Vu la requête, enregistrée le 16 octobre 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour la S.A. ALTEN, dont le siège social est situé 40 avenue Mouzet à Boulogne-Billancourt (92100), représentée par ses représentants légaux en exercice domiciliés en cette qualité audit siège ; la S.A. ALTEN demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009 relatif à la procédure d'instruction des déclarations d'accidents du travail et maladies professionnelles ;
elle soutient, d'une part, que l'urgence est caractérisée ; qu'en effet, l'exécution du décret contesté porte une atteinte grave et immédiate à sa situation financière dès lors qu'elle tend à réduire les droits des employeurs, alors même que seuls ces derniers cotisent pour le régime d'assurance des accidents du travail et maladie professionnelles (ATMP), et qu'elle entraînera une désorganisation générale du système qui leur sera également préjudiciable ; que l'entrée en vigueur du décret, prévue au 1er janvier 2010, est susceptible de vicier de nombreuses décisions de prise en charge, provoquant pour les ayants droits une grande insécurité juridique et un déséquilibre financier du régime des accidents du travail et maladies professionnelles ; que d'autre part, il existe un doute sérieux sur la légalité du décret contesté ; que l'obligation faite à l'employeur de motiver les réserves faites à la réception de la déclaration d'accident ou de maladie professionnelle porte atteinte au caractère contradictoire de la procédure d'instruction et aux droits fondamentaux d'une des parties ; qu'en outre, il empiète sur le domaine de la loi tel que défini par l'article 34 de la Constitution, en fixant à deux mois le délai imparti aux entreprises pour contester une décision reconnaissant l'imputabilité d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle ; que la fixation de ce délai contrevient également aux stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle porte atteinte au droit à un recours effectif ; qu'en prévoyant la notification par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, le décret contesté fixe un élément de la procédure qui relève du domaine de la loi et méconnaît les principes législatifs régissant la dévolution de la charge de la preuve ;
Vu le décret dont la suspension de l'exécution est demandée ;
Vu la requête à fin d'annulation du même décret ;
Vu, enregistré le 10 novembre 2009, le nouveau mémoire présenté pour la S.A. ALTEN qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que le décret litigieux a pour effet de porter une atteinte grave au principe de l'indépendance des rapports entre, d'une part, les salariés et les caisses et, d'autre part, les caisses et les employeurs ;
Vu, enregistré le 12 novembre 2009, le mémoire en défense présenté par le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que l'intérêt à agir de la requérante n'est pas démontré dès lors que celle-ci, relevant d'un risque soumis à taux collectif, ne saurait être touchée de manière suffisante par le décret contesté ; que la condition d'urgence n'est pas satisfaite ; qu'en effet, la requête n'a été déposée que deux mois et demi après la parution du décret, qui n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2010 ; qu'il n'est pas démontré que le décret porte une atteinte suffisamment grave et immédiate à la société requérante au regard de ses conséquences financières ; que l'éventuelle annulation du décret n'emporterait pas de conséquences particulières sur les procédures en cours ; qu'il n'existe pas de doute sérieux quant à la légalité du décret ; qu'en effet la motivation des réserves ne porte en rien atteinte au principe du caractère contradictoire de la procédure, dès lors que ces réserves portent sur le caractère professionnel de l'accident et non pas sur le diagnostic médical ; que le moyen tiré de l'illégalité du délai de recours ne saurait être retenu dès lors que, premièrement, il correspond au délai de recours contentieux commun, deuxièmement, le nouveau dispositif permet de consulter le dossier prévu à l'article R. 441-13 du code de sécurité sociale préalablement à la décision de prise en charge, troisièmement, l'employeur pourra toujours contester la décision de la caisse après ce délai devant la cour nationale de l'incapacité et de la tarification de l'assurance des accidents du travail ; qu'enfin, la notification par tout moyen n'a pas pour effet de supprimer la nécessité pour une caisse de prouver que l'employeur a bien reçu la notification de la décision ;
Vu, enregistré le 16 novembre 2009, le mémoire en réplique présenté pour la S.A. ALTEN qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ; elle soutient en outre que son intérêt à agir à l'encontre du décret litigieux est certain dès lors que la modification de la procédure de contestation des décisions des caisses primaires lui fait grief et que cet intérêt est indépendant des répercussions du décret sur son taux de cotisation au régime ; que la condition d'urgence est bien satisfaite dès lors que le décret la contraindrait soit à contester systématiquement les décisions qui lui seraient notifiées par les caisses soit à renoncer, faute d'éléments suffisants, à élever une contestation ; que les justifications du ministre relatives à l'obligation de motivation ne concernent que les accidents du travail et non les maladies professionnelles ; que le mémoire du ministre tend à substituer la contestation du taux de cotisation ou du taux d'incapacité permanente partielle à la contestation de la prise en charge elle-même ; que, selon l'article 1316-1 du code civil, l'écrit électronique est admis en preuve, sous conditions, quant à son contenu et non quant à sa réception ;
Vu, enregistré le 16 novembre 2009, le nouveau mémoire en défense présenté par le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville qui reprend les conclusions de son précédent mémoire et les mêmes moyens ; il soutient en outre que le principe d'indépendance ne peut être utilement invoqué dès lors que le décret litigieux n'a ni pour objet, ni pour effet de le remettre en cause; que la décision issue du recours exercé par l'employeur n'a aucun effet sur la décision de reconnaissance prise à l'égard de l'assuré dès lors que la décision initiale lui reste acquise en vertu de ce principe d'indépendance ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la S.A. ALTEN, d'autre part, le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 17 novembre 2009 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Blancpain, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la S.A. ALTEN ;
- les représentants de la S.A. ALTEN ;
- le représentant du ministre du travail des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de procédure civile ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant que l'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ; que l'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire ;
Considérant que la S.A. ALTEN demande la suspension de l'exécution du décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009 relatif à la procédure d'instruction des déclarations d'accidents du travail et maladies professionnelles ; que ce décret prévoit, d'une part, que les réserves que l'employeur peut formuler lorsque lui est notifiée une déclaration d'accident ou de maladie doivent être motivées, et que c'est à cette condition qu'est ouvert de plein droit un examen contradictoire de la demande de reconnaissance de l'accident comme accident du travail ou de la maladie comme maladie professionnelle, d'autre part, que l'employeur se voit notifier la décision de reconnaissance et dispose d'un délai de deux mois pour la contester, alors que la réglementation antérieure à ce décret ne prévoyait qu'une information de l'employeur, qui disposait dès lors d'un délai de recours en pratique de l'ordre de trois années, enfin, que la décision de la caisse est communiquée par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, et non plus uniquement sous pli recommandé avec demande d'avis de réception ;
Considérant que pour établir l'existence d'une situation d'urgence, la S.A. ALTEN soutient que l'exécution du décret porterait une atteinte grave et immédiate à sa situation financière dès lors que la réduction des droits des employeurs, par le double effet de l'obligation de motiver leurs éventuelles réserves et du raccourcissement considérable du délai de recours, aura pour effet de peser sur le niveau de leurs cotisations au régime des accidents du travail et maladies professionnelles, que cette exécution entraînerait une désorganisation générale du système qui leur sera également préjudiciable, que le décret les contraindra soit à contester systématiquement les décisions des caisses, soit à renoncer à faire valoir leurs droits, et que l'entrée en vigueur du décret, prévue au 1er janvier 2010, est susceptible de vicier de nombreuses décisions de prise en charge, provoquant pour les ayants droits une grande insécurité juridique ainsi qu'un déséquilibre financier du régime des accidents du travail et maladies professionnelles;
Considérant, toutefois, que la S.A. ALTEN n'apporte aucun élément au soutien de l'affirmation selon laquelle la modification par le décret contesté des règles régissant la procédure de reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles aurait un impact négatif sur les comptes du régime, et, par suite, sur le niveau des cotisations des employeurs ; qu'il n'apparaît pas que ces nouvelles règles de procédure entraîneront la désorganisation alléguée ; qu'enfin ni l'éventualité que des entreprises contestent en plus grand nombre les décisions des caisses, ni l'éventuelle annulation du décret ne remettraient en cause les droits reconnus aux salariés, dès lors que le décret est sans effet sur le caractère intangible, pour le salarié, de la reconnaissance de l'accident ou de la maladie ; qu'ainsi, aucune des circonstances alléguées par la société requérante n'est de nature à caractériser une situation d'urgence ;
Considérant qu'il résulte de ce qu'il précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée par le ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville, que les conclusions aux fins de suspension présentées par la S.A. ALTEN doivent être rejetées ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête présentée par la S.A. ALTEN est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la S.A. ALTEN et au ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.