Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 juin et 2 septembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SCI 40 SERVAN, dont le siège est 9, rue de l'Epoque à Gagny (93220), représentée par sa gérante ; la SCI 40 SERVAN demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 20 mars 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 17 novembre 2006 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 septembre 2005 par laquelle le maire de Paris a exercé le droit de préemption urbain sur un immeuble situé 40 rue de Servan à Paris (11ème) ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris le versement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Pascal Trouilly, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Balat, avocat de la SCI 40 SERVAN et de Me Foussard, avocat de la Ville de Paris,
- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Balat, avocat de la SCI 40 SERVAN et à Me Foussard, avocat de la Ville de Paris ;
Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe./ La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6./ Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux ; que, selon l'article R. 613-4 du même code : Le président de la formation de jugement peut rouvrir l'instruction par une décision qui n'est pas motivée et ne peut faire l'objet d'aucun recours. Cette décision est notifiée dans les mêmes formes que l'ordonnance de clôture./ La réouverture de l'instruction peut également résulter d'un jugement ou d'une mesure d'investigation ordonnant un supplément d'instruction (...) ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, alors que la date de clôture de l'instruction avait été fixée par ordonnance du président de la formation de jugement au 31 août 2007, un mémoire en défense a été produit par la Ville de Paris le 30 août 2007 et a été communiqué à la SCI 40 SERVAN par un courrier daté du même jour ; que la mention, contenue dans ce courrier, invitant la requérante à produire, le cas échéant, un mémoire en réplique dans les meilleurs délais , n'a pas eu pour effet de reporter la date de clôture de l'instruction ; que la requérante est, dès lors, fondée à soutenir que le caractère contradictoire de l'instruction a été méconnu et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur la légalité de la décision de préemption du 23 septembre 2005 :
Considérant, en premier lieu, que selon l'article R. 213-21 du code de l'urbanisme, le titulaire du droit de préemption doit recueillir l'avis du service des domaines sur le prix de l'immeuble dont il envisage de faire l'acquisition, dès lors que le prix ou l'estimation mentionné dans la déclaration d'intention d'aliéner excède un certain montant ; que cette consultation revêt un caractère substantiel ; qu'en l'espèce, l'avis de la direction spécialisée des impôts pour la région Ile-de-France, faisant office de service des domaines, a été communiqué à la Ville de Paris le 23 septembre 2005 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cet avis n'aurait pas été communiqué à l'auteur de la décision en litige avant qu'il la signe ; qu'au regard du contenu de l'avis, qui se bornait à énoncer que le dossier n'appelait pas d'observations particulières, la circonstance que la décision a été signée le même jour, peu de temps après la réception de l'avis, n'est pas de nature à établir que son auteur n'aurait pas pris connaissance de cet avis ni, par suite, à entacher la procédure d'irrégularité ;
Considérant, en deuxième lieu, que par une délibération du 25 mars 2001, le conseil de Paris a délégué à son maire le pouvoir d'exercer, au nom de la commune, les droits de préemption définis par le code de l'urbanisme et l'a autorisé à consentir, sur les matières déléguées, des délégations de signature aux adjoints sectoriels ; que par deux arrêtés des 18 et 23 avril 2001, l'adjoint au maire chargé du développement économique, des finances et de l'emploi a reçu du maire de Paris une délégation de signature en matière de décisions de préemption qui, contrairement à ce qui est soutenu, est suffisamment précise ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision de préemption litigieuse doit être écarté ;
Considérant, en troisième lieu, que la décision de préemption attaquée a été transmise au représentant de l'Etat au titre du contrôle de légalité le 23 septembre 2005, avant l'expiration du délai de deux mois à compter de la déclaration d'intention d'aliéner, conformément aux dispositions combinées des articles L. 213-2 du code de l'urbanisme et L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales ; qu'aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe général n'impose que cette transmission intervienne avant la notification de cette décision au vendeur et à l'acquéreur ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable en l'espèce : Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions et opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement ; qu'au nombre des actions ou opérations mentionnées à l'article L. 300-1 figurent celles qui ont pour objet de mettre en oeuvre une politique de l'habitat ; que, selon les deuxième et troisième alinéas de l'article L. 210-1 : Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...)/ Lorsque la commune a délibéré pour définir le cadre des actions qu'elle entend mettre en oeuvre pour mener à bien un programme local de l'habitat, la décision de préemption peut, sauf lorsqu'il s'agit d'un bien mentionné à l'article L. 211-4, se référer aux dispositions de cette délibération (...) ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle a adopté une délibération relative à la mise en oeuvre d'un programme local de l'habitat, une commune peut motiver sa décision de préemption soit par référence aux dispositions de cette délibération, soit en mentionnant la nature du projet pour lequel le droit de préemption est exercé ;
Considérant que par les délibérations des 20-21 octobre 2003 et 18-19 octobre 2004 relatives au programme local de l'habitat, le conseil de Paris a défini les orientations générales de ce programme, qui visent notamment, dans le onzième arrondissement, à développer et mieux répartir l'offre de logements sociaux et à conduire une politique du logement social qui favorise le relogement des populations en difficulté en garantissant les principes de la mixité sociale ; que la référence à cette délibération constitue ainsi, alors même qu'aucun projet relatif à l'immeuble en cause n'est mentionné, une motivation suffisante de la décision contestée ;
Considérant, enfin, que l'existence d'un projet d'aménagement est valablement établie par la référence au programme local de l'habitat, dont les mentions en matière de logements sociaux dans le 11ème arrondissement de Paris sont suffisantes ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SCI 40 SERVAN n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 17 novembre 2006, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de préemption du 23 septembre 2005 ; que ses conclusions à fins d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, en conséquence, qu'être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SCI 40 SERVAN le versement à la Ville de Paris de la somme de 3 000 euros au titre de ces mêmes dispositions ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 20 mars 2008 est annulé.
Article 2 : La requête de la SCI 40 SERVAN devant la cour administrative d'appel de Paris et le surplus des conclusions de son pourvoi sont rejetés.
Article 3 : La SCI 40 SERVAN versera à la Ville de Paris la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SCI SERVAN et à la Ville de Paris.