Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er octobre 2004 et 1er février 2005 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SAS BARIAU LECLERC qui vient aux droits de la S.A. LECLERC TRANSPORTS, dont le siège est boulevard Gabriel Péri à Tourville-la-Rivière (76410), représentée par son président-directeur général en exercice ; la SAS BARIAU LECLERC demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 18 juin 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel tendant à l'annulation du jugement du 8 janvier 2002 du tribunal administratif de Nantes rejetant sa demande tendant à la décharge de la taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 1996 dans les rôles de la commune de Quelaines-Saint-Gault à raison de l'établissement situé dans cette commune ainsi que des pénalités correspondantes ;
2°) statuant au fond, de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 794 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et le premier protocole additionnel à cette convention ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Florian Blazy, Auditeur,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SAS BARIAU LECLERC,
- les conclusions de M. Stéphane Verclytte, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la S.A. LECLERC TRANSPORTS, aux droits de laquelle vient désormais la SAS BARIAU LECLERC, qui exerce une activité de transport routier, a conclu un contrat avec la société Goodyear selon lequel cette dernière assure, moyennant le versement d'une redevance kilométrique, la mise à disposition, l'entretien et le remplacement des pneumatiques qui équipent les véhicules que la S.A. LECLERC TRANSPORTS utilise pour les besoins de son activité ; que ce contrat, qui a pris effet le 10 juin 1991 pour une durée de trois ans et a été, par la suite, tacitement reconduit, prévoit également que les véhicules neufs acquis pendant la durée de ce contrat devront être achetés sans pneus, ceux-ci étant montés postérieurement chez le constructeur par la société Goodyear ; qu'il prévoit, enfin, que dans le cas où cela s'avérerait impossible, la société Goodyear rachèterait à la S.A. LECLERC TRANSPORTS les pneumatiques équipant ses véhicules neufs au prix fixé par le barème de facturation en vigueur, minoré d'une remise de 25 % ; que la S.A. LECLERC TRANSPORTS a estimé pouvoir déduire de ses bases d'assujettissement à la taxe professionnelle la valeur locative des pneumatiques ainsi mis à sa disposition par la société Goodyear ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité de la S.A. LECLERC TRANSPORTS, l'administration fiscale, estimant que le contrat liant les deux sociétés devait être analysé comme un contrat de location, a réintégré dans les bases d'assujettissement de cette société à la taxe professionnelle la valeur locative des pneumatiques des véhicules dont elle a disposé pour un montant égal à celui des redevances kilométriques versées à la société Goodyear, sur le fondement des dispositions du 3° de l'article 1469 du code général des impôts ; que le tribunal administratif de Nantes, par un jugement en date du 8 janvier 2002, a rejeté sa demande en décharge des suppléments litigieux de taxe professionnelle pour l'année 1996 ; que la SAS BARIAU LECLERC venant aux droits de la S.A. LECLERC TRANSPORTS se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 18 juin 2004 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté son appel contre ce jugement ;
Sur les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 54 B du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable en l'espèce : La notification d'une proposition de redressement doit mentionner, sous peine de nullité, que le contribuable a la faculté de se faire assister d'un conseil de son choix pour discuter la proposition de redressement ou pour y répondre ; qu'aux termes de l'article L. 56 du même livre, dans sa rédaction applicable en l'espèce : La procédure de redressement contradictoire n'est pas applicable : / 1° En matière d'impositions directes perçues au profit des collectivités locales ou d'organismes divers... ;
Considérant que la taxe professionnelle, qui constitue une imposition directe perçue au profit des collectivités locales, entre dans le champ de l'application de l'article L. 56 précité du livre des procédures fiscales ; que, si ces dispositions ne sauraient dispenser l'administration du respect des obligations qui découlent du principe général des droits de la défense, la mention de la possibilité pour le contribuable de se faire assister d'un conseil de son choix et de présenter des observations écrites ne sont pas au nombre des obligations découlant du principe général du droit de la défense ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit, ni dénaturé les pièces du dossier, en jugeant régulière la procédure d'imposition dès lors que la S.A. LECLERC TRANSPORTS avait été mise à même de présenter des observations, bien que l'administration n'ait pas averti la société qu'elle pouvait se faire assister d'un conseil de son choix et présenter des observations écrites ;
Considérant que c'est par un motif surabondant que la cour a constaté que la S.A. LECLERC TRANSPORTS avait présenté des observations en réponse à la lettre portant notification des redressements de taxe professionnelle ; que, par suite, le moyen par lequel la société requérante en conteste l'exactitude matérielle est inopérant ;
Sur les moyens relatifs au bien-fondé des impositions :
Considérant qu'aux termes de l'article 1647 B sexies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable en l'espèce : I. Sur demande du redevable, la cotisation de taxe professionnelle de chaque entreprise est plafonnée à 3,5 % de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile. La valeur ajoutée est définie selon les modalités prévues au II.../ II. 1. La valeur ajoutée mentionnée au I est égale à l'excédent hors taxe de la production sur les consommations de biens et de services en provenance de tiers constaté pour la période définie au I./ 2. Pour la généralité des entreprises, la production de l'exercice est égale à la différence entre : / D'une part, les ventes, les travaux, les prestations de services ou les recettes, les produits accessoires ; les subventions d'exploitation ; les ristournes, rabais et remises obtenus ; les travaux faits par l'entreprise pour elle-même ; les stocks à la fin de l'exercice ; / Et, d'autre part, les achats de matières et marchandises, droits de douane compris ; les réductions sur ventes ; les stocks au début de l'exercice. / Les consommations de biens et services en provenance de tiers comprennent : les travaux, fournitures et services extérieurs, à l'exception des loyers afférents aux biens pris en crédit-bail, les frais de transports et déplacements, les frais divers de gestion ; que ces dispositions fixent la liste limitative des catégories d'éléments comptables qui doivent être pris en compte dans le calcul de la valeur ajoutée en fonction de laquelle sont plafonnées les cotisations de taxe professionnelle ;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 1647 B sexies que l'excédent de la production sur les consommations en provenance de tiers qu'il convient de retenir pour calculer la valeur ajoutée en fonction de laquelle les cotisations de taxe professionnelle sont plafonnées est déterminé après déduction de la taxe sur la valeur ajoutée et des différentes taxes grevant le prix des biens et des services vendus par l'entreprise ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la société requérante ne pouvait déduire de la valeur ajoutée, pour le calcul de la taxe professionnelle, la participation à l'effort de construction, la participation à l'effort de formation professionnelle continue, la taxe d'apprentissage ainsi que la taxe professionnelle ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1467 du code général des impôts : La taxe professionnelle a pour base : / 1° ... / a) La valeur locative ... des immobilisations corporelles dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle ... ; qu'aux termes du 3° de l'article 1469 du même code : Pour les autres biens, lorsqu'ils appartiennent au redevable... la valeur locative est égale à 16 % du prix de revient ;
Considérant, en premier lieu, que les pneumatiques dont est initialement muni un véhicule qu'une entreprise de transport routier utilise matériellement pour les besoins de son activité sont, eu égard, d'une part, à leur valeur relative par rapport à celle du véhicule et, d'autre part, à leur durée moyenne d'utilisation, inférieure à douze mois et significativement différente de celle du véhicule, des éléments indissociables de cette immobilisation corporelle ; que, pour le calcul des bases de la taxe professionnelle d'une entreprise de transport routier, la valeur locative d'un véhicule dont elle dispose pour les besoins de son activité ne peut, par suite, être diminuée de celle des pneumatiques d'origine qui l'équipent au motif qu'ils n'ont été montés que postérieurement à l'achat du véhicule par une personne, ou cédés à cette même personne, qui les laisse néanmoins à sa disposition, en exécution d'une convention, quelle que soit la nature juridique de celle-ci ; qu'ainsi, si la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les bases de la taxe professionnelle de la S.A. LECLERC TRANSPORTS devaient inclure la valeur locative des pneumatiques qui équipent, lors de leur mise en service, les véhicules neufs qu'elle utilise, qu'ils soient ou non cédés à la société Goodyear en exécution du contrat conclu avec elle, elle a, en revanche, commis une erreur de droit en jugeant justifiée la réintégration, dans les bases de la taxe professionnelle de la S.A. LECLERC TRANSPORTS, d'une valeur locative de ces pneumatiques égale au montant d'une fraction des redevances kilométriques qu'elle acquittait ;
Considérant, en second lieu, que les pneumatiques de remplacement qui, au fur et à mesure de ses besoins, équipent les véhicules qu'une entreprise de transport routier utilise matériellement, n'ont d'autre objet que de maintenir ces véhicules dans un état normal d'exploitation jusqu'à la fin de la période d'amortissement restant à courir ; que ces pneumatiques de remplacement, dont la durée d'utilisation est inférieure à douze mois, ne sont, par ailleurs, pas destinés à servir de façon durable à l'activité des manufacturiers consistant à mettre des pneumatiques à disposition des entreprises de transport routier et à assurer des services accessoires ; qu'ils sont consommés au cours du processus de la prestation ainsi fournie par les fabricants de pneumatiques ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Nantes a également commis une erreur de droit en jugeant que les pneumatiques de remplacement qui ont équipé, au cours de la période vérifiée, les véhicules utilisés par la S.A. LECLERC TRANSPORTS étaient au nombre des immobilisations corporelles dont celle-ci a disposé pour les besoins de son activité et que leur valeur locative devait être prise en compte pour la détermination des bases de sa taxe professionnelle ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SAS BARIAU LECLERC, venant aux droits de la S.A. LECLERC TRANSPORTS, est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes en date du 18 juin 2004 en tant qu'il a jugé justifiée l'intégration de l'ensemble des pneumatiques loués dans sa base d'imposition à la taxe professionnelle ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler dans cette mesure l'affaire au fond ;
Considérant que les dispositions précitées de l'article L. 56 du livre des procédures fiscales ont pour effet d'écarter la procédure de redressement contradictoire ainsi que les obligations attachées à cette procédure par la charte des droits et obligations du contribuable vérifié rendue opposable à l'administration par l'article L. 10 du livre des procédures fiscales ; que, par suite, la société ne saurait utilement invoquer les dispositions de cette charte ;
Considérant qu'aucune pénalité ayant le caractère d'une sanction n'a été prononcée à l'encontre de la société requérante ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'administration aurait violé les règles régissant les sanctions fiscales en matière de taxe professionnelle en s'abstenant d'informer préalablement le contribuable de son intention de lui en infliger, est inopérant ;
Considérant que les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne sont applicables qu'aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu'elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale ; qu'il s'ensuit que le contribuable ne peut, en tout état de cause, utilement les invoquer pour contester la régularité de la procédure d'imposition ;
Considérant qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour ... assurer le paiement des impôts... ; qu'il résulte des termes mêmes de cet article que le droit au respect de ses biens reconnu à toute personne physique ou morale ne porte pas atteinte au droit de chaque Etat partie au protocole additionnel de mettre en oeuvre les lois qu'ils jugent nécessaires pour assurer le paiement des impôts ; que la seule circonstance que la procédure contradictoire ne soit pas applicable en matière de taxe professionnelle et que seul s'applique le principe général des droits de la défense, ne saurait être regardée comme portant par elle-même atteinte au respect des biens au sens de l'article 1er de ce protocole ; qu'ainsi, le moyen tiré par la société requérante de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui a été dit ci-dessus que la SAS BARIAU LECLERC est seulement fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement en date du 8 janvier 2002, le tribunal administratif de Nantes, qui avait entièrement rejeté sa demande en décharge des impositions en litige, a refusé de faire droit à ses demandes en décharge pour l'année 1996, à concurrence des impositions supplémentaires résultées de la réintégration, dans ses bases de taxe professionnelle, de la valeur locative des pneumatiques de remplacement ; que les pneumatiques d'origine dont étaient munis ses véhicules neufs doivent être intégrés dans l'assiette de la taxe professionnelle de la S.A. LECLERC TRANSPORTS en prenant pour base la valeur de marché d'un train de pneus neufs dès lors qu'ils ont été montés et mis à disposition dès l'origine par la société Goodyear, ou en prenant pour base la valeur pour laquelle ils avaient été acquis par la même société, en exécution du contrat qui liait les deux sociétés, et pour laquelle ils ont été déduits à tort par la S.A. LECLERC TRANSPORTS des bases de sa taxe professionnelle ; que l'état du dossier ne permet pas au Conseil d'Etat de déterminer les éléments qui doivent ainsi être inclus dans les bases de la taxe professionnelle de la S.A. LECLERC TRANSPORTS ; qu'il y a lieu d'ordonner, avant de statuer en appel sur les conclusions de la S.A. LECLERC TRANSPORTS, un supplément d'instruction contradictoire portant sur ces points, après avoir vérifié si la valeur locative déclarée pour les véhicules de transport qu'elle utilise incluait celle des pneumatiques d'origine ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 18 juin 2004 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il a jugé justifiée l'intégration de l'ensemble des pneumatiques loués dans la base d'imposition à la taxe professionnelle de la S.A. LECLERC TRANSPORTS.
Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions d'appel de la S.A. LECLERC TRANSPORTS, aux droits de laquelle vient désormais la SAS BARIAU LECLERC, relatives à la fraction des impositions supplémentaires à laquelle elle a été assujettie au titre de la réintégration des pneumatiques d'origine équipant ses véhicules neufs dans ses bases de taxe professionnelle, procédé par le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, contradictoirement avec la SAS BARIAU LECLERC venant aux droits de la S.A. LECLERC TRANSPORTS, au supplément d'instruction dont l'objet est défini dans les motifs de la présente décision.
Article 3 : Il est accordé au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique un délai de trois mois à compter de la présente décision pour faire parvenir au Conseil d'Etat les résultats du supplément d'instruction ordonné par l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SAS BARIAU LECLERC venant aux droits de la S.A. LECLERC TRANSPORTS et au ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique.