Vu 1°) sous le n° 168931, la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 24 avril 1995, présentée le préfet de la Guadeloupe ; le préfet de la Guadeloupe demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule une ordonnance en date du 11 avril 1995 par laquelle le président du tribunal administratif de Basse-Terre, statuant sur le fondement de l'article L. 10 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a, à la demande de M. X..., suspendu l'exécution de sa décision du 5 avril 1995 enjoignant au premier adjoint de la commune de Vieux-Habitants de réunir le conseil municipal dans un délai de vingt-quatre heures ;
2°) ordonne qu'il soit sursis à l'exécution de ladite ordonnance ;
Vu 2°) sous le n° 168993, la requête et le mémoire complémentaire enregistrés comme ci-dessus le 27 avril 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat présentés par M. Nathalien Y... demeurant mairie de Vieux-Habitants (Guadeloupe) ; M. Y... demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule l'ordonnance en date du 11 avril 1995 par laquelle le président du tribunal administratif de Basse-Terre, statuant sur le fondement de l'article L. 10 du code destribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, a, à la demande de M. X..., suspendu l'exécution de sa décision du 5 avril 1995 enjoignant au premier adjoint de la commune de Vieux-Habitants de réunir le conseil municipal dans un délai de vingt-quatre heures ;
2°) ordonne qu'il soit sursis à l'exécution de ladite ordonnance ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code des communes ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Bechtel, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. X... et de la SCP Guiguet, Bachellier, de la Varde, avocat de M. Y...,
- les conclusions de M. Scanvic, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre une même ordonnance ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
En ce qui concerne la requête n° 168 931 du préfet de la Guadeloupe :
Sur la fin de non-recevoir opposée par M. X... :
Considérant qu'aux termes de l'article L.10 rétabli dans le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel par l'article 65 de la loi susvisée du 8 février 1995 : "Saisi d'une demande en ce sens et au terme d'une procédure contradictoire, le président du tribunal administratif ou le président de la formation de jugement peut prononcer par ordonnance la suspension pour une durée maximum de trois mois de l'exécution d'une décision administrative faisant l'objet d'une demande de sursis à exécution, lorsque cette exécution risque d'entraîner des conséquences irréversibles et que la requête comporte un moyen sérieux" ; qu'il ressort de ces dispositions que l'ordonnance par laquelle le président du tribunal administratif statue sur le fondement de ces dispositions présente un caractère juridictionnel et est susceptible de recours ; qu'il suit de là que M. X... n'est pas fondé à soutenir que ladite ordonnance ne serait susceptible de faire l'objet d'aucun recours ;
Sur l'intervention de M. Y... à l'appui de ladite requête :
Considérant que M. Y... a intérêt à l'annulation de l'ordonnance attaquée, qui suspend la décision du préfet de la Guadeloupe requérant le premier adjoint au maire de la commune de Vieux-Habitants, à la suite du jugement du tribunal administratif de Basse-Terre du 14 mars 1995, de réunir le conseil municipal en vue de l'élection d'un nouveau maire en remplacement de M. Y..., démissionnaire de ses fonctions de maire ; que son intervention est par suite recevable ;
Sur l'applicabilité de l'article L.10 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant que les dispositions précitées de l'article L.10 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ont pour objet d'aménager les règles relatives au sursis à exécution des décisions administratives, notamment en donnant compétence au président du tribunal ou de la formation de jugement pour suspendre l'exécution de ces décisions sous certaines conditions et dans le respect d'une procédure contradictoire ; qu'en l'absence de dispositions réglementaires particulières, les règles de procédure applicables à cette mesure de suspension, et notamment celles qui régissent la voie de recours, sont celles qui sont relatives aux décisions de sursis à l'exécution des décisions administratives ; qu'ainsi les dispositions dudit article L.10, dont l'application n'était pas subordonnée à l'intervention d'un texte réglementaire d'application sont entrées en vigueur dès la publication du titre IV de la loi susvisée du 8 février 1995, soit antérieurement à la date à laquelle a été prise l'ordonnance attaquée ; qu'il suit de là que le président du tribunal administratif de Basse-Terre a pu légalement à cette date faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L.10 ; qu'il appartient au Conseil d'Etat, en vertu des dispositions combinées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1987 et du décret susvisé du 17 mars 1992 de se prononcer en appel sur l'ordonnance attaquée ;
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le président du tribunal administratif de Basse-Terre s'est borné à notifier le 6 avril 1995 au préfet de la Guadeloupe, auteur de la décision attaquée, qui affirme sans être contredit l'avoir reçue le 10 avril, la demande de suspension de ladite décision dont il était saisi sans indiquer le délai qui lui était imparti pour produire ses observations ; qu'en prononçant dans ces conditions la suspension contestée par une ordonnance rendue le 11 avril 1995, le président du tribunal administratif a méconnu les dispositions de l'article R.120 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel fixant les règles de la procédure contradictoire en matière de sursis ; que le préfet est, pour ce motif, fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;
Considérant que dans les circonstances de l'affaire, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le président du tribunal administratif de Basse-Terre par M. X... ;
Sur la demande de M. X... :
Considérant qu'aux termes de l'article L.122-5 du code des communes : "Pour toute élection du maire ou des adjoints, les membres du conseil municipal sont convoqués dans les formes et délais prévus par l'article L.122-10 ; la convocation contient la mention spéciale de l'élection à laquelle il doit être procédé. Avant cette convocation, il est procédé aux élections qui peuvent être nécessaires pour compléter le conseil municipal ( ...) Dans les communes de 3 500 habitants et plus, le conseil municipal est réputé complet si les seules vacances qui existent en son sein sont la conséquence : "1° De démissions données lorsque le maire a cessé ses fonctions et avant l'élection de son successeur ( ...)" ;
Considérant qu'il résulte de la décision n°s 167 914 et 168 932 du Conseil d'Etat statuant au contentieux en date de ce jour que M. Y... doit être regardé comme ayant cessé ses fonctions de maire dès le 4 janvier 1995 c'est-à-dire à une date antérieure à celle à laquelle cinq conseillers municipaux ont démissionné ; qu'ainsi le moyen tiré par M. X... de ce que le préfet ne pouvait, le 5 avril 1995, le requérir de réunir le conseil municipal en vue de procéder à l'élection du maire, au motif que le conseil municipal ne pouvait pas être réputé complet au sens de l'article L.122-5 précité ne présente pas, en l'état de l'instruction le caractère d'un moyen sérieux ; qu'aucun autre moyen de M. X... ne présente un tel caractère ; que la demande de suspension ne peut dès lors qu'être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article 75-I de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 :
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi susvisée du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas la partie perdante soit condamné à verser à M. X... la somme qu'il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
En ce qui concerne la requête n° 168 993 de M. Y... :
Considérant que M. Y..., qui n'avait pas la qualité de partie en première instance, et qui n'avait été ni appelé en cause ni intervenant, n'a pas qualité pour former appel de l'ordonnance attaquée ; que sa requête est, par suite, irrecevable ; qu'il en va de même des conclusions de cette requête tendant à la suspension de ladite ordonnance par le président de la section du contentieux sur le fondement de l'article 23 du décret du 28 novembre 1953 ;
Article 1er : L'intervention de M. Y... à l'appui de la requête n° 168 931 est admise.
Article 2 : La requête n° 168 993 de M. Y... est rejetée.
Article 3 : L'ordonnance du 11 avril 1995 du président du tribunal administratif de Basse-Terre est annulée.
Article 4 : La demande présentée par M. X... devant le président du tribunal administratif de Basse-Terre est rejetée.
Article 5 : Les conclusions de M. X... tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Nathalien Y..., au préfet de la Guadeloupe, à M. X... et au ministre de l'outre-mer.