Vu le recours du garde des sceaux, ministre de la justice enregistré le 27 octobre 1992 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat ; le garde des sceaux, ministre de la justice demande que le Conseil d'Etat annule l'arrêt en date du 8 juillet 1992 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son recours dirigé contre le jugement du 10 octobre 1990 par lequel le tribunal administratif de Rennes a déclaré l'Etat responsable des conséquences dommageables de l'agression dont M. Pelle a été victime le 27 juillet 1986 de la part du jeune Miloud Reziga qui avait été confié à titre provisoire à l'association "Voile et nature" par ordonnance du juge des enfants du tribunal de grande instance d'Amiens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 modifiée ;
Vu le décret n° 46-734 du 16 avril 1946 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mme Pineau, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Le Prado, avocat de M. Norbert Pelle,
- les conclusions de M. Bonichot, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des prescriptions de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, modifiée par la loi du 24 mai 1951, que le législateur a entendu généraliser dans ce domaine des méthodes de rééducation fondées sur un régime de liberté surveillée ; qu'appliquées à un mineur pour lequel la prévention est établie dans les cas visés aux articles 15 et 16 de l'ordonnance précitée, leur emploi crée un risque spécial et est susceptible, en cas de dommages causés aux tiers par les enfants confiés soit à des établissements spécialisés soit à une "personne digne de confiance", d'engager, même sans faute, la responsabilité de la puissance publique à leur égard ;
Considérant que la responsabilité de l'Etat peut être recherchée sur le même fondement en cas de dommage causé aux tiers lorsque, au cours de la phase d'instruction d'une infraction mettant en cause un mineur et en dépit des risques découlant du comportement délictueux antérieur de l'intéressé, le juge d'instruction ou le juge des enfants, à défaut de mise en oeuvre des mesures de contrainte mentionnées à l'article 11 de l'ordonnance du 2 février 1945, décide de confier la garde du mineur, conformément à l'article 10 de l'ordonnance précitée, soit à une institution publique, soit à une institution privée habilitée, soit à "une personne digne de confiance" ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. M.R., auteur des coups et blessures dont M. Norbert Pelle a été victime, avait été confié, alors qu'il était déjà sous le coup d'une inculpation pour vol en réunion, à l'association "Voile et nature" par une ordonnance du juge des enfants du tribunal de grande instance d'Amiens en date du 26 novembre 1985 prise en application des dispositions du 1° du troisième alinéa de l'article 10 de l'ordonnance du 2 février 1945 ; que si l'association "Voile et nature" n'était pas habilitée en application du décret susvisé du 16 avril 1946 relatif aux personnes, institutions ou services recevant des mineurs délinquants, elle était cependant liée à l'Etat par une convention en date du 28 novembre 1985 destinée à assurer la mise en oeuvre des méthodes éducatives prescrites par le juge des enfants ; qu'en relevant que ce placement s'inscrivait dans un projet de rééducation de M. M.R. par l'usage, nonobstant les antécédents pénaux de M. M.R., de méthodes fondées sur un régime de liberté surveillée, conformément aux termes de l'ordonnance du 2 février 1945 et en en déduisant que, dans les circonstances de l'espèce, un tel régime avait créé un risque spécial pour les tiers susceptibles d'engager même en l'absence de faute la responsabilité de l'Etat à l'égard de M. Pelle du fait de l'agression commise à son encontre par M. M.R. alors que ce dernier était placé auprès de l'association dont s'agit, la cour administrative d'appel de Nantes n'a, ni dénaturé les stipulations de la convention passée par cette association avec l'Etat, ni commis d'erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué parlequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son pourvoi dirigé contre le jugement du tribunal administratif de Rennes déclarant l'Etat responsable du préjudice subi par M. Pelle ;
Article 1er : Le recours du garde des sceaux, ministre de la justice est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au garde des sceaux, ministre de la justice et à M. Norbert Pelle.