Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 janvier et 3 mai 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés par la SOCIÉTÉ DES TRAVAUX ÉLECTRIQUES DE NORMANDIE dont le siège est à Giberville (14730) ; la société demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 novembre 2003, par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à sa demande d'abrogation des décrets du 2 avril 1960 portant règlement d'administration publique et fixant le tarif des avoués et du 25 août 1972 relatif au régime transitoire de rémunération des avocats à raison des actes de postulation et à la taxe ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre d'abroger ces décrets, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de trente jours à compter de la décision de justice à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le code de commerce ;
Vu l'acte dit loi du 29 mars 1944 relative au tarif des émoluments alloués aux officiers publics ou ministériels, validé et complété par l'ordonnance n° 45-2048 du 8 septembre 1945 relative aux tarifs des émoluments alloués aux officiers publics ou ministériels ;
Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;
Vu le décret n° 83-1025 du 28 novembre 1983 concernant les relations entre l'administration et les usagers ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Henrard, Auditeur,
- les observations Me Foussard, avocat de Mme X et de la SCP Bachellier, Potier de la Varde, avocat du Conseil national des barreaux,
- les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que Mme X et le Conseil national des barreaux ont intérêt au maintien de la décision attaquée ; qu'ainsi, leurs interventions sont recevables ;
Considérant qu'en vertu de l'article 1er du décret du 25 août 1972 relatif au régime transitoire de rémunération des avocats à raison des actes de postulation et à la taxe, les actes de postulation accomplis par les avocats devant le tribunal de grande instance en matière civile sont rémunérés selon le barème fixé au titre premier du décret du 2 avril 1960 portant règlement d'administration publique et fixant le tarif des avoués, applicable à ces officiers ministériels jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dont le décret du 25 août 1972 constitue un décret d'application ; que la SOCIÉTÉ DES TRAVAUX ÉLECTRIQUES DE NORMANDIE demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 novembre 2003, par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à sa demande d'abrogation des décrets du 2 avril 1960 et du 25 août 1972 ;
Considérant, d'une part, que l'article 1er de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, ultérieurement codifié sur ce point à l'article L. 410-2 du code de commerce, dispose que : « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence./ Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'Etat peut réglementer les prix après consultation du Conseil de la concurrence (...) » ;
Considérant, d'autre part, que le premier alinéa de l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit que : « Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation et les avoués près les cours d'appel » ; que l'article 10 de la même loi dispose, dans sa version issue de l'article 72 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, que « La tarification de la postulation et des actes de procédure est régie par les dispositions sur la procédure civile. Les honoraires de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client » ; que, contrairement à ce que soutient à la société requérante, cet article renvoyait déjà, dans sa version antérieure à la loi du 10 juillet 1991, aux dispositions sur la procédure civile pour ce qui regarde la tarification de la postulation ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les actes réservés, en application de la loi du 31 décembre 1971, au monopole des avocats, sont exclus du champ d'application du principe, posé à l'alinéa premier de l'article L. 410-2 du code de commerce, de libre détermination des prix des biens, produits et services par le jeu de la concurrence ; qu'ainsi, ce principe n'est pas applicable à la postulation devant les tribunaux de grande instance en matière civile, réservée par l'article 4 de la loi du 31 décembre 1971 au monopole des avocats ; que, dès lors, rien ne faisait obstacle à ce que le Gouvernement en réglemente la tarification ; que le moyen tiré de ce que le Gouvernement ne pouvait prendre cette réglementation sans procéder à la consultation préalable du Conseil de la concurrence, ultérieurement prévue par l'ordonnance du 1er décembre 1986, ne peut être utilement invoqué ; qu'il suit de là que la société requérante n'est pas fondée à exciper, à l'encontre des deux décrets contestés, de la méconnaissance de l'article L. 410-2 du code de commerce et que le moyen doit être écarté ;
Considérant si l'article 1er du décret du 25 août 1972 ne renvoyait, pour la tarification de la postulation et des actes de procédure accomplis par les avocats devant le tribunal de grande instance en matière civile, au barème figurant au titre premier du décret du 2 avril 1960 qu'« A titre provisoire et jusqu'à la fixation d'un tarif de la postulation et des actes de procédure », la circonstance que ce tarif n'ait pas été fixé à ce jour est sans incidence sur la légalité des deux décrets contestés ; qu'il suit de là que le moyen doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête, que la SOCIÉTÉ DES TRAVAUX ÉLECTRIQUES DE NORMANDIE n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 4 novembre 2003, par laquelle le Premier ministre a refusé de faire droit à sa demande d'abrogation des décrets du 2 avril 1960 et du 25 août 1972 ; que ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte et d'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent, par voie de conséquence, être également rejetées ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de Mme X et du Conseil national des barreaux sont admises.
Article 2 : La requête de la SOCIÉTÉ DES TRAVAUX ÉLECTRIQUES DE NORMANDIE est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIÉTÉ DES TRAVAUX ÉLECTRIQUES DE NORMANDIE, à Mme Odile X, au président du Conseil national des barreaux, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.