Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 avril et 3 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société British American Tobacco France demande au Conseil d'Etat :
1°) à titre principal, d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire n° NOR BUDD 1404184C du 12 février 2014 du ministre délégué, chargé du budget, relative à la fiscalité applicable aux tabacs manufacturés en France continentale et Corse, publiée le 13 février 2014 au bulletin officiel des douanes sous le n° 7012 ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler les dispositions de cette circulaire relatives au calendrier d'homologation des prix et aux deux cas de majoration du minimum de perception réitérant une règle contraire à une norme supérieure ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la directive 2011/64/UE du 21 juin 2011 ;
- le code général des impôts ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 octobre 2014, aff. C-428/13 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Maryline Saleix, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Foussard, avocat du ministre des finances et des comptes publics ;
1. Considérant que, selon l'article 7 de la directive du 21 juin 2011 relative à la structure et aux taux des accises applicables aux tabacs manufacturés, " les cigarettes fabriquées dans l'Union et celles importées de pays tiers sont soumises à une accise ad valorem calculée sur le prix maximal de vente au détail, droits de douane inclus, ainsi qu'à une accise spécifique calculée par unité de produit " et que " si besoin est, l'accise sur les cigarettes peut comporter une fiscalité minimale, à condition que soient strictement respectées la structure fiscale mixte et la fourchette de l'élément spécifique de l'accise conformément à l'article 8 " ; qu'aux termes de l'article 8 de cette même directive : " 1. Le pourcentage d'élément spécifique de l'accise dans le montant de la charge fiscale totale sur les cigarettes est établi en référence au prix moyen pondéré de vente au détail. (...) 6. Sous réserve des dispositions des paragraphes 3, 4 et 5 du présent article et de l'article 7, paragraphe 1, deuxième alinéa, les Etats membres peuvent percevoir une accise minimale sur les cigarettes " ; que, pour les tabacs manufacturés autres que les cigarettes, l'article 14 de la directive dispose que " Les Etats membres appliquent une accise qui peut être : a) ad valorem, calculée sur les prix maximaux de vente au détail de chaque produit librement fixés par les fabricants établis dans l'Union et par les importateurs des pays tiers, conformément à l'article 15 ; ou b) spécifique, exprimée en montant par kilogramme ou par nombre de pièces pour les cigares ou cigarillos ; ou c) mixte, comprenant un élément ad valorem et un élément spécifique. / Les Etats membres peuvent établir un montant minimal d'accise pour les cas où l'accise est ad valorem ou mixte (...) " ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 575 du code général des impôts, pris pour la transposition de ces dispositions : " Les tabacs manufacturés vendus au détail ou importés dans les départements de la France continentale sont soumis à un droit de consommation. / Le droit de consommation sur les tabacs comporte une part spécifique par unité de produit ou de poids et une part proportionnelle au prix de vente au détail. / La part proportionnelle résulte de l'application du taux proportionnel au prix de vente au détail. La part spécifique pour mille unités ou mille grammes ainsi que le taux proportionnel sont définis, par groupe de produits, à l'article 575 A. / La classe de prix de référence d'un groupe de produits correspond au prix moyen pondéré de vente au détail exprimé pour mille unités ou mille grammes et arrondi à la demi-dizaine d'euros immédiatement supérieure. / Le prix moyen pondéré de vente au détail est calculé par groupe de produits en fonction de la valeur totale de l'ensemble des unités mises à la consommation, basée sur le prix de vente au détail toutes taxes comprises, divisée par la quantité totale mise à la consommation. / Le prix moyen pondéré de vente au détail et la classe de prix de référence sont établis pour chaque groupe de produits au plus tard le 31 janvier de chaque année, sur la base des données concernant toutes les mises à la consommation effectuées l'année civile précédente, par arrêté du ministre chargé du budget. / Le montant du droit de consommation applicable à un groupe de produits ne peut être inférieur à un minimum de perception fixé par mille unités ou mille grammes, majoré de 10 % pour les produits dont le prix de vente est inférieur à 94 % de la classe de prix de référence du groupe considéré. Ce dernier pourcentage est fixé à 84 % pour les cigares et cigarillos. / Lorsque la classe de prix de référence d'un groupe de produits est inférieure de plus de 3 % à la moyenne des prix homologués de ce groupe, les pourcentages de 94 % et 84 % mentionnés au septième alinéa peuvent être augmentés jusqu'à, respectivement, 110 % et 100 % au titre de l'année en cours par arrêté du ministre chargé du budget. / Lorsque le prix de vente au détail homologué d'un produit est inférieur à 97 % du prix moyen des produits du même groupe constaté par le dernier arrêté de prix, le montant des minima de perception prévu à l'article 575 A peut être relevé par arrêté du ministre chargé du budget, dans la limite de 25 % " ; que l'article 575 A du même code fixe les montants du minimum de perception instauré par le septième alinéa de l'article 575, lesquels s'établissent pour la France continentale à 210 euros pour mille cigarettes, à 92 euros pour mille cigares ou cigarillos, à 143 euros par kilogramme pour les tabacs fine coupe destinés à rouler les cigarettes et à 70 euros pour les autres tabacs à fumer ; qu'aux termes de l'article 572 du même code : " Le prix de détail de chaque produit exprimé aux 1 000 unités ou aux 1 000 grammes, est unique pour l'ensemble du territoire et librement déterminé par les fabricants et les fournisseurs agréés. Il est applicable après avoir été homologué dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Il ne peut toutefois être homologué s'il est inférieur à la somme du prix de revient et de l'ensemble des taxes (...) " ; qu'aux termes de l'article 284 de l'annexe II à ce code : "Les fabricants et les fournisseurs agréés communiquent leur prix de vente au détail des tabacs manufacturés, pour chacun de leurs produits, à la direction générale des douanes et droits indirects. / Les prix sont homologués par arrêté du ministre chargé du budget et publiés au Journal officiel de la République française " ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre des finances et des comptes publics :
3. Considérant que les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief, alors même qu'elles se borneraient à réitérer une règle déjà contenue dans une norme juridique supérieure, le cas échéant en en reprenant les termes exacts ; que par suite, le ministre n'est pas fondé à soutenir que la circulaire du 12 février 2014 relative à la fiscalité applicable aux tabacs manufacturés, publiée le 13 février 2014 au bulletin officiel des douanes sous le n° 7012, qui comprend des dispositions impératives à caractère général, ne ferait pas grief au motif que les règles qu'elle prescrit découleraient directement des textes législatifs cités au point 2, auxquels il ne serait rien ajouté ;
Sur la légalité de la circulaire attaquée :
4. Considérant, en premier lieu, que la circulaire prévoit qu'un arrêté entrant en vigueur au début du mois de janvier homologue l'intégralité des prix des tabacs commercialisés en France métropolitaine à la consommation et qu'en cours d'année, les nouveaux produits, les produits retirés et les modifications de prix sont repris dans trois arrêtés trimestriels ; que, d'une part, le ministre chargé du budget, compétent, en vertu des dispositions combinées des articles 572 du code général des impôts et 284 de l'annexe II à ce code, pour homologuer par arrêtés les prix communiqués par les fabricants et importateurs, l'est également pour en fixer le calendrier ; que, d'autre part, ces dispositions, qui permettent l'homologation des prix dans un délai raisonnable, ne méconnaissent pas le principe de libre détermination des prix prévu par l'article 15 de la directive du 21 juin 2011 et par l'article 572 du code général des impôts ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que la circulaire énonce les seuils de prix à partir desquels le minimum de perception est appliqué pour chacun des groupes de produits ; qu'en deçà de ces montants, le droit de consommation est égal à une accise minimale qui comprend la part spécifique correspondant au groupe de produits, laquelle est identique quel que soit le prix de vente d'un produit de ce groupe, et la part proportionnelle, laquelle s'applique sur la base minimale ainsi déterminée ; qu'en procédant ainsi, la circulaire n'a en tout état de cause pas méconnu le " principe de la structure duale du droit de consommation " qui serait, selon la société requérante, instauré par la directive du 21 juin 2011, mais a fait application de la faculté, instaurée par les dispositions citées au point 1 de ses articles 8 et 14, permettant aux Etats membres de fixer un montant minimal d'accise, mise en oeuvre par les dispositions citées au point 2 des articles 575 et 575 A du code général des impôts ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'en explicitant les conditions d'application du minimum de perception des droits d'accises sur les tabacs manufacturés défini aux trois derniers alinéas de l'article 575 du code général des impôts, le ministre n'a pas imposé aux opérateurs, contrairement à ce que soutient la société requérante, un prix minimum de vente au détail, lequel aurait effectivement pour effet de porter atteinte à leur liberté de fixation des prix ; qu'il a, dans le respect de la directive du 21 juin 2011 telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, et sans méconnaitre la portée des dispositions législatives qu'il entendait expliciter, défini le seuil à partir duquel le minimum de perception est appliqué sur le prix de vente des tabacs manufacturés ; que la taxation minimale que la circulaire met ainsi en oeuvre ne méconnaît pas les dispositions citées au point 1 des articles 8 et 14 de la directive et ne porte pas atteinte aux principes d'égalité de traitement et de non-discrimination, dès lors que l'ensemble des opérateurs y est soumis, sans qu'il soit démontré ni même allégué que certains opérateurs seraient tenus de ne fabriquer ou de n'importer, dans la gamme d'un groupe de produits, que des produits dont le prix de vente serait inférieur à ce seuil ;
7. Considérant, en quatrième lieu, que la société British American Tobacco France ne saurait utilement se prévaloir, au soutien de ses conclusions qui tendent à l'annulation pour excès de pouvoir de la circulaire en cause, de ce que le ministre aurait méconnu l'obligation d'abroger un acte réglementaire illégal ;
8. Considérant, toutefois, que par un arrêt du 9 octobre 2014, rendu dans l'affaire C-428/13, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la directive du 21 juin 2011 s'oppose à une disposition nationale établissant non pas une accise minimale identique qui s'applique à toutes les cigarettes, mais une accise minimale qui s'applique uniquement aux cigarettes ayant un prix de vente au détail inférieur à celui des cigarettes de la classe de prix la plus demandée ; qu'elle en a déduit qu'une telle disposition aurait pour conséquence d'introduire des distorsions de concurrence entre les différentes cigarettes, dues à la mise en place de seuils minimaux d'imposition différents selon leurs caractéristiques ou leur prix, et serait contraire aux objectifs poursuivis par la directive ;
9. Considérant que les dispositions des trois derniers alinéas précités de l'article 575 du code général des impôts, en ce qu'elles prévoient des majorations du minimum de perception, créent des distorsions de concurrence telles que celles relevées par la Cour de justice de l'Union européenne, dès lors que les cas de majorations du minimum de perception entraînent la perception d'une accise minimale différente de celle correspondant au minimum de perception applicable au groupe de produits correspondant ; que, dès lors, la circulaire contestée ne pouvait légalement prescrire d'en faire application ; que, par suite, la société British American Tobacco France est seulement fondée à demander l'annulation des énonciations figurant aux trois derniers paragraphes du IV du chapitre II du titre I de la circulaire qu'elle attaque ;
10. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1500 euros à verser à la société British American Tobacco France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Les trois derniers paragraphes du IV du chapitre II du titre I de la circulaire du 12 février 2014 relative à la fiscalité applicable aux tabacs manufacturés sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à la société British American Tobacco France une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société British American Tobacco France est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société British American Tobacco France et au ministre des finances et des comptes publics.