Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 juin et 6 septembre 2011 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentées pour Mme Dominique A, M. Jean-Pierre A, Mlle Emilie A et Mlle Cyrielle A, demeurant ... ; les consorts A demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt n° 10PA01074 du 7 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté leur requête tendant à l'annulation du jugement n° 0608672/6-1 du 31 décembre 2009 du tribunal administratif de Paris rejetant leur demande tendant à la condamnation de l'Etablissement français du Sang (EFS) et de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à réparer les conséquences dommageables de la contamination de Mme Dominique A par le virus de l'hépatite C ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à leur requête d'appel ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
Vu l'ordonnance n° 2005-1087 du 1er septembre 2005 ;
Vu les décrets n° 2010-251 et n° 2010-252 du 11 mars 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les observations de la SCP Blanc, Rousseau avocat des consorts A, et de la SCP Roger, Sevaux avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Blanc, Rousseau avocat des consorts A et à la SCP Roger, Sevaux avocat de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A a subi, les 30 avril 1981, 24 mai 1984, 2 août 1985 et 22 février 1986 des injections d'immuno-globulines anti-D ; qu'ayant appris en 1998 qu'elle était porteuse du virus de l'hépatite C, elle a attribué sa contamination à l'administration de ce produit sanguin ; qu'elle-même, son époux et leurs deux filles ont demandé sans succès au tribunal administratif de Paris de mettre la réparation du dommage à la charge de l'Etablissement français du sang (EFS), auquel l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) s'est trouvé substitué en cours d'instance par l'effet des dispositions du IV de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 ; que les intéressés se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 7 avril 2011 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a confirmé la décision des premiers juges ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé : " En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. / Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable " ;
3. Considérant que la présomption prévue par les dispositions précitées est constituée dès lors qu'un faisceau d'éléments confère à l'hypothèse d'une origine transfusionnelle de la contamination, compte tenu de l'ensemble des éléments disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que tel est normalement le cas lorsqu'il résulte de l'instruction que le demandeur s'est vu administrer, à une date où il n'était pas procédé à une détection systématique du virus de l'hépatite C à l'occasion des dons du sang, des produits sanguins dont l'innocuité n'a pas pu être établie, à moins que la date d'apparition des premiers symptômes de l'hépatite C ou de révélation de la séropositivité démontre que la contamination n'a pas pu se produire à l'occasion de l'administration de ces produits ; qu'eu égard à la disposition selon laquelle le doute profite au demandeur, la circonstance que l'intéressé a été exposé par ailleurs à d'autres facteurs de contamination, résultant notamment d'actes médicaux invasifs ou d'un comportement personnel à risque, ne saurait faire obstacle à la présomption légale que dans le cas où il résulte de l'instruction que la probabilité d'une origine transfusionnelle est manifestement moins élevée que celle d'une origine étrangère aux transfusions ;
4. Considérant qu'après avoir constaté que l'innocuité des produits administrés à Mme A n'avait pu être établie par l'enquête transfusionnelle, la cour administrative d'appel a néanmoins estimé que l'hypothèse selon laquelle ces produits seraient à l'origine de la contamination ne présentait pas un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que, pour se prononcer en ce sens, la cour a relevé qu'à l'époque des faits l'élaboration des immunoglobulines anti-D comportait un traitement en milieu acide considéré comme efficace pour inactiver le virus de l'hépatite C, circonstance qui, selon l'expert, " diminuait la vraisemblance de la contamination de Mme A selon cette voie ", que l'intéressée avait subi par ailleurs plusieurs interventions invasives, en sorte qu'une origine nosocomiale ne pouvait être exclue, et, enfin, que l'expert indiquait que 20 à 30 % des cas d'hépatite C demeurent inexpliqués ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si l'hypothèse d'une origine nosocomiale, seule autre cause possible de contamination identifiée en l'espèce, était manifestement plus vraisemblable que l'hypothèse d'une contamination par les produits sanguins, la cour a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du pourvoi, les consorts A sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
5. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur l'origine de la contamination :
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise réalisée par le Dr Lortholary, désigné par le tribunal de grande instance de Paris, que Mme A a reçu des produits sanguins à quatre reprises, à des dates où il n'était pas procédé lors des dons du sang à une détection du virus de l'hépatite C qui n'avait pas encore été identifié ; que l'enquête transfusionnelle n'a pu aboutir du fait, notamment, de la perte d'archives ; que si, à l'époque des injections, la préparation des immunoglobulines anti-D comportait normalement des traitements destinés à inactiver les agents pathogènes, auxquels des études scientifiques ultérieures ont reconnu une efficacité contre le virus de l'hépatite C, cette circonstance ne suffit pas à établir l'innocuité des produits administrés à Mme A dès lors, d'une part, que l'expert indique que des cas de contamination ont néanmoins été constatés à l'époque et, d'autre part, qu'il est impossible de vérifier que le mode d'élaboration alors recommandé avait été correctement appliqué en l'espèce ; que le risque de contamination lié à la réalisation entre 1978 et 1997 de deux coloscopies, d'une extraction des dents de sagesse et d'autres actes invasifs est très faible selon l'expert et ne peut être regardé comme manifestement supérieur au risque lié aux produits sanguins ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, par application des dispositions de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002, de regarder la contamination de l'intéressée comme imputable à l'administration des produits sanguins ; que les consorts A sont par suite fondés à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 31 décembre 2009, le tribunal administratif de Paris a refusé de mettre la réparation des conséquences de la contamination à la charge de l'ONIAM, substitué à l'EFS ;
Sur les préjudices de Mme A :
En ce qui concerne le préjudice professionnel :
7. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que Mme A ait subi, du fait de sa contamination, un préjudice professionnel ;
En ce qui concerne les préjudices personnels :
8. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme A, âgée de 39 ans à la date de découverte de sa maladie, est atteinte d'une hépatite C chronique à transaminases normales avec une charge virale faible ; qu'elle a présenté depuis la découverte de sa maladie des épisodes asthéniques et des troubles dépressifs ; que les souffrances endurées sont évaluées par le Dr Parois, qui l'a examinée en 2010, à 3 sur une échelle de 7 ; que ce même expert retient un déficit fonctionnel permanent de 15% ; qu'il sera fait une juste appréciation des préjudices personnels subis par l'intéressée, comprenant les troubles de toute nature dans ses conditions d'existence et les souffrances endurées, en les évaluant à la somme de 30 000 euros ;
En ce qui concerne les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance :
9. Considérant que Mme A justifie avoir assumé les frais de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Paris d'un montant de 2 600 euros ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'ONIAM une somme d'un montant identique ;
Sur les préjudices des proches de la victime :
10. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des troubles subis par le mari et les filles de Mme A, du fait de la contamination de cette dernière par le virus de l'hépatite C, en condamnant l'ONIAM à verser à chacun une somme de 3 000 euros ;
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. Considérant que les requérants sont fondés à demander que les indemnités mises à la charge de l'ONIAM portent intérêt au taux légal à compter du 9 février 2006, date à laquelle leur réclamation préalable a été reçue par le directeur de l'EFS ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 12 octobre 2009 ; qu'il y sera procédé à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit à la charge des consorts A qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, il y a lieu de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 6 000 euros au titre des frais exposés par les consorts A devant le tribunal administratif de Paris, la cour administrative d'appel de Paris et le Conseil d'Etat ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 7 avril 2011, et le jugement du tribunal administratif de Paris du 31 décembre 2009 sont annulés.
Article 2 : L'ONIAM versera à Mme A la somme de 24 000 euros et à M. Jean-Pierre A, à Mlle Emilie A, à Mlle Cyrielle A la somme de 3 000 euros chacun.
Article 3 : Les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance de Paris, liquidés à la somme de 2 600 euros, sont mis à la charge de l'ONIAM.
Article 4 : Les indemnités mises à la charge de l'ONIAM porteront intérêt au taux légal à compter du 9 février 2006. Les intérêts seront capitalisés pour porter eux-mêmes intérêts au 12 octobre 2009 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 5 : L'ONIAM versera aux consorts A la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme Dominique A, à M. Jean-Pierre A, à Mlle Emilie A, à Mlle Cyrielle A, à l'Office national de l'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne.