La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/04/2025 | CJUE | N°C-452/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Fastned Deutschland GmbH & Co. KG contre Die Autobahn GmbH des Bundes., 29/04/2025, C-452/23


 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

29 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Concessions – Concessions ayant fait l’objet d’une attribution à une entité in house – Directive 2014/23/UE – Article 43, paragraphe 1, sous c) – Modification de la concession à une date à laquelle le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house – Modification “rendue nécessaire” par des circonstances imprévisibles – Directive 89/665/CEE – Contrôle incident de l’attribution initiale d’une concession »

Dans l’affaire

C‑452/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlande...

 ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

29 avril 2025 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Concessions – Concessions ayant fait l’objet d’une attribution à une entité in house – Directive 2014/23/UE – Article 43, paragraphe 1, sous c) – Modification de la concession à une date à laquelle le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house – Modification “rendue nécessaire” par des circonstances imprévisibles – Directive 89/665/CEE – Contrôle incident de l’attribution initiale d’une concession »

Dans l’affaire C‑452/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), par décision du 16 juin 2023, parvenue à la Cour le 19 juillet 2023, dans la procédure

Fastned Deutschland GmbH & Co. KG,

contre

Die Autobahn GmbH des Bundes,

en présence de :

Autobahn Tank & Rast GmbH,

Ostdeutsche Autobahntankstellen GmbH,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. F. Biltgen, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, I. Jarukaitis, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. S. Rodin, A. Kumin, N. Jääskinen et D. Gratsias (rapporteur), présidents de chambre, M. E. Regan, Mme I. Ziemele et M. J. Passer, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : Mme N. Mundhenke, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 juillet 2024,

considérant les observations présentées :

– pour Fastned Deutschland GmbH & Co. KG, par Mes R. Ader, P. Friton et F. Wolf, Rechtsanwälte,

– pour Die Autobahn GmbH des Bundes, par Mes C. Bauer, N. Schleper et F. Siebler, Rechtsanwälte,

– pour Autobahn Tank & Rast GmbH et Ostdeutsche Autobahntankstellen GmbH, par Mes H.-G. Kamann et M. Schweda, Rechtsanwälte,

– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller, R. Kanitz et P.‑L. Krüger, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. B. De Meester et G. Wils, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 octobre 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 72, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Fastned Deutschland GmbH & Co. KG (ci-après « Fastned ») à Die Autobahn GmbH des Bundes au sujet de la modification de contrats de concession d’exploitation d’installations de services annexes sur les autoroutes fédérales allemandes afin d’y inclure la construction, l’entretien et l’exploitation d’infrastructures de recharge électrique à haute puissance pour les besoins des véhicules.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2014/23/UE

3 Les considérants 8, 18, 75, 76 et 81 de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1), sont ainsi rédigés :

« (8) En ce qui concerne les concessions dont la valeur égale ou excède un certain montant, il convient de prévoir une coordination minimale des procédures nationales d’attribution sur la base des principes du traité [FUE], de manière à garantir l’ouverture des concessions à la concurrence et une sécurité juridique suffisante. Ces dispositions de coordination ne devraient pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs précités et garantir un certain degré de souplesse. [...]

[...]

(18) [...] La principale caractéristique d’une concession, le droit d’exploitation de travaux ou de services, implique toujours le transfert au concessionnaire d’un risque d’exploitation de nature économique, avec la possibilité qu’il ne permette pas d’amortir les investissements effectués et les coûts supportés lors de l’exploitation des travaux ou services attribués dans des conditions d’exploitation normales, même si une partie du risque continue d’être supportée par le pouvoir adjudicateur ou
l’entité adjudicatrice. L’application de règles spécifiques régissant l’attribution de concessions ne serait pas justifiée si le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice évitait à l’opérateur économique tout risque de pertes, en lui garantissant un revenu minimal supérieur ou égal aux investissements effectués et aux coûts qu’il doit supporter dans le cadre de l’exécution du contrat. [...]

[...]

(75) Les contrats de concession font généralement intervenir des mécanismes techniques et financiers complexes et de long terme qui sont souvent soumis à un contexte évolutif. Il est donc nécessaire de clarifier les conditions dans lesquelles des modifications apportées à une concession en cours d’exploitation imposent une nouvelle procédure d’attribution de concession, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne en la matière. Il y a lieu d’engager une
nouvelle procédure d’attribution de concession lorsque des modifications substantielles sont apportées à la concession initiale, notamment en ce qui concerne l’étendue et le contenu des droits et obligations réciproques des parties, y compris l’attribution de droits de propriété intellectuelle. Ces modifications attestent l’intention des parties de renégocier les conditions essentielles de cette concession. C’est notamment le cas de conditions qui, si elles avaient été incluses dans la
procédure initiale, auraient influé sur son issue. Il devrait toujours être possible d’apporter à la concession des modifications entraînant une variation mineure de sa valeur jusqu’à un certain niveau, sans devoir recourir à une nouvelle procédure d’attribution. À cet effet, et afin de garantir la sécurité juridique, la présente directive devrait prévoir des seuils minimaux, en dessous desquels une nouvelle procédure d’attribution n’est pas exigée. Il devrait être possible d’apporter à la
concession des modifications allant au-delà de ces seuils sans devoir recourir à une nouvelle procédure d’attribution, pour autant que lesdites modifications respectent certaines conditions. Ce pourrait être le cas, par exemple, des modifications devenues nécessaires pour tenir compte de demandes des pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices en ce qui concerne la sécurité, eu égard aux spécificités d’activités telles que l’exploitation d’infrastructures touristiques et sportives en
montagne lorsque la législation est susceptible d’évoluer pour prendre en considération les risques afférents, dans la mesure où de telles modifications respectent les conditions pertinentes fixées dans la présente directive.

(76) Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices peuvent se trouver confrontés à des circonstances extérieures qu’ils ne pouvaient prévoir au moment de l’attribution de la concession, notamment lorsque l’exploitation de celle-ci s’étend sur une plus longue période. Dans ces cas, ils doivent disposer d’une certaine marge de manœuvre pour pouvoir adapter la concession à ces circonstances sans engager de nouvelle procédure d’attribution. La notion de circonstances imprévisibles
correspond à des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice, bien qu’ayant fait preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation de l’attribution initiale, n’aurait pu anticiper compte tenu des moyens à sa disposition, de la nature et des caractéristiques du projet, des bonnes pratiques du secteur et de la nécessité de mettre dûment en cohérence les ressources employées pour préparer l’attribution de la concession avec sa valeur prévisible. Toutefois, cela
ne peut s’appliquer aux modifications qui ont pour effet d’altérer la nature de l’ensemble de la concession, par exemple en remplaçant les travaux à exécuter ou les services à fournir par quelque chose de différent ou en modifiant fondamentalement le type de concession, et dont on peut donc supposer qu’elles seraient de nature à influer sur l’issue de la procédure. [...]

[...]

(81) Pour assurer aux candidats et soumissionnaires participant aux procédures d’attribution de concessions une protection juridique adéquate et pour garantir le respect effectif de la présente directive et des principes du traité [FUE], les directives 89/665/CEE [du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de
travaux (JO 1989, L 395, p. 33),] et 92/13/CEE du Conseil[, du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des télécommunications (JO 1992, L 76, p. 14),] devraient aussi s’appliquer aux concessions de services ou de travaux attribuées par des pouvoirs
adjudicateurs ou des entités adjudicatrices. Les directives [89/665] et [92/13] devraient donc être modifiées en conséquence. »

4 L’article 2 de la directive 2014/23, intitulé « Principe de libre administration par les pouvoirs publics », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive reconnaît le principe de libre administration par les autorités nationales, régionales et locales, conformément au droit national et de l’Union. Ces autorités sont libres de décider du mode de gestion qu’elles jugent le plus approprié pour l’exécution de travaux ou la prestation de services, pour assurer notamment un niveau élevé de qualité, de sécurité et d’accessibilité, l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel et des droits des usagers en matière de
services publics.

Les autorités peuvent choisir d’exécuter leurs missions d’intérêt public en utilisant leurs propres ressources ou en coopération avec d’autres autorités, ou de déléguer ces missions à des opérateurs économiques. »

5 L’article 5 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “concessions”, des concessions de travaux ou de services au sens des points a) et b) :

a) “concession de travaux”, un contrat conclu par écrit et à titre onéreux par lequel un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices confient l’exécution de travaux à un ou à plusieurs opérateurs économiques, la contrepartie consistant soit uniquement dans le droit d’exploiter les ouvrages qui font l’objet du contrat, soit dans ce droit accompagné d’un prix ;

b) “concession de services”, un contrat conclu par écrit et à titre onéreux par lequel un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices confient la prestation et la gestion de services autres que l’exécution de travaux visée au point a) à un ou à plusieurs opérateurs économiques, la contrepartie consistant soit uniquement dans le droit d’exploiter les services qui font l’objet du contrat, soit dans ce droit accompagné d’un prix ;

L’attribution d’une concession de travaux ou d’une concession de services implique le transfert au concessionnaire d’un risque d’exploitation lié à l’exploitation de ces travaux ou services, comprenant le risque lié à la demande, le risque lié à l’offre ou les deux. Le concessionnaire est réputé assumer le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions d’exploitation normales, il n’est pas certain d’amortir les investissements qu’il a effectués ou les coûts qu’il a supportés lors de
l’exploitation des ouvrages ou services qui font l’objet de la concession. La part de risque transférée au concessionnaire implique une réelle exposition aux aléas du marché, telle que toute perte potentielle estimée qui serait supportée par le concessionnaire ne doit pas être purement nominale ou négligeable ;

[...] »

6 L’article 17 de ladite directive, intitulé « Concessions entre entités dans le secteur public », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Une concession attribuée par un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice au sens de l’article 7, paragraphe 1, point a), à une personne morale de droit privé ou public ne relève pas du champ d’application de la présente directive lorsque toutes les conditions suivantes sont réunies :

a) le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu’il ou elle exerce sur ses propres services ; et

b) plus de 80 % des activités de cette personne morale contrôlée sont exercées dans le cadre de l’exécution des tâches qui lui sont confiées par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice qui la contrôle ou par d’autres personnes morales que ce pouvoir adjudicateur ou cette entité adjudicatrice contrôle ; et

c) la personne morale contrôlée ne comporte pas de participation directe de capitaux privés à l’exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage requises par les dispositions législatives nationales, conformément aux traités, qui ne permettent pas d’exercer une influence décisive sur la personne morale contrôlée.

Un pouvoir adjudicateur ou une entité adjudicatrice au sens de l’article 7, paragraphe 1, point a), est réputé exercer sur une personne morale un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services, au sens du premier alinéa, point a), du présent paragraphe, s’il exerce une influence décisive à la fois sur les objectifs stratégiques et sur les décisions importantes de la personne morale contrôlée. Ce contrôle peut également être exercé par une autre personne morale, qui est elle-même
contrôlée de la même manière par le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice. »

7 Le titre II de la directive 2014/23, intitulé « Règles relatives à l’attribution de concessions : principes généraux et garanties de procédure », contient notamment l’article 38 de celle-ci, intitulé « Sélection et évaluation qualitative des candidats », dont le paragraphe 1 est libellé comme suit :

« Les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices vérifient les conditions de participation relatives aux capacités professionnelles et techniques et à la capacité économique et financière des candidats ou des soumissionnaires, sur la base de déclarations sur l’honneur, ainsi que la ou les références à présenter comme preuve conformément aux exigences spécifiées dans l’avis de concession qui sont non discriminatoires et proportionnées à l’objet de la concession. Les conditions de
participation sont liées et proportionnées à la nécessité de garantir la capacité du concessionnaire d’exploiter la concession, compte tenu de l’objet de la concession et de l’objectif d’assurer une concurrence effective. »

8 Le titre III de cette directive, intitulé « Règles relatives à l’exécution des contrats de concession », contient notamment l’article 43 de celle-ci, intitulé « Modification de contrats en cours », lequel énonce :

« 1.   Les concessions peuvent être modifiées sans nouvelle procédure d’attribution de concession conformément à la présente directive dans l’un des cas suivants :

[...]

b) pour les travaux ou services supplémentaires réalisés par le concessionnaire initial qui sont devenus nécessaires et ne figuraient pas dans la concession initiale, lorsqu’un changement de concessionnaire :

i) est impossible pour des raisons économiques ou techniques telles que les exigences d’interchangeabilité ou d’interopérabilité avec les équipements, services ou installations existants acquis dans le cadre de la concession initiale ; et

ii) présenterait un inconvénient majeur ou entraînerait une multiplication substantielle des coûts pour le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice.

Toutefois, en ce qui concerne les concessions attribuées par le pouvoir adjudicateur afin de mener une activité autre que celles visées à l’annexe II, toute augmentation de leur montant ne peut être supérieure à 50 % du montant de la concession initiale. Lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, cette limite s’applique au montant de chaque modification. Ces modifications consécutives ne visent pas à contourner la présente directive ;

c) lorsque toutes les conditions suivantes sont remplies :

i) la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ou une entité adjudicatrice diligente ne pouvait pas prévoir ;

ii) la modification ne change pas la nature globale de la concession ;

iii) en ce qui concerne les concessions attribuées par le pouvoir adjudicateur afin de mener une activité autre que celles visées à l’annexe II, toute augmentation de leur montant ne peut être supérieure à 50 % du montant de la concession initiale. Lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, cette limite s’applique au montant de chaque modification. Ces modifications consécutives ne visent pas à contourner les dispositions de la présente directive.

d) lorsqu’un nouveau concessionnaire remplace celui auquel le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a initialement attribué la concession :

[...]

ii) consécutivement à une succession universelle ou partielle dans la position du concessionnaire initial, à la suite d’opérations de restructuration de société, notamment de rachat, de fusion, d’acquisition ou d’insolvabilité, d’un autre opérateur économique qui remplit les critères de sélection qualitatifs établis initialement, à condition que cela n’entraîne pas d’autres modifications substantielles du contrat et ne vise pas à se soustraire à l’application de la présente directive ; [...]

[...]

e) lorsque les modifications, quel qu’en soit le montant, ne sont pas substantielles au sens du paragraphe 4.

[...]

4.   La modification d’une concession en cours est considérée comme substantielle au sens du paragraphe 1, point e), lorsqu’elle rend les caractéristiques de la concession substantiellement différentes de celles prévues initialement. [...]

[...]

5.   Une nouvelle procédure d’attribution de concession conforme à la présente directive est requise pour des modifications des dispositions d’une concession en cours autres que celles prévues aux paragraphes 1 et 2. »

9 Aux termes de l’article 51, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 18 avril 2016. Ils en informent immédiatement la Commission [européenne]. »

10 L’article 54, second alinéa, de la même directive dispose :

« La présente directive ne s’applique pas à l’attribution de concessions ayant fait l’objet d’une offre ou attribuées avant le 17 avril 2014. »

La directive 2014/24

11 Le considérant 122 de la directive 2014/24 énonce :

« La directive 89/665/CEE prévoit que certaines procédures de recours sont accessibles au moins à toute personne ayant ou ayant eu intérêt à obtenir un marché particulier et ayant été lésée ou risquant de l’être par une violation alléguée du droit de l’Union dans le domaine de la passation de marchés publics ou des règles nationales transposant ce droit. Ces procédures de recours ne devraient pas être affectées par la présente directive. Toutefois, les citoyens et les parties concernées, qu’ils
soient organisés ou non, ainsi que d’autres personnes ou organismes qui n’ont pas accès aux procédures de recours en vertu de la directive 89/665/CEE ont néanmoins un intérêt légitime en qualité de contribuables à ce qu’il existe de bonnes procédures de passation de marché. Ils devraient dès lors disposer de la possibilité, autrement qu’au moyen du système de recours prévu par la directive 89/665/CEE et sans qu’ils se voient nécessairement conférer pour autant la qualité pour agir en justice, de
signaler d’éventuelles violations de la présente directive à une autorité ou une structure compétente. [...] »

12 Aux termes de l’article 72, paragraphe 1, sous c) et d), de la directive 2014/24 :

« Les marchés et les accords-cadres peuvent être modifiés sans nouvelle procédure de passation de marché conformément à la présente directive dans l’un des cas suivants :

[...]

c) lorsque toutes les conditions suivantes sont remplies :

i) la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir ;

ii) la modification ne change pas la nature globale du marché ;

iii) toute augmentation de prix n’est pas supérieure à 50 % de la valeur du marché ou de l’accord-cadre initial. Lorsque plusieurs modifications successives sont effectuées, cette limite s’applique à la valeur de chaque modification. Ces modifications consécutives ne visent pas à contourner les dispositions de la présente directive ;

d) lorsqu’un nouveau contractant remplace celui auquel le pouvoir adjudicateur a initialement attribué le marché :

[...]

ii) à la suite d’une succession universelle ou partielle du contractant initial, à la suite d’opérations de restructuration de société, notamment de rachat, de fusion, d’acquisition ou d’insolvabilité, assurée par un autre opérateur économique qui remplit les critères de sélection qualitative établis initialement, à condition que cela n’entraîne pas d’autres modifications substantielles du marché et ne vise pas à se soustraire à l’application de la présente directive ; [...]

[...] »

La directive 89/665

13 L’article 1er de la directive 89/665, telle que modifiée par la directive 2014/23 (ci-après la « directive 89/665 »), intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », prévoit :

« 1.   [...]

La présente directive s’applique également aux concessions attribuées par des pouvoirs adjudicateurs, visées par la directive 2014/23/UE [...], sauf si ces concessions sont exclues en application des articles 10, 11, 12, 17 et 25 de ladite directive.

[...]

Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés relevant du champ d’application de la directive 2014/24/UE ou de la directive 2014/23/UE, les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit de l’Union
en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

3.   Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

[...] »

14 Aux termes de l’article 2 septies, paragraphe 1, de la directive 89/665 :

« Les États membres peuvent prévoir que l’introduction d’un recours en application de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, doit intervenir :

a) avant l’expiration d’un délai minimal de trente jours calendaires à compter du jour suivant la date à laquelle :

– le pouvoir adjudicateur a publié l’avis d’attribution du contrat conformément aux articles 50 et 51 de la directive 2014/24/UE ou aux articles 31 et 32 de la directive 2014/23/UE, à condition que cet avis contienne la justification de la décision du pouvoir adjudicateur d’attribuer le contrat sans publication préalable d’un avis de contrat au Journal officiel de l’Union européenne, ou

– le pouvoir adjudicateur a informé les soumissionnaires et les candidats concernés de la conclusion du contrat, pour autant que cette information soit accompagnée d’un exposé synthétique des motifs pertinents [...]

b) et en tout état de cause avant l’expiration d’un délai minimal de six mois à compter du lendemain du jour de la conclusion du contrat. »

Le droit allemand

Le GWB

15 La partie 4 du Gesetz gegen Wettbewerbsbeschränkungen (loi contre les restrictions de concurrence), du 26 juin 2013 (BGBl. 2013 I, p. 1750), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « GWB »), établit les règles relatives à la passation des marchés publics et des concessions et comprend, notamment, les articles 132, 135 et 154 du GWB.

16 L’article 132 du GWB, intitulé « Modifications de marchés en cours », dispose :

« (1) Toute modification substantielle d’un marché public en cours nécessite une nouvelle procédure de passation de marché. Sont substantielles les modifications qui ont pour effet de rendre le marché public sensiblement différent du marché public initialement attribué. [...]

[...]

(2) Sans préjudice du paragraphe 1, la modification d’un marché public ne nécessite pas de nouvelle procédure de passation lorsque

[...]

3. la modification est rendue nécessaire par des circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir et cette modification ne change pas la nature globale du contrat [...]

[...]

Dans les cas visés à la première phrase, points 2 et 3, le prix ne peut pas être augmenté de plus de 50 % de la valeur du marché initial. [...]

[...] »

17 L’article 135 du GWB, intitulé « Invalidité », prévoit :

« (1) Un marché public est invalide ab initio si le pouvoir adjudicateur

[...]

2. a passé un marché sans avoir préalablement publié un avis de marché au Journal officiel de l’Union européenne, sans que cela soit autorisé par la loi,

et que cette violation a été constatée dans le cadre d’une procédure de recours.

(2) L’invalidité visée au paragraphe 1 ne peut être constatée que si elle a été invoquée dans le cadre d’une procédure de recours dans un délai de 30 jours calendaires à compter de la date à laquelle le pouvoir adjudicateur a informé les soumissionnaires et candidats concernés de la conclusion du marché, et en aucun cas plus de six mois après la conclusion du marché. Si le pouvoir adjudicateur a publié l’avis d’attribution de marché au Journal officiel de l’Union européenne, le délai pour
invoquer la nullité expire 30 jours calendaires après la publication de l’avis d’attribution de marché au Journal officiel de l’Union européenne.

[...] »

18 Aux termes de l’article 154 du GWB, intitulé « Autres dispositions applicables » :

« Au demeurant, les dispositions suivantes s’appliquent par analogie à l’attribution de concessions [...] :

[...]

3. l’article 131, paragraphes 2 et 3, et l’article 132 [...]

[...]

4. les articles 133 à 135,

[...] »

Le SchnellLG

19 Selon l’article 5, paragraphe 3, première phrase, du Gesetz über die Bereitstellung flächendeckender Schnellladeinfrastruktur für reine Batterieelektrofahrzeuge (loi sur la mise à disposition d’une infrastructure de recharge électrique à haute puissance couvrant l’ensemble du territoire pour les véhicules électriques à batterie), du 25 juin 2021 (BGBl. 2021 I, p. 2141, ci-après le « SchnellLG »), le titulaire d’une concession d’exploitation d’une installation de service annexe aux autoroutes
fédérales, incluant une station-essence, doit se voir proposer la possibilité de prendre en charge, pour son propre compte, l’édification, l’entretien et l’exploitation des points de recharge électrique à haute puissance prévus sur le site concerné, pour autant que cela est opportun et que la partie 4 du GWB n’y fait pas obstacle.

Le litige au principal et la question préjudicielle

20 Die Autobahn des Bundes, défenderesse au principal, est une société de droit privé, propriété inaliénable de la République fédérale d’Allemagne. Le Bundesministerium für Verkehr und digitale Infrastruktur (ministère fédéral des Transports et des Infrastructures numériques, Allemagne) lui a confié, avec effet au 1er janvier 2021, la planification, la construction, l’exploitation, l’entretien, le financement et la gestion patrimoniale des autoroutes fédérales allemandes.

21 Des installations de services annexes, comme des stations-services et des restoroutes, sont exploitées sur plus de 400 aires de service du réseau autoroutier allemand. À l’origine, l’exploitante de ces installations était la Gesellschaft für Nebenbetriebe der Bundesautobahnen mbH, créée par la République fédérale d’Allemagne au cours de l’année 1951. Au cours de l’année 1994, cette société a été renommée Tank & Rast AG, la République fédérale d’Allemagne restant l’unique actionnaire de celle-ci.
Au cours de la même année, Tank & Rast a racheté Ostdeutsche Autobahntankstellengesellschaft mbH.

22 Entre l’année 1996 et l’année 1998, la République fédérale d’Allemagne a conclu, sans appel d’offres préalable, avec Tank & Rast, environ 280 contrats de concession portant sur l’exploitation d’installations de services annexes sur les autoroutes fédérales allemandes pour une durée maximale de 40 ans.

23 Ces contrats, qui sont en cours, ont été établis sur la base d’un modèle de concession selon lequel le concessionnaire peut construire et exploiter une installation de service annexe, au bénéfice des usagers des autoroutes fédérales allemandes, sur un site d’exploitation déterminé. En contrepartie, le concessionnaire doit payer une redevance proportionnée à son chiffre d’affaires. Lesdits contrats comportent un plan d’exploitation qui prévoit un nombre déterminé de pompes à essence et de places
de stationnement, ainsi qu’un restoroute et des toilettes publiques, chaque installation de service annexe devant être accessible 24 heures sur 24.

24 Au cours de l’année 1998, les autorités allemandes ont engagé un processus de privatisation de Tank & Rast, auquel ont participé une cinquantaine de candidats allemands et étrangers. Ce processus a donné lieu au rachat de Tank & Rast par un consortium composé de LSG Lufthansa Service Holding AG, Allianz Capital Partners GmbH et trois fonds d’investissement. À la suite de changements de raison sociale, Tank & Rast a donné naissance aux concessionnaires actuels, à savoir Autobahn Tank & Rast GmbH
et Ostdeutsche Autobahntankstellen GmbH, intervenantes devant la juridiction de renvoi.

25 Entre l’année 1999 et l’année 2019, Autobahn Tank & Rast et Ostdeutsche Autobahntankstellen se sont vu attribuer environ 80 autres concessions dont, selon elles, 19 à la suite d’un appel d’offres. Ainsi, ces sociétés sont devenues concessionnaires d’environ 90 % de l’ensemble des installations de services annexes existantes.

26 Le 28 avril 2022, Die Autobahn des Bundes a conclu avec Autobahn Tank & Rast et Ostdeutsche Autobahntankstellen, en application de l’article 5, paragraphe 3, du SchnellLG, un complément à l’ensemble des quelque 360 contrats de concession concernés, selon lequel Autobahn Tank & Rast et Ostdeutsche Autobahntankstellen prennent en charge l’édification, l’entretien et l’exploitation d’une infrastructure opérationnelle de recharge électrique à haute puissance dans les aires de service concernées, ce
qui implique également l’obligation de maintenir à disposition un nombre de points de recharge déterminé sur chaque site (ci-après la « modification en cause au principal »).

27 Die Autobahn des Bundes a publié un avis portant sur cette modification au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne. Selon cet avis, la renonciation à un appel d’offres était justifiée au regard de l’article 132 du GWB. En effet, la mise à disposition d’une infrastructure de recharge électrique à haute puissance constituerait une prestation de service complémentaire, qui serait devenue nécessaire dans le cadre des contrats de concession concernés, ce qui n’aurait pas été prévisible à
la date de leur conclusion.

28 Fastned et Tesla Germany GmbH (ci-après « Tesla »), qui exploitent des infrastructures de recharge pour véhicules électriques, ont saisi la Vergabekammer des Bundes (chambre fédérale des marchés publics, Allemagne) d’une demande d’ouverture d’une procédure de recours contre la modification en cause au principal. Au soutien de cette demande, elles ont fait valoir que cette modification était invalide en vertu de l’article 135, paragraphe 1, point 2, du GWB, au motif qu’elle avait été conclue sans
publication préalable d’un avis de marché à l’échelle de l’Union européenne. Selon Fastned et Tesla, ladite modification ne saurait être fondée sur l’article 132 du GWB, ce dernier n’étant pas applicable à des concessions qui n’ont pas été attribuées dans le cadre d’un appel d’offres.

29 Par une ordonnance du 15 juin 2022, la chambre fédérale des marchés publics a rejeté ladite demande.

30 Fastned et Tesla ont formé un recours contre cette ordonnance devant l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf, Allemagne), la juridiction de renvoi. À l’appui de ce recours, elles ont fait valoir que l’article 132, paragraphes 1 et 2, du GWB ne s’applique pas à une modification d’un marché public attribué à l’origine à une entité in house, sans mise en concurrence. Une telle conclusion serait valable, à plus forte raison, s’agissant d’une concession attribuée à
l’origine sans mise en concurrence dans la perspective d’une privatisation du concessionnaire et donc en violation des règles applicables en la matière.

31 Selon cette juridiction, le seul élément déterminant pour trancher le litige pendant devant elle est de savoir si la modification en cause au principal relève de l’article 135, paragraphe 1, point 2, du GWB et est, de ce fait, invalide.

32 À cet égard, ladite juridiction considère que les conditions de fond prévues à l’article 132, paragraphe 2, point 3, du GWB sont réunies. En effet, premièrement, le pouvoir adjudicateur ne pouvait pas prévoir, en tout cas pour ce qui est des contrats de concession conclus au cours de la période comprise entre l’année 1996 et l’année 1998, le besoin d’infrastructures de recharge électrique à haute puissance sur les aires de service des autoroutes fédérales allemandes ni l’introduction d’une
obligation légale de mettre en place ces infrastructures. Deuxièmement, la modification en cause au principal n’altérerait pas la nature globale des concessions concernées. Troisièmement, la valeur du marché initial n’augmenterait pas de plus de 50 %.

33 Cependant, la juridiction de renvoi émet des doutes quant au point de savoir si l’article 132, paragraphe 2, point 3, du GWB, lequel vise à transposer l’article 72, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/24 dans l’ordre juridique allemand, s’applique à la modification de contrats conclus, en dehors du champ d’application de la partie 4 du GWB, avec une entité in house du pouvoir adjudicateur, lorsque, à la date de cette modification, les critères d’une attribution in house ne sont plus
réunis, dès lors que le capital du concessionnaire est désormais détenu à 100 % par des investisseurs privés.

34 Ce point serait déterminant pour la solution du litige dont cette juridiction est saisie, eu égard au fait que, selon celle-ci, la modification en cause au principal est « substantielle », au sens de l’article 132, paragraphe 1, première phrase, du GWB. Il importerait donc de savoir si l’article 132, paragraphe 2, point 3, du GWB, lu en combinaison avec l’article 154, point 3, de celui-ci, permettait au pouvoir adjudicateur de conclure cette modification avec Autobahn Tank & Rast et Ostdeutsche
Autobahntankstellen sans ouvrir une nouvelle procédure d’attribution. Or, une réponse claire à cette question ne ressortirait avec certitude ni du libellé de l’article 72 de la directive 2014/24 ni de la jurisprudence de la Cour.

35 À cet égard, la juridiction de renvoi fait observer, notamment, que les points 41 à 43 de l’arrêt du 12 mai 2022, Comune di Lerici (C‑719/20, EU:C:2022:372), pourraient être compris en ce sens qu’il y a lieu d’exclure de façon globale du champ d’application de l’article 72 de la directive 2014/24, et donc de cet article 72, paragraphe 1, sous c), qui serait la disposition pertinente en l’occurrence, les marchés initialement attribués à une entité in house, lorsque les conditions d’une attribution
in house ne sont plus réunies à la date de la modification d’un tel marché.

36 Cette juridiction estime toutefois qu’il est indifférent, pour l’application dudit article 72, de savoir si l’attribution initiale des concessions concernées, entre l’année 1996 et l’année 1998, était conforme au droit des marchés publics ou si la privatisation de Tank & Rast, intervenue au cours de l’année 1998, a constitué une modification substantielle de celles-ci. En effet, le délai de six mois prévu à l’article 135, paragraphe 2, du GWB, aux fins de la transposition, dans l’ordre juridique
allemand, de l’article 2 septies, paragraphe 1, de la directive 89/665, aurait expiré depuis bien longtemps. L’objectif de ce délai de forclusion, à savoir assurer la sécurité juridique, serait contrecarré si la légalité de la passation du marché initial ou des modifications antérieures à la date d’expiration dudit délai pouvait être remise en cause après cette date, à l’occasion d’une demande d’annulation d’une modification ultérieure du marché concerné.

37 Dans ces conditions, l’Oberlandesgericht Düsseldorf (tribunal régional supérieur de Düsseldorf) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 72, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/24 doit-il être interprété en ce sens qu’il s’applique également aux marchés publics auparavant attribués à une entité in house, en dehors du champ d’application de cette directive, lorsque, au moment de la modification du marché, les conditions de l’attribution in house ne sont plus réunies ? »

La procédure devant la Cour

38 Conformément à l’article 16, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la République fédérale d’Allemagne a demandé, le 25 mars 2024, que la présente affaire soit jugée en grande chambre, ce dont la Cour a pris acte le 4 juin 2024.

39 Le 17 juillet 2024, la juridiction de renvoi a informé la Cour du fait que Tesla s’était désistée de la procédure pendante devant elle.

Sur la question préjudicielle

Observations liminaires

40 La juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation de l’article 72, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/24, laquelle porte sur la passation des marchés publics.

41 À cet égard, il convient de relever que la question de savoir si une opération est à qualifier de « marché public », au sens de la directive 2014/24, ou de « concession », au sens de la directive 2014/23, doit être appréciée exclusivement au regard du droit de l’Union (arrêt du 15 octobre 2009, Acoset, C‑196/08, EU:C:2009:628, point 38).

42 En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique, notamment, d’une part, que les contrats concernés par la modification en cause au principal confèrent à Autobahn Tank & Rast et à Ostdeutsche Autobahntankstellen le droit de construire ainsi que d’exploiter des installations de services annexes au bénéfice des usagers des autoroutes fédérales allemandes et, d’autre part, que ces sociétés doivent, en contrepartie, payer une redevance de concession proportionnée à leur chiffre d’affaires.

43 Dès avant l’adoption de la directive 2014/23, il était admis que le fait que la rémunération du cocontractant d’un pouvoir adjudicateur provienne non pas de l’autorité publique concernée, mais des montants versés par les tiers pour l’usage de l’ouvrage ou des services concernés, implique que le prestataire prend en charge le risque d’exploitation s’y rapportant et caractérise ainsi une concession et non un marché public (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C‑458/03,
EU:C:2005:605, point 40). Ce critère de distinction entre une concession et un marché public, décrit au considérant 18 de la directive 2014/23, est désormais consacré à l’article 5, point 1, de celle‑ci.

44 Par conséquent, compte tenu des indications fournies par la juridiction de renvoi, il y a lieu, à l’instar de M. l’avocat général au point 32 de ses conclusions, de considérer que le litige au principal porte sur des contrats de concession et que, dans ce contexte, cette juridiction interroge la Cour sur l’interprétation de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23, qui établit les conditions dans lesquelles une concession peut être modifiée, sans nouvelle procédure
d’attribution, pour des raisons tenant à la survenance de circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir, et dont le libellé est, pour l’essentiel, identique à celui de l’article 72, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/24.

45 Il convient, dès lors, de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 doit être interprété en ce sens que, si les conditions prévues à cette disposition sont remplies, une concession peut être modifiée sans nouvelle procédure d’attribution, même lorsque cette concession a été attribuée, sans mise en concurrence, à une entité in house et que la modification de ladite concession est effectuée à une
date à laquelle le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house.

Sur les conditions d’application de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23

– Sur l’incidence de la perte, par le concessionnaire, de sa qualité d’entité in house entre la date d’attribution de la concession concernée et celle de la modification de celle-ci

46 Afin de répondre à la question posée, il convient de préciser, d’une part, la portée des règles du droit de l’Union régissant l’attribution d’une concession à une entité in house et, d’autre part, les conséquences qui découlent, au regard de l’application de ces règles, de la perte, par le concessionnaire, au cours de l’exécution de la concession concernée, de sa qualité d’entité in house.

47 À cet égard, en premier lieu, dès avant l’adoption de la directive 2014/23, il était admis qu’une autorité publique avait la possibilité d’accomplir les tâches d’intérêt public qui lui incombaient par ses propres moyens, administratifs, techniques et autres, sans être obligée de faire appel à des entités externes n’appartenant pas à ses services (arrêt du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C‑26/03, EU:C:2005:5, point 48). En matière de concessions, cette possibilité est désormais
consacrée et précisée à l’article 2 de la directive 2014/23, intitulé « Principe de libre administration par les pouvoirs publics ».

48 Ainsi, l’application des règles du droit de l’Union en matière de concessions était exclue si, tout à la fois, le contrôle exercé sur le concessionnaire par le pouvoir adjudicateur était analogue à celui que ce dernier exerçait sur ses propres services et si le concessionnaire réalisait l’essentiel de son activité avec le pouvoir adjudicateur qui le détient (voir, en ce sens, arrêts du 13 octobre 2005, Parking Brixen, C‑458/03, EU:C:2005:605, point 62, et du 15 octobre 2009, Acoset, C‑196/08,
EU:C:2009:628, point 51). En effet, dans le cas d’une telle attribution in house, le pouvoir adjudicateur était réputé avoir recours à ses propres moyens, dès lors que, même si le concessionnaire était juridiquement distinct de lui, il pouvait, en pratique, être assimilé aux services internes du pouvoir adjudicateur, de sorte qu’un appel à la concurrence n’était pas obligatoire (voir, par analogie, arrêts du 10 septembre 2009, Sea, C‑573/07, EU:C:2009:532, point 36, et du 12 mai 2022, Comune di
Lerici, C‑719/20, EU:C:2022:372, point 33). Ces principes sont désormais consacrés et précisés à l’article 17 de la directive 2014/23, qui énonce les conditions dans lesquelles une concession entre entités appartenant au secteur public ne relève pas du champ d’application de cette directive.

49 En second lieu, il convient de relever que, en cas de modification substantielle d’un contrat de concession, la législation de l’Union au regard de laquelle cette modification doit être appréciée est celle applicable à la date de ladite modification, le fait que la conclusion du contrat de concession initial est antérieure à l’adoption des règles de l’Union en la matière n’emportant pas de conséquences à cet égard (voir, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2018, Stanley International Betting et
Stanleybet Malta, C‑375/17, EU:C:2018:1026, points 34 et 35, ainsi que du 2 septembre 2021, Sisal e.a., C‑721/19 et C‑722/19, EU:C:2021:672, point 28).

50 Il s’ensuit que c’est au regard des dispositions de la directive 2014/23 qu’il convient d’examiner si une modification telle que la modification en cause au principal, qui a été effectuée après le 18 avril 2016, date limite de transposition de cette directive conformément à l’article 51, paragraphe 1, premier alinéa, de celle-ci, nécessitait une nouvelle procédure d’attribution (voir, par analogie, arrêt du 12 mai 2022, Comune di Lerici, C‑719/20, EU:C:2022:372, point 39 et jurisprudence citée).

51 À cet égard, comme M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 55 de ses conclusions, si, à la date de la modification d’un contrat de concession, le concessionnaire satisfait aux conditions prévues à l’article 17 de la directive 2014/23, cette modification peut, en tout état de cause, être effectuée sans nouvelle procédure d’attribution et indépendamment des conditions prévues à l’article 43 de cette directive. En revanche, si, à cette date, le concessionnaire ne satisfait plus aux
conditions prévues à cet article 17, situation sur laquelle la juridiction de renvoi interroge la Cour, ladite modification ne peut être effectuée sans nouvelle procédure d’attribution que si les conditions prévues à cet article 43 sont respectées.

52 Force est de constater, premièrement, que le libellé de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23, qui, ainsi qu’il ressort du considérant 75 de cette directive, vise précisément à clarifier les conditions dans lesquelles des modifications apportées à une concession en cours d’exploitation imposent une nouvelle procédure d’attribution, ne contient aucune indication en ce sens qu’une concession ne peut être modifiée sans une telle procédure, à la suite de la survenance de
circonstances imprévisibles, au sens de cet article 43, paragraphe 1, sous c), i), lorsqu’elle a été initialement attribuée à une entité in house sans mise en concurrence et que la modification concernée intervient à une date à laquelle l’entité concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house. En effet, les deux autres conditions auxquelles doit satisfaire une telle modification, prévues audit article 43, paragraphe 1, sous c), ii) et iii), ne tiennent qu’à ce que cette modification ne
change pas la nature globale de la concession concernée et que son montant ne dépasse pas certaines valeurs-limites, sans aucune référence, directe ou indirecte, à l’existence d’une procédure d’attribution initiale de cette concession à la suite d’une mise en concurrence.

53 Deuxièmement, aucun élément du contexte dans lequel s’insère l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 ne permet de considérer qu’une concession attribuée à une entité in house ne peut être modifiée sans nouvelle procédure d’attribution, à la suite de la survenance de circonstances imprévisibles, au sens de cet article 43, paragraphe 1, sous c), i), si, à la date de la modification concernée, le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house.

54 En particulier, une telle approche ne pourrait pas être justifiée par l’élément de contexte que fournit l’article 43, paragraphe 1, sous d), ii), de la directive 2014/23, disposition dont le contenu est, en substance, identique à celui de l’article 72, paragraphe 1, sous d), ii), de la directive 2014/24, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt du 12 mai 2022, Comune di Lerici (C‑719/20, EU:C:2022:372), cité par la juridiction de renvoi. Cet article 43, paragraphe 1, sous d), ii), prévoit
qu’une concession peut être modifiée sans nouvelle procédure d’attribution, lorsque le concessionnaire initial est remplacé par un nouveau concessionnaire, à la suite, notamment, de l’acquisition du premier par le second, pour autant que ce dernier remplisse les critères de sélection qualitatifs établis initialement et à condition que cela n’entraîne pas d’autres modifications substantielles du contrat ni ne vise à se soustraire à l’application de la directive 2014/23.

55 Certes, la Cour a déduit du libellé de l’article 72, paragraphe 1, sous d), ii), de la directive 2014/24 qu’un tel remplacement de contractant est possible uniquement si le marché public concerné a fait l’objet d’une procédure de passation initiale conforme aux exigences imposées par cette directive et que, par conséquent, un nouveau contractant ne saurait remplacer, sans nouvelle procédure de passation, le contractant initial si ce marché a été confié initialement à une entité in house, sans
appel à la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Comune di Lerici, C‑719/20, EU:C:2022:372, points 41 et 43).

56 Cette exigence, qui, en vertu de l’article 43, paragraphe 1, sous d), ii), de la directive 2014/23, doit être considérée comme valant également en matière de concessions, s’explique toutefois par le fait que, si une concession a initialement fait l’objet d’une attribution in house, au sens exposé aux points 47 et 48 du présent arrêt, à l’issue d’une procédure ne reposant pas sur des critères de sélection qualitatifs tels que visés à l’article 38 de cette directive, le fait, pour un autre
opérateur, qui n’est pas une entité in house, de remplacer le concessionnaire initial équivaudrait à une nouvelle attribution de la concession, laquelle devrait être soumise aux règles découlant de ladite directive.

57 Toutefois, tel n’est pas le cas d’une modification telle que la modification en cause au principal, qui, visant l’édification, l’entretien et l’exploitation d’une infrastructure opérationnelle de recharge électrique à haute puissance dans les aires de service concernées, porte non pas sur la perte, par le concessionnaire, au cours de l’année 1998, de sa qualité d’entité in house, mais sur l’objet de la concession, et qui ne relève donc pas de l’article 43, paragraphe 1, sous d), de la
directive 2014/23.

58 S’agissant également du contexte dans lequel s’insère l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23, il est vrai que, selon la phrase introductive de ce paragraphe 1, les concessions peuvent être modifiées sans « nouvelle procédure d’attribution de concession conformément à [cette] directive ». Toutefois, il ne saurait être inféré de cette phrase que l’article 43 de ladite directive s’appliquerait uniquement aux modifications apportées à des concessions qui ont été initialement
attribuées en conformité avec la même directive. En effet, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 49 et 50 du présent arrêt, les modifications apportées à une concession après la date limite de transposition de la directive 2014/23 sont susceptibles de relever du champ d’application de cet article 43, et ce, quand bien même cette directive n’est, en vertu de son article 54, second alinéa, pas applicable à l’attribution de concessions ayant fait l’objet d’une offre ou attribuées avant
le 17 avril 2014 et, donc, en dehors d’une procédure d’attribution conforme à ladite directive. Ainsi, ladite phrase vise uniquement à imposer que, lorsque la modification d’une concession ne relève pas de l’un des cas énumérés audit article 43, celle-ci ait lieu au terme d’une procédure d’attribution qui soit conforme à la même directive.

59 Troisièmement, quant à l’objectif de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23, il ressort du considérant 76 de celle-ci que cette disposition vise à conférer aux pouvoirs adjudicateurs une certaine marge de manœuvre afin de pouvoir adapter une concession en cours à des circonstances extérieures qu’ils ne pouvaient prévoir au moment de l’attribution de cette concession, notamment lorsque l’exploitation de celle-ci s’étend sur une plus longue période. Or, exclure du champ
d’application de ladite disposition les cas où une concession a été initialement attribuée à une entité in house et où le concessionnaire n’a plus cette qualité à la date de la modification de l’objet de cette concession limiterait la possibilité d’exercer cette marge de manœuvre pour un motif qui ne ressort ni du libellé ni du contexte de la même disposition et qui, dans ces conditions, ne saurait être considéré comme reflétant la volonté du législateur de l’Union.

60 Il résulte des considérations qui précèdent que l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 doit être interprété en ce sens que, si les conditions prévues à cette disposition sont remplies, une concession peut être modifiée sans nouvelle procédure d’attribution, même lorsque cette concession a été initialement attribuée, sans mise en concurrence, à une entité in house et que la modification de l’objet de ladite concession est effectuée à une date à laquelle le concessionnaire n’a
plus la qualité d’entité in house.

– Sur l’incidence de la régularité de l’attribution initiale de la concession concernée

61 Il convient toutefois d’examiner si, ainsi que le soutiennent, en substance, Fastned et la Commission, l’application de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 est subordonnée à la régularité, au regard du droit de l’Union, de l’attribution initiale de la concession. La juridiction de renvoi fait observer, à cet égard, que, en vertu de l’article 135, paragraphe 2, du GWB, qui transpose l’article 2 septies, paragraphe 1, de la directive 89/665 dans le droit allemand, le délai
de recours contre les actes s’y rapportant a expiré depuis longtemps. Il y a lieu, par conséquent, de déterminer si les États membres doivent permettre aux juridictions nationales de contrôler, à titre incident et sur demande, la régularité de l’attribution initiale d’une concession à l’occasion d’un recours tendant à l’annulation d’une modification de celle-ci, lorsque ce recours est introduit par un opérateur faisant preuve d’un intérêt à se voir attribuer la seule partie de cette concession
faisant l’objet de cette modification, et ce après l’expiration de tout délai prévu pour l’introduction d’un recours direct tendant à l’annulation de cette attribution initiale.

62 Ainsi qu’il ressort tant du considérant 81 de la directive 2014/23 que de l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 89/665, c’est cette dernière directive qui établit les règles que les États membres sont tenus de respecter afin de garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs puissent faire l’objet de recours efficaces.

63 Or, il convient de rappeler, d’une part, que la directive 89/665 vise à assurer le plein respect du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal indépendant et impartial, consacré à l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans le domaine particulier des marchés publics et des concessions (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras, C‑927/19, EU:C:2021:700, point 128). Afin de
réaliser cet objectif, l’article 1er, paragraphe 3, de cette directive impose aux États membres de s’assurer que les procédures de recours sont accessibles au moins à toute personne qui, indépendamment de sa qualité formelle de soumissionnaire ou de candidat, a ou a eu un intérêt à obtenir un marché public ou une concession déterminés et a été ou risque d’être lésée par une violation alléguée (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2005, Stadt Halle et RPL Lochau, C‑26/03, EU:C:2005:5, point 40,
ainsi que du 14 mai 2020, T‑Systems Magyarország, C‑263/19, EU:C:2020:373, point 50).

64 Il en résulte que le droit d’un opérateur économique d’introduire un recours, tel que garanti par la directive 89/665, requiert qu’il apporte la preuve d’un intérêt à se voir attribuer la concession en cause dans le cadre d’une nouvelle procédure d’attribution de celle-ci (arrêt du 2 septembre 2021, Sisal e.a., C‑721/19 et C‑722/19, EU:C:2021:672, point 59).

65 Par ailleurs, s’il est vrai que la directive 89/665 n’interdit pas aux États membres de prévoir des voies de recours en faveur de personnes autres que celles visées à l’article 1er, paragraphe 3, de cette directive, il n’en demeure pas moins que celle-ci n’impose pas une telle obligation à ces États, ce qui est confirmé, comme M. l’avocat général l’a fait observer au point 86 et à la note en bas de page 61 de ses conclusions, par le considérant 122 de la directive 2014/24 (voir, en ce sens, arrêt
du 26 mars 2020, Hungeod e.a., C‑496/18 et C‑497/18, EU:C:2020:240, points 74 et 80).

66 D’autre part, l’article 1er, paragraphe 1, quatrième alinéa, de la directive 89/665 prévoit la mise en place, dans les États membres, de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible contre des décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs en matière de marchés publics ou de concessions qui ont pu violer le droit de l’Union ou les règles nationales transposant ce droit.

67 À cet égard, la fixation de délais de recours raisonnables sous peine de forclusion, tels que ceux établis par le droit national en application de l’article 2 septies de la directive 89/665, vise à faire en sorte, dans l’intérêt de la sécurité juridique, que, après leur expiration, il ne soit plus possible de contester une décision du pouvoir adjudicateur ou de soulever une irrégularité de la procédure d’adjudication. La fixation de ces délais est compatible avec le droit fondamental à une
protection juridictionnelle effective et satisfait, en principe, à l’exigence d’effectivité découlant de la directive 89/665 (voir, en ce sens, arrêts du 12 décembre 2002, Universale-Bau e.a., C‑470/99, EU:C:2002:746, points 76 et 79, ainsi que du 11 septembre 2014, Fastweb, C‑19/13, EU:C:2014:2194, point 58).

68 En outre, il ressort de la jurisprudence que, même lorsque le droit national prévoit, en faveur d’une autorité de contrôle, une procédure de recours permettant de faire constater, à titre incident, des infractions à la réglementation en matière de marchés publics dans le but de faire prononcer une sanction pécuniaire à l’égard des cocontractants concernés, le principe de sécurité juridique, qui s’impose, en vertu du droit de l’Union, à toute autorité nationale chargée d’appliquer ce droit,
s’oppose à ce qu’une telle procédure puisse être engagée après l’expiration des délais prévus par le droit national applicable à la date des actes dont l’illégalité est alléguée (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Hungeod e.a., C‑496/18 et C‑497/18, EU:C:2020:240, points 90 et 102).

69 Il s’ensuit que ni l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 ni la directive 89/665 n’imposent aux États membres d’assurer que les juridictions nationales contrôlent, à titre incident et sur demande, la régularité de l’attribution initiale d’une concession à l’occasion d’un recours tendant à l’annulation d’une modification de celle-ci, lorsque ce recours est introduit après l’expiration de tout délai prévu par le droit national en application de l’article 2 septies de la
directive 89/665 pour contester cette attribution initiale, par un opérateur faisant preuve d’un intérêt à se voir attribuer la seule partie de cette concession faisant l’objet de cette modification.

– Sur la notion de modification « rendue nécessaire » par des circonstances imprévisibles

70 Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi indique que, bien que la modification en cause au principal soit « substantielle », au sens de la réglementation pertinente, cette modification a été rendue nécessaire par des circonstances que le pouvoir adjudicateur n’était pas en mesure de prévoir, dès lors, notamment, qu’il ne pouvait pas anticiper, en tout cas pour ce qui est des contrats de concession conclus au cours de la période comprise entre l’année 1996 et l’année
1998, qu’un besoin en travaux et en services supplémentaires consistant en l’édification, l’entretien et l’exploitation d’une infrastructure de recharge électrique à haute puissance se présenterait ni qu’une obligation légale de mettre en place une telle infrastructure serait établie.

71 À cet égard, il ressort du considérant 76 de la directive 2014/23 que, lorsque les pouvoirs adjudicateurs se trouvent confrontés à des circonstances extérieures imprévisibles, ils doivent disposer d’une certaine marge de manœuvre pour pouvoir adapter la concession à ces circonstances sans engager de nouvelle procédure d’attribution.

72 Il importe, néanmoins, de relever que, ainsi qu’il ressort de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23, la possibilité de modifier une concession sans nouvelle procédure d’attribution en vertu de cette disposition est subordonnée au respect de trois conditions distinctes. La première de celles-ci, qui est énoncée à cet article 43, paragraphe 1, sous c), i), comporte deux éléments tenant, le premier, à la survenance de circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne
pouvait pas prévoir et, le second, au fait que ces circonstances rendent nécessaire la modification de la concession concernée. La deuxième condition, qui est énoncée audit article 43, paragraphe 1, sous c), ii), exige que la modification concernée ne change pas la nature globale du contrat de concession en cause. La troisième de ces conditions, qui est mentionnée au même article 43, paragraphe 1, sous c), iii), impose, en principe, que l’augmentation du montant de ce contrat ne soit pas
supérieure à 50 % du montant du contrat de concession initial.

73 Il convient, dans ce contexte, de préciser, s’agissant de la première de ces conditions, que, contrairement à ce que la juridiction de renvoi semble estimer, la modification d’une concession ne peut pas être considérée comme étant « rendue nécessaire » du seul fait que les stipulations contractuelles de celle-ci ne couvrent pas la situation résultant des circonstances imprévisibles survenues.

74 En effet, ainsi qu’il ressort des deux premières phrases du considérant 76 de la directive 2014/23, la marge de manœuvre qu’accorde aux pouvoirs adjudicateurs l’article 43, paragraphe 1, sous c), de cette directive vise à préserver l’exploitation de la concession initiale et donc l’exécution correcte des obligations qui en découlent.

75 Par conséquent, pour que la modification d’une concession soit considérée comme ayant été « rendue nécessaire » par la survenance de circonstances imprévisibles, encore faut-il que ces circonstances exigent d’adapter la concession initiale afin d’assurer que l’exécution correcte des obligations qui en découlent puisse perdurer.

76 En outre, ainsi qu’il a été rappelé au point 72 du présent arrêt, une modification de l’objet de la concession initiale en raison de circonstances imprévisibles ne peut pas être justifiée, au titre de l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23, lorsqu’elle change la nature globale de cette concession. Ainsi qu’il ressort du considérant 76 de cette directive, tel est le cas, notamment, lorsque les travaux à exécuter ou les services à fournir sont remplacés par quelque chose de
différent ou lorsque le type de concession est fondamentalement modifié.

77 Il s’ensuit que l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 permet une modification portant sur l’extension de l’objet de la concession initiale pour autant que, d’une part, la survenance de circonstances imprévisibles lors de l’attribution de cette concession rende cette modification nécessaire pour préserver l’exécution correcte des obligations découlant de ladite concession et, d’autre part, les travaux ou les services visés par cette extension, compte tenu de leur ampleur ou
de leurs spécificités par rapport aux travaux ou aux services ayant fait l’objet de la même concession, n’impliquent pas un changement de la nature globale de cette dernière.

78 Il appartient à la juridiction de renvoi, outre de s’assurer du respect de la troisième condition exposée au point 72 du présent arrêt, de déterminer si la modification en cause au principal répond aux critères énoncés au point précédent de cet arrêt.

79 Si la juridiction de renvoi parvenait à la conclusion que cette modification ne satisfait pas à l’ensemble des conditions posées à l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23, il lui appartiendrait encore d’examiner si ladite modification est susceptible de satisfaire à celles énoncées à cet article 43, paragraphe 1, sous b).

80 À cet égard, cette juridiction devrait, notamment, vérifier, conformément audit article 43, paragraphe 1, sous b), i) et ii), que les travaux ou les services visés par la modification en cause au principal ne pouvaient pas, d’un point de vue économique et technique, et sans entraîner d’inconvénient majeur ou de multiplication de coûts pour le pouvoir adjudicateur, faire l’objet d’une concession autonome attribuée à la suite d’une procédure de mise en concurrence.

81 Il importe d’ajouter que, certes, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, l’article 5, paragraphe 3, première phrase, du SchnellLG dispose que le titulaire d’une concession d’exploitation d’une installation de service annexe aux autoroutes fédérales allemandes, incluant une station-essence, doit se voir proposer la possibilité de prendre en charge, pour son propre compte, l’édification, l’entretien et l’exploitation des points de recharge électrique à haute puissance prévus
sur le site concerné. Toutefois, cette juridiction indique également que, selon cette disposition, l’obligation du pouvoir adjudicateur de proposer à ce titulaire de prendre en charge les travaux et services s’y rapportant n’existe que pour autant que la partie 4 du GWB, qui transpose les dispositions de la directive 2014/23 dans le droit allemand, n’y fasse pas obstacle.

82 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la question posée que l’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23 doit être interprété en ce sens que :

– si les conditions prévues à cette disposition sont remplies, une concession peut être modifiée sans nouvelle procédure d’attribution, même lorsque cette concession a été initialement attribuée, sans mise en concurrence, à une entité in house et que la modification de l’objet de ladite concession est effectuée à une date à laquelle le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house ;

– il n’impose pas aux États membres d’assurer que les juridictions nationales contrôlent, à titre incident et sur demande, la régularité de l’attribution initiale d’une concession à l’occasion d’un recours tendant à l’annulation d’une modification de celle-ci, lorsque ce recours est introduit après l’expiration de tout délai prévu par le droit national en application de l’article 2 septies de la directive 89/665 pour contester cette attribution initiale, par un opérateur faisant preuve d’un
intérêt à se voir attribuer la seule partie de cette concession faisant l’objet de cette modification ;

– la modification d’une concession est « rendue nécessaire », au sens de cet article 43, si des circonstances imprévisibles exigent d’adapter la concession initiale afin d’assurer que l’exécution correcte de celle‑ci puisse perdurer.

Sur les dépens

83 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

  L’article 43, paragraphe 1, sous c), de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession,

  doit être interprété en ce sens que :

  – si les conditions prévues à cette disposition sont remplies, une concession peut être modifiée sans nouvelle procédure d’attribution, même lorsque cette concession a été initialement attribuée, sans mise en concurrence, à une entité in house et que la modification de l’objet de ladite concession est effectuée à une date à laquelle le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house ;

  – il n’impose pas aux États membres d’assurer que les juridictions nationales contrôlent, à titre incident et sur demande, la régularité de l’attribution initiale d’une concession à l’occasion d’un recours tendant à l’annulation d’une modification de celle-ci, lorsque ce recours est introduit après l’expiration de tout délai établi par le droit national en application de l’article 2 septies de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions
législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2014/23, pour contester cette attribution initiale, par un opérateur faisant preuve d’un intérêt à se voir attribuer la seule partie de cette concession constituant l’objet de cette modification ;

  – la modification d’une concession est « rendue nécessaire », au sens de cet article 43, si des circonstances imprévisibles exigent d’adapter la concession initiale afin d’assurer que l’exécution correcte de celle-ci puisse perdurer.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-452/23
Date de la décision : 29/04/2025
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Oberlandesgericht Düsseldorf.

Renvoi préjudiciel – Concessions – Concessions ayant fait l’objet d’une attribution à une entité in house – Directive 2014/23/UE – Article 43, paragraphe 1, sous c) – Modification de la concession à une date à laquelle le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house – Modification “rendue nécessaire” par des circonstances imprévisibles – Directive 89/665/CEE – Contrôle incident de l’attribution initiale d’une concession.

Droit d'établissement


Parties
Demandeurs : Fastned Deutschland GmbH & Co. KG
Défendeurs : Die Autobahn GmbH des Bundes.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona
Rapporteur ?: Gratsias

Origine de la décision
Date de l'import : 01/05/2025
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2025:284

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award