Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 31 juillet 2006, 30 novembre 2006 et 2 février 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA, dont le siège est 44, avenue Boisbaudran, Z.I. La Delorme à Marseille (13015) ; la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 24 mai 2006 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a annulé, sur le recours du ministre de l'écologie et du développement durable, le jugement du 16 décembre 2004 par lequel le tribunal administratif de Rouen a condamné l'Etat à verser à la société requérante une indemnité de 2 663 375, 40 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis et a rejeté sa demande présentée devant le tribunal administratif de Rouen ;
2°) réglant l'affaire au fond, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 6 908 018, 20 euros, augmentée des intérêts légaux et des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 30 mai 2008, présentée pour la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA ;
Vu la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Richard Senghor, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la SOCIÉTÉ INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire,
- les conclusions de M. Yann Aguila, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par un arrêt du 23 juin 1999, la cour administrative d'appel de Nantes a confirmé l'annulation par le tribunal administratif de Rouen des arrêtés des 20 mai 1994 et 9 février 1995 par lesquels le préfet de la Seine-Maritime avait imposé à la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA des prescriptions spéciales et additionnelles aux prescriptions générales pour l'exploitation d'une installation classée soumise à déclaration, destinée à une activité de stockage et de distribution de ciment sur le site de Grand-Couronne pour laquelle elle avait obtenu, le 5 janvier 1994, un permis de construire et, le 2 février 1994, un récépissé de déclaration d'installation classée pour la protection de l'environnement ; qu'ayant dû renoncer à exploiter cette installation, la société requérante a demandé réparation à l'Etat du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de ces arrêtés ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel de Douai a infirmé le jugement par lequel le tribunal administratif de Rouen avait condamné l'Etat au versement d'une indemnité et a rejeté la demande de la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA ;
Sur la régularité de l'arrêt attaqué :
Considérant, en premier lieu, que, pour écarter les conclusions de la société relatives au manque à gagner, la cour administrative d'appel de Douai a relevé, d'une part, que les arrêtés annulés avaient été jugés illégaux par un arrêt du 23 juin 1999 de la cour administrative d'appel de Nantes et, d'autre part, qu'aucun obstacle juridique n'interdisait à la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA d'exercer son activité à compter des dates auxquelles le tribunal administratif de Rouen a annulé chacun des deux arrêtés ; que la cour, qui n'était tenue ni de rappeler que l'appel interjeté par le préfet n'était pas suspensif, ni de se prononcer sur un autre chef d'illégalité des arrêtés que celui retenu par le tribunal, dès lors qu'elle estimait que cette illégalité n'était pas à l'origine des préjudices invoqués, a ainsi suffisamment motivé son arrêt ;
Considérant, en second lieu, que le tribunal administratif s'étant borné, pour indemniser la société du préjudice né de l'atteinte à son image de marque, à faire état des allégations de la société, la cour a suffisamment motivé son arrêt en estimant que, contrairement à ce qu'avait jugé le tribunal administratif, ce chef de préjudice n'était pas établi ;
Sur le bien-fondé de l'arrêt attaqué :
En ce qu'il statue sur le principe de la responsabilité :
Considérant que, contrairement à ce que soutient le pourvoi, la cour n'a pas jugé que l'illégalité entachant les arrêtés préfectoraux des 20 mai 1994 et 9 février 1995 n'était pas de nature à entraîner la responsabilité de l'Etat, mais que celle-ci ne pouvait résulter que d'un lien direct de causalité entre la faute et le préjudice allégué ; que, ce faisant, elle n'a commis aucune erreur de droit ;
En ce qu'il statue sur les différents chefs de préjudice :
Considérant, en premier lieu, qu'après avoir relevé que la société requérante disposait, dès le 2 février 1994, des instruments juridiques lui permettant d'exploiter son activité et estimé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'elle n'établissait pas que le démarrage de l'exploitation du site était imminent lors de l'intervention des arrêtés illégaux, la cour a pu en déduire, sans donner aux faits ainsi énoncés une qualification juridique erronée, que l'existence d'un lien direct de causalité entre l'illégalité fautive et le préjudice né du manque à gagner n'était pas établie ;
Considérant, en deuxième lieu, que, c'est également par une appréciation souveraine des faits que la cour a estimé que le préjudice invoqué par la société requérante et correspondant aux frais et investissements engagés en pure perte résultait de l'abandon du projet justifié par l'évolution défavorable du marché du ciment ; que, dès lors, la cour, qui n'a pas dénaturé les conclusions de la requérante ni les pièces du dossier, a pu, sans erreur de droit, déduire de ces constatations que le préjudice allégué n'était pas la conséquence directe des arrêtés illégaux ;
Considérant, en troisième lieu, qu'en estimant que le préjudice né de l'atteinte à l'image de la société n'était pas établi, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine des faits qui, en l'absence de dénaturation, n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le remboursement des frais exposés par la requérante et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA le versement à l'Etat de la somme de 3 500 euros au même titre ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA est rejeté.
Article 2 : La SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA versera à l'Etat une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE INTERTITAN EMPORIKI DIETHNIS SA et au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.