Vu l'ordonnance en date du 16 octobre 1994, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 17 octobre 1994 par laquelle le président de la cour administrative d'appel de Paris a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article R.81 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, la requête présentée à cette Cour par la société "Fourrures Maurice" ; la société "Fourrures Maurice" demande :
1°) d'annuler le jugement en date du 28 mars 1991 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant, d'une part à l'annulation des décisions des 24 décembre 1987 et 2 août 1988 du ministre de l'environnement lui refusant d'importer des Fourrures, d'autre part à la condamnation de l'Etat à 1 280 000 F en réparation du préjudice subi du fait de ces refus, enfin à la condamnation de l'Etat à lui verser 20 000 F au titre des frais irrépétibles ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser 1 280 000 F en réparation des préjudices subis par elle du fait de ces refus ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser 20 000 F au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction conclue à Washington le 3 mars 1973, modifiée ;
Vu le règlement CEE n° 3626/82 du conseil du 3 décembre 1982 relatif à l'application dans la communauté de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvage menacées d'extinction, modifiée ;
Vu le règlement CEE n° 3143-87 du conseil du 22 octobre 1987 ;
Vu la loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature ;
Vu l'arrêté du 13 janvier 1983 relatif aux modalités d'application de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Bardou, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Roué-Villeneuve, avocat de la société Fourrures Maurice,
- les conclusions de M. Loloum, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par un jugement du 7 avril 1987, devenu définitif, le tribunal administratif de Paris a annulé pour excès de pouvoir la décision du 3 janvier 1986 par laquelle le ministre de l'environnement avait refusé d'accorder à la société "Fourrures Maurice" l'autorisation, qu'elle avait sollicité, d'importer d'Espagne, sur le territoire duquel ces produits avaient été introduits en 1985, 3 200 peaux de "felis geoffroyi" (chats de montagne) et 2 349,25 mètres de peaux d'"eunectes murinus" (anaconda) originaires de Bolivie ; qu'en réponse à la nouvelle demande de permis d'importation dont, à la suite de ce jugement, il avait été saisi le 1er octobre 1987 par la société "Fourrures Maurice", le ministre de l'environnement a, par lettre du 24 décembre 1987, fait connaître à cette dernière que, l'Espagne étant devenue membre de la Communauté Economique Européenne (CEE), il appartenait aux autorités compétentes de ce pays de délivrer un "certificat de libre circulation communautaire" pour les produits faisant l'objet de cette demande ; qu'après avoir formé, le 16 février 1988, un recours gracieux contre cette décision, la société "Fourrures Maurice" a, le 20 juillet 1988, demandé au ministre de l'environnement de lui allouer une indemnité de 1 280 000 F en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi ; que le ministre lui ayant fait savoir, par lettre du 2 août 1988, qu'il confirmait sa position, la société Fourrures Maurice a saisi le tribunal administratif de Paris le 13 août 1988, d'une demande tendant à l'annulation de la décision ministérielle du 24 décembre 1987, puis, le 3 octobre 1988, d'une seconde demande dirigée contre la décision du 2 août 1988 ; qu'elle a, en outre, conclu, dans un mémoire enregistré le 28 décembre 1989 au greffe du tribunal administratif, à ce que l'Etat soit condamné à lui payer la somme de 1 280 000 F ; qu'elle fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif a rejeté l'ensemble de ces demandes ;
Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions des 24 décembre 1987 et 2 août 1988 :
Considérant qu'aux termes de l'article 11 du règlement (CEE) n° 3626/82 du Conseil des Communautés Européennes du 3 décembre 1982, relatif à l'application dans la Communauté de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, ouverte à la signature, à Washington, le 3 mars 1973 : "Les autorités compétentes délivrent, sur demande de l'intéressé accompagnée des justifications nécessaires : a) un document attestant qu'un spécimen donné est entré, conformément à la convention et avant l'entrée en vigueur du présent règlement, sur un territoire où ce dernier est applicable ou a été acquis avant que la convention ne s'applique audit spécimen ..." ; que l'article 9 du règlement dispose, en son paragraphe 1, que " ... chaque Etat membre reconnaît les décisions des autorités compétentes des autres Etats membres", et, en son paragraphe 2, que "à l'exception du document mentionné à l'article 11 sous a)", les permis délivrés dans un Etat membre "sont valables dans toute la communauté" ; qu'il résulte clairement de ces dispositions que les autorités compétentes d'un Etat membre ne sont pas obligées de reconnaître les certificats délivrés par un autre Etat membre et attestant qu'un spécimen est entré sur son territoire avant l'entrée en vigueur du règlement (CEE) n° 3626/82 du Conseil, notamment parce que, à cette date d'entrée, l'Etat dont il s'agit n'était pas encore membre de la CEE ;
Considérant que le traité d'adhésion du Royaume d'Espagne à la CEE n'a pris effet qu'à partir du 1er janvier 1986 ; que, par suite, le certificat que le ministre de l'environnement a invité la société "Fourrures Maurice" à se procurer auprès des autorités espagnoles compétentes n'aurait pu qu'attester que les spécimens introduits en Espagne en 1985 l'avaient été avant que le règlement (CEE) n° 3626/82 ne s'y applique ; qu'en vertu des dispositions, précitées, des articles 9.2 et 11.a) de ce règlement, un tel certificat, même délivré par les autorités compétentes du Royaume d'Espagne après le 1er janvier 1986, n'eut pas été valable dans toute la Communauté, de sorte que la France n'eut pas été obligée de le reconnaître ; qu'il ressort, toutefois, des pièces du dossier, d'une part, que les services du ministère français de l'environnement avaient fait connaître, par télex, le 13 novembre 1987, aux autorités espagnoles compétentes que, "compte tenu de la décision du tribunal administratif de Paris" du 7 avril 1987, "il n'y (avait) plus en France d'obstacle juridique à l'importation" des spécimens ayant fait l'objet de la nouvelle demande formulée le 1er octobre 1987 par la société "Fourrures Maurice", d'autre part, que celle-ci a obtenu, le 13 mars 1988, des autorités espagnoles compétentes le certificat que le ministre français de l'environnement l'avait été invitée à leur demander, pour l'introduction en France de 3 200 peaux de chats sauvages, enfin, que les opérations de dédouanement afférentes à cette introduction ont été réalisées à Rungis en juin 1988 ; que la société Fourrures Maurice, qui n'indique pas, dans ses mémoires, si elle a persisté dans son intention de faire venir en France les 2 349,25 mètres de peaux d'anaconda, ne fait en tout cas mention d'aucun élément d'où il résulterait qu'en dépit du télex qu'il avait adressé le 13 novembre 1987 aux autorités espagnoles compétentes, le ministère français de l'environnement aurait maintenu un quelconque obstacle à l'introduction en France de ces produits aux dates auxquelles la société a saisi le tribunal administratif de Paris de ses demandes dirigées contre les décisions ministérielles des 24 décembre 1987 et 2 août 1988 ; qu'ainsi à ces dates, la société Fourrures Maurice doit être regardée comme ayant obtenu entière satisfaction ; qu'elle était donc sans intérêt et, par suite, irrecevable, à solliciter l'annulation des décisions précitées ; qu'elle n'est dès lors pas fondée à se plaindre du rejet par le tribunal administratif de ses demandes des 13 août et 3 octobre 1988 ;
Sur les conclusions à fin d'indemnité :
Considérant que la société "Fourrures Maurice" ne justifie pas de l'existence d'un lien de causalité directe entre les décisions prises par le ministère de l'environnement sur ses demandes d'introduction en France des lots de peaux d'animaux sauvages importés en Espagne en 1985 et sa mise en liquidation, prononcée en décembre 1990 ; qu'elle n'est pas davantage fondée à imputer à l'Etat les difficultés qu'elle aurait rencontrées pour réexporter les mêmes produits vers l'Allemagne ou l'Italie, dès lors que, en vertu des dispositions déjà citées de l'article 9, paragraphe 2, du règlement (CEE) n° 3626/82, il n'incombait qu'aux autorités compétentes de ces pays d'admettre ou non cette réexportation ; que la société Fourrures Maurice est seulement fondée à demander réparation du préjudice ayant résulté pour elle de la faute commise par le ministre de l'environnement en refusant illégalement, le 3 janvier 1986, de faire droit à sa demande de permis d'importation, puis en ne faisant état que dans sa décision du 2 août 1988, et non dès sa décision du 24 décembre 1987, du télex adressé le 13 novembre précédent aux autorités espagnoles, sans la connaissance duquel la société ne pouvait déduire du seul texte de la décision du 24 décembre 1987 l'existence de l'intention du ministre de pourvoir, sans réserve, à l'exécution de la chose jugée, le 7 avril 1987, par le tribunal administratif de Paris ; qu'il sera fait une juste appréciation du montant de ce préjudice en le fixant à 100 000 F ; que cette somme portera intérêts à compter du 20 juillet 1988 ; qu'à la date du 6 mai 1994 à laquelle la société Fourrures Maurice a demandé la capitalisation des intérêts, il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'en conséquence et par application de l'article 1154 du code civil, les intérêts échus à cette date seront capitalisés pour porter euxmêmes intérêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à payer à la société "Fourrures Maurice" la somme de 20 000 F qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Article 1er : L'Etat paiera à la société "Fourrures Maurice" une somme de 100 000 F. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 20 juillet 1988. Les intérêts échus le 6 mai 1994 seront capitalisés à cette date pour porter eux-mêmes intérêt.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 28 mars 1991 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : L'Etat paiera à la société "Fourrures Maurice" une somme de 20 000 F au titre de l'article 75.I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société "Fourrures Maurice" est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société "Fourrures Maurice" et au ministre de l'environnement.