Vu la requête, enregistrée le 31 août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par Mme Larissa A, demeurant ... ; Mme A demande au juge des référés du Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1103208 du 18 août 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant, en premier lieu, à ce qu'il soit ordonné la suspension de l'exécution de l'arrêté du 22 juillet 2011 du préfet des Alpes-Maritimes décidant sa remise aux autorités suédoises et refusant son admission au séjour, en deuxième lieu, à ce qu'il soit enjoint à ce même préfet, dans un délai de trois jours et sous astreinte de 150 euros par jour de retard, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ainsi que les documents nécessaires pour solliciter la qualité de réfugié auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et, enfin, à défaut, à ce qu'il soit enjoint au préfet de réexaminer sa demande d'admission au séjour au titre de l'asile, dans un délai de trois jours, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance ;
3°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que la condition d'urgence est remplie dès lors que la décision de remise aux autorités suédoises est susceptible d'être exécutée d'office ; que l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ; que le juge des référés de première instance, en refusant de répondre au moyen tiré de ce qu'elle n'a pas pu solliciter l'asile en Suède le 18 février 2008 alors qu'elle se trouvait en Russie dès le 6 février 2008, comme l'atteste la date de délivrance de son passeport, a entaché son ordonnance d'erreur de fait ; que l'arrêté contesté méconnaît les dispositions des articles 4 § 5 et 16 § 3du règlement (CE) n° 343/2003 du 18 février 2003 dès lors qu'elle est retournée vivre dans son pays d'origine pendant plus de trois mois ; que le juge des référés de première instance a commis une erreur de droit en considérant que la circonstance que les autorités suédoises aient accepté sa réadmission tendait à confirmer la validité de sa demande d'asile en Suède ; qu'il a entaché son ordonnance d'erreur manifeste d'appréciation en considérant qu'elle n'établissait pas son éloignement du pays dans lequel elle avait formulé une demande d'asile ; que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant d'appliquer à son cas les articles 3 § 2 et 15 du règlement précité et en ne tenant pas compte de son droit à la vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en considérant que ce dernier moyen était inopérant, le juge des référés de première instance a lui-même entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une erreur de droit ;
Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 5 septembre 2011, présenté par Mme A, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens et qui produit de nouvelles pièces ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 septembre 2011, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, qui conclut au rejet de la requête ; il soutient qu'il ressort du fichier EURODAC que Mme A a déposé une demande d'asile en Suède le 18 février 2008 ; qu'elle n'établit pas avoir séjourné pendant plus de trois mois hors du territoire des États membres de l'Union européenne dès lors que les documents qu'elle produit sont dépourvus de force probante ; que Mme A ne justifiant pas de l'intensité de ses liens familiaux avec ses parents et son frère qui résideraient en France, le refus des autorités françaises de faire usage de leur faculté d'examiner la demande d'asile de l'intéressée en application des articles 3 § 2 et 15 du règlement n° 343/2003 ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 et le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, pris pour son application ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme A et, d'autre part, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;
Vu le procès-verbal de l'audience du 5 septembre 2011 à 16 heures, au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Boré, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme A ;
- les représentants du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ;
Considérant que le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié ; que, s'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le 1° de cet article permet de refuser l'admission en France d'un demandeur d'asile lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat en application des dispositions du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 ;
Considérant que le règlement du 18 février 2003 pose en principe dans le paragraphe 1 de son article 3 qu'une demande d'asile est examinée par un seul État membre ; que cet État est déterminé par application des critères fixés par son chapitre III, dans l'ordre énoncé par ce chapitre ; que l'application de ces critères est écartée en cas de mise en oeuvre, soit de la clause dérogatoire énoncée au paragraphe 2 de l'article 3 du règlement, qui procède d'une décision prise unilatéralement par un État membre, soit de la clause humanitaire définie par l'article 15 du règlement ; que le paragraphe 1 de cet article prévoit qu'un État membre peut, même s'il n'est pas responsable en application des critères fixés par le règlement, rapprocher des membres d'une même famille ainsi que d'autres parents à charge pour des raisons humanitaires fondées notamment sur des motifs familiaux ou culturels ; qu'il est indiqué que dans ce cas, cet État membre examine, à la demande d'un autre État membre, la demande d'asile de la personne concernée. Les personnes concernées doivent y consentir ;
Considérant qu'aux termes de l'article 4 § 5 du même règlement : L'État membre auprès duquel la demande d'asile a été introduite est tenu, dans les conditions prévues à l'article 20, et en vue d'achever le processus de détermination de l'État membre responsable de l'examen de la demande, de reprendre en charge le demandeur d'asile qui se trouve dans un autre État membre et y a formulé à nouveau une demande d'asile après avoir retiré sa demande pendant le processus de détermination de l'État responsable. / Cette obligation cesse si le demandeur d'asile a quitté entre-temps le territoire des États membres pendant une période d'au moins trois mois ou a été mis en possession d'un titre de séjour par un État membre. ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A, de nationalité russe, a sollicité l'asile le 15 juin 2011 auprès des services de la préfecture des Alpes-Maritimes ; qu'une consultation du fichier EURODAC ayant révélé que l'intéressée avait demandé l'asile en Suède, le préfet des Alpes-Maritimes a sollicité, le 11 juillet 2011, sa reprise en charge par les autorités suédoises ; qu'après acceptation par ces autorités de la reprise en charge de l'intéressée, le 14 juillet 2011, le préfet a décidé, par arrêté du 22 juillet 2011, sa réadmission vers la Suède ; que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a refusé de faire droit à sa demande tendant notamment à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 22 juillet 2011 du préfet des Alpes-Maritimes décidant sa remise aux autorités suédoises et refusant son admission au séjour ; que Mme A fait appel de cette ordonnance ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de la fiche décadactylaire EURODAC que Mme A a demandé l'asile en Suède et que ses empreintes ont été saisies le 18 février 2008 ; que la production par l'intéressée d'une photocopie de son passeport russe qui aurait été délivré le 6 février 2008 ne suffit pas à écarter les mentions du document EURODAC ; qu'en écartant comme non probants les documents produits par Mme A, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a répondu au moyen dont il était saisi ;
Considérant, en deuxième lieu, que si Mme A soutient qu'elle a séjourné en Russie plus de trois mois entre 2008 et 2011, de sorte que la Suède ne serait plus compétente, en application de l'article 4 § 5 du règlement du 18 février 2003, la photocopie de son passeport russe, dont la date n'est pas cohérente aves les mentions du fichier EURODAC, la photocopie de son permis de conduire russe et les diverses attestations produites par l'intéressée ne permettent pas d'établir, compte tenu notamment des incertitudes concernant ses déplacements, que la décision contestée serait entachée d'une illégalité manifeste ;
Considérant, en troisième lieu, que même si le cas du demandeur d'asile ne relève pas des articles 7 ou 8 du règlement (CE) n° 343/2003, les liens familiaux existant entre lui et les personnes ayant présenté une demande d'asile en France peuvent justifier que soit appliquée par les autorités françaises la clause dérogatoire de l'article 3, paragraphe 2 ou la clause humanitaire définie à l'article 15 ; qu'en effet, pour l'application de cet article, la notion de membres d'une même famille ne doit pas nécessairement être entendue dans le sens restrictif fixé par le i) de l'article 2 du règlement ; qu'en outre, la mise en oeuvre par les autorités françaises tant de l'article 3, paragraphe 2 que de l'article 15 doit être assurée à la lumière des exigences définies par le second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, aux termes duquel : les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ;
Considérant que si Mme A fait valoir que son père et sa mère, ainsi que son jeune frère, résident en France après y avoir obtenu la reconnaissance de la qualité de réfugié, il résulte de l'instruction que l'intéressée, qui se dit née le 11 mars 1980, est selon les pièces du dossier mariée ou en relation de concubinage avec un compatriote qui ne réside pas en France ; que même s'il est indiqué qu'une séparation serait intervenue, la décision contestée ne peut être regardée comme entachée d'une illégalité manifeste au regard du droit d'asile ou du droit à mener une vie personnelle et familiale normale tel qu'il est garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;
Considérant, enfin, que l'aide juridictionnelle devant le Conseil d'Etat ne peut être demandée et, le cas échéant, obtenue que pour recourir à l'assistance d'un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ; que, dans ces conditions, il n'y a pas lieu d'admettre provisoirement la demande d'aide juridictionnelle désignant Maître Caminiti ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par Mme A et non compris dans les dépens ;
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme Larissa A et au ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.