Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 mai 1995 et 2 juin 1995 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la commune de Fougerolles, représentée par son maire en exercice à ce dûment habilité par une délibération du conseil municipal du 28 avril 1995 ; la commune de Fougerolles demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement du 6 avril 1995 par lequel le tribunal administratif de Besançon a, sur déféré du préfet de la Haute-Saône, annulé la délibération du 9 septembre 1994 du conseil municipal décidant de céder un terrain communal à la S.A.R.L. Leuvrey moyennant un franc symbolique et l'engagement de créer cinq emplois ;
2°) de rejeter le déféré du préfet devant le tribunal administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu le traité du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne ;
Vu la loi n° 82-6 du 7 janvier 1982 ;
Vu la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 ;
Vu la décision n° 86-207 du Conseil constitutionnel des 25 et 26 juin 1986 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Daussun, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Touvet, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'il ressort de la minute du jugement produite au dossier que les mémoires présentés par la commune de Fougerolles devant le tribunal administratif de Besançon ont été visés par le jugement attaqué ; que le moyen tiré de ce que la procédure suivie devant ce tribunal aurait été irrégulière du fait de l'absence de ces visas manque donc en fait ;
Sur la légalité de la délibération attaquée :
Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la loi du 2 mars 1982 : "L'Etat a la responsabilité de la conduite de la politique économique et sociale, ainsi que de la défense de l'emploi./ Néanmoins, sous réserve du respect de la liberté du commerce et de l'industrie, du principe de l'égalité des citoyens devant la loi ainsi que des règles de l'aménagement du territoire définies par la loi approuvant le Plan, la commune peut intervenir en matière économique et sociale dans les conditions prévues au présent article./ I - Lorsque son intervention a pour objet de favoriser le développement économique, la commune peut accorder des aides directes et indirectes dans les conditions prévues par la loi approuvant le Plan (...)" ; qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 7 janvier 1982 approuvant le plan intérimaire 1982-1983, toujours en vigueur à la date de la délibération contestée : "Les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que les régions peuvent, lorsque leur intervention a pour objet la création ou l'extension d'activité économique, accorder des aides directes ou indirectes à des entreprises, dans les conditions ci-après : Les aides directes revêtent la forme de primes régionales à la création d'entreprises, de primes régionales à l'emploi, de bonifications d'intérêt ou de prêts et avances à des conditions plus favorables que celles du taux moyen des obligations. Les aides directes sont attribuées par la région dans des conditions fixées par un décret en Conseil d'Etat (...) Ces différentes formes d'aides directes peuvent être complétées par le département, les communes ou leurs groupements, lorsque l'intervention de la région n'atteint pas le plafond fixé par le décret en Conseil d'Etat mentionné à l'alinéa précédent./ Les aides indirectes peuvent être attribuées par les collectivités territoriales ou leurs groupements, ainsi que par les régions, seuls ou conjointement./ La revente ou la location de bâtiments par les collectivités locales, leurs groupements et les régions doit se faire aux conditions du marché. Toutefois, il peut être consenti des rabais sur ces conditions, ainsi que des abattements sur les charges de rénovation de bâtiments industriels anciens, suivant les règles de plafond et de zones prévues par le décret mentionné au deuxième alinéa./ Les autres aides indirectes sont libres" ;
Considérant que, par délibération du 9 septembre 1994 le conseil municipal de Fougerolles a autorisé le maire à céder une parcelle de terrain appartenant au domaine privé de la commune, d'une superficie de 36 ares environ, à la société anonyme à responsabilité limitée Leuvrey moyennant le versement d'un franc symbolique et l'engagement de créer cinq emplois dans un délai de trois ans ;
Considérant, en premier lieu, que si la liberté reconnue aux collectivités territoriales par l'article 4 précité de la loi du 7 janvier 1982 d'accorder certaines aides indirectes à des entreprises en vue de permettre la création ou l'extension d'activités économiques ne peut légalement s'exercer que dans le respect des principes constitutionnels, la cession par une commune d'un terrain à une entreprise pour un prix inférieur à sa valeur ne saurait être regardée comme méconnaissant le principe selon lequel une collectivité publique ne peut pas céder un élément de son patrimoine à un prix inférieur à sa valeur à une personne poursuivant des fins d'intérêt privé lorsque la cession est justifiée par des motifs d'intérêt général, et comporte des contreparties suffisantes ;
Considérant que la cession de terrain autorisée par la délibération litigieuse a pour contrepartie l'engagement de l'entreprise de créer cinq emplois dans le délai de trois ans, assortie, en cas d'inexécution de cet engagement, de l'obligation de rembourser à la commune le prix du terrain tel qu'il a été évalué par le service des domaines, soit environ 36 000 F ; qu'il n'est pas allégué que la commune aurait consenti des cessions comparables en échange de contreparties différentes ; que, compte tenu de la finalité et des modalités de cette cession, la commune de Fougerolles n'a méconnu aucun principe constitutionnel en l'autorisant ;
Considérant, en second lieu, que la cession à une entreprise par une commune d'un terrain pour un franc symbolique ne constitue pas au sens de la loi du 7 janvier 1982 une aide directe subordonnée à l'intervention de la région, mais une aide indirecte ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur ce que la délibération de la commune de Fougerolles autorisant cette cession méconnaîtrait un principe constitutionnel et la loi du 7 janvier 1982 ;
Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner l'autre moyen soulevé par le préfet de la Haute-Saône devant le tribunal administratif ;
Considérant que si le préfet soutient que l'article 4 de la loi du 7 janvier 1982 instituerait un régime d'aide contraire à l'article 92 du traité instituant la Communauté européenne, les stipulations de cet article ne créent pas de droit dont les requérants puissent se prévaloir devant une juridiction nationale ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE Fougerolles est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la délibération susvisée de son conseil municipal en date du 9 septembre 1994 ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Besançon en date du 6 avril 1995 est annulé.
Article 2 : Le déféré du préfet de la Haute-Saône devant le tribunal administratif de Besançon est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la commune de Fougerolles, au préfet de la Haute-Saône et au ministre de l'intérieur.