Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés le 29 septembre 1993 et le 31 janvier 1994 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Etablissements Crocquet, dont le siège social est situé à Kerlys Dilon à Fort-de-France (97200), représentée par son président directeur général en exercice ; la société Etablissements Crocquet demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 22 juin 1993 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a annulé la décision du 15 juin 1990 du ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, annulant la décision de l'inspecteur du travail du 11 décembre 1989 et l'autorisant à licencier, pour faute, M. Berthé X... ;
2°) rejette la demande présentée par ce dernier devant le tribunal administratif de Fort-de-France ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Struillou, Auditeur,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la société Etablissements Crocquet et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. X...,
- les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance de M. X..., dirigée contre la décision du 15 juin 1990 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a autorisé la société Etablissements Crocquet à le licencier :
Considérant que la société Etablissements Crocquet soutient que le protocole d'accord qu'elle avait conclu, le 28 juin 1990, avec M. X..., délégué du personnel et délégué syndical, et en vertu duquel ce dernier s'était engagé à renoncer, en contrepartie du paiement d'une indemnité transactionnelle de 100 000 F, à toute action en justice "contre la décision du ministre du travail ayant autorisé son licenciement", faisait obstacle à ce que l'intéressé pût former un recours pour excès de pouvoir contre cette décision ;
Mais considérant que les salariés investis de fonctions représentatives ne peuvent renoncer par avance aux dispositions protectrices d'ordre public instituées en leur faveur ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée par la société Etablissements Crocquet doit être écartée ;
Sur la légalité de la décision ministérielle du 15 juin 1990 :
Considérant que, par cette décision, le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a fait droit au recours hiérarchique formé par la société Etablissements Crocquet contre le refus opposé le 11 décembre 1989 par l'inspecteur du travail à sa demande tendant à être autorisée à licencier M. X... ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la société Etablissements Crocquet avait introduit le 13 février 1990 devant le tribunal administratif de Fort-de-France, une demande tendant à l'annulation de cette décision de l'inspecteur du travail, et , d'autre part, que le tribunal administratif n'avait pas encore statué sur cette demande, le 15 juin 1990 ; que le ministre restait, dès lors, compétent, à cette date, pourannuler lui-même la décision de l'inspecteur du travail ; que la société Etablissements Crocquet est, par suite, fondée à soutenir que le tribunal administratif de Fort-de-France s'est à tort fondé sur le fait que son recours hiérarchique avait été tardivement présenté pour annuler la décision ministérielle du 15 juin 1990 ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. X... devant le tribunal administratif de Fort-de-France ;
Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des représentants du personnel, qui bénéficient dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent d'une protection exceptionnelle, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'autorité compétente de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;
Considérant que, pour autoriser le licenciement de M. X..., le ministre du travail a estimé que sa participation active à un piquet de grève organisé le 29 septembre 1989 au cours d'un conflit collectif, constituait une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ; qu'il n'est, toutefois, pas établi par les pièces du dossier que les salariés ayant participé à ce piquet, placé à l'entrée principale de l'entreprise, aient porté atteinte à la liberté du travail du personnel non gréviste, qui gardait la possibilité de pénétrer dans l'entreprise par deux autres voies d'accès ; que, eu égard à ces circonstances, le comportement de M. X... ne justifiait pas son licenciement ; que la société Etablissements Crocquet n'est donc pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Fort-de-France a annulé la décision du ministre du travail du 15 juin 1990 ;
Sur les conclusions des parties qui tendent au remboursement des frais, non compris dans les dépens, qu'elles ont exposés :
Considérant que M. X... demande que la société Etablissements Crocquet soit condamnée à lui payer une somme de 9 675 F sur le fondement des dispositions du décret n° 88-907 du 2 septembre 1988 ; que ces dispositions ayant été abrogées par le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, ces conclusions doivent être regardées comme tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner la société Etablissements Crocquet à payer à M. X... la somme qu'il réclame ;
Considérant que les mêmes dispositions font obstacle à ce que M. X..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer la somme qu'elle demande à la société Etablissements Crocquet ;
Article 1er : La requête de la société Etablissements Crocquet est rejetée.
Article 2 : La société Etablissements Crocquet paiera à M. X... une somme de 9 675 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Etablissements Crocquet, à M. Berthé X... et au ministre du travail et des affaires sociales.