables:
a) l’expéditeur doit introduire préalablement à l’expédition des marchandises une demande de remboursement auprès des autorités compétentes de son État membre et justifier que les droits d’accises ont été acquittés. Toutefois, les autorités compétentes ne peuvent refuser le remboursement pour la simple raison de non-présentation du document établi par ces mêmes autorités attestant du paiement initial;
b) la circulation des marchandises visées au point a) s’effectue conformément aux dispositions du titre III;
c) l’expéditeur présente aux autorités compétentes de son État membre l’exemplaire de renvoi du document visé au point b) dûment annoté par le destinataire qui doit être accompagné d’un document attestant de la prise en charge des droits d’accises dans l’État membre de consommation ou être muni d’une mention qui doit comporter:
— l’adresse du bureau concerné des autorités fiscales de l’État membre de destination,
— la date de l’acceptation de la déclaration par ce bureau ainsi que le numéro de référence ou d’enregistrement de cette déclaration;
d) les produits soumis à accise et mis à la consommation dans un État membre et à ce titre munis d’une marque fiscale ou d’une marque de reconnaissance de cet État membre peuvent faire l’objet d’un remboursement de l’accise due auprès des autorités fiscales de l’État membre qui a délivré ces marques fiscales ou de reconnaissance, pour autant que la destruction de ces marques soit constatée par les autorités fiscales de l’État membre qui les a délivrées.
3. Dans les cas visés à l’article 7, l’État membre de départ doit procéder au remboursement de l’accise qui a été acquittée à la seule condition que l’accise ait déjà été acquittée dans l’État membre de destination selon la procédure prévue à l’article 7 paragraphe 5.
Toutefois, les États membres peuvent ne pas donner suite à cette demande de remboursement lorsqu’elle ne satisfait pas aux critères de régularité qu’ils établissent.
4. Dans les cas visés à l’article 10, l’État membre de départ doit, à la demande du vendeur, procéder au remboursement de l’accise qu’il a acquittée lorsque le vendeur a suivi les procédures prévues à l’article 10 paragraphe 3.
Toutefois, les États membres peuvent ne pas donner suite à cette demande de remboursement lorsqu’elle ne satisfait pas aux critères de régularité qu’ils établissent.
Dans les cas où le vendeur a la qualité d’entrepositaire agréé, les États membres peuvent prévoir que la procédure de remboursement est simplifiée.
5. Les autorités fiscales de chaque État membre déterminent les procédures et les modalités de contrôle applicables aux remboursements effectués sur leur propre territoire. Les États membres veillent à ce que le remboursement de l’accise n’excède pas le montant effectivement acquitté.»
Le droit autrichien
11 L’article 27, paragraphes 1 et 2, de la loi relative aux taxes sur le tabac de 1995 (Tabaksteuergesetz 1995, BGBl. 704/1994, ci-après le «TabStG») dispose:
«1. Si des produits du tabac mis à la consommation dans un État membre sont acquis à des fins commerciales, la taxe devient exigible par le fait que l’acquéreur
1. réceptionne sur le territoire fiscal les produits du tabac ou
2. introduit ou fait introduire sur le territoire fiscal les produits du tabac réceptionnés en dehors du territoire fiscal.
Le redevable de la taxe est l’acquéreur. L’acquisition par un organisme de droit public est assimilée à l’acquisition à des fins commerciales.
2. Si des produits du tabac mis à la consommation dans un État membre sont introduits sur le territoire fiscal dans d’autres cas que ceux visés au paragraphe 1, la taxe devient exigible par le fait qu’ils sont détenus ou utilisés pour la première fois à des fins commerciales sur le territoire fiscal. Le redevable de la taxe est le détenteur ou l’utilisateur.»
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 Entre le mois d’avril et le mois d’octobre 2005, M. Prankl a, à l’instigation d’une personne établie en Autriche, transporté 12650000 cigarettes de la Hongrie vers le Royaume-Uni. Ces cigarettes, introduites en contrebande par des inconnus sur le territoire douanier de l’Union européenne, ont été transportées au cours de cinq voyages successifs en transitant, notamment, par l’Autriche. Elles étaient dissimulées sous le chargement qui figurait sur les documents de transport comme chargement total.
Au Royaume-Uni, lesdites cigarettes ont été, dans quatre cas, déchargées du camion par des inconnus et, dans un cas, saisies par les autorités britanniques.
13 Par décision du 11 avril 2011, le Zollamt Wien a imposé M. Prankl à la taxe sur le tabac pour un montant de 1249820 euros, au motif que celui-ci avait reçu les cigarettes en cause et les avait introduites en Autriche.
14 M. Prankl a introduit un recours contre cette décision. À l’appui de son recours, il a exposé avoir été recruté par une tierce personne pour transporter illégalement lesdites cigarettes de la Hongrie au Royaume-Uni. Selon lui, il n’avait qu’une position subalterne dans la hiérarchie de l’organisation de contrebande de cigarettes à grande échelle pour laquelle il avait effectué les transports. Par ailleurs, il n’aurait eu aucune information sur la quantité de cigarettes chargées à bord du véhicule
qu’il conduisait et n’aurait pas eu connaissance des circuits de distribution y afférents. En outre, en tant que simple chauffeur de poids lourd, il n’aurait, du point de vue économique, pas eu le pouvoir de disposer de ces cigarettes et n’en aurait donc pas non plus été l’acquéreur au sens de l’article 27 du TabStG. Il n’aurait pas davantage mis les cigarettes en cause sur le marché en Autriche et le simple «transit» des produits du tabac par l’Autriche ne serait pas couvert par cet article.
15 L’Unabhängiger Finanzsenat a confirmé l’imposition à la taxe sur le tabac pour le montant susmentionné, en se fondant sur l’article 27, paragraphe 2, du TabStG. Selon cette juridiction, si M. Prankl n’a pas été l’acquéreur des cigarettes en cause, il a néanmoins eu connaissance de l’irrégularité des transports, pour lesquels il a d’ailleurs été rémunéré. En tant que chauffeur du poids lourd utilisé pour le transport desdites cigarettes, M. Prankl les aurait détenues pour la première fois, à des
fins commerciales, sur le territoire fiscal autrichien et serait dès lors redevable, en Autriche, de la taxe sur le tabac.
16 Le Verwaltungsgerichtshof, saisi d’un recours en annulation introduit par M. Prankl contre la décision de ladite juridiction, se demande si les dispositions de la directive 92/12, et notamment l’article 7 de celle-ci, ne s’opposent pas au résultat auquel est parvenu l’Unabhängiger Finanzsenat sur le fondement de la législation nationale. En effet, la conclusion selon laquelle, lors d’un transport tel que celui en cause au principal, l’accise devrait être perçue dans chaque État membre de transit
serait en contradiction avec la systématique inhérente à cette directive, à savoir que des produits soumis à accise détenus à des fins commerciales doivent être taxés dans l’État membre de destination.
17 Certes, la Cour aurait déjà constaté que le législateur de l’Union n’avait pas érigé la prévention de la double imposition en principe absolu (arrêt BATIG, C‑374/06, EU:C:2007:788). Toutefois, la juridiction de renvoi considère que cette constatation est à replacer dans le contexte des faits à l’origine de l’affaire en cause, où les produits soumis à accise avaient été illégalement mis à la consommation dans un État membre autre que celui dont ils portaient déjà les marques fiscales.
18 Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:
«Les articles 7, paragraphes 1 et 2, et 9, paragraphe 1, de la directive 92/12 doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à des dispositions nationales selon lesquelles, pour des produits soumis à accise [...] ayant été mis à la consommation dans un (premier) État membre et transportés par voie terrestre dans un autre État membre (État membre de destination) en passant par un ou plusieurs États membres [de transit], sans être munis d’un document d’accompagnement en application de
l’article 7, paragraphe 4, de cette directive, pour être vendus dans l’État membre de destination, un droit d’accise [...] est perçu également dans l’État membre de transit?»
Sur la question préjudicielle
19 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 7, paragraphes 1 et 2, ainsi que 9, paragraphe 1, de la directive 92/12 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque des marchandises soumises à accise introduites clandestinement sur le territoire d’un État membre sont transportées, en l’absence du document d’accompagnement prescrit à l’article 7, paragraphe 4, de cette directive, à destination d’un autre État membre, sur le territoire duquel ces marchandises
sont découvertes par les autorités compétentes, les États membres de transit sont autorisés à prélever également un droit d’accise auprès du chauffeur de poids lourd ayant effectué ledit transport pour avoir détenu lesdites marchandises à des fins commerciales sur leur territoire.
20 À titre liminaire, il y a lieu de relever que la directive 92/12 vise à établir un certain nombre de règles en ce qui concerne la détention, la circulation et les contrôles des produits soumis à accise, et ce notamment afin d’assurer que l’exigibilité de l’accise soit identique dans tous les États membres. Cette harmonisation permet, en principe, d’écarter les doubles impositions dans les relations entre États membres (arrêts Scandic Distilleries, C‑663/11, EU:C:2013:347, points 22 et 23, ainsi
que Gross, C‑165/13, EU:C:2014:2042, point 17).
21 Il convient également de rappeler que l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/12 établit une règle générale selon laquelle un produit soumis à accise, mis à la consommation dans un État membre et détenu à des fins commerciales dans un autre État membre, est taxé dans ce dernier État. Le lieu d’exigibilité de la taxe est ainsi l’État membre de destination du produit et non celui de sa mise à la consommation (arrêt Meiland Azewijn, C‑292/02, EU:C:2004:499, point 35).
22 L’interprétation selon laquelle le prélèvement des accises s’effectue, en général, dans un seul État membre, à savoir celui pour lequel le produit concerné est destiné et dans lequel il sera consommé, est d’ailleurs corroborée par l’article 22 de la directive 92/12, qui prévoit, sous certaines conditions, le remboursement des droits d’accises acquittés dans un autre État membre (arrêt Scandic Distilleries, EU:C:2013:347, point 24).
23 Certes, ni l’article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 92/12 ni l’article 9, paragraphe 1, de celle-ci n’excluent expressément le prélèvement, dans un État membre par lequel des marchandises de contrebande ont transité, des droits d’accises sur ces marchandises, alors même que celles-ci ne se trouvent plus sur le territoire de cet État et qu’elles sont arrivées dans l’État membre de destination.
24 Toutefois, la Cour a jugé que, lorsque des produits introduits irrégulièrement sur le territoire de l’Union sont, comme les marchandises en cause au principal, détenus à des fins commerciales, il découle des dispositions combinées des articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1, de ladite directive que les autorités de l’État membre dans lequel ces produits ont été découverts sont compétentes pour recouvrer l’accise (arrêt Dansk Transport og Logistik, C‑230/08, EU:C:2010:231, point 114, et
ordonnance Febetra, C‑333/11, EU:C:2012:134, point 41). Dans l’affaire au principal, il s’agit des autorités du Royaume-Uni.
25 En revanche, ce n’est que dans l’hypothèse où les produits en cause ne sont pas détenus à des fins commerciales que l’État membre de départ resterait compétent, conformément à l’article 6 de la directive 92/12, pour recouvrer l’accise, et cela même si les produits introduits irrégulièrement n’ont été découverts qu’ultérieurement par les autorités d’un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt Dansk Transport og Logistik, EU:C:2010:231, point 115, et ordonnance Febetra, EU:C:2012:134, point 42).
26 Dans ces conditions, il convient de constater que, de la même manière que l’État membre de départ, les États membres de transit ne sont pas compétents pour recouvrer l’accise lorsque de tels produits sont découverts par les autorités d’un autre État membre, sur le territoire duquel ils sont détenus à des fins commerciales.
27 En effet, il ne saurait être valablement soutenu que le législateur de l’Union entendait privilégier la prévention des abus et des fraudes en permettant, de manière générale, en cas de transport irrégulier de produits soumis à accise, à tous les États membres de transit de procéder au prélèvement de l’accise.
28 Cette interprétation n’est pas infirmée par le fait que, au point 57 de l’arrêt BATIG (EU:C:2007:788), la Cour a considéré que le législateur de l’Union a privilégié la prévention des abus et des fraudes au détriment du principe de l’imposition dans un seul État membre. En effet, cette appréciation s’inscrit, ainsi qu’il ressort de la première phrase dudit point, dans le contexte factuel particulier de l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, qui concernait l’hypothèse d’une sortie illégale du
régime suspensif en raison du vol des produits sur lesquels avaient été apposées des marques fiscales dans l’État membre de départ, et qui se caractérisait par la circonstance que l’État membre qui avait délivré ces marques fiscales était dans l’impossibilité de constater leur destruction. Ainsi, ces produits ont donné lieu au paiement de droits d’accises à la fois dans l’État membre où ils ont été mis à la consommation et dans celui où ils étaient destinés à être consommés et dont ils portaient
déjà les marques fiscales.
29 À la différence de la situation à l’origine de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt BATIG (EU:C:2007:788), les marchandises en cause au principal ne portaient pas de marques fiscales et n’ont pas disparu entre le point de départ du transport et l’État membre de destination. Dans ces conditions, ainsi que la Commission européenne l’a relevé, un tel prélèvement de l’accise dans les États membres de transit, qui pourrait aboutir à une imposition multiple, n’est pas nécessaire pour prévenir les abus
et les fraudes, dès lors que tant l’État membre d’importation que l’État membre de destination sont connus et qu’il est constant que les marchandises ont été livrées dans ce dernier État.
30 Il convient encore d’ajouter que cette interprétation n’est pas davantage remise en cause par l’argument selon lequel, dans les cas de transport illégal, l’exigibilité de l’accise est déterminée selon les modalités prévues à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 92/12.
31 En effet, indépendamment de la question de savoir si, ainsi que le soutient le gouvernement allemand, l’article 9, paragraphe 1, de la directive 92/12 peut être considéré comme constituant une disposition résiduelle qui serait applicable lorsque, en cas de transit illégal, les produits soumis à accise étaient détenus à des fins commerciales sans que cette détention fût justifiée au titre d’une commande ou d’une livraison, il suffit de rappeler que, dans une situation telle que celle en cause au
principal, l’accise est devenue exigible dans l’État membre de destination, où les biens concernés ont effectivement été mis à la consommation, et que, comme il ressort du point 29 du présent arrêt, le prélèvement de l’accise dans un autre ou même dans plusieurs autres États membres n’est pas nécessaire pour prévenir les abus et les fraudes.
32 Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 7, paragraphes 1 et 2, ainsi que 9, paragraphe 1, de la directive 92/12 doivent être interprétés en ce sens que, lorsque des marchandises soumises à accise introduites clandestinement sur le territoire d’un État membre sont transportées, en l’absence du document d’accompagnement prescrit à l’article 7, paragraphe 4, de ladite directive, à destination d’un autre État membre, sur le territoire
duquel ces marchandises sont découvertes par les autorités compétentes, les États membres de transit ne sont pas autorisés à prélever également un droit d’accise auprès du chauffeur de poids lourd ayant effectué ledit transport pour avoir détenu lesdites marchandises à des fins commerciales sur leur territoire.
Sur les dépens
33 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit:
Les articles 7, paragraphes 1 et 2, ainsi que 9, paragraphe 1, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, telle que modifiée par la directive 92/108/CEE du Conseil, du 14 décembre 1992, doivent être interprétés en ce sens que, lorsque des marchandises soumises à accise introduites clandestinement sur le territoire d’un État membre sont transportées, en l’absence du document
d’accompagnement prescrit à l’article 7, paragraphe 4, de ladite directive, à destination d’un autre État membre, sur le territoire duquel ces marchandises sont découvertes par les autorités compétentes, les États membres de transit ne sont pas autorisés à prélever également un droit d’accise auprès du chauffeur de poids lourd ayant effectué ledit transport pour avoir détenu lesdites marchandises à des fins commerciales sur leur territoire.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure: l’allemand.