Vu le pourvoi sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 25 juin, 25 septembre et 11 octobre 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER DE SENS, dont le siège est 1, avenue Pierre de Coubertin à Sens (89108) ; le CENTRE HOSPITALIER DE SENS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 24 avril 2007 par lequel la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 16 septembre 2003 du tribunal administratif de Dijon le condamnant à verser des indemnités aux consorts A et à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Yonne à la suite du décès du jeune Johan A ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à ses conclusions présentées devant la cour administrative d'appel de Lyon contre le jugement du tribunal administratif de Dijon du 16 septembre 2003 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Emmanuel Vernier, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE SENS, de la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat des consorts A et de Me Foussard, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne,
- les conclusions de M. Jean-Philippe Thiellay, Rapporteur public,
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Le Prado, avocat du CENTRE HOSPITALIER DE SENS, à la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat des consorts A et à Me Foussard, avocat de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le jeune Johan A, alors âgé de trois ans, a été hospitalisé le 11 septembre 1997 au service de pédiatrie du CENTRE HOSPITALIER DE SENS, à la suite de douleurs abdominales persistantes qui s'accompagnaient de fièvre et d'anomalies biologiques ; que son état s'étant apparemment amélioré, le jeune Johan a été autorisé à quitter l'hôpital le 13 septembre 1997 ; qu'à la suite de nouvelles douleurs apparues le 6 octobre 1997, il a été admis le 9 octobre 1997 aux urgences de l'hôpital Necker à Paris ; que les différents examens pratiqués ont mis en évidence l'existence d'une lésion tumorale occupant la totalité du foie gauche avec envahissement des voies biliaires, ainsi que la présence de cellules malignes dans la moelle osseuse et une rupture tumorale favorisant la diffusion de ces cellules malignes dans la cavité péritonéale ; que malgré de multiples traitements, ce rhabdomyosarcome hépatique a entraîné le décès du jeune Johan le 18 décembre 1999 ;
Sur les moyens critiquant l'arrêt en tant qu'il statue sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE SENS :
Considérant que la cour a relevé, en se fondant notamment sur le rapport du professeur Bernard, que, malgré des symptômes et des anomalies biologiques qui pouvaient permettre d'évoquer l'existence d'une tumeur abdominale maligne, non détectable à ce stade par voie de palpation abdominale ou même par examen radiographique, les praticiens du CENTRE HOSPITALIER DE SENS, renonçant à poser un diagnostic, ont autorisé le jeune Johan à quitter l'hôpital sans prescrire la réalisation de l'échographie abdominale, pourtant prévue initialement, qui aurait pu permettre de déceler précocement la tumeur et de la traiter plus efficacement, les risques d'évolution irréversible étant susceptibles de se réaliser très rapidement ; qu'en estimant au vu de ces constatations, qui ne sont entachées d'aucune dénaturation, que les médecins avaient commis une faute de nature à engager la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE SENS, la cour, dont l'arrêt est suffisamment motivé, n'a pas inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; qu'il suit de là que le CENTRE HOSPITALIER DE SENS n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 24 avril 2007 de la cour administrative d'appel de Lyon en tant qu'il statue sur sa responsabilité ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant que le moyen des consorts A tiré de ce que le CENTRE HOSPITALIER DE SENS ne pouvait être condamné à réparer qu'une fraction du dommage corporel est irrecevable comme étant nouveau en cassation, manque en fait ;
Considérant que, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel survenu, mais la perte d'une chance d'éviter ce dommage ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que la cour a estimé, au vu du rapport d'expertise, que la faute ayant consisté à ne pas pratiquer une échographie abdominale lors de l'hospitalisation avait fait perdre à l'enfant une chance limitée mais réelle de survie et de guérison ; qu'eu égard à cette appréciation, la cour ne pouvait, sans commettre une erreur de droit, mettre à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE SENS la réparation intégrale des conséquences de la dégradation de l'état de santé de l'enfant et de son décès ; qu'il suit de là, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que l'arrêt doit être annulé en tant qu'il évalue le préjudice imputable à la faute commise par le CENTRE HOSPITALIER DE SENS ;
Considérant qu'il y a lieu, par application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la faute commise par les médecins du CENTRE HOSPITALIER DE SENS, en retardant le diagnostic du rhabdomyosarcome hépatique, a fait perdre à l'enfant une chance de guérison et de survie et à ses proches une chance d'éviter le préjudice moral que son décès leur a causé ; qu'il sera fait une juste appréciation de l'ampleur de la chance perdue en condamnant l'établissement à réparer les conséquences de l'aggravation de l'état de santé de l'enfant et de son décès à hauteur de 30% ;
Sur la réparation due aux consorts A :
Considérant qu'il sera fait une juste évaluation du préjudice moral supporté par le père et la mère du jeune Johan du fait du décès de leur fils, par sa soeur mineure Solène, ainsi que par chacun de ses grands-parents, M. Claude A et Mme Sonia A, qui vivaient sous le même toit que le jeune Johan, en le fixant respectivement à 23 000, 18 000 et 6 000 euros ; qu'eu égard à l'ampleur de la perte de chance, le CENTRE HOSPITALIER DE SENS doit être condamné à leur verser, respectivement, les sommes de 6 900, 5 400 et 1 800 euros ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne :
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne justifie avoir supporté des frais d'hospitalisation relatifs à des soins médicaux en lien direct avec l'aggravation de l'état de santé de l'enfant, pour un montant de 180 118,98 euros ; qu'il résulte de ce qui a été dit que ces frais doivent, à hauteur de 30% de leur montant, être mis à la charge de l'établissement public, qui doit par suite être condamné à verser à la caisse primaire la somme de 54 035,69 euros ; qu'il y a lieu de faire droit aux conclusions de cette caisse, alors même que celle-ci les a présentées pour la première fois en appel, tendant au versement par le CENTRE HOSPITALIER DE SENS de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;
Sur les intérêts dus aux consorts A :
Considérant que les consorts A ont demandé le 23 octobre 2001 devant le tribunal administratif de Dijon les intérêts sur les sommes que le CENTRE HOSPITALIER DE SENS est condamné à leur verser ; que lorsqu'ils ont été demandés et, quelle que soit la date de cette demande, les intérêts moratoires dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la demande de paiement du principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine ; que, par suite, les consorts A, dont la première demande doit en l'espèce être regardée comme ayant été reçue par le CENTRE HOSPITALIER DE SENS le 9 octobre 2000, ont droit à compter de cette dernière date aux intérêts au taux légal sur les sommes correspondant aux indemnités versées ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts dus à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne :
Considérant en premier lieu que si la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne n'a, à aucun moment de la procédure, demandé que la condamnation prononcée à son profit porte intérêts, la demande de capitalisation des intérêts formée par elle le 29 mars 2007 devant la cour administrative d'appel de Lyon doit être regardée comme comportant nécessairement demande des intérêts de droit ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande et de fixer au 14 juin 2003, date d'enregistrement par le tribunal administratif de Dijon de la demande d'indemnité formée par caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne, le point de départ de ces intérêts ;
Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée par la caisse le 29 mars 2007 ; qu'à cette date les intérêts étant dus pour plus d'une année entière, il y a lieu d'ordonner leur capitalisation ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur les conclusions présentées devant le Conseil d'Etat tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CENTRE HOSPITALIER DE SENS, lequel n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne et les consorts A ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 24 avril 2007 est annulé en tant qu'il évalue le préjudice imputable à la faute commise par le CENTRE HOSPITALIER DE SENS.
Article 2 : Les sommes que le CENTRE HOSPITALIER DE SENS a été condamné à verser à M. Christophe A et Mme Nathalie A sont ramenées à 6 900 euros chacun, celle qu'il a été condamné à verser à Solène A à 5 400 euros et celles qu'il a été condamné à verser à M. Claude A et Mme Sonia A à 1 800 euros chacun. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 9 octobre 2000.
Article 3 : La somme que le CENTRE HOSPITALIER DE SENS a été condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne par le jugement du tribunal administratif de Dijon en date du 16 septembre 2003 est ramenée à 54 035,69 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2003. Les intérêts échus le 29 mars 2007 seront capitalisés à cette date pour produire eux-mêmes intérêts, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Le CENTRE HOSPITALIER DE SENS est en outre condamné à verser à la caisse primaire une somme de 955 euros au titre de l'indemnité forfaitaire prévue à l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Dijon en date du 16 septembre 2003 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne et les consorts A devant le Conseil d'Etat tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le surplus des conclusions du pourvoi du CENTRE HOSPITALIER DE SENS et des conclusions d'appel du CENTRE HOSPITALIER DE SENS sont rejetés.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au CENTRE HOSPITALIER DE SENS, à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Yonne, à M. Christophe A, à Mme Nathalie A, à M. Claude A, à Mme Sonia A et à la ministre de la santé et des sports.