ARRÊT DE LA COUR (dixième chambre)
21 novembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Données ouvertes et réutilisation des informations du secteur public – Directive (UE) 2019/1024 – Article 1er – Champ d’application – Article 2 – Notion de “réutilisation” de documents – Droit d’accès à des documents détenus par un organisme du secteur public »
Dans l’affaire C‑336/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Visoki upravni sud (cour administrative d’appel, Croatie), par décision du 25 mai 2023, parvenue à la Cour le 26 mai 2023, dans la procédure
HP – Hrvatska pošta d.d.
contre
Povjerenik za informiranje,
en présence de :
STAS d.o.o.,
LA COUR (dixième chambre),
composée de M. D. Gratsias (rapporteur), président de chambre, M. I. Jarukaitis, président de la quatrième chambre, et M. Z. Csehi, juge,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour le Povjerenik za informiranje, par M. Z. Pičuljan, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement croate, par Mme G. Vidović Mesarek, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme J. Očková, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch et Mme J. Schmoll, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mme U. Małecka, MM. M. Mataija et G. Meessen, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, et de l’article 2 de la directive (UE) 2019/1024 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, concernant les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public (JO 2019, L 172, p. 56).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant HP – Hrvatska pošta d.d. (ci-après « HP ») au Povjerenik za informiranje (délégué à l’information, Croatie) au sujet d’une demande d’informations dont a été saisie HP, visant notamment à obtenir la communication de contrats de construction, de situations de travaux et de procès-verbaux de remise d’ouvrage.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 9, 13, 23 et 70 de la directive 2019/1024 énoncent :
« (9) Les informations du secteur public constituent une source extraordinaire de données qui peuvent contribuer à améliorer le marché intérieur et à développer de nouvelles applications pour les consommateurs et les personnes morales. L’utilisation intelligente de données, y compris leur traitement par des applications utilisant l’intelligence artificielle, peut avoir un effet de transformation sur tous les secteurs de l’économie.
[...]
(13) L’un des principaux objectifs de l’établissement d’un marché intérieur est de créer les conditions propices au développement des services et produits à l’échelle de l’Union [européenne] et dans les États membres. Les informations du secteur public ou celles collectées, produites, reproduites et diffusées dans l’exercice d’une mission de service public ou d’un service d’intérêt général constituent une matière première importante pour les produits et les services de contenu numérique et
deviendront une ressource de plus en plus importante sur le plan du contenu à mesure que les technologies numériques de pointe, telles que l’intelligence artificielle, les registres distribués et l’[I]nternet des objets, se développeront. [...]
[...]
(23) [...] La présente directive fait obligation aux États membres de rendre tous les documents existants réutilisables, à moins que des règles nationales relatives à l’accès aux documents ne limitent ou n’excluent cet accès ou sous réserve des autres exceptions prévues par la présente directive. La présente directive s’appuie sur les règles d’accès en vigueur dans les États membres et ne modifie pas les règles nationales en matière d’accès aux documents. Elle ne s’applique pas aux cas dans
lesquels, conformément aux règles d’accès pertinentes, les citoyens ou les personnes morales ne peuvent obtenir les documents que s’ils peuvent démontrer un intérêt particulier. [...] Les organismes du secteur public devraient être encouragés à mettre à disposition en vue de leur réutilisation tous les documents qu’ils détiennent. [...]
[...]
(70) Étant donné que les objectifs de la présente directive, à savoir faciliter la création à l’échelle de l’Union de produits et de services d’information basés sur des documents émanant du secteur public, garantir une utilisation transfrontalière efficace des documents du secteur public, d’un côté par des entreprises privées, en particulier des [petites et moyennes entreprises (PME)], en vue de créer des produits et des services d’information à valeur ajoutée, et de l’autre par des citoyens pour
faciliter la libre circulation des informations et la communication, ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres mais peuvent en raison de la portée paneuropéenne de l’action proposée, l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 [TUE]. [...] »
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », dispose :
« 1. Afin de favoriser l’utilisation des données ouvertes et de stimuler l’innovation dans les produits et les services, la présente directive fixe un ensemble de règles minimales concernant la réutilisation et les modalités pratiques destinées à faciliter la réutilisation :
a) de documents existants détenus par des organismes du secteur public des États membres ;
b) de documents existants détenus par des entreprises publiques :
i) exerçant des activités dans les domaines définis dans la directive 2014/25/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, relative à la passation de marchés par des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux et abrogeant la directive 2004/17/CE (JO 2014, L 94, p. 243)] ;
[...]
c) de données de la recherche, conformément aux conditions définies à l’article 10.
2. La présente directive ne s’applique pas :
[...]
b) aux documents détenus par des entreprises publiques :
i) dont la production ne relève pas de la fourniture de services d’intérêt général au sens de la loi ou d’autres règles contraignantes en vigueur dans les États membres ;
ii) relatifs aux activités directement exposées à la concurrence et qui par conséquent, conformément à l’article 34 de la directive 2014/25/UE, ne sont pas soumises aux règles relatives à la passation des marchés ;
[...]
d) aux documents, tels que les données sensibles, dont l’accès est exclu conformément aux règles d’accès en vigueur dans l’État membre, y compris pour des motifs :
i) de protection de la sécurité nationale (c’est-à-dire sécurité de l’État), défense ou sécurité publique ;
ii) de confidentialité des données statistiques ;
iii) de confidentialité des informations commerciales (notamment secret d’affaires, secret professionnel ou secret d’entreprise) ;
[...]
f) aux documents dont l’accès est limité conformément aux règles d’accès en vigueur dans les États membres, notamment dans les cas où les citoyens ou les personnes morales doivent justifier d’un intérêt particulier pour obtenir l’accès aux documents ;
[...]
3. La présente directive s’appuie sur les règles d’accès de l’Union et nationales en vigueur et ne les affecte en rien.
[...]
7. La présente directive régit la réutilisation des documents existants détenus par les organismes du secteur public et les entreprises publiques des États membres [...] »
5 L’article 2 de la directive 2019/1024, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
1) “organismes du secteur public”, l’État, les autorités régionales ou locales, les organismes de droit public ou les associations formées par une ou plusieurs de ces autorités ou un ou plusieurs de ces organismes de droit public ;
2) “organismes de droit public”, les organismes présentant toutes les caractéristiques suivantes :
a) ils ont été créés pour satisfaire spécifiquement des besoins d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel ou commercial ;
b) ils sont dotés de la personnalité juridique ; et
c) soit ils sont financés majoritairement par l’État, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public, soit leur gestion est soumise à un contrôle de ces autorités ou organismes, soit leur organe d’administration, de direction ou de surveillance est composé de membres dont plus de la moitié sont désignés par l’État, les autorités régionales ou locales ou d’autres organismes de droit public ;
3) “entreprise publique”, toute entreprise active dans les domaines visés à l’article 1er, paragraphe 1, point b), et sur laquelle les organismes du secteur public peuvent exercer directement ou indirectement une influence dominante du fait de la propriété de l’entreprise, de la participation financière qu’ils y détiennent ou des règles qui la régissent. Une influence dominante des organismes du secteur public sur l’entreprise est présumée dans tous les cas suivants lorsque ces organismes,
directement ou indirectement :
a) détiennent la majorité du capital souscrit de l’entreprise ;
b) disposent de la majorité des voix attachées aux parts émises par l’entreprise ;
c) peuvent désigner plus de la moitié des membres de l’organe d’administration, de direction ou de surveillance de l’entreprise ;
[...]
6) “document” :
a) tout contenu quel que soit son support (papier ou forme électronique, enregistrement sonore, visuel ou audiovisuel) ; ou
b) toute partie de ce contenu ;
[...]
11) “réutilisation”, l’utilisation par des personnes physiques ou morales de documents détenus par :
a) des organismes du secteur public, à des fins commerciales ou non commerciales autres que l’objectif initial de la mission de service public pour lequel les documents ont été produits, à l’exception de l’échange de documents entre des organismes du secteur public aux seules fins de l’exercice de leur mission de service public ; ou
b) des entreprises, à des fins commerciales ou non commerciales autres que l’objectif initial de fournir les services d’intérêt général pour lequel les documents ont été produits, à l’exception de l’échange de documents entre des entreprises publiques et des organismes du secteur public aux seules fins de l’exercice de leur mission de service public ;
[...] »
Le droit croate
6 L’article 5 du zakon o pravu na pristup informacijama (loi relative au droit d’accès à l’information) (Narodne novine, br. 25/13, 85/15 et 69/22, ci-après la « loi sur l’accès à l’information ») dispose :
« Aux fins de la présente loi, on entend par :
[...]
2) “autorités publiques”, les organismes publics, les autres organes de l’État, les collectivités locales (régionales), les personnes morales et autres organismes dotés de pouvoirs publics, les personnes morales créées par la République de Croatie ou par une collectivité locale (régionale), les personnes morales exerçant une mission de service public, les personnes morales qui, sur la base d’une réglementation spéciale, sont financées majoritairement ou entièrement par le budget de l’État ou des
collectivités locales (régionales), c’est-à-dire par des fonds publics (prélèvements, cotisations, etc.), ainsi que les sociétés commerciales dans lesquelles la République de Croatie et les collectivités locales (régionales) détiennent, ensemble ou séparément, une participation majoritaire ;
[...]
5) “droit d’accès à l’information”, le droit des utilisateurs de demander et d’obtenir des informations ainsi que l’obligation pour l’autorité publique d’autoriser l’accès aux informations demandées, c’est-à-dire de publier les informations indépendamment de la demande présentée, lorsque cette publication résulte d’une obligation légale ou réglementaire ;
6) “réutilisation”, l’utilisation, par des personnes physiques ou morales, d’informations détenues par une autorité publique à des fins commerciales ou non commerciales autres que l’objectif initial pour lequel elles ont été générées, objectif qui doit être réalisé dans le cadre de compétences légales ou réglementaires déterminées, ou de tâches qui sont généralement considérées comme une mission de service public. L’échange d’informations entre autorités publiques aux fins de l’exercice des
missions relevant de leurs compétences ne constitue pas une réutilisation ;
[...] »
7 L’article 15 de cette loi, qui figure au chapitre IV de celle-ci, intitulé « Limitations du droit d’accès à l’information », prévoit :
« [...]
(2) Les autorités publiques peuvent limiter l’accès à l’information :
[...]
2) si l’information constitue un secret d’affaires ou un secret professionnel en vertu de la loi ;
[...]
(4) Les autorités publiques peuvent limiter l’accès à l’information si :
1) l’information est en cours d’élaboration au sein d’une ou de plusieurs autorités publiques, et si la publication avant la finalisation de la production de l’information complète et définitive est susceptible de perturber gravement son processus d’élaboration ;
[...]
(8) L’accès à l’information visée au paragraphe 4, point 1, du présent article peut également être limité lorsque l’information est finalisée, notamment lorsque cette divulgation porterait gravement atteinte au processus décisionnel et à l’expression d’opinions ou conduirait à une interprétation erronée du contenu de l’information, à moins qu’un intérêt public supérieur ne justifie la publication de l’information.
[...] »
8 Aux termes de l’article 27 de ladite loi, qui fait partie du chapitre VI de cette dernière, intitulé « Réutilisation d’informations » :
« [...]
(2) L’autorité publique permet la mise à disposition des données ouvertes et la réutilisation d’informations pour les utilisateurs par la publication d’informations pouvant faire l’objet d’une réutilisation ou sur la base de demandes de réutilisation.
[...]
(5) Aux fins de la réutilisation, les autorités publiques n’ont pas l’obligation de produire, d’adapter ou d’extraire certains éléments d’information si cela représente un investissement disproportionné en temps ou en ressources, et il n’est pas non plus exigé des autorités publiques qu’elles continuent à mettre à jour, à compléter et à stocker des informations à des fins de réutilisation.
[...] »
9 L’article 29 de la loi sur l’accès à l’information, intitulé « Demande de réutilisation d’informations et protection des droits des utilisateurs », dispose :
« (1) Dans la demande de réutilisation d’informations, le demandeur doit mentionner, outre les données visées à l’article 18, paragraphe 3, de la présente loi, les informations qu’il souhaite réutiliser, sous quel format et selon quelles modalités il souhaite recevoir le contenu des informations demandées, ainsi que la finalité de l’utilisation des informations (fins commerciales ou non commerciales).
(2) Les entités suivantes ne sont pas tenues de se conformer à une demande de réutilisation d’informations :
[...]
2. les sociétés commerciales dans lesquelles la République de Croatie ou une collectivité locale (régionale) exerce ou peut exercer, directement ou indirectement, une influence dominante du fait de la propriété d’une telle société, de la participation financière qu’elle y détient ou des règles qui la régissent, et :
– exerçant des activités dans les secteurs du gaz et de l’énergie thermique, de l’énergie électrique, de l’eau, des services de transport, des aéroports, des ports maritimes et fluviaux, des services postaux, de l’extraction du pétrole et du gaz, ainsi que de l’exploration ou de l’extraction de charbon ou d’autres combustibles solides, conformément à la loi régissant la passation des marchés publics,
[...]
(7) Les décisions rendues en matière de réutilisation des informations peuvent faire l’objet d’un recours devant le délégué [à l’information] dans un délai de 15 jours à compter de la signification de la décision. Les ordonnances rendues par le délégué [à l’information] ne sont pas susceptibles d’appel, mais peuvent faire l’objet d’un recours contentieux administratif devant le Visoki upravni sud [(cour administrative d’appel, Croatie)].
[...] »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 HP, qui est une société détenue à 100 % par la République de Croatie, est le prestataire du service postal universel dans cet État membre. Elle exerce par ailleurs des activités commerciales.
11 HP a été saisie d’une demande d’informations ayant pour objet, notamment, des contrats de construction, des situations de travaux et des procès-verbaux de remise d’ouvrage.
12 Cette demande ayant été rejetée par HP, un recours contre cette décision de rejet a été introduit devant le délégué à l’information, qui a ordonné à HP de donner suite à ladite demande.
13 Saisi d’un recours formé par HP contre cette ordonnance du délégué à l’information, le Visoki upravni sud (cour administrative d’appel) a renvoyé l’affaire devant ce dernier aux fins du réexamen de celle-ci, au motif que, à la date à laquelle ce délégué avait rendu ladite ordonnance, le délai prévu pour la transposition de la directive 2019/1024 avait expiré et que l’obligation de communication imposée à HP par ledit délégué devait être examinée à la lumière des nouvelles définitions et
exceptions prévues par cette directive.
14 Statuant sur renvoi, le délégué à l’information a de nouveau ordonné à HP de communiquer les informations demandées.
15 HP a introduit un recours contre cette ordonnance devant le Visoki upravni sud (cour administrative d’appel), qui est la juridiction de renvoi.
16 À l’appui de son recours, HP soutient, notamment, que la directive 2019/1024 a été transposée de manière incorrecte dans le droit croate, en ce que la notion d’« autorité publique », au sens de la loi sur l’accès à l’information, n’aurait pas la même portée que la notion d’« entreprise publique », au sens de l’article 2, point 3, de cette directive. En outre, la définition de cette dernière notion figurant dans ladite directive serait applicable tant à la réutilisation d’informations qu’au droit
d’accès à l’information. HP fait valoir, enfin, que les informations qu’il lui a été ordonné de produire sont liées à son activité sectorielle et qu’elles constituent des secrets d’affaires.
17 Le délégué à l’information soutient, quant à lui, que le litige au principal porte non pas sur l’exercice du droit de réutilisation d’informations, mais sur celui du droit d’accès à l’information. Or, la directive 2019/1024 régirait les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public, et non pas le droit d’accès à l’information.
18 La juridiction de renvoi considère que, afin de résoudre le litige pendant devant elle, elle doit trancher la question de savoir si HP était tenue de communiquer, dans le cadre de l’affaire au principal, des informations ne se rapportant pas directement à la fourniture de services d’intérêt général, ce qui impliquerait, notamment, de déterminer la portée de la notion de « réutilisation » d’informations, au sens de la directive 2019/1024.
19 Dans ces conditions, le Visoki upravni sud (cour administrative d’appel) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La notion de “réutilisation” d’informations, au sens de l’article 2, point 11, de la directive [2019/1024] couvre-t-elle l’accès à toute information produite ou détenue par un organisme du secteur public/une entreprise publique, qu’un utilisateur (personne physique ou morale) demande pour la première fois à un organisme du secteur public ?
2) Une demande d’informations produites ou détenues par un organisme du secteur public/une entreprise publique, qui ont été générées dans le cadre des compétences ou en lien avec l’organisation et le fonctionnement de cet organisme, peut-elle être considérée comme étant une demande d’informations à laquelle s’appliquent les dispositions de cette directive, si bien que les dispositions de ladite directive s’appliquent à toutes les demandes d’accès à des informations détenues par les organismes du
secteur public ?
3) Les entités soumises à l’obligation de communiquer des informations visées à l’article 2 de la directive [2019/1024] sont-elles uniquement les organismes du secteur public auxquels la réutilisation d’informations est demandée, ou les nouvelles définitions font-elles référence à tous les organismes du secteur public et à toutes les informations qu’ils détiennent, si bien que les entités visées à l’article 2 de [cette] directive sont obligées de communiquer les informations qu’elles ont
produites ou qu’elles détiennent, ou considère-t-on que les entités visées à l’article 2 de [ladite] directive sont obligées de fournir des informations uniquement en cas de réutilisation d’informations ?
4) Peut-on considérer que les exceptions à l’obligation de communiquer des informations prévues à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive [2019/1024] habilitent les organismes du secteur public à refuser de communiquer les informations qu’ils ont produites ou qu’ils détiennent, ou s’agit-il d’exceptions qui ne s’appliquent que lorsque les organismes du secteur public sont saisis d’une demande de réutilisation ? »
La procédure devant la Cour
20 Par l’ordonnance du président de la Cour du 27 juillet 2023, HP – Hrvatska pošta (C‑336/23, EU:C:2023:617), la demande du Visoki upravni sud (cour administrative d’appel) tendant à ce que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour a été rejetée.
Sur les questions préjudicielles
21 À titre liminaire, il y a lieu de relever, d’une part, qu’il ressort de la décision de renvoi que la demande à l’origine du litige au principal, visée au point 11 du présent arrêt, portait uniquement sur l’accès à des documents détenus par un organisme du secteur public, sans avoir pour objet la réutilisation de ceux-ci.
22 D’autre part, il ressort de cette décision que, selon la juridiction de renvoi, la date pertinente pour déterminer le droit applicable ratione temporis au litige au principal est celle de l’adoption, par le délégué à l’information, de l’ordonnance enjoignant à HP de faire droit à cette demande, date à laquelle le délai prévu pour la transposition de la directive 2019/1024 avait expiré.
23 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union sont posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa propre responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude [arrêt du 27 avril 2023, M.D. (Interdiction d’entrée en Hongrie), C‑528/21, EU:C:2023:341, point 55 et jurisprudence citée].
24 Ainsi, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2019/1024 doit être interprétée en ce sens qu’une demande d’accès à des documents détenus par un organisme du secteur public relève de son champ d’application.
25 À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2019/1024, lu à la lumière de ses considérants 9, 13 et 70, celle-ci vise à favoriser l’utilisation des données ouvertes et à créer les conditions propices au développement, à l’échelle de l’Union et dans les États membres, de produits et de services de contenu numérique basés sur des documents émanant du secteur public dans l’objectif d’améliorer le fonctionnement du marché intérieur.
26 À cette fin, cette directive établit un ensemble de règles minimales concernant la réutilisation et les modalités pratiques destinées à favoriser la réutilisation des documents détenus par les organismes du secteur public des États membres et par certaines entreprises publiques ainsi que la réutilisation des données de la recherche.
27 En vertu de l’article 2, point 11, de ladite directive, il y a lieu d’entendre par « réutilisation » l’utilisation de tels documents par des personnes physiques ou morales, à des fins commerciales ou non commerciales autres que l’objectif initial de la mission de service public ou que celui de fournir les services d’intérêt général pour lequel ces documents ont été produits.
28 Si la « réutilisation », au sens de la directive 2019/1024, présuppose d’avoir accès aux documents concernés, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de deux opérations manifestement distinctes (voir, par analogie, arrêt du 27 octobre 2011, Commission/Pologne, C‑362/10, EU:C:2011:703, point 54).
29 Or, cette directive régit, ainsi que l’énonce son article 1er, paragraphe 7, la réutilisation des documents existants détenus par les organismes du secteur public et les entreprises publiques des États membres, sans toutefois prévoir aucune obligation en matière d’accès aux documents.
30 En effet, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2019/1024, lu à la lumière du considérant 23 de celle-ci, cette directive s’appuie sur les règles d’accès de l’Union et nationales en vigueur et ne les affecte en rien. L’article 1er, paragraphe 2, sous d) et f), de ladite directive dispose, en outre, que celle-ci ne s’applique pas aux documents dont l’accès est exclu ou limité conformément aux règles d’accès en vigueur dans les États membres.
31 Ainsi, la directive 2019/1024 ne consacre pas un droit d’accès aux documents du secteur public, mais présuppose l’existence d’un tel droit dans le droit des États membres ou dans le droit de l’Union, de sorte que les conditions d’accès à ces documents ne relèvent pas de son champ d’application (voir, par analogie, arrêt du 14 novembre 2018, NKBM, C‑215/17, EU:C:2018:901, point 32).
32 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que la directive 2019/1024 doit être interprétée en ce sens qu’une demande d’accès à des documents détenus par un organisme du secteur public ne relève pas de son champ d’application.
Sur les dépens
33 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (dixième chambre) dit pour droit :
La directive (UE) 2019/1024 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, concernant les données ouvertes et la réutilisation des informations du secteur public,
doit être interprétée en ce sens que :
une demande d’accès à des documents détenus par un organisme du secteur public ne relève pas de son champ d’application.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le croate.