Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 6 février et 7 juin 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE TRAVAUX CONSTRUCTIONS MATERIAUX (STCM), dont le siège est chemin des Esclamandes Les Etangs de Villepey à Saint Aygulf (83370), et Me Xavier X, es qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société STCM, demeurant ... ; la SOCIETE TRAVAUX CONSTRUCTIONS MATERIAUX et autre demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 4 novembre 2003 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille, d'une part, a condamné la société à verser à la société du Port de Saint ;Aygulf une somme de 23 172,26 euros au titre de la reprise des réseaux d'évacuation des eaux usées et pluviales du port de Saint-Aygulf, d'autre part, a condamné solidairement la société et l'Etat à verser à la société du Port de Saint-Aygulf une somme de 696 768,23 euros en réparation de désordres affectant les ouvrages du port de Saint-Aygulf, et a confirmé le jugement du tribunal administratif de Nice du 12 octobre 2001 pour le surplus ;
2°) de mettre à la charge de la société du Port de Saint-Aygulf la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Nathalie Escaut, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SOCIETE TRAVAUX CONSTRUCTIONS MATERIAUX et de Me X et de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la société du port de Saint-Aygulf,
- les conclusions de M. Didier Casas, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite des désordres affectant le port de plaisance de Saint-Aygulf, la société du port de Saint-Aygulf, chargée par la commune de Fréjus de la construction, l'aménagement et la gestion de ce port, a saisi le tribunal administratif de Nice d'une requête mettant en cause la responsabilité décennale de l'Etat, la direction départementale de l'équipement du Var ayant été chargée d'une mission partielle de maîtrise d'oeuvre, et de la SOCIETE TRAVAUX CONSTRUCTIONS MATERIAUX (STCM), chargée de la conception et de l'exécution des travaux ; que, par un jugement en date du 12 octobre 2001, le tribunal administratif de Nice a condamné solidairement l'Etat et la STCM à verser à la société du port de Saint-Aygulf la somme de 910 181,61 euros en réparation des désordres subis par le port ; que par un arrêt en date du 4 novembre 2003, la cour administrative d'appel de Marseille a réformé ce jugement en réduisant le montant de la condamnation mise à la charge solidaire de l'Etat et de la STCM au titre des dommages subis par la digue du large et en mettant à la charge exclusive de la STCM la réparation du préjudice causé aux réseaux d'évacuation des eaux usées et pluviales ; que la STCM et Me X, agissant en qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société, se pourvoient en cassation contre cet arrêt ; que la société du port de Saint-Aygulf présente, à l'appui de son mémoire en défense, des conclusions incidentes tendant à l'annulation de l'arrêt de la cour en tant qu'il a réduit le montant de la somme allouée au titre des préjudices subis par la digue du large et a exonéré l'Etat de sa responsabilité en ce qui concerne les réseaux d'eaux usées et pluviales ;
Sur le recours incident de la société du port de Saint-Aygulf :
Considérant que la société du port de Saint-Aygulf s'est désistée le 19 février 2004 du pourvoi en cassation qu'elle avait formé contre l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Marseille ; que le président de la 7ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat lui a donné acte de ce désistement pur et simple par une ordonnance en date du 8 juillet 2004 ; que, par suite, si la société du port de Saint-Aygulf peut présenter un mémoire en défense au pourvoi en cassation introduit le 6 février 2004 par la STCM et Me X devant le Conseil d'Etat contre le même arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille, elle n'est plus recevable, quelle que soit la date à laquelle elle a été informée du pourvoi en cassation formé par la STCM et Me X, à présenter, par un mémoire, enregistré le 27 décembre 2004, des conclusions incidentes tendant à la cassation partielle de l'arrêt attaqué ;
Sur la requête de la STCM et de Me X :
En ce qui concerne les désordres affectant la digue du large :
Considérant qu'il ressort des conclusions tant de l'expert que de son sapiteur soumises aux juges du fond que la tempête qui a touché la commune de Fréjus les 28 et 29 décembre 1992 ne présentait pas un caractère exceptionnel ; que si la STCM se prévaut d'un rapport établi par le bureau central d'études pour les équipements d'outre-mer, ce rapport évalue la force de la tempête non pas sur le site du port de Saint-Aygulf mais sur celui du port de Bormes-les-Mimosas ; que le bureau central d'études pour les équipements d'outre-mer a d'ailleurs lui-même indiqué à l'expert que la violence des vents était variable selon le lieu concerné ; qu'ainsi, en jugeant que la tempête subie n'avait pas de caractère exceptionnel, la cour administrative d'appel de Marseille n'a pas dénaturé les pièces du dossier ;
Considérant que le rapport d'expertise soumis aux juges du fond a expressément exclu que les désordres affectant la digue du large aient pour origine un défaut d'entretien de l'ouvrage par la société du port de Saint-Aygulf ; qu'ainsi, en jugeant qu'aucun défaut d'entretien ne pouvait être retenu à l'encontre du maître de l'ouvrage, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, n'a pas dénaturé les pièces du dossier ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, et notamment du rapport d'expertise que les désordres affectant la digue du large ont pour origine à la fois un défaut de conception de l'ouvrage et une mauvaise réalisation des travaux ; qu'ainsi, en retenant la responsabilité solidaire de la STCM et de l'Etat, la cour n'a ni dénaturé le rapport d'expertise, ni commis d'erreur de droit quant à l'imputation des dommages ; que la STCM n'est pas fondée à soutenir que la cour aurait omis de statuer sur le partage de responsabilité qu'elle demandait dès lors que la cour a rejeté comme irrecevable l'appel en garantie de la STCM contre l'Etat ;
En ce qui concerne les désordres affectant le quai principal :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise soumis aux juges du fond que les désordres affectant le quai principal résultent d'un défaut de conception ; que si l'expert a constaté que l'enrochement vertical était plus important que ce qui avait été prévu, il n'a pu en préciser l'origine et n'a pas mis en cause les conditions de réalisation des travaux par la STCM ; qu'ainsi, en retenant la responsabilité de la STCM, solidairement avec celle de l'Etat, au motif que l'exécution des travaux par cette société aurait aggravé le vice de conception de l'ouvrage, la cour a dénaturé les pièces du dossier ;
En ce qui concerne les désordres affectant le réseau d'évacuation des eaux usées :
Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise soumis aux juges du fond que les désordres affectant le réseau d'évacuation des eaux usées résultent uniquement d'un défaut de pose de la canalisation par la STCM ; qu'ainsi, en retenant la seule responsabilité de cette société, la cour n'a ni dénaturé le rapport d'expertise, ni commis d'erreur de droit ;
En ce qui concerne les désordres affectant le réseau d'évacuation des eaux pluviales :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ;
Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise soumis aux juges du fond que les désordres affectant le réseau d'évacuation des eaux pluviales résultent d'une erreur de conception de l'ouvrage ; qu'ainsi, en retenant la responsabilité de la STCM à raison d'une exécution défectueuse du réseau d'évacuation des eaux pluviales, la cour a dénaturé les pièces du dossier ;
En ce qui concerne l'appel en garantie formé par la STCM :
Considérant qu'il ressort du mémoire en défense produit par la STCM devant le tribunal administratif de Nice que la société concluait, à titre principal, au rejet de la requête de la société du port de Saint-Aygulf et, à titre subsidiaire, à sa mise hors de cause au motif que les désordres sont la manifestation d'une conception initiale insuffisante et d'un contrôle de l'exécution des travaux défaillant, ce qui engage la responsabilité du maître de l'ouvrage comme du maître d'oeuvre ; que ces conclusions ne peuvent être regardées comme des conclusions d'appel en garantie dirigé contre l'Etat ; que par suite, la cour a pu, sans commettre d'erreur de droit, rejeter les conclusions de la STCM appelant l'Etat en garantie comme irrecevables dès lors qu'elles étaient nouvelles en appel ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la STCM est seulement fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant que la cour a statué sur les désordres affectant le quai principal ainsi que le réseau d'évacuation des eaux pluviales ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort peut régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler, dans la mesure de l'annulation prononcée, l'affaire au fond ;
En ce qui concerne les désordres affectant le quai principal :
Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise que les désordres affectant le quai principal entraînent un risque d'effondrement brutal d'une partie du quai ; qu'ils sont donc de nature à engager la responsabilité des constructeurs sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; que si une mauvaise conception de l'ouvrage est à l'origine de ces désordres, il ressort du cahier des clauses administratives particulières applicables au marché conclu par la STCM que cette dernière était chargée d'établir les plans d'exécution des ouvrages et les spécifications techniques détaillées, la direction départementale de l'équipement du Var n'ayant qu'une mission de maîtrise d'oeuvre partielle limitée à l'avant projet sommaire ; que le défaut de conception de l'ouvrage a été constaté par l'expert autant sur l'avant projet sommaire établi par la direction départementale de l'équipement du Var que sur les plans dressés ensuite par la STCM en s'écartant de l'avant projet ; qu'ainsi, les désordres subis par le quai principal sont imputables solidairement à l'Etat et à la STCM ; qu'il ressort du rapport d'expertise qu'aucune faute dans l'entretien de l'ouvrage ne peut être reprochée à la société du port de Saint-Aygulf ; qu'eu égard au défaut de conception du quai, les travaux préconisés par l'expert n'apportent aucune plus-value à l'ouvrage ; que les requérants ne sont dès lors pas fondés à en contester le montant s'élevant à 201 232,70 euros ; que l'Etat et la STCM doivent ainsi être condamnés solidairement au paiement de cette somme ;
En ce qui concerne les désordres affectant le réseau d'évacuation des eaux pluviales :
Considérant qu'il ressort du rapport d'expertise que les désordres affectant le réseau d'évacuation des eaux pluviales rendent l'ouvrage impropre à sa destination et sont donc de nature à engager la responsabilité des constructeurs sur le fondement des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil ; que ces dommages résultent d'une erreur de conception ; qu'il résulte de l'instruction que les missions confiées à la direction départementale de l'équipement du Var n'ont pas porté sur la conception de ce réseau ; qu'ainsi, les désordres subis sont uniquement imputables à la STCM ; que par suite, les réparations préconisées par l'expert n'apportant aucune plus-value aux ouvrages, la somme de 11 738,57 euros au titre de la réfection du réseau des eaux pluviales sera mise à la charge de la STCM ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :
Considérant que la société du port de Saint-Aygulf a droit aux intérêts des sommes mises à la charge de la STCM et de l'Etat à compter du 28 août 1997, date d'enregistrement de sa requête devant le tribunal administratif de Nice ; qu'elle a demandé, par un mémoire du 5 mars 2003, la capitalisation des intérêts ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la STCM et le ministre de l'équipement, du transport et du logement sont seulement fondés à demander la réformation du jugement attaqué du tribunal administratif de Nice en date du 12 octobre 2001 en ce qu'il a de contraire à la présente décision ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative aux sommes demandées en cassation tant par la STCM que par la société du port de Saint-Aygulf ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille en date du 4 novembre 2003 est annulé en tant qu'il statue sur les désordres affectant le quai principal et le réseau d'évacuation des eaux pluviales.
Article 2 : L'Etat et la STCM sont solidairement condamnés à verser à la société du port de Saint-Aygulf, s'agissant des désordres affectant le quai principal, une somme de 201 232,70 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 août 1997. Les intérêts échus au 5 mars 2003 seront capitalisés à cette date et aux échéances annuelles ultérieures pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : La STCM est condamnée à verser à la société du port de Saint-Aygulf, s'agissant des désordres affectant le réseau d'évacuation des eaux pluviales, une somme de 11 738,57 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 août 1997. Les intérêts échus au 5 mars 2003 seront capitalisés à cette date et aux échéances annuelles ultérieures pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'article 3 du jugement du tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la STCM et de Me X ainsi que les conclusions incidentes présentées en cassation par la société du port de Saint-Aygulf sont rejetés.
Article 7 : Les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées en cassation par la STCM, Me X et par la société du port de Saint-Aygulf sont rejetées.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE TRAVAUX CONSTRUCTIONS MATERIAUX, à Me Xavier X, es qualité d'administrateur au redressement judiciaire de la société STCM, à la société du port de Saint-Aygulf et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.