Vu le pourvoi et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 et 15 mars 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour l'Office français de protection des refugies et apatrides (OFPRA), dont le siège est 201, rue Carnot à Fontenay-sous-bois Cedex (94136) ; l'OFPRA demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision n° 09014084 du 22 décembre 2011 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a annulé la décision du 24 avril 2009 de son directeur général rejetant la demande d'asile ou, à défaut, l'admission au bénéfice de la protection subsidiaire de M. A...et lui a reconnu la qualité de réfugié ;
2°) de renvoyer l'affaire devant la cour ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention de Genève relative au statut des réfugiés ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Anne Iljic, auditeur,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Foussard, avocat de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A...;
1. Considérant qu'aux termes du A de l'article 1er de la convention de Genève : " Aux fins de la présente convention, le terme " réfugié " s'appliquera à toute personne : (...) / 2°) qui, (...) craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. / Dans le cas d'une personne qui a plus d'une nationalité, l'expression " du pays dont elle a la nationalité " vise chacun des pays dont cette personne a la nationalité. Ne sera pas considérée comme privée de la protection du pays dont elle a la nationalité, toute personne qui, sans raison valable fondée sur une crainte justifiée, ne s'est pas réclamée de la protection de l'un des pays dont elle a la nationalité. " ;
2. Considérant qu'il appartient à la Cour nationale du droit d'asile, qui statue comme juge de plein contentieux sur le recours d'un demandeur d'asile dont la demande a été rejetée par l'OFPRA, de se prononcer elle-même sur le droit de ce demandeur d'asile à la qualité de réfugié au vu de l'ensemble des circonstances de fait dont elle a connaissance au moment où elle statue ; qu'à ce titre, il lui revient le cas échéant, pour déterminer la nationalité d'un demandeur d'asile, d'interpréter les dispositions d'une loi étrangère qui déterminent les règles d'attribution ou d'acquisition de cette nationalité ; que, sous réserve de dénaturation, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, juge de cassation, de contrôler l'interprétation ainsi faite par la Cour de cette loi étrangère, qui relève de son appréciation souveraine ;
3. Considérant, toutefois qu'aux termes de l'article 29 du code civil : " La juridiction civile de droit commun est seule compétente pour connaître des contestations sur la nationalité française ou étrangère des personnes physiques. / Les questions de nationalité sont préjudicielles devant toute autre juridiction de l'ordre administratif ou judiciaire à l'exception des juridictions répressives comportant un jury criminel. " ; qu'il résulte de ces dispositions que la Cour nationale du droit d'asile ne peut trancher elle-même la question de la nationalité d'un demandeur d'asile lorsque cette question soulève une difficulté sérieuse, qui relève alors de la compétence exclusive de l'autorité judiciaire ; qu'en pareille hypothèse, il appartient à la Cour de surseoir à statuer dans l'attente que la juridiction judiciaire ait tranché la question de la nationalité du demandeur ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A...a fait état, au soutien de la demande d'asile qu'il a déposée auprès de l'OFPRA le 22 avril 2008, des violences dont il aurait été victime de la part de policiers au Vietnam, en 2005, alors qu'il participait, en tant que moine bouddhiste, à une manifestation pour défendre la liberté religieuse puis, au Cambodge, en 2007, lors d'une manifestation devant l'ambassade du Vietnam en faveur du rattachement au Cambodge de la région vietnamienne du " Kampuchéa Krom ", dont il est originaire, et de la libération de moines détenus au Vietnam ; qu'il a déclaré, lors de son premier entretien à l'OFPRA, être de nationalité vietnamienne, puis, lors du second, qu'il demandait l'asile en tant que ressortissant du " Kampuchéa Krom " ; que l'OFPRA, prenant en compte la présentation par l'intéressé de documents d'identité cambodgiens, sa pratique du khmer et la circonstance que de nombreux moines bouddhistes militants du " Kampuchéa Krom " ont la nationalité cambodgienne, l'a regardé comme un ressortissant cambodgien et a, en conséquence, examiné sa demande, qu'il a rejetée par une décision du 24 avril 2009, au regard des risques de persécution encourus au Cambodge ;
5. Considérant que, saisie du recours de M.A..., la cour a apprécié le risque de persécution qu'il encourait à l'égard du seul Vietnam, après avoir estimé qu'il ne pouvait qu'être de nationalité vietnamienne, dès lors que la législation vietnamienne ne reconnaît aux citoyens vietnamiens qu'une seule nationalité ; qu'en statuant ainsi sur la nationalité de M.A..., qui pose une difficulté sérieuse, sans avoir préalablement saisi le juge judiciaire d'une question préjudicielle sur ce point, la cour a méconnu les dispositions de l'article 29 du code civil et commis une erreur de droit ; que, par suite, l'OFPRA est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il attaque, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
6. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par l'avocat de M. A...au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
D E C I D E :
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Article 1er : La décision de la Cour nationale du droit d'asile du 29 décembre 2011 est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant la Cour nationale du droit d'asile.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'avocat de M. A...au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et à M. B...A....