Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 26 mars et 10 avril 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE, représentée par son maire ; la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du 12 mars 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a, à la demande de la société SELARL Legitima, annulé la procédure de passation du marché de service de conseil et d'assistance juridique lancé par la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE ;
2°) statuant au titre de la procédure de référé engagée, de rejeter la demande de la SELARL Legitima ;
3°) de mettre la somme de 3 500 euros à la charge de la SELARL Legitima au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu la loi n° 71-1130 modifiée du 31 décembre 1971 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Agnès Fontana, chargée des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE, de la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des barreaux et de la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SCP Delaporte, Briard, Trichet,
- les conclusions de M. Nicolas Boulouis, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat de la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des barreaux et à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la SCP Delaporte, Briard, Trichet ;
Considérant qu'en vertu de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics (...) / Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l'Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. (...) / Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours (...) ; qu'en application de ces dispositions, il incombe au juge des référés pré-contractuel de rechercher si, eu égard à sa portée et au stade de la procédure auquel il se rapporte, le manquement allégué aux obligations de publicité et de mise en concurrence est susceptible de léser ou d'avoir lésé la société requérante, fût-ce d'une manière indirecte en favorisant une autre entreprise ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE a fait paraître, sur les sites internet Law in France et sur celui du Conseil national des barreaux, le 16 novembre 2007, et dans le bulletin officiel des annonces des marchés publics, le 19 novembre 2007, un avis d'appel public à candidatures en vue de conclure un marché d'achat de prestations de conseil et d'assistance juridiques ; que la SELARL Legitima a déposé une offre portant sur cinq des sept lots distingués par l'avis d'appel public à la concurrence ; que par courrier du 15 février 2008, elle a été informée du rejet de son offre ; que sur référé pré-contractuel introduit par cette société, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a annulé la procédure de passation ; que la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE se pourvoit en cassation contre cette ordonnance ; que le Conseil national des barreaux et la SCP Delaporte, Briard et Trichet ont présenté des mémoires en intervention ;
Sur les interventions :
Considérant en premier lieu que la SCP Delaporte, Briard et Trichet a été attributaire du lot n° 5 de ce marché ; qu'elle a ainsi intérêt à l'annulation de l'ordonnance en tant qu'elle annule la procédure de passation du marché s'agissant du lot n° 5 ; qu'il en résulte que son intervention doit être admise dans cette mesure ;
Considérant en second lieu qu'aux termes de l'article 21-1 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée, le Conseil national des barreaux unifie par voie de dispositions générales les règles et usages de la profession d'avocat ; que le conseil national des barreaux ne justifie pas d'un intérêt propre auquel la décision à intervenir serait susceptible de préjudicier ; qu'il en résulte qu'il n'y a pas lieu d'admettre son intervention ;
Sur le bien fondé de l'ordonnance :
Considérant en premier lieu que dans le cadre de la procédure adaptée, il est loisible au pouvoir adjudicateur d'examiner, au cours d'une phase unique, la recevabilité des candidatures et la valeur des offres ; qu'ainsi, la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE pouvait en tout état de cause retenir, pour choisir l'offre économiquement la plus avantageuse, le critère tiré de l'expérience du candidat dans les domaines objets des différents lots du marché ; qu'il en résulte qu'en annulant la procédure sur le premier motif tiré de ce que la commune aurait introduit, parmi les critères d'appréciation de la valeur des offres, des exigences relatives à la sélection des candidatures devant faire l'objet d'une phase distincte, le juge des référés précontractuels a commis une erreur de droit ;
Considérant en deuxième lieu qu'aux termes de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée : En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre son client et son avocat (...) et plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ; qu'il résulte de ces dispositions que si toutes les consultations, les correspondances et, plus généralement toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel, tel n'est pas le cas de l'existence même d'un marché de services juridiques conclu avec une personne publique ; qu'en effet, la conclusion d'un tel marché ne peut légalement être confidentielle sous réserve des cas de secrets protégés par la loi ; que dès lors, en demandant aux candidats de fournir des références de prestations similaires à celles demandées, c'est-à-dire d'indiquer, dans le cadre des règles déontologiques applicables à la profession d'avocat, les marchés de services juridiques similaires conclus par les intéressés, sous réserve que les références permettant d'identifier les personnes publiques concernées soient soumises à leur accord préalable et exprès, ainsi que le Conseil national des barreaux l'a prévu par sa décision du 28 avril 2007 relative au règlement intérieur national de la profession, la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE n'a pas méconnu, par les termes de son appel d'offres, les dispositions précitées ; qu'ainsi, en censurant la procédure pour ce second motif, le juge des référés a également commis une erreur de droit ;
Considérant qu'en refusant d'examiner si les manquements allégués aux obligations de publicité et de mise en concurrence du pouvoir adjudicateur, à les supposer établis, avaient lésé ou étaient susceptibles d'avoir lésé la requérante eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, le juge des référés a commis une autre erreur de droit ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler l'ordonnance attaquée ; que dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Sur la demande en référé :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la demande en référé ;
Considérant qu'aux termes de l'article 83 du code des marchés publics : Le pouvoir adjudicateur communique, dans un délai maximal de quinze jours à compter de la réception d'une demande écrite, à tout candidat écarté qui en fait la demande les motifs détaillés du rejet de sa candidature ou de son offre et, à tout candidat dont l'offre n'a pas été rejetée pour un motif autre que ceux mentionnés au III de l'article 53, les caractéristiques et les avantages relatifs de l'offre retenue ainsi que le nom du ou des attributaires du marché ou de l'accord-cadre. ; que ces dispositions ont notamment pour objet de permettre à la société évincée de contester le rejet qui lui est opposé ; qu'il en résulte qu'une méconnaissance de l'obligation de communication qui incombe au pouvoir adjudicateur constitue une atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible de léser cette société en l'empêchant de contester utilement le rejet de son offre ;
Considérant que la SELARL Legitima avait demandé à la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE, en application des dispositions susvisées, de lui communiquer les motifs détaillés du rejet de son offre ; que la commune n'a fourni à ce jour aucun élément de réponse ; que si la société a pu en tout état de cause introduire un référé pré-contractuel, elle n'a pu, dans le cadre de celui-ci, contester utilement l'appréciation portée sur la valeur technique de son offre ; qu'une telle méconnaissance, par la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE, de ses obligations en matière de publicité et de mise en concurrence est, dans les circonstances de l'espèce, susceptible de léser la SELARL Legitima ; qu'il en résulte qu'il y a lieu d'enjoindre, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE de se conformer à ses obligations en communiquant à la SELARL Legitima, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision, les motifs détaillés du rejet de son offre ainsi que, le cas échéant, les caractéristiques et avantages relatifs des offres retenues pour les lots 1, 2 et 5 à 7 du marché litigieux, et de suspendre la signature du marché pour les cinq lots concernés ; que cette suspension est prononcée jusqu'à expiration d'un délai de trois semaines à compter de la date à laquelle il aura été procédé à cette communication ;
Considérant qu'il y a lieu de renvoyer le jugement de l'affaire et des conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au juge des référés du tribunal administratif de Marseille ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de la SCP Delaporte, Briard et Trichet est admise en tant qu'elle porte sur le lot n° 5 du marché.
Article 2 : L'intervention du Conseil national des barreaux n'est pas admise.
Article 3 : L'ordonnance du 12 mars 2008 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 4 : Il est enjoint à la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE de communiquer à la SELARL Legitima, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision, les motifs détaillés du rejet de ses offres ainsi que, le cas échéant, les caractéristiques et avantages relatifs des offres retenues en application des dispositions de l'article 83 du code des marchés publics.
Article 5 : La signature du marché de prestations de conseil et d'assistance juridiques de la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE est suspendue jusqu'à l'expiration d'un délai de trois semaines à compter de la date à laquelle il sera procédé à la communication prévue à l'article 4.
Article 6 : L'affaire est renvoyée au juge des référés du tribunal administratif de Marseille.
Article 7 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE D'AIX EN PROVENCE, à la société d'exercice libéral à responsabilité limitée Legitima, à la société civile professionnelle Delaporte, Briard et Trichet et au Conseil national des barreaux.