Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 11 décembre 2009, présentée par Mme Léone A, demeurant ... ; Mme A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours dirigé contre la décision du 7 août 2008 de l'ambassadeur de France en Haïti, refusant un visa de long séjour à ses deux enfants, Synthia et Daphnée B, en qualité de membres de famille d'un réfugié statutaire ;
2°) d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer la demande de délivrance de visa des enfants Daphnée et Synthia B (alias A), et ce dans un délai de 20 jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que la requête est recevable dès lors que la notification de la décision de l'ambassadeur de France en Haïti est irrégulière puisqu'adressée à une adresse incomplète ; que l'urgence est caractérisée dès lors qu'elle est séparée de ses enfants depuis 2002 ; qu'il existe un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée qui est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; qu'en effet, les actes de naissance de Synthia et Daphnée B établissent leur filiation ; que l'administration ne prouve pas que ces documents ne sont pas authentiques ; qu'au surplus, la filiation est prouvée pour les enfants par la possession d'état ; qu'enfin, la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantissant le droit à une vie familiale normale, ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Vu la décision dont la suspension est demandée ;
Vu la copie du recours présenté le 31 juillet 2009 et la copie du recours complémentaire présenté le 11 août 2009 par Mme A à la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
Vu la copie de la requête en annulation présentée par Mme A ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 janvier 2010, présenté par le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient que l'urgence ne serait caractérisée que si la filiation entre la requérante et ses filles était établie , ce qui n'est pas le cas ; qu'il n'existe pas de doute sérieux sur la légalité de la décision contestée ; qu'en effet, l'administration a procédé à l'authentification des actes de naissance auprès des archives haïtiennes ; qu'il est apparu que le sceau, la signature et les références des actes étaient faux ; qu'ainsi, aucune erreur manifeste d'appréciation n'a été commise ; que, la filiation entre la requérante et ses filles n'étant pas établie, la décision contestée ne méconnaît ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part Mme A, et d'autre part, le ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire ;
Vu le procès-verbal de l'audience du 28 janvier 2010 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Roger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A ;
- Mme A ;
- Le représentant du ministre de l'immigration, de l'identité nationale, de l'intégration et du développement solidaire ;
Considérant que si la requête fait état de conclusions aux fins d'annulation des décisions contestées, il ressort de son intitulé et de la mention de l'article L.521-1 du code de justice administrative qu'elle tend à ce que soit ordonnée la suspension desdites décisions ;
Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant que Mme A, ressortissante haïtienne née en 1970, est entrée en France en 2002 et a obtenu le statut de réfugié à la suite d'une décision de la commission des recours des réfugiés du 10 octobre 2003 ; qu'elle conteste le refus de visa opposé à sa demande tendant à faire venir en France ses deux filles ;
Considérant que le refus opposé par l'administration se fonde sur le caractère apocryphe des actes produits à l'appui des demandes ; que, cependant, il ressort des explications fournies en séance par Mme A qu'ayant dû quitter précipitamment Haïti, elle n'avait pas en sa possession les documents d'état-civil de ses enfants et que les documents produits à l'appui des demandes de visa l'ont été par une tierce personne ; qu'au cours de l'instruction, elle a produit de nouveaux actes de naissance délivrés en juin 2009 dont la signature a été légalisée ; que si la situation actuelle en Haïti ne permet pas de procéder à des recherches sur l'authenticité de ces documents, cette circonstance ne peut suffire à les écarter ; que, par ailleurs, Mme A avait mentionné en novembre 2003 l'existence de ses deux filles dans le dossier devant l'OFPRA, et qu'elle a justifié de versements réguliers d'argent à l'intention de ses enfants ; que, dans ces conditions, il résulte de l'ensemble des éléments de la procédure un doute sérieux, en l'état de l'instruction, quant au bien-fondé du motif tiré de l'incertitude du lien de filiation entre la requérante et ses deux filles ;
Considérant que la séparation entre Mme A et ses deux filles est, dans les circonstances de l'espèce, constitutive d'une situation d'urgence que les tragiques événements survenus en Haïti aggravent de manière considérable ;
Considérant que de tout ce qui précède il résulte que Mme A est fondée à demander la suspension de l'exécution de la décision contestée ; qu'il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer la demande de Mme A, au regard des motifs de la présente ordonnance, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de celle-ci ; qu'il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A de la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;
O R D O N N E :
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Article 1er : L'exécution de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de Mme A est suspendue.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire de réexaminer au regard des motifs de la présente ordonnance, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de celle-ci, la demande de visa présentée par Mme A.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A la somme de 1 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Léone A et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.