Vu la requête, enregistrée le 15 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la SOCIETE EASYJET AIRLINES, dont le siège est Easyland, Luton Airport à Bedfordshire LU29lS (Royaume-Uni) ; la SOCIETE EASYJET AIRLINES demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du décret en date du 21 novembre 2006 relatif aux bases d'exploitation des entreprises de transport aérien et modifiant le code de l'aviation civile ;
la SOCIETE EASYJET AIRLINES soutient que l'entrée en vigueur du décret contesté, intervenue un jour franc après sa publication au Journal officiel du 23 novembre 2006, l'expose à la revendication immédiate par les autorités françaises d'un rattachement à la législation sociale française alors qu'elle est en outre soumise à la législation sociale britannique ; que cette situation entraîne de graves conséquences sur l'équilibre économique de son activité ; qu'en outre une information a été ouverte à son encontre par le parquet de Créteil pour travail dissimulé et infraction à la législation sur le droit du travail, ce qui porte une atteinte grave à son image ; qu'ainsi la condition d'urgence est remplie ; que l'article L. 342-4 du code du travail, dont le décret contesté entend faire application, est incompatible avec le droit communautaire puisqu'il méconnaît tant la directive du 16 décembre 1996 que le principe de la libre prestation de services ; que ce décret est en outre contraire à l'article 14§2 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 qui assujettit, hormis deux dérogations différentes de celles que prévoit ce décret, le personnel navigant des entreprises de transport à la législation sociale de l'Etat de siège ; qu'enfin le décret contesté méconnaît les principes de sécurité juridique et de confiance légitime en soumettant une entreprise à deux législations cumulatives de deux Etats membres ; que l'ensemble de ces moyens est de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité du décret dont la suspension est demandée ;
Vu le décret dont la suspension est demandée ;
Vu la copie de la requête à fin d'annulation présentée à l'encontre de ce décret ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2007, présenté pour le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SOCIETE EASYJET AIRLINES en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie ; qu'en effet le premier alinéa de l'article R. 330-2-1 du code de l'aviation civile issu du décret dont la suspension est demandée n'entre en vigueur que le 1er janvier 2007 ; que l'application de ce décret n'entraîne pas rattachement à l'ensemble de la législation sociale française et de toute façon ne compromet pas gravement l'équilibre économique de la société requérante ; que la procédure pénale ouverte à l'encontre de la société requérante résulte d'infractions qui ne sont pas indissociables du décret contesté ; le ministre ajoute que le moyen tiré de l'incompatibilité des dispositions législatives pour l'application desquelles a été pris le décret dont la suspension est demandée avec la directive du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services n'est pas de nature, eu égard à l'office du juge des référés, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ce décret ; qu'au demeurant ces dispositions législatives sont conformes au droit communautaire ; que le moyen tiré de l'incompatibilité du décret contesté avec l'article 14§2 du règlement du Conseil du 14 juin 1971 est inopérant dès lors que ce règlement porte sur l'application des régimes de sécurité sociale et non sur celle du droit du travail ; qu'en tout état de cause, la contradiction relevée n'existe pas puisque le décret dont la suspension est demandée se propose précisément de définir ce que constitue pour les transporteurs aériens une « succursale » ou une « représentation permanente » ; que le moyen tiré de la méconnaissance des principes de sécurité juridique et de confiance légitime sont sans fondement, dès lors que le décret contesté se propose justement de préciser la loi du 2 août 2005 sans en étendre le champ d'application ; qu'aucun moyen n'est donc de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité du décret dont la suspension est demandée ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 11 janvier 2007, présenté pour la SOCIETE EASYJET AIRLINES, qui reprend les conclusions et les moyens de sa requête ; elle soutient en outre que le décret dont la suspension est demandée méconnaît les stipulations de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 ;
Vu le règlement du Conseil n° 1408/71 modifié du 14 juin 1971 ;
Vu la directive du Conseil n° 96/71/CE du 16 décembre 1996 ;
Vu le code du travail, notamment ses articles L. 342-1 à L. 342-6 ;
Vu le code de l'aviation civile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la SOCIETE EASYJET AIRLINES et d'autre part, le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer et le Premier ministre ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 12 janvier 2007 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Chevallier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la SOCIETE EASYJET AIRLINES ;
- les représentants de la SOCIETE EASYJET AIRLINES ;
- Me Lyon-Caen, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
- les représentants du ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision » ;
Considérant que la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises a introduit dans le titre IV du livre III du code du travail un chapitre II relatif au détachement transnational de travailleurs ; qu'aux termes de l'article L. 342-4 du code du travail qui résulte de cette loi : « Un employeur ne peut se prévaloir des dispositions applicables au détachement de salariés lorsque son activité est entièrement orientée vers le territoire français ou lorsqu'elle est réalisée dans des locaux ou avec des infrastructures à partir desquels elle est exercée de façon habituelle, stable et continue, notamment par la recherche et la prospection d'une clientèle ou le recrutement de salariés sur ce territoire » ; que le décret dont la suspension est demandée a introduit dans le code de l'aviation civile des dispositions destinées à préciser les conditions d'application de ces dispositions de portée générale du code du travail aux entreprises de transport aérien ; que son article 1er insère ainsi au titre III du livre III du code de l'aviation civile un article R. 330-2-1 aux termes duquel : « L'article L. 342-4 du code du travail est applicable aux entreprises de transport aérien au titre de leurs bases d'exploitation situées sur le territoire français. Une base d'exploitation est un ensemble de locaux ou d'infrastructures à partir desquels une entreprise exerce de façon stable, habituelle et continue une activité de transport aérien avec des salariés qui y ont le centre de leur activité professionnelle. Au sens des dispositions qui précèdent, le centre de l'activité professionnelle d'un salarié est le lieu où, de façon habituelle, il travaille ou celui où il prend son service et retourne après l'accomplissement de sa mission » ;
Considérant, en premier lieu, qu'eu égard à l'office du juge des référés, un moyen pris de l'incompatibilité d'une loi avec des règles issues du droit communautaire n'est pas, en l'absence d'une décision juridictionnelle ayant statué en ce sens, rendue soit par le juge saisi au principal, soit par le juge compétent à titre préjudiciel, de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des actes administratifs dont la suspension est demandée ; que le moyen tiré de ce que la loi pour l'application de laquelle le décret dont la suspension est demandée a été pris serait incompatible avec les objectifs d'une directive communautaire et méconnaîtrait le principe de la libre prestation de services n'est donc pas propre à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ce décret ;
Considérant, en deuxième lieu, que le décret du 21 novembre 2006 ne saurait légalement avoir pour objet ni pour effet de modifier, pour ce qui concerne les entreprises de transport aérien, le champ d'application de l'article L. 342-4 du code du travail ; qu'il ne ressort toutefois d'aucun des éléments de l'instruction qu'en se référant aux « bases d'exploitation », qu'il définit en reprenant des termes qui figurent à l'article L. 342-4 du code du travail, le décret contesté aurait un tel objet ou un tel effet ; que le moyen tiré de ce que ce décret aurait méconnu la portée des dispositions législatives qu'il entend appliquer n'est donc pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur sa légalité ;
Considérant, en troisième lieu, que le règlement du Conseil du 14 juin 1971 est relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté européenne ; qu'il concerne ainsi d'autres questions que celles dont traite le décret dont la suspension est demandée ; que le moyen tiré de ce que ce décret aurait méconnu ses dispositions n'est, dès lors, pas de nature à faire naître un doute sérieux sur sa légalité ;
Considérant, en quatrième lieu, que les moyens tirés de ce que le décret dont la suspension est demandée contiendrait des dispositions contraires aux stipulations de la convention de Rome sur la loi applicable aux obligations contractuelles ou de ce qu'il méconnaîtrait les principes de sécurité juridique et de confiance légitime ne sont pas de nature, en l'état de l'instruction, et eu égard à l'objet de ce décret, qui se borne à préciser les conditions d'application aux entreprises de transport aérien des dispositions législatives introduites dans le code du travail par la loi du 2 août 2005, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de celui-ci ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'urgence, que les conclusions à fin de suspension présentées par la SOCIETE EASYJET AIRLINES ne peuvent être accueillies ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE EASYJET AIRLINES une somme de 3 000 euros qu'elle versera à l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la SOCIETE EASYJET AIRLINES est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE EASYJET AIRLINES versera à l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SOCIETE EASYJET AIRLINES, au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer et au Premier ministre.