Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 16 mars 1992, 15 juillet 1992 et 15 juillet 1993, et les productions à l'appui dudit mémoire, enregistrées le 26 juillet 1993, au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON", dont le siège est ... ; la requérante demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 30 décembre 1991 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté les conclusions ayant conservé un objet de sa requête à fins de décharge des cotisations de retenue à la source et des indemnités de retard y afférentes qui lui ont été assignées au titre de chacune des années 1979 à 1981, et à fins de restitution d'une fraction des droits qu'elle a acquittés en matière d'impôt sur les sociétés au titre de chacune des mêmes années ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Roger, avocat de la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON",
- les conclusions de M. Loloum, Commissaire du gouvernement ;
Sur les moyens ayant trait à la régularité de la procédure d'établissement des droits et pénalités contestés devant la cour administrative d'appel en matière de retenue à la source :
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des mentions portées sur l'accusé de réception postal du pli recommandé par lequel a été adressé à la société requérante l'avis qu'une vérification de sa comptabilité serait engagée le 29 mars 1983, que cette société a reçu le pli dont il s'agit le 15 mars 1983 ; qu'ainsi, la Cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier, en jugeant établi que la société avait disposé d'un délai suffisant pour pouvoir se faire assister d'un conseil ;
Considérant, en deuxième lieu, que la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON" a pour activité l'exploitation d'un domaine viticole sis sur le territoire de la commune de Pessac (Gironde) ; que comme elle y était tenue, la société a constamment déposé les déclarations fiscales afférentes à cette exploitation auprès des services dans le ressort territorial desquels entre la commune de Pessac ; que la cour administrative d'appel a, dans ces conditions, à bon droit jugé que, bien que le siège de la société fût à Paris, la vérification de sa comptabilité avait régulièrement été effectuée par des agents de la direction régionale des impôts de Bordeaux, sur le lieu de son exploitation à Pessac ; qu'à supposer même que la société ait tenu sa comptabilité à Paris, contrairement à ce qu'a indiqué la Cour dans les motifs de l'arrêt attaqué, et qu'elle l'aurait transférée à Pessac pour les seuls besoins de la vérification, cette circonstance reste sans incidence sur la régularité de la vérification ;
Considérant, en troisième lieu, que les dispositions de l'article R. 57-1 du livre des procédures fiscales relatives au délai dans lequel le contribuable doit faire parvenir sa réponse à la notification de redressement, ne fixent pas de délai à l'administration pour répondre aux observations du contribuable ; que compte tenu des énonciations de son arrêt, la cour administrative d'appel doit être entendue comme ayant écarté le moyen inopérant tiré de ce que l'administration, ayant reçu les observations faites par le contribuable aux redressements qu'elle lui avait notifiés, aurait confirmé ces redressements avant l'expiration du délai de trente jours suivant la réception de la notification ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'en tenant pour suffisamment motivée, au regard des prescriptions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, la réponse de l'administration aux observations de la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON", la cour administrative d'appel a émis une appréciation souveraine qui ne peut utilement être contestée devant le juge de cassation ;
Considérant, en dernier lieu, qu'en l'absence d'obligation pour l'administration de motiver l'assignation à la société d'indemnités de retard, l'insuffisance d'une telle motivation ne pouvait en tout état de cause être utilement invoquée ; que c'est par suite à bon droit que la cour administrative d'appel a écarté le moyen dont elle était saisie, sur ce point, comme inopérant ;
Sur les moyens ayant trait au bien-fondé des droits en litige :
En ce qui concerne l'application des dispositions du 4 de l'article 39 du code général des impôts :
Considérant qu'aux termes du 4 de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu du 1 de l'article 209 du même code : " ... sont exclues des charges déductibles pour l'établissement de l'impôt ... les charges, à l'exception de celles ayant un caractère social, résultant de l'achat, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de résidences de plaisance ou d'agrément, ainsi que de l'entretien de ces résidences ..." ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON", entendant ainsi se conformer aux dispositions précitées, a rapporté aux bénéfices de chacun des exercices clos en 1979, 1980 et 1981 à raison desquels elle a spontanément acquitté l'impôt sur les sociétés des amortissements et frais d'assurance ou d'entretien portés dans sa comptabilité, et se rapportant à la résidence dénommée "Château Haut-Brion", située sur le domaine viticole qu'elle exploite, et dont elle est propriétaire ; qu'à la suite de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, elle a, toutefois, sollicité la restitution des droits résultés de la non-déduction d'une partie de ces charges, en faisant valoir que ladite résidence était exclusivement utilisée à des réceptions organisées à fins commerciales ou publicitaires ;
Considérant, en premier lieu, que la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON", qui, ainsi que l'a relevé sans dénaturer la teneur de ses mémoires la cour administrative d'appel, n'a pas contesté devant les juges du fond que le "Château Haut-Brion" constituât une "résidence de plaisance ou d'agrément", au sens des dispositions du 4 de l'article 39 du code général des impôts, n'est pas recevable à soutenir pour la première fois devant le juge de cassation que cette qualification juridique serait impropre ;
Considérant, en second lieu, qu'en vertu des dispositions précitées du 4 de l'article 39 du code général des impôts, les charges qu'expose une entreprise afin de s'assurer l'usage, à des fins commerciales ou publicitaires, et fût-ce dans le cadre d'une gestion normale, d'une résidence ayant vocation de plaisance ou d'agrément, sont exclues des charges déductibles pour la détermination de ses bénéfices imposables ; que, par suite, la cour administrative d'appel n'a ni entaché son arrêt de contradiction de motifs en relevant, comme incontesté, que le "Château Haut-Brion", d'une part, constituait une résidence de plaisance et d'agrément, et, d'autre part, était affecté à des fins commerciales et publicitaires, ni commis d'erreur de droit en déduisant de ces circonstances que les amortissements et frais d'entretien y afférents n'étaient pas déductibles des bénéfices de la société ;
En ce qui concerne la seule retenue à la source :
Considérant que l'administration a, sur le fondement des dispositions du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, mis à la charge de la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON", sur la base des charges ci-dessus mentionnées, et regardées comme revenus distribués à la société "Dillon Family", détentrice de la quasi-totalité de son capital et qui a son siège à New-York, des cotisations de retenue à la source liquidées au taux de 5 % fixé par l'article 9 de la convention fiscale franco-américaine du 28 juillet 1967 ;
Considérant, en premier lieu, que si l'administration, qui avait jusqu'alors soutenu que les produits en cause devaient être assimilés aux "dividendes" visés audit article 9 de la convention, s'est, devant la cour administrative d'appel, prévalue des stipulations de l'article 22-1 de cette convention, prévoyant l'imposition dans l'Etat de leur source des revenus dont il n'y est pas spécialement traité, elle a, ce faisant, usé de son droit de présenter, à tout moment de la procédure contentieuse, tout moyen nouveau de nature à justifier du bien-fondé des impositions litigieuses, sans qu'il lui soit besoin d'en prononcer le dégrèvement et d'en reprendre la procédure d'établissement, dès lors que la procédure suivie ne se révèle pas avoir privé le contribuable de garanties auxquelles le nouveau fondement des impositions lui eût donné droit ; qu'ainsi, la cour administrative d'appel a pu, sans irrégularité, accueillir la substitution de base conventionnelle proposée par l'administration, au soutien des cotisations de retenue à la source que celle-ci avait maintenues ; que le moyen tiré par la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON" de ce que la Cour aurait, ainsi, fait prévaloir une interprétation de la notion de "dividendes" énoncée dans une instruction administrative non publiée au Journal officiel de la République Française du 4 août 1972, manque en fait ;
Considérant, en second lieu, qu'en écartant comme n'étant assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier la pertinence le moyen tiré par la société de ce que "l'application d'une retenue à la source en raison du caractère étranger du bénéficiaire pourrait constituer une discrimination" contraire à certains engagements internationaux de la France, la cour administrative d'appel n'a pas entaché son arrêt d'une insuffisance de motivation ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON" n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Article 1er : La requête de la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON" est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la S.A. "DOMAINE CLARENCE DILLON" et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.