Vu, 1° sous le n° 350153, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 et 30 juin 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE, représenté par le président du conseil général, qui demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1102555 du 31 mai 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, a annulé, à la demande de la société Can, la procédure de passation d'un marché public lancée par le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE pour la réalisation de travaux de protection contre les chutes de blocs de pierre sur une route traversant la commune de Val de Fier ;
2°) statuant en référé, de rejeter la demande de la société Can ;
3°) de mettre à la charge de la société Can la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2° sous le n° 350992, le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 18 juillet et 1er août 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE GTS, dont le siège est 29, rue des Tâches à Saint-Priest (69800), représentée par son président ; la SOCIETE GTS demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 1103117 du 29 juin 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à ce qu'il déclare non avenue son ordonnance n° 1102555 et rejette la demande de la société Can ;
2°) statuant en référé, de faire droit à ses demandes présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ;
3°) de mettre à la charge de la société Can la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
....................................................................................
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 septembre 2011, présentée pour la SOCIETE GTS ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le décret n° 92-647 du 8 juillet 1992 ;
Vu l'arrêté du 30 juin 1998 portant application à certaines protections en kit contre les éboulements du décret n° 92-647 du 8 juillet 1992 concernant l'aptitude à l'usage des produits de construction ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Nicolas Polge, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat du DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE, de la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la société Can et de la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la SOCIETE GTS,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Gatineau, Fattaccini, avocat du DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE, à la SCP Baraduc, Duhamel, avocat de la société Can et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la SOCIETE GTS ;
Considérant que le pourvoi de la SOCIETE GTS est dirigé contre l'ordonnance du 29 juin 2011 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à ce qu'il déclare non avenue l'ordonnance du 31 mai 2011 contre laquelle est dirigée le pourvoi du DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE ; qu'il y a lieu de joindre ces pourvois pour statuer par une seule décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué (...) " ;
Sur le pourvoi de la SOCIETE GTS dirigé contre l'ordonnance du 29 juin 2011 :
Considérant, en premier lieu, que si les dispositions de l'article R. 522-11 du code de justice administrative ne s'appliquent pas aux ordonnances du juge du référé précontractuel, l'article R. 742-2 du même code, dont les dispositions leur sont applicables, dispose : " Les ordonnances mentionnent (...) les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elles font application " ; que dès lors que l'ordonnance attaquée vise le code de justice administrative, la SOCIETE GTS n'est pas fondée à soutenir qu'en ne mentionnant pas les articles L. 551-1, L. 551-3 et L. 551-10 de ce code, dont il a fait application pour rejeter sa demande, dirigée par la voie de la tierce opposition contre sa précédente ordonnance ayant annulé la procédure de passation du marché litigieux, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble aurait entaché son ordonnance d'un vice de forme ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du III de l'article 53 du code des marchés publics : " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées (...) " ; qu'aux termes du 1° du I de l'article 35 : " (...) Une offre est inacceptable si les conditions qui sont prévues pour son exécution méconnaissent la législation en vigueur (...) " ; qu'il ressort des termes de l'ordonnance attaquée que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a estimé que le marché de travaux de protection contre les chutes de blocs de pierre sur les secteurs 9 et 10 de la route départementale 14, sur le territoire de la commune de Val-de-Fier, pour la passation duquel le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE a lancé un appel d'offres ouvert, incluait la fourniture des écrans de protection répondant aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières ; que, dès lors, en estimant que la méconnaissance, par l'offre retenue, de la réglementation applicable à ces produits de construction pouvait utilement être invoquée pour contester les modalités de passation de ce marché, il n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 30 juin 2008 portant application à certaines protections en kit contre les éboulements du décret n° 92-647 du 8 juillet 1992 concernant l'aptitude à l'usage des produits de construction : " Les dispositions du décret du 8 juillet 1992 susvisé sont applicables aux protections en kit contre les éboulements définies par le guide d'agrément technique européen ETAG 027 et faisant l'objet d'un agrément technique européen. " ; qu'aux termes de l'article 3 du même arrêté : " Par dérogation aux dispositions de l'article 1er ci-dessus et à titre transitoire, les produits visés par le présent arrêté qui ne satisfont pas aux dispositions du décret du 8 juillet 1992 susvisé peuvent être mis pour la première fois sur le marché jusqu'au 1er février 2010. / Les produits mis pour la première fois sur le marché avant la fin de la période transitoire définie à l'alinéa précédent et qui ne satisfont pas aux dispositions dudit décret pourront être commercialisés jusqu'au 31 décembre 2014. " ; qu'il ressort du guide d'agrément technique européen ETAG 027, auquel renvoie l'arrêté du 30 juin 2008, que les freins ou dispositifs de dissipation d'énergie entrant dans la composition d'un kit de protection contre les chutes de blocs constituent l'un des principaux éléments d'identification du kit ; que le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble n'a donc pas commis d'erreur de droit, ni, en tout état de cause, dénaturé les faits, en jugeant que l'exception prévue à l'article 3 de l'arrêté du 30 juin 2008 ne pouvait s'appliquer aux kits de protection dont le dispositif de freinage ou de dissipation d'énergie n'aurait pas lui-même été mis sur le marché au plus tard le 1er février 2010 ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'en se fondant sur l'absence de commercialisation effective avant le 1er février 2010 des dissipateurs d'énergie inclus dans les kits de protection de la SOCIETE GTS pour en déduire l'absence de mise sur le marché de ces dispositifs avant la même date, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant, en cinquième lieu, que l'appréciation du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble selon laquelle les produits de la SOCIETE GTS n'ont pas été mis sur le marché avant le 1er février 2010, dès lors qu'elle n'est pas entachée de dénaturation, n'est pas susceptible d'être contestée en cassation ;
Considérant, enfin, qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que la société Can, pour demander l'annulation de la procédure de passation de marché litigieuse, faisait valoir que son offre ayant été classée deuxième, elle était susceptible d'avoir été lésée par le manquement consistant à retenir une offre qui aurait dû être éliminée du fait de la méconnaissance, par cette offre, de la réglementation en vigueur, sans que la conformité à cette réglementation de sa propre offre soit elle-même contestée devant le juge des référés par le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE ou la SOCIETE GTS ; que le juge des référés n'a par suite pas entaché son ordonnance d'une insuffisance de motivation en ne relevant pas expressément que l'offre de la société Can était elle-même conforme à la réglementation, ni commis d'erreur de qualification juridique en se limitant à relever que cette offre avait été classée deuxième pour en déduire que la société Can était susceptible d'avoir été lésée par le manquement consistant à retenir une offre qui aurait dû être éliminée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE GTS n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance du 29 juin 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble ;
Sur le pourvoi du DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE dirigé contre l'ordonnance du 31 mai 2011 :
Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que, conformément aux dispositions de l'article R. 742-5 du code de justice administrative, et contrairement à ce que soutient le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE, la minute de l'ordonnance attaquée comporte la signature du magistrat qui l'a rendue ;
Considérant, en deuxième lieu, que la seule circonstance que l'entreprise à laquelle avait été attribué le marché dont la procédure de passation était contestée n'a pas été appelée à l'instance engagée devant le juge des référés sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative n'affecte pas le respect du caractère contradictoire de la procédure à l'égard de l'autre partie en défense à l'instance et ne saurait, dès lors, être utilement invoquée par celle-ci ;
Considérant, en troisième lieu, qu'ainsi qu'il a été dit, en estimant que la méconnaissance, par l'offre retenue, de la réglementation applicable aux kits de protection contre les chutes de blocs de pierre pouvait utilement être invoquée pour contester les modalités de passation du marché, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble n'a pas commis d'erreur de droit ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des termes mêmes de l'ordonnance attaquée que, contrairement à ce que soutient le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble n'a pas omis de rechercher l'incidence de la méconnaissance de cette réglementation sur la concurrence entre les candidats ;
Considérant, toutefois, que pour annuler la procédure de passation du marché, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a relevé que le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE avait manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant une offre ne respectant pas la réglementation générale ; que compte tenu du manquement ainsi relevé, qui se rapportait à la seule phase de sélection des offres par le pouvoir adjudicateur, il appartenait au juge des référés de n'annuler la procédure qu'à compter de l'examen de ces offres ; que, par suite, le juge des référés a commis une erreur de droit en annulant l'ensemble de cette procédure ; que, par conséquent, le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 31 mai 2011 en tant qu'elle a annulé la procédure à un stade antérieur à la phase de sélection des offres ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, dans la mesure de l'annulation ainsi prononcée, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;
Considérant que, contrairement à ce que soutient la société Can, il ne résulte pas de la circonstance que le cahier des clauses techniques particulières soumis à la consultation n'exigeait pas expressément le respect des dispositions du décret du 8 juillet 1992 concernant l'aptitude à l'usage des produits de construction et de l'arrêté du 30 juin 2008 pris pour son application à certaines protections en kit contre les éboulements que ce document méconnaissait les prescriptions réglementaires applicables au marché ; que la société Can n'invoque pas d'autre manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence qui se rapporterait à la phase de la procédure antérieure à la sélection des offres ; que sa demande, en tant qu'elle porte sur cette phase, doit donc être rejetée ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Can, qui n'est pas, à l'égard de la SOCIETE GTS, la partie perdante dans la présente instance, la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SOCIETE GTS le versement d'une somme de 3 000 euros à la société Can sur le fondement des mêmes dispositions, ainsi que de mettre à la charge du DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE le versement de la même somme à la société Can ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Can la somme demandée par le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du 31 mai 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est annulée en tant qu'elle a annulé la procédure de passation du marché pour la réalisation de travaux de protection contre les chutes de blocs de pierre sur le territoire de la commune de Val de Fier à un stade antérieur à la phase de sélection des offres.
Article 2 : La demande de la société Can devant le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble en tant qu'elle se rapporte à la phase de la procédure antérieure à la sélection des offres est rejetée.
Article 3 : Le pourvoi de la SOCIETE GTS est rejeté.
Article 4 : La SOCIETE GTS et le DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE verseront chacun la somme de 3 000 euros à la société Can au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions du DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée au DEPARTEMENT DE LA HAUTE-SAVOIE, à la SOCIETE GTS et à la société Can.