Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 novembre et 29 décembre 2008 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Elisabeth A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance du 29 octobre 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, faisant droit à la demande présentée par la ville de Paris sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, lui a enjoint ainsi qu'à tous occupants de son chef d'évacuer sans délai le logement qu'elle occupe sans droit ni titre au ..., et a autorisé, le cas échéant, la ville de Paris à reprendre immédiatement possession dudit logement à ses frais, risques et périls ;
2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, de rejeter la demande présentée par la ville de Paris devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 3 000 euros à verser à Me Thomas Haas, son avocat, au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Agnoux, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,
- les observations de Me Haas, avocat de Mme A et de Me Foussard, avocat de la ville de Paris ;
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à Me Haas, avocat de Mme A et à Me Foussard, avocat de la ville de Paris ;
Considérant que, par un arrêté en date du 25 octobre 1994, la ville de Paris a autorisé Mme A, alors chargée des fonctions d'agent de la surveillance spécialisée des musées avant sa titularisation dans ce corps le 21 décembre 2000, à occuper à titre gratuit, par nécessité absolue de service, le logement de fonction situé au ... pour exercer les fonctions de gardienne du musée Bourdelle ; que, par une délibération publiée le 16 décembre 2002, le conseil de Paris a autorisé le maire de Paris à accepter, aux charges et conditions imposées, le legs universel consenti par Mme B qui a rendu la ville de Paris propriétaire du musée ; que, par codicille authentique en date du 21 septembre 1995, Mme B avait indiqué qu'elle souhaitait que Mme A reste concierge du musée ; qu'après avoir engagé une restructuration des fonctions de surveillance du musée Bourdelle, désormais placées sous la responsabilité d'un poste de sécurité du musée, la ville de Paris a affecté Mme A au musée de la maison de Victor Hugo, d'abord par une décision du 1er septembre 2006, puis, après que cette décision a été rapportée, par un arrêté du 5 janvier 2007, et a mis fin à l'autorisation d'occuper le logement de fonction du musée Bourdelle par un arrêté du 29 janvier 2007 ; que Mme A se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 29 octobre 2008 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris, faisant droit à la demande de la ville de Paris, lui a ordonné, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, de libérer sans délai le logement de fonction ;
Sur les conclusions à fin de non-lieu à statuer présentées par la ville de Paris :
Considérant que la circonstance qu'en exécution de l'injonction prononcée à son encontre par une ordonnance rendue sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'occupant de locaux les ait évacués ne rend pas sans objet ses conclusions dirigées contre cette ordonnance ; que, par suite, les conclusions à fin de non-lieu présentées par la ville de Paris, au motif que Mme A a quitté, le 20 février 2009, le logement de fonction qui lui avait été attribué, doivent être rejetées ;
Sur les conclusions de Mme A :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune mesure administrative ; que lorsque le juge des référés est saisi, sur le fondement de ces dispositions, d'une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il lui appartient de rechercher si, au jour où il statue, cette demande présente un caractère d'urgence et ne se heurte à aucune contestation sérieuse ; que, s'agissant de cette dernière condition, dans le cas où la demande d'expulsion fait suite à la décision du gestionnaire du domaine de retirer ou de refuser de renouveler le titre dont bénéficiait l'occupant et où, alors que cette décision exécutoire n'est pas devenue définitive, l'occupant en conteste devant lui la validité, le juge des référés doit rechercher si, compte tenu tant de la nature que du bien fondé des moyens ainsi soulevés à l'encontre de cette décision, la demande d'expulsion doit être regardée comme se heurtant à une contestation sérieuse ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 1311-17 du code général des collectivités territoriales : La révision des conditions et charges grevant les donations ou legs consentis au profit des collectivités territoriales, de leurs groupements et de leurs établissements publics est régie par les articles 900-2 à 900-8 du code civil (...); qu'aux termes de l'article 900-2 du code civil : Tout gratifié peut demander que soient révisées en justice les conditions et charges grevant les donations ou legs qu'il a reçus, lorsque, par suite d'un changement de circonstances, l'exécution en est devenue pour lui soit extrêmement difficile, soit sérieusement dommageable et qu'aux termes de l'article 900-4 du même code : Le juge saisi de la demande en révision peut, selon les cas et même d'office, soit réduire en quantité ou périodicité les prestations grevant la libéralité, soit en modifier l'objet en s'inspirant de l'intention du disposant, soit même les regrouper, avec des prestations analogues résultant d'autres libéralités (...) ; qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que la modification des charges et conditions grevant un bien légué à une commune ou l'aliénation de ce bien ne peut avoir lieu que par décision de justice, dans les conditions et selon la procédure définies par les articles 900-2 à 900-8 du code civil ;
Considérant que, devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris, Mme A a soutenu que la demande d'expulsion présentée par la ville de Paris se heurtait à une contestation sérieuse ; qu'à cette fin, elle s'est prévalue notamment du moyen qu'elle avait invoqué à l'appui de ses recours en excès de pouvoir formés contre les décisions de la ville de Paris mettant fin à ses fonctions de gardienne du musée Bourdelle et à la concession d'occupation de la loge et tiré de l'existence de dispositions testamentaires prises par Mme B en sa faveur ; qu'en se bornant à se référer aux règles qui régissent le statut des fonctionnaires pour faire droit à la demande d'expulsion dont il était saisi, alors qu'il lui appartenait de rechercher si, compte tenu du moyen invoqué par Mme A, la ville de Paris avait, avant de prendre ces décisions, mis en oeuvre ou non la procédure définie aux articles 900-2 à 900-8 du code civil, le juge des référés du tribunal administratif a commis une erreur de droit ; que Mme A est, par suite, fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par Mme A ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté que Mme A a quitté, le 20 février 2009, le logement de fonction qu'elle occupait au musée Bourdelle ; que, par suite, la demande de la ville de Paris tendant à ce que soit ordonnée son expulsion de ce logement est devenue sans objet ; que, dès lors, il n'y a plus lieu d'y statuer ;
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que Mme A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de ces articles ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Haas, avocat de Mme A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de la ville de Paris le versement à Me Haas de la somme de 3 000 euros ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris en date du 29 octobre 2008 est annulée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par la ville de Paris devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris.
Article 3 : La ville de Paris versera à Me Haas, avocat de Mme A, la somme de 3 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Haas renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Elisabeth A et à la ville de Paris.