Vu 1°) sous le n° 172 151, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 août 1995 et 22 décembre 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES dont le siège social est ... ; la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 31 mai 1995 par lequel le tribunal administratif de Nouméa a annulé la décision du 22 décembre 1994 du directeur du travail de Nouvelle-Calédonie l'autorisant à licencier M. X... ;
2°) rejette la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Nouméa ;
3°) condamne M. X... à lui payer une somme de 10 000 F par application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu 2°) sous le n° 172 288, le recours du MINISTRE DE L'OUTRE-MER, enregistré comme ci-dessus le 25 août 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat ; le MINISTRE DE L'OUTRE-MER demande que le Conseil d'Etat :
1°) annule le jugement du 31 mai 1995 par lequel le tribunal administratif de Nouméa a annulé la décision du 22 décembre 1994 du directeur du travail de Nouvelle-Calédonie autorisant la Mutuelle des Fonctionnaires de Nouvelle-Calédonie et dépendances à licencier M. X..., chirurgien-dentiste et délégué syndical ;
2°) rejette la demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Nouméa ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la loi n° 84-821 du 6 septembre 1984 ;
Vu l'ordonnance n° 85-821 du 13 novembre 1985 ;
Vu le décret n° 86-134 du 28 janvier 1986 ;
Vu la délibération n° 281 du 24 février 1988 de l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie, modifiée ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Racine, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat de la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Gérard X...,
- les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête de la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES et le recours du MINISTRE DE L'OUTRE MER tendent à l'annulation du même jugement du tribunal administratif de Nouméa ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article 75 de l'ordonnance n° 85-821 du 13 novembre 1985 qui, conformément aux dispositions de l'article 5 de la loi du 6 septembre 1984, portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, a fixé les principes directeurs du droit du travail applicables dans ce territoire : "Le licenciement d'un délégué syndical, d'un délégué du personnel, d'un délégué de bord ou d'un délégué mineur ou d'un salarié membre d'un comité d'entreprise ou représentant syndical à ce comité ne peut intervenir que sur autorisation du chef de service de l'inspection du travail ..." ; qu'en vertu de ces dispositions, les salariés légalement investis de fonctions représentatives bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X..., chirurgien-dentiste, qui était lié à la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES par un contrat de travail conclu le 8 février 1989 et était délégué syndical de l'Union territoriale Force Ouvrière, a donné à deux reprises, les 27 avril et 19 août 1994, des soins à une personne dans des conditions n'ayant pas permis de vérifier, comme il était nécessaire, si elle pouvait bénéficier des prestations de la Mutuelle, alors que le contrat de travail de M. X... l'obligeait à consacrer toute son activité professionnelle à donner ses soins aux adhérents de la mutuelle ou des sociétés qui lui sont affiliées, ainsi qu'éventuellement, aux assurés sociaux dépendant de caisses primaires ou de caisses dépendant de régimes spéciaux, avec lesquelles la mutuelle aurait conclu des conventions à cet effet ; que, eu égard aux responsabilités confiées à M. X... et quelle qu'ait été la qualité des soins donnés par lui aux patients mutualistes, ces seuls faits, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Nouméa, présentaient un caractère de gravité suffisant pour justifier son licenciement ;
Considérant qu'il appartient toutefois au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige, par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de la demande de première instance de M. X... ;
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 98 de la délibération n° 281 du 24 février 1988 de l'assemblée territoriale : "Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ..." ; qu'il n'est pas établi que la mutuelle ait eu connaissance des faits reprochés à M. X... avant l'envoi de la lettre qu'elle lui a adressée le 5 octobre 1994 pour lui demander des explications sur les faits ci-dessus mentionnés ; qu'au surplus, l'engagement des poursuites disciplinaires a eu lieu dès le 24 octobre 1994, date portée sur la lettre par laquelle la mutuelle a convoqué une première fois M. X... à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, et non le 21 novembre 1994, date à laquelle la mutuelle a, une seconde fois, convoqué l'intéressé à un entretien préalable, faute pour lui de s'être présenté au jour qui lui avait été primitivement fixé ; qu'ainsi, la décision du directeur du travail qui a autorisé le licenciement de M. X... n'est pas entachée d'une violation des dispositions précitées de la délibération du 24 février 1988 ;
Considérant, en deuxième lieu, que dans sa lettre du 24 octobre 1994, la mutuelle a indiqué, ainsi qu'il est prévu par l'article 95 de la délibération du 24 février 1988, le motif qu'elle se proposait de retenir pour justifier la sanction envisagée à l'égard de M. X... ; que le fait que la seconde lettre de convocation du 21 décembre 1994 n'a pas rappelé ce motif, n'a pu entacher d'irrégularité la procédure suivie à l'encontre de M. X... ;
Considérant, en troisième lieu, qu'il est constant que, lors de l'entretien qu'il a eu avec le directeur du travail, le 21 décembre 1994, M. X... a pris connaissance de l'ensemble des témoignages mentionnant qu'il avait reçu et soigné à deux reprises une personne non affiliée à la mutuelle ; qu'ainsi, le moyen tiré par M. X... de ce qu'il n'a pu avoir accès au dossier le concernant, manque en fait ;
Considérant, ainsi qu'il a été dit, qu'en vertu de l'article 75 de l'ordonnance du 13 novembre 1985, le licenciement d'un délégué syndical ne peut intervenir que sur autorisation du chef de service de l'inspection du travail ; que l'article 1er du décret n° 86-134 du 28 janvier 1986 précise que "L'inspection du travail comprend : 1) Un directeur du travail, chef du service de l'inspection du travail ..." ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le directeur du travail ne pouvait, sauf circonstances particulières, signer la décision qui a autorisé la mutuelle à licencier M. X... doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES et le MINISTRE DE L'OUTRE-MER sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nouméa a annulé la décision du 22 décembre 1994 du directeur du travail de Nouvelle-Calédonie, autorisant le licenciement de M. X... ;
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 et de condamner M. X... à payer à la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que ces mêmes dispositions font obstacle à ce que la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamnée à payer à M. X... la somme qu'il demande au titre des frais, non compris dans les dépens, qu'il a exposés ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nouméa du 31 mai 1995 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. X... devant le tribunal administratif de Nouméa est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées, au titre de l''article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 tant par la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES que par M. X..., sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la MUTUELLE DES FONCTIONNAIRES DE NOUVELLE-CALEDONIE ET DEPENDANCES, au ministre délégué à l'outre-mer et à M. X....