ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
20 mars 2025 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière civile – Coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps – Règlement (UE) no 1259/2010 – Article 8, sous a) et b) – Notion de “résidence habituelle” des époux – Statut d’agent diplomatique d’un des époux – Convention de Vienne sur les relations diplomatiques »
Dans l’affaire C‑61/24 [Lindenbaumer] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), par décision du 20 décembre 2023, parvenue à la Cour le 29 janvier 2024, dans la procédure
DL
contre
PQ,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, MM. S. Rodin, N. Piçarra, Mme O. Spineanu-Matei (rapporteure) et M. N. Fenger, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour PQ, par Me V. O. G. Vorwerk, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et M. Hellmann ainsi que Mme J. Simon, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hellénique, par M. G. Karipsiadis et Mme T. Papadopoulou, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par MM. C. Vollrath et W. Wils, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 8, sous a) et b), du règlement (UE) no 1259/2010 du Conseil, du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps (JO 2010, L 343, p. 10).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant DL à PQ au sujet de la détermination de la loi applicable à leur divorce.
Le cadre juridique
Le droit international
3 Aux termes de l’article 31, paragraphe 1, de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques, conclue à Vienne le 18 avril 1961 et entrée en vigueur le 24 avril 1964 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 500, p. 95, ci-après la « convention de Vienne ») :
« L’agent diplomatique jouit de l’immunité de la juridiction pénale de l’État accréditaire. Il jouit également de l’immunité de sa juridiction civile et administrative, sauf s’il s’agit :
a) D’une action réelle concernant un immeuble privé situé sur le territoire de l’État accréditaire, à moins que l’agent diplomatique ne le possède pour le compte de l’État accréditant aux fins de la mission ;
b) D’une action concernant une succession, dans laquelle l’agent diplomatique figure comme exécuteur testamentaire, administrateur, héritier ou légataire, à titre privé et non pas au nom de l’État accréditant ;
c) D’une action concernant une activité professionnelle ou commerciale, quelle qu’elle soit, exercée par l’agent diplomatique dans l’État accréditaire en dehors de ses fonctions officielles. »
4 L’article 37, paragraphe 1, de cette convention stipule :
« Les membres de la famille de l’agent diplomatique qui font partie de son ménage bénéficient des privilèges et immunités mentionnés dans les articles 29 à 36, pourvu qu’ils ne soient pas ressortissants de l’État accréditaire. »
Le droit de l’Union
Le règlement no 1259/2010
5 Les considérants 9, 10, 14, 21 et 29 du règlement no 1259/2010 énoncent :
« (9) Le présent règlement devrait créer un cadre juridique clair et complet dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps dans les États membres participants, garantir aux citoyens des solutions appropriées en termes de sécurité juridique, de prévisibilité et de souplesse, et empêcher une situation dans laquelle l’un des époux demande le divorce avant l’autre pour faire en sorte que la procédure soit soumise à une loi donnée qu’il estime plus favorable à ses propres
intérêts.
(10) Le champ d’application matériel et les dispositions du présent règlement devraient être cohérents par rapport au règlement (CE) no 2201/2003 [du Conseil, du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règlement (CE) no 1347/2000 (JO 2003, L 338, p. 1)]. Toutefois, il ne devrait pas s’appliquer à l’annulation du mariage.
Le présent règlement ne devrait s’appliquer qu’à la dissolution ou au relâchement du lien matrimonial. La loi désignée par les règles de conflit de lois énoncées dans le présent règlement devrait s’appliquer aux causes de divorce et de séparation de corps.
Des questions préalables, telles que la capacité juridique et la validité du mariage, ainsi que les questions telles que les effets patrimoniaux du divorce ou de la séparation de corps, le nom, la responsabilité parentale, les obligations alimentaires ou autres mesures accessoires éventuelles devraient être réglées selon les règles de conflit de lois applicables dans l’État membre participant concerné.
[...]
(14) Pour offrir aux époux la liberté de désigner une loi applicable avec laquelle ils ont des liens étroits ou, à défaut de choix, pour que cette loi s’applique à leur divorce ou séparation de corps, celle-ci devrait s’appliquer même si elle n’est pas celle d’un État membre participant [...]
[...]
(21) À défaut de choix de la loi applicable, le présent règlement devrait instaurer des règles de conflit de lois harmonisées sur la base d’une échelle de critères de rattachement successifs fondés sur l’existence d’un lien étroit entre les époux et la loi concernée, en vue de garantir la sécurité juridique et la prévisibilité et d’empêcher une situation dans laquelle l’un des époux demande le divorce avant l’autre pour faire en sorte que la procédure soit soumise à une loi donnée qu’il estime
plus favorable à ses propres intérêts. Ces critères de rattachement devraient être choisis de façon que la procédure de divorce ou de séparation de corps soit régie par une loi avec laquelle les époux ont des liens étroits.
[...]
(29) Étant donné que les objectifs du présent règlement, à savoir le renforcement de la sécurité juridique, la prévisibilité et la souplesse dans les procédures matrimoniales internationales et dès lors la facilitation de la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union, ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions et des effets du présent règlement, être mieux réalisés au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des
mesures, au moyen d’une coopération renforcée le cas échéant, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité sur l’Union européenne. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. »
6 L’article 5, paragraphe 1, de ce règlement, intitulé « Choix de la loi applicable par les parties », prévoit :
« Les époux peuvent convenir de désigner la loi applicable au divorce et à la séparation de corps, pour autant qu’il s’agisse de l’une des lois suivantes :
a) la loi de l’État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou
b) la loi de l’État de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que l’un d’eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention ; ou
c) la loi de l’État de la nationalité de l’un des époux au moment de la conclusion de la convention ; ou
d) la loi du for. »
7 Aux termes de l’article 8 dudit règlement, intitulé « Loi applicable à défaut du choix par les parties » :
« À défaut de choix conformément à l’article 5, le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi de l’État :
a) de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
b) de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
c) de la nationalité des deux époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut,
d) dont la juridiction est saisie. »
Le règlement no 2201/2003
8 Le règlement no 2201/2003 a été abrogé avec effet à compter du 1er août 2022 par le règlement (UE) 2019/1111 du Conseil, du 25 juin 2019, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu’à l’enlèvement international d’enfants (JO 2019, L 178, p. 1), qui, conformément à son article 100, paragraphe 1, prévoit qu’il n’est applicable qu’aux actions judiciaires intentées, aux actes authentiques dressés ou
enregistrés et aux accords enregistrés le ou après le 1er août 2022.
9 L’article 3 du règlement no 2201/2003, intitulé « Compétence générale », disposait, à son paragraphe 1, sous a) :
« Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre :
a) sur le territoire duquel se trouve :
– la résidence habituelle des époux, ou
– la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou
– la résidence habituelle du défendeur, ou
– en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou
– la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou
– la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est soit ressortissant de l’État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, s’il y a son “domicile” ».
Le droit allemand
La loi introductive au code civil
10 L’article 17, paragraphe 4, de l’Einführungsgesetz zum Bürgerlichen Gesetzbuch (loi introductive au code civil), du 21 septembre 1994 (BGBl. 1994 I, p. 2494, et rectificatif BGBl. 1997 I, p. 1061), dans sa version applicable à la date des faits au principal, dispose :
« La répartition compensatoire des droits à pension est régie par la loi applicable au divorce en vertu du règlement [...] no 1259/2010 ; elle ne doit être mise en œuvre que si la loi allemande est applicable en vertu de ce règlement et si la répartition compensatoire des droits à pension existe dans la loi de l’un des États dont les époux sont ressortissants à la date d’introduction de la demande de divorce. Par ailleurs, la répartition compensatoire des droits à pension doit être effectuée, sur
la demande d’un époux, conformément au droit allemand si l’un des époux a acquis, pendant la durée du mariage, un droit auprès d’un organisme de retraite national, pour autant que la mise en œuvre de la répartition compensatoire des droits à pension ne soit, notamment au regard de la situation économique des deux parties pendant toute la durée du mariage, pas contraire à l’équité. »
La loi relative à la procédure en matière familiale et dans les affaires relevant de la juridiction gracieuse
11 Le Gesetz über das Verfahren in Familiensachen und in den Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit (loi relative à la procédure en matière familiale et dans les affaires relevant de la juridiction gracieuse), du 17 décembre 2008 (BGBl. 2008 I, p. 2586), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit, à son article 137 :
« (1) Le divorce et les questions liées au divorce doivent être examinés et tranchés de manière conjointe [...]
(2) Les questions liées au divorce sont :
1. les questions afférentes à la répartition compensatoire des droits à pension,
[...] »
12 L’article 142, paragraphe 1, première phrase, de la loi relative à la procédure en matière familiale et dans les affaires relevant de la juridiction gracieuse, dans sa version applicable au litige au principal, est libellé comme suit :
« En cas de divorce, il doit être statué sur l’ensemble des questions familiales liées au divorce par décision unique. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
13 DL et PQ, de nationalité allemande, se sont mariés en 1989. Deux enfants, désormais majeurs, sont issus de cette union. Au cours de l’année 2006, les époux ont loué un logement à Berlin (Allemagne) dans lequel ils ont vécu ensemble pendant plus de dix ans (ci-après le « logement familial »).
14 Au mois de juin 2017, le couple s’est installé en Suède à la suite de la mutation de PQ à l’ambassade d’Allemagne à Stockholm (Suède). À cette occasion, les époux ont effectué, conformément à l’obligation qui incombe en vertu de la loi allemande aux fonctionnaires mutés à l’étranger, une déclaration indiquant qu’ils quittaient leur domicile en Allemagne.
15 Au mois de septembre 2019, le couple s’est installé à Moscou (Russie) dans un logement situé dans le complexe immobilier de l’ambassade d’Allemagne au sein de laquelle PQ, qui, à la différence de DL, maîtrise la langue russe, exerce les fonctions de conseiller d’ambassade. DL, en tant que membre de la famille d’un collaborateur de l’ambassade, était également déclarée comme résidante dans ce logement et disposait d’un passeport diplomatique. Le véhicule de DL était immatriculé en Russie.
16 Dans la perspective d’un retour en Allemagne, les époux ont conservé leur logement familial dans lequel réside un de leurs enfants depuis le mois de septembre 2019. Certaines pièces de ce logement ont été sous-louées en vertu de contrats ayant pris fin en mai et en juin 2020.
17 Au mois de janvier 2020, DL est rentrée à Berlin pour y subir une intervention chirurgicale et a demeuré dans le logement familial jusqu’au mois de février 2021. PQ s’est également rendu à Berlin, au cours du mois d’août et du mois de septembre 2020, où il a séjourné dans ce logement, le couple y ayant rencontré des amis au cours de cette période. PQ a passé les fêtes de fin d’année en compagnie d’un de ses enfants à Coblence (Allemagne).
18 Le 26 février 2021, DL est retournée à Moscou dans le logement rattaché à l’ambassade d’Allemagne. Il ressort de la décision de renvoi que, selon PQ, les époux ont informé leurs enfants, le 17 mars 2021, de leur intention de divorcer et que, pendant son séjour à Moscou, DL a entreposé dans une pièce de ce logement les objets qu’elle souhaitait emporter à Berlin.
19 Le 23 mai 2021, DL est rentrée à Berlin et vit désormais dans le logement familial, tandis que PQ continue de vivre dans le logement rattaché à l’ambassade d’Allemagne, à Moscou.
20 Le 8 juillet 2021, PQ a déposé une demande de divorce auprès de l’Amtsgericht (tribunal de district, Allemagne), en faisant valoir qu’il vivait séparément de DL depuis le mois de janvier 2020 et que la séparation était devenue définitive au mois de mars 2021, mois au cours duquel DL avait brièvement séjourné à Moscou.
21 DL s’est opposée à cette demande au motif que la séparation du couple n’avait eu lieu, au plus tôt, qu’au mois de mai 2021 lorsqu’elle était retournée à Berlin. Jusqu’à cette date, elle avait participé à l’entretien du ménage à Moscou. DL a précisé que son séjour à Berlin du 15 janvier 2020 au 26 février 2021 était motivé par son état de santé et par des restrictions de circulation dues à la pandémie de COVID-19, de sorte qu’un retour à Moscou avant le 26 février 2021 était impossible.
22 Par ordonnance du 26 janvier 2022, l’Amtsgericht (tribunal de district) a rejeté ladite demande au motif que la période d’une année de séparation, exigée par le droit allemand, n’était pas expirée et qu’il n’existait pas de raisons suffisamment graves pour prononcer le divorce immédiatement.
23 PQ a formé un recours contre cette ordonnance devant le Kammergericht (tribunal régional supérieur, Allemagne). Cette juridiction a prononcé le divorce en vertu de la loi russe qu’elle a jugée applicable conformément à l’article 8, sous b), du règlement no 1259/2010. À cette fin, ladite juridiction a constaté que la « résidence habituelle » de PQ, au sens de cet article, se trouvait à Moscou et que la résidence de DL dans cette ville n’avait pris fin qu’à compter de son départ pour l’Allemagne, à
savoir le 23 mai 2021, soit moins d’un an avant la saisine de l’Amtsgericht (tribunal de district), le 8 juillet 2021.
24 DL a saisi le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), qui est la juridiction de renvoi, d’un pourvoi contre cette décision du Kammergericht (tribunal régional supérieur) par lequel elle demande que le divorce soit prononcé selon le droit allemand et que, concomitamment, une décision soit adoptée d’office sur la répartition compensatoire des droits à pension.
25 La juridiction de renvoi précise que, en droit allemand, la répartition compensatoire des droits à pension est régie par la loi applicable au divorce, laquelle est déterminée conformément au règlement no 1259/2010. Si le divorce en cause au principal était soumis à la loi russe, il devrait être prononcé comme un divorce par consentement mutuel sans constatation de motifs de divorce et cette répartition devrait être effectuée, en vertu de l’article 17, paragraphe 4, deuxième phrase, de la loi
introductive au code civil, dans sa version applicable à la date des faits au principal, sur demande de l’un des époux. En revanche, si la loi allemande devait trouver à s’appliquer, il y aurait lieu de constater la rupture du mariage, car la communauté de vie entre les époux a cessé depuis plus d’un an. Dans ce cas, ladite répartition serait effectuée d’office dans le cadre du traitement conjoint du divorce et des questions liées à celui-ci.
26 Ladite juridiction fait valoir que le bien-fondé du pourvoi dont elle est saisie dépend de la réponse à la question de savoir si le Kammergericht (tribunal régional supérieur), compétent pour prononcer le divorce en cause au principal en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003, a jugé à bon droit que la loi applicable à ce divorce est, conformément à l’article 8, sous b), du règlement no 1259/2010 et à défaut de choix des époux d’une telle loi jusqu’à la clôture de
la procédure orale en première instance, la loi russe.
27 Devant la juridiction de renvoi, DL fait valoir que le statut professionnel de PQ s’oppose à la constatation de l’existence d’une « résidence habituelle » des époux en Russie. Elle précise que leur séjour à Moscou, d’une part, ne procédait pas d’un choix délibéré, mais était dicté exclusivement par des raisons professionnelles liées à l’affectation de PQ à l’ambassade d’Allemagne à Moscou et, d’autre part, s’il n’était pas prévu pour une durée déterminée, il était, par sa nature, temporaire, les
époux ayant eu l’intention de retourner en Allemagne, où ils avaient gardé le logement familial et conservé des liens étroits avec ce pays, après la cessation des fonctions de PQ au sein de cette ambassade. DL expose, en outre, que, pour des raisons statutaires, elle a été contrainte, ainsi que PQ, de s’installer dans un logement dépendant du complexe immobilier de ladite ambassade de sorte qu’ils ont vécu de facto dans une « enclave allemande », ce qui relativiserait l’importance de leur
présence physique en Russie.
28 PQ indique que les agents diplomatiques qui jouissent, en vertu de l’article 31, paragraphe 1, de la convention de Vienne, notamment de l’immunité de la juridiction civile de l’État accréditaire ne peuvent être soumis, en matière de divorce, au droit de l’État de leur lieu d’affectation.
29 Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur les critères de détermination de la « résidence habituelle » des époux au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010 et, plus particulièrement, sur la pertinence de l’affectation de l’un des époux en tant qu’agent diplomatique dans l’État accréditaire. Cette juridiction fait valoir que, si les éléments avancés par les parties au principal devaient être pris en considération dans le cadre d’une appréciation globale, la
résidence habituelle des époux pourrait ne pas être fixée en Russie. Ladite juridiction indique qu’il est également nécessaire de déterminer si la fixation de la résidence habituelle dans un État requiert une présence physique des époux d’une certaine durée et la constatation d’un certain degré d’intégration sociale et familiale dans l’État concerné.
30 La juridiction de renvoi précise qu’il existe un débat doctrinal en Allemagne sur la définition de la notion de « résidence habituelle » au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010. Une partie de la doctrine, dont la position est partagée par le Kammergericht (tribunal régional supérieur), défend, en se fondant sur les termes du considérant 10 du règlement no 1259/2010, une interprétation qui correspond à celle de la même notion figurant dans le règlement no 2201/2003.
31 Une autre partie de la doctrine estime qu’il n’existe pas de concordance parfaite des définitions de la notion de « résidence habituelle » figurant dans les règlements nos 1259/2010 et 2201/2003, car le premier d’entre eux exige, pour la caractérisation de cette notion, un lien plus étroit avec l’État de résidence que le second qui vise, de manière générale, à offrir à la partie demanderesse le choix entre plusieurs fors de compétence.
32 Selon la juridiction de renvoi, il ne saurait être exclu que la notion de « résidence habituelle » figurant dans les règlements nos 1259/2010 et 2201/2003 puisse donner lieu à des interprétations différentes, dans la mesure où il ressort des considérants 14 et 21 du règlement no 1259/2010 que la caractérisation d’une telle notion suppose l’existence de liens étroits entre les époux et la loi applicable, ce qui peut impliquer un degré d’intégration sociale et familiale plus élevé dans l’État
concerné que celui requis par le règlement no 2201/2003.
33 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Selon quels critères convient-il de déterminer la résidence habituelle des époux au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement [no 1259/2010], en particulier,
– le détachement en tant qu’agent diplomatique a-t-il une incidence sur la reconnaissance d’une résidence habituelle dans l’État accréditaire, voire s’y oppose-t-il ?
– la présence physique des époux dans un État doit-elle avoir été d’une certaine durée avant que l’on puisse considérer qu’une résidence habituelle y a été établie ?
– l’établissement d’une résidence habituelle suppose-t-il un certain degré d’intégration sociale et familiale dans l’État concerné ? »
Sur la question préjudicielle
34 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010 doit être interprété en ce sens que, afin de déterminer la « résidence habituelle » des époux, visée à cette disposition, constituent des éléments pertinents, voire déterminants, l’affectation dans un État de l’un des époux en sa qualité d’agent diplomatique, la durée de la présence physique des époux dans cet État ainsi que le degré d’intégration sociale et familiale dans
celui-ci.
35 S’agissant, en premier lieu, de l’interprétation de la notion de « résidence habituelle » au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010, il convient d’observer que, ainsi que l’énonce le considérant 21 de ce règlement, ce dernier prévoit, à défaut de choix, conformément à l’article 5 dudit règlement, de la loi applicable au divorce par les époux, des règles de conflit de loi harmonisées sur la base d’une échelle de critères de rattachement successifs fondés sur l’existence d’un
lien étroit entre les époux et la loi concernée.
36 L’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010 soumet ainsi le divorce et la séparation des corps à la loi de l’État de la « résidence habituelle » des époux au moment de la saisine de la juridiction ou, à défaut, de leur dernière « résidence habituelle », pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant cette saisine et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de ladite saisine.
37 Le règlement no 1259/2010 ne comporte pas de définition de la notion de « résidence habituelle » et ne procède à aucun renvoi au droit des États membres pour déterminer le sens et la portée de cette notion.
38 Selon une jurisprudence constante, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du libellé de cette disposition, du contexte dans lequel elle s’insère et des
objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2010, Mercredi, C‑497/10 PPU, EU:C:2010:829, point 45, et du 24 octobre 2024, Kwantum Nederland et Kwantum België, C‑227/23, EU:C:2024:914, point 56 ainsi que jurisprudence citée).
39 S’agissant, d’abord, de l’interprétation littérale, il convient d’observer que, dans son sens usuel, l’expression « résidence habituelle » désigne le lieu où une personne physique demeure de façon stable.
40 En ce qui concerne, ensuite, le contexte dans lequel s’inscrit l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010, il résulte du considérant 10 de ce règlement que son champ d’application matériel et ses dispositions doivent être cohérents par rapport aux dispositions du règlement no 2201/2003 prévoyant, notamment, les critères généraux de compétence en matière de divorce, de séparation de corps et d’annulation de mariage.
41 L’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003, dans lequel figure la notion de « résidence habituelle », attribue la compétence pour statuer sur les questions relatives à la dissolution du lien matrimonial aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel se trouve, selon le cas, la résidence habituelle actuelle ou ancienne des époux ou de l’un d’entre eux.
42 La Cour a jugé que la notion de « résidence habituelle » au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 2201/2003 est caractérisée, en principe, par deux éléments, à savoir, d’une part, la volonté de l’intéressé de fixer le centre habituel de ses intérêts dans un lieu déterminé et, d’autre part, une présence qui revêt un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’État membre concerné [arrêt du 1er août 2022, MPA (Résidence habituelle – État tiers), C‑501/20,
EU:C:2022:619, point 44 et jurisprudence citée].
43 Eu égard à la nécessaire cohérence entre les dispositions des règlements nos 1259/2010 et 2201/2003, rappelée au point 40 du présent arrêt, ces mêmes éléments sont requis pour caractériser la notion de « résidence habituelle » au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010. Une telle conception unitaire reflète les rapports étroits qui existent entre ces deux règlements régissant, notamment, le divorce et la séparation de corps. Le règlement no 1259/2010 désigne la loi qu’une
juridiction, dont la compétence est fondée sur les dispositions du règlement no 2201/2003, doit appliquer, à défaut de choix d’une telle loi par les époux, conformément à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1259/2010.
44 Cette conception unitaire de la notion de « résidence habituelle » est en accord avec la jurisprudence de la Cour relative à d’autres instruments de droit international privé qui, à l’instar des règlements nos 1259/2010 et 2201/2003, reposent sur un facteur de rattachement commun, à savoir la « résidence habituelle », et entretiennent des rapports étroits. À cet égard, la Cour a jugé que la définition de ce facteur de rattachement figurant dans le règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du
18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1), et dans le protocole de La Haye, du 23 novembre 2007, sur la loi applicable aux obligations alimentaires, approuvé au nom de la Communauté européenne, par la décision 2009/941/CE du Conseil, du 30 novembre 2009 (JO 2009, L 331, p. 17), doit être guidée par les mêmes principes et caractérisée par les mêmes
éléments, quand bien même l’appréciation concrète de la résidence habituelle dépend de circonstances propres à chaque cas d’espèce [voir, en ce sens, arrêt du 1er août 2022, MPA (Résidence habituelle – État tiers), C‑501/20, EU:C:2022:619, point 53].
45 Enfin, l’interprétation de la notion de « résidence habituelle » faite au point 43 du présent arrêt, répond aux objectifs poursuivis par le règlement no 1259/2010.
46 En effet, il ressort des considérants 9, 21 et 29 de ce règlement que celui-ci vise à créer un cadre juridique clair et complet dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps dans les États membres participants, à garantir la sécurité juridique, la prévisibilité et la souplesse dans les procédures matrimoniales internationales et, dès lors, à faciliter la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union, ainsi qu’à empêcher une situation dans laquelle l’un des
époux demande le divorce avant l’autre pour faire en sorte que la procédure soit soumise à une loi qu’il estime plus favorable à ses propres intérêts [arrêt du 16 juillet 2020, JE (Loi applicable au divorce), C‑249/19, EU:C:2020:570, point 30].
47 Or, une définition de la notion de « résidence habituelle » des époux au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010 qui se caractérise, en principe, par deux éléments, à savoir, d’une part, la volonté des personnes concernées de fixer le centre habituel de leurs intérêts dans un lieu déterminé et, d’autre part, une présence revêtant un degré suffisant de stabilité sur le territoire de l’État concerné permet de garantir tant cet objectif de sécurité juridique et de prévisibilité
que la souplesse nécessaire dans les procédures matrimoniales, tout en empêchant les abus éventuels quant au choix de la loi applicable.
48 En second lieu, la question de savoir si la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux dans l’État accréditaire, la durée de la présence physique des époux dans cet État ainsi que le degré d’intégration sociale et familiale dans celui-ci constituent des éléments pertinents, voire déterminants, aux fins de la détermination de leur « résidence habituelle » au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010 est essentiellement une question de fait [voir, par analogie, arrêt du
25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux – Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 52 et jurisprudence citée]. Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi d’examiner l’ensemble des circonstances de fait propres au cas d’espèce afin de déterminer si les deux éléments énoncés au point précédent, qui caractérisent la notion de « résidence habituelle », sont réunis dans l’affaire au principal.
49 Cela étant, afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il y a lieu de relever les éléments suivants.
50 S’agissant, premièrement, de la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux, il convient d’observer que la juridiction de renvoi s’interroge sur la détermination de la résidence habituelle des époux dans la mesure où, ainsi que les parties au principal l’ont soutenu, le couple qu’ils formaient a été contraint par les dispositions légales et statutaires applicables de s’installer dans un logement rattaché au complexe immobilier de l’ambassade d’Allemagne à Moscou. Selon PQ, un agent
diplomatique ne peut être soumis au droit de l’État accréditaire en raison des immunités et privilèges dont il bénéficie, conformément à la convention de Vienne.
51 Les gouvernements allemand, grec et finlandais font valoir, en substance, que le séjour à l’étranger des diplomates est de nature temporaire et fortuite, ce qui exclut toute volonté de s’installer durablement dans l’État accréditaire.
52 À cet égard, il y a lieu d’observer que le séjour d’un agent diplomatique sur le territoire de l’État accréditaire répond, en principe, exclusivement à des fins professionnelles, dès lors que ce séjour est en lien direct avec l’exercice de ses fonctions. Ainsi que l’a indiqué le gouvernement allemand dans ses observations écrites, l’affectation dans l’État accréditaire, est, en général, déterminée, d’abord et surtout, par les besoins du service de l’État accréditant et non en considération de la
volonté et des préférences personnelles de l’agent diplomatique affecté dans l’État accréditaire.
53 Une telle situation se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 1er août 2022, MPA (Résidence habituelle – État tiers) (C‑501/20, EU:C:2022:619). S’il est certes vrai que, au point 58 de cet arrêt, la Cour a jugé que le fait que le séjour des époux dans un État tiers est en lien direct avec l’exercice de leurs fonctions n’est pas, en soi, de nature à empêcher que ce séjour présente un degré de stabilité suffisant afin de caractériser une résidence habituelle des époux dans cet État, il
n’en demeure pas moins que cette affirmation a été effectuée dans un contexte où il s’agissait d’agents contractuels à durée indéterminée de l’Union, affectés à la délégation de cette dernière dans un État tiers, conformément aux dispositions applicables du statut des fonctionnaires de l’Union européenne aux agents contractuels non soumis à rotation au siège à Bruxelles.
54 Or, ainsi que l’ont soutenu, en substance, PQ ainsi que tous les gouvernements intervenants, la nature et la spécificité de l’activité professionnelle d’un agent diplomatique affecté à une représentation extérieure dans l’État accréditaire plaident, en principe, en raison des circonstances inhérentes à cette fonction, pour l’absence de résidence habituelle, au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010, de cet agent ainsi que de son conjoint dans cet État.
55 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort de l’article 31, paragraphe 1, de la convention de Vienne, les agents diplomatiques jouissent de l’immunité de la juridiction civile et administrative de l’État accréditaire, sous réserve des exceptions visées aux points a) à c) de cette disposition, notamment, lorsqu’il s’agit d’une action réelle concernant un immeuble privé situé sur le territoire de cet État, à moins que l’agent diplomatique ne le possède pas pour le compte de l’État accréditant aux fins de sa
mission.
56 Il convient, ainsi, de relever qu’il n’est pas exclu que, dans des circonstances de fait particulières, l’État accréditaire puisse être considéré comme étant celui où les époux concernés ont voulu installer leur résidence habituelle, au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010. Cela pourrait être, notamment, le cas, ainsi que l’a observé la Commission, lorsque l’agent diplomatique et son conjoint acquièrent à titre privé un logement dans l’État accréditaire pour s’y établir
ensemble après la fin de son affectation.
57 Par conséquent, si la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux constitue un élément pertinent dans le cadre de l’examen du caractère habituel de la résidence des époux sur le territoire de l’État accréditaire, s’agissant de l’appréciation des raisons de leur présence dans cet État et des conditions de leur séjour, cet élément n’est pas à lui seul déterminant pour exclure la reconnaissance d’une résidence habituelle de l’intéressé et des membres de sa famille dans ledit État. La
détermination de la « résidence habituelle » des époux doit, même en présence d’un tel élément, être effectuée sur la base de l’ensemble des circonstances de fait propres à chaque cas d’espèce.
58 En ce qui concerne, deuxièmement, la durée de la présence physique des époux sur le territoire d’un État, cet élément constitue un indice de la « stabilité » du séjour qui caractérise la notion de « résidence habituelle ». En effet, ainsi qu’il a été précisé au point 39 du présent arrêt, afin de pouvoir être qualifiée d’« habituelle », une résidence doit présenter un certain degré de stabilité ou de régularité, par opposition à une présence temporaire ou occasionnelle.
59 L’appréciation de ce critère de la notion de « résidence habituelle » exige de tenir compte de la situation particulière des agents diplomatiques et des membres de leur famille, en raison de la nature de leurs fonctions. En effet, d’une part, ces personnes gardent souvent un rapport étroit avec l’État accréditant dans lequel ils se rendent régulièrement, et, d’autre part, les agents diplomatiques étant généralement soumis à un principe de rotation, la durée de leur séjour dans l’État accréditaire
peut être perçue comme a priori temporaire, alors même qu’elle peut parfois présenter, en pratique, une longueur non négligeable. Dans ces circonstances particulières, la durée de la présence physique des époux sur le territoire de l’État accréditaire n’est pas, en soi, un élément déterminant du caractère habituel de leur résidence dans cet État. Il ne saurait être exclu, à cet égard, que les époux soient présents sur ce territoire pour une période non négligeable tout en gardant le centre de
leurs intérêts dans l’État accréditant, dans lequel ils se rendent régulièrement.
60 S’agissant, troisièmement, de la pertinence du degré d’intégration sociale et familiale dans l’État concerné pour la détermination de la résidence habituelle des époux au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010, il convient d’observer que, dans le cadre de l’interprétation des dispositions du règlement no 2201/2003 relatives à la responsabilité parentale, la Cour a retenu l’environnement social et familial des parents de l’enfant, en particulier en bas âge, comme critère
essentiel de la détermination du lieu de la résidence habituelle de cet enfant [voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux - Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 53 et jurisprudence citée].
61 S’il est vrai que les circonstances particulières qui caractérisent la résidence habituelle d’un enfant ne sont pas identiques à celles permettant de déterminer la résidence habituelle des époux, l’intégration sociale dans un État, qu’il soit l’État accréditaire ou l’État accréditant, constitue un élément pertinent aux fins de la détermination de cette résidence, car elle est de nature à en concrétiser l’élément subjectif tenant à la volonté des intéressés de fixer le centre habituel de leurs
intérêts dans un lieu déterminé.
62 Les attaches familiales conservées dans l’État accréditant ou, au contraire, celles créées dans l’État accréditaire peuvent également être pertinentes dans le cadre de l’analyse de l’ensemble des circonstances de fait propres au cas d’espèce qu’il revient à la juridiction de renvoi d’effectuer.
63 Par ailleurs, il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l’a jugé à propos du règlement no 2201/2003, jurisprudence transposable pour l’interprétation de la notion de « résidence habituelle » au sens de l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010, un époux qui partage sa vie entre deux États ne peut avoir sa résidence habituelle que dans un seul de ces États [arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux - Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 62].
64 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les parties au principal ont résidé en Russie, au siège de l’ambassade d’Allemagne à Moscou, à partir du mois de septembre 2019. DL est rentrée en Allemagne le 23 mai 2021. Dans ses observations écrites déposées devant la Cour, PQ a fait valoir que, le 1er novembre 2023, il a été affecté à un autre poste en Allemagne. Leur séjour dans l’État accréditaire semble ainsi avoir été circonscrit au cadre constitué par cette ambassade.
65 Il résulte également des informations dont dispose la Cour que, tout au long de leur résidence dans l’État accréditaire, les époux ont continué à entretenir un rapport étroit avec l’État accréditant, en y ayant conservé des intérêts patrimoniaux ainsi que des attaches sociales et familiales. Ainsi, ceux-ci ont gardé leur logement à Berlin, dans la perspective d’un retour en Allemagne après la cessation des fonctions de PQ dans l’État accréditaire, logement dans lequel leur fille majeure résidait
et où ils ont semblé séjourner lorsqu’ils se sont rendus en Allemagne.
66 Or, sous réserve de plus amples vérifications de la part de la juridiction de renvoi sur la base de l’ensemble des circonstances de fait propres au cas d’espèce, ces éléments laissent à penser que les époux, malgré la durée de leur séjour en Russie, n’ont pas eu la volonté d’y fixer le centre habituel de leurs intérêts, ce dernier étant demeuré dans l’État accréditant duquel ils ne se sont éloignés que de manière temporaire, de sorte que le droit allemand apparaît comme étant celui de l’État de
la résidence habituelle des époux.
67 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 8, sous a) et b), du règlement no 1259/2010 doit être interprété en ce sens que la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux et son affectation à un poste dans l’État accréditaire s’opposent, en principe, à ce que la « résidence habituelle » des époux soit considérée comme étant fixée dans cet État, à moins que ne soient établies, au terme d’une appréciation globale de l’ensemble des
circonstances propres au cas d’espèce, incluant, notamment, la durée de la présence physique des époux ainsi que leur intégration sociale et familiale dans ledit État, d’une part, la volonté des époux de fixer dans le même État le centre habituel de leurs intérêts et, d’autre part, une présence revêtant un degré suffisant de stabilité sur le territoire de celui-ci.
Sur les dépens
68 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
L’article 8, sous a) et b), du règlement (UE) no 1259/2010 du Conseil, du 20 décembre 2010, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps,
doit être interprété en ce sens que :
la qualité d’agent diplomatique de l’un des époux et son affectation à un poste dans l’État accréditaire s’opposent, en principe, à ce que la « résidence habituelle » des époux soit considérée comme étant fixée dans cet État, à moins que ne soient établies, au terme d’une appréciation globale de l’ensemble des circonstances propres au cas d’espèce, incluant, notamment, la durée de la présence physique des époux ainsi que leur intégration sociale et familiale dans ledit État, d’une part, la volonté
des époux de fixer dans le même État le centre habituel de leurs intérêts et, d’autre part, une présence revêtant un degré suffisant de stabilité sur le territoire de celui-ci.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.