Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 23 septembre 2004 et 24 janvier 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Martine A, demeurant ..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de tutrice de son époux, M. Eric A ; Mme A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 17 juin 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes, saisie d'une requête de Mme A et d'une requête de la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise, en présence de la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile ;de-France, dirigées contre le jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 17 avril 2001 retenant la responsabilité du centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay et condamnant celui-ci au versement de diverses indemnités, a porté de 325.668, 72 euros à 999.694, 71 euros la somme que le centre hospitalier a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise, et rejeté la requête de Mme A tendant à réévaluer le montant des indemnités dues en réparation des conséquences dommageables de l'accident survenu à M. A en cours d'anesthésie ;
2°) statuant au fond, de faire droit à ses demandes d'indemnités ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay la somme de 2 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Herbert Maisl, Conseiller d'Etat,
- les observations de Me Le Prado, avocat de Mme A et de la SCP Defrenois, Levis, avocat du centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay,
- les conclusions de M. Terry Olson, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a été opéré le 7 mars 1995 dans le service de chirurgie du centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay pour le retrait d'une plaque, posée le 7 décembre 1993, pour le traitement d'une fracture de l'humérus gauche ; qu'au cours de l'anesthésie, il a été victime d'un arrêt cardiaque qui a entraîné un coma post-anoxique ; que, depuis cette date, M. A est dans un état végétatif chronique ; que Mme Martine A, agissant tant en qualité de tutrice de son mari qu'en son nom propre, se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté ses conclusions tendant, d'une part, à la réparation des souffrances physiques, du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément de M. A et de différents frais restés à la charge de celui ;ci et d'autre part à l'indemnisation de ses frais de déplacement et de son préjudice professionnel ;
Considérant, en premier lieu, qu'en jugeant que M. A ne pouvait prétendre à être indemnisé, ni au titre des souffrances physiques, ni au titre de son préjudice esthétique, ni au titre de son préjudice d'agrément, au seul motif qu'il se trouvait dans un état végétatif chronique, la cour a commis une erreur de droit ; que la requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a écarté l'indemnisation de ces chefs de préjudice ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A avait produit devant la cour, d'une part, une fiche récapitulative des frais de déplacement engagés pour rendre visite à son mari placé dans un centre spécialisé à une cinquantaine de kilomètres de son domicile et, d'autre part, un certificat de son employeur indiquant qu'elle bénéficiait d'un aménagement d'horaires lui permettant de se rendre deux fois par semaine au chevet de son mari et que ces circonstances faisaient obstacle à ce qu'elle puisse envisager une évolution normale de carrière ; qu'en écartant les demandes de Mme A tendant à être indemnisée de ses frais de déplacement et de son préjudice professionnel au motif qu'elles n'étaient pas justifiées par les éléments versés au dossier, la cour a entaché son arrêt de dénaturation ; que la requérante est par suite fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué en tant qu'il a écarté l'indemnisation de ces chefs de préjudice ;
Considérant, en troisième lieu, que Mme A, pour justifier sa demande de remboursement des frais liés à l'acquisition d'un lit anti ;escarre pour son mari, que le tribunal administratif avait écartée au motif qu'elle n'avait été assortie que d'un devis, avait versé au dossier de la cour la facture d'acquisition du lit, postérieure au jugement du tribunal ; que par suite, en confirmant le motif de rejet opposé par le tribunal à la réparation de ce chef de préjudice, la cour a entaché son arrêt de dénaturation ; qu'il doit par suite être annulé en tant qu'il a écarté l'indemnisation de ce chef de préjudice ;
Considérant, en revanche, que la cour a, par une motivation suffisante et aux termes d'une appréciation qui n'est pas entachée de dénaturation, pu estimer que le tribunal administratif n'avait pas fait une évaluation insuffisante des frais de blanchissage, pédicure, coiffure et soins divers restant à la charge de la victime ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 821 ;2 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat, s'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie » ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond dans la limite des annulations ci ;dessus prononcées ;
Considérant que la circonstance qu'un patient se trouve placé dans un état végétatif chronique ne conduit, par elle ;même, à exclure aucun chef d'indemnisation ni ne fait obstacle à ce que le préjudice subi par la victime soit réparé en tous ses éléments ; qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise, que M. A a subi et subit d'importantes souffrances physiques ainsi qu'un préjudice esthétique évalué à 5 points sur une échelle qui en comporte sept ; qu'eu égard à son état chronique irréversible en l'état actuel des connaissances, entraînant une incapacité permanente de 100 % survenue alors qu'il était âgé de 31 ans, M. A doit être regardé comme ayant également subi un important préjudice d'agrément ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices subis à ces titres en les évaluant, compte tenu de la somme de 304 898,03 euros allouée par le tribunal administratif d'Orléans au titre de l'atteinte à l'intégrité physique, à la somme de 30 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'un lit anti ;escarre, non remboursé par la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise, a été acquis en 2001 pour M. A pour la somme de 6 736,49 euros ; qu'il y a lieu de mettre cette somme à la charge du centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay ; qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée, en qualité de tutrice de son mari, à demander que les sommes que le centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay a été condamné à verser à ce dernier par le tribunal administratif d'Orléans soient augmentées de la somme de 36 736,49 euros ; que cette somme portera intérêts à compter du 30 janvier 1997 ;
Considérant enfin qu'il sera fait une juste appréciation des frais supportés par Mme A pour rendre visite à son mari et du préjudice professionnel qu'elle a subi à la suite de l'accident de ce dernier en lui allouant une somme de 20 000 euros à ce titre ; qu'elle est par suite fondée à demander que la somme que le centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay a été condamné à lui verser par le tribunal administratif d'Orléans soit augmentée de la somme de 20 000 euros ; que cette somme portera intérêts à compter du 30 janvier 1997 ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay qui est la partie perdante, le versement d'une somme de 2 800 euros à Mme A, au titre des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ; que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A, qui n'est pas la partie perdante, la somme que le centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay demande au titre de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 17 juin 2004 est annulé en tant qu'il a rejeté, d'une part, les conclusions de M. A tendant à être indemnisé de ses souffrances physiques, son préjudice esthétique et son préjudice d'agrément et de l'acquisition d'un lit anti ;escarre et, d'autre part, les conclusions de Mme A tendant à être indemnisée de son préjudice professionnel et de ses frais de déplacements.
Article 2 : La somme de 421 532,08 euros (2 765 069,20 F) que le centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay a été condamné, par l'article 1er du jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 17 avril 2001, à verser à Mme A en qualité de tutrice de M. Eric A est majorée d'une somme de 36 736,49 euros qui portera intérêts à compter du 30 janvier 1997.
Article 3 : La somme de 45 734,71 euros (300 000 F) que le centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay a été condamné par l'article 2 du jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 17 avril 2001 à verser à Mme A est majorée d'une somme de 20 000 euros qui portera intérêts à compter du 30 janvier 1997.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif d'Orléans en date du 17 avril 2001 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête d'appel présentée devant la cour administrative d'appel de Nantes par Mme A agissant tant en son nom propre qu'en qualité de tutrice de son époux est rejeté.
Article 6 : Le centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay versera à Mme A une somme de 2 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative.
Article 7 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Romorantin ;Lanthenay au titre des dispositions de l'article L. 761 ;1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 8 : La présente décision sera notifiée à Mme Martine A, à la caisse régionale d'assurance maladie d'Ile-de-France, à la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise, au centre hospitalier de Romorantin-Lanthenay et au ministre de la santé et des solidarités.
Copie pour information en sera adressée à Mme Claudine A, à M. et Mme Philippe A, à M. Marc A, à M. Alain A, à Mme Georgette , veuve , à M. Serge C, à M. Frédéric D, à M. Eric D et à Mme Stéphanie C.