Vu la procédure suivante :
Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés respectivement les 10 juin et 4 août 2014 et les 9 janvier et 23 octobre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 7 avril 2014 par laquelle le vice-président de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) l'a mise en demeure de provisionner, conformément à l'article R. 331-1 du code des assurances, les sommes indûment prélevées au titre de la participation aux bénéfices des contrats " Prévoir jeunes " et " PrévoiRetraite " et de prévoir un calendrier d'extinction des fonds de participation aux bénéfices concernés dans un délai d'un mois ainsi que de faire réaliser un audit par un cabinet externe et indépendant dans un délai de deux mois à compter de l'expiration du délai de mise en oeuvre des demandes ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- le code des assurances ;
- le code monétaire et financier ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie-Gabrielle Merloz, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Delaporte, Briard, Trichet, avocat de la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir et à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 612-31 du code monétaire et financier : " L'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution peut mettre en demeure toute personne soumise à son contrôle de prendre, dans un délai déterminé, toutes mesures destinées à sa mise en conformité avec les obligations au respect desquelles l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a pour mission de veiller. " ;
2. Considérant qu'à l'issue du contrôle dont la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir a fait l'objet entre octobre 2010 et mars 2011, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a constaté qu'au cours de la période 2002-2009, la société avait retranché, du compte de participation aux bénéfices des contrats " PrévoiRetraite " et " Prévoir Jeunes ", des sommes s'élevant respectivement à 23,9 millions d'euros et 1,2 millions d'euros, provenant de la prise en compte de frais de gestion administrative et commerciale calculés à partir d'un taux forfaitaire, alors que la société était équipée depuis 2002 d'un outil de comptabilité analytique lui permettant de calculer les frais réels exposés ; que par une décision du 7 avril 2014 et sur la base d'un rapport de contrôle définitif du 25 mars 2013, le vice-président de l'ACPR a, sur le fondement de l'article L. 612-31 du code monétaire et financier, mis en demeure la société de provisionner, dans un délai d'un mois, les sommes ainsi indument prélevées au titre de la participation aux bénéfices comme le prévoient les stipulations des contrats en cause et conformément aux dispositions de l'article R. 331-1 du code des assurances ; que la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir demande l'annulation de cette décision ;
Sur la légalité de la mise en demeure attaquée en tant qu'elle porte sur des contrats dénoués :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 331-3 du code des assurances : " Les entreprises d'assurance sur la vie ou de capitalisation doivent faire participer les assurés aux bénéfices techniques et financiers qu'elles réalisent, dans les conditions fixées par arrêté du ministre de l'économie et des finances. " ; qu'aux termes de l'article R. 331-1 du même code : " Les engagements réglementés dont les entreprises mentionnées à l'article L. 310-1 ou au 1° du III de l'article L. 310-1-1 doivent, à toute époque, être en mesure de justifier l'évaluation sont les suivants :/ 1° Les provisions techniques suffisantes pour le règlement intégral de leurs engagements vis-à-vis des assurés, des entreprises réassurées et bénéficiaires de contrats ;/ (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 331-3 du même code : " Les provisions techniques correspondant aux opérations d'assurance sur la vie, d'assurance nuptialité-natalité, et aux opérations de capitalisation sont les suivantes :/ (...) 2° Provision pour participation aux bénéfices : montant des participations aux bénéfices attribuées aux bénéficiaires de contrats lorsque ces bénéfices ne sont pas payables immédiatement après la liquidation de l'exercice qui les a produits ;/ (...) " ;
4. Considérant que l'ACPR ne conteste pas que certaines des sommes qu'elle a mis en demeure la société requérante de provisionner au titre de la participation aux bénéfices se rapportaient à des contrats dénoués, c'est-à-dire rachetés totalement ou arrivés à terme ; qu'elle fait valoir que la fin du contrat ne dégage pas l'assureur de toute responsabilité contractuelle vis-à-vis de ses anciens assurés ou adhérents, lesquels ont la possibilité de faire valoir les créances qu'ils estiment détenir en raison d'une mauvaise exécution du contrat ; qu'il résulte toutefois des dispositions précitées du code des assurances que les sommes qui doivent être provisionnées au titre de la participation aux bénéfices ne peuvent concerner que des contrats toujours en cours ; que, par suite, l'ACPR ne pouvait, sur ce fondement, mettre en demeure la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir de provisionner sur la période 2002-2009 les sommes en cause ; que la mise en demeure du 7 avril 2014 doit, dès lors, être annulée en tant qu'elle concerne des contrats dénoués ;
Sur la légalité de la mise en demeure attaquée en tant qu'elle porte sur les contrats en cours :
En ce qui concerne la légalité externe :
5. Considérant, en premier lieu, que l'Autorité veille, en vertu du I de l'article L. 612-1 du code monétaire et financier, à la préservation de la stabilité du système financier et à la protection des clients, assurés, adhérents et bénéficiaires des personnes soumises à son contrôle, telles les entreprises exerçant une activité d'assurance directe visées au 1° du B du I de l'article L. 612-2 de ce code, et est notamment chargée, aux termes du 2° du II de ce même article L. 612-1, de contrôler que ces dernières " sont en mesure de tenir à tout moment les engagements qu'elles ont pris envers leurs assurés, adhérents, bénéficiaires ou entreprises réassurées et les tiennent effectivement " ;
6. Considérant que la circonstance qu'à la date de la décision attaquée, la société requérante avait cessé de procéder au calcul forfaitaire des frais de gestion administrative et commerciale relatifs aux contrats " PrévoiRetraite " et " Prévoir Jeunes " ne faisait pas obstacle à ce que l'ACPR la mette en demeure de régulariser le montant des provisions techniques dont elle n'était pas en mesure de justifier l'évaluation, dès lors que ses pratiques passées avaient eu pour effet de sous-évaluer les montants réellement dus aux assurés au titre de la participation aux bénéfices prévue par ces deux contrats ; que ce faisant, l'ACPR s'est bornée à veiller à ce que cette société soit en mesure de tenir, à l'avenir, l'intégralité des engagements pris envers ses assurés ; que, par suite, le moyen tiré de ce que l'auteur de la mise en demeure du 7 avril 2014 aurait statué au-delà de la compétence appartenant à une autorité détentrice de pouvoirs de police administrative ne peut qu'être écarté ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que par une décision du 12 avril 2010, le collège de supervision de l'ACPR a fait usage de la faculté que lui offre le 1° du II de l'article L. 612-14 du code monétaire et financier de " donner délégation au président ou, en cas d'absence ou d'empêchement de celui-ci, au vice-président ou à un autre de ses membres, pour prendre les décisions à caractère individuel relevant de sa compétence " ; que, dès lors qu'il n'est pas établi que le président de l'ACPR n'ait pas été absent ou empêché, le moyen tiré de ce que la mise en demeure attaquée serait entachée d'incompétence en tant qu'elle est signée par le vice-président de l'ACPR doit être écarté ;
8. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 612-34 du code monétaire et financier : " I. - 1° Lorsqu'une formation du collège envisage de prendre l'une des mesures prévues aux articles L. 612-30 à L. 612-34, elle porte à la connaissance de la personne en cause les mesures envisagées et les motifs qui lui paraissent susceptibles de justifier de telles mesures./ 2° Lorsque le collège estime qu'il y a lieu de prendre l'une des mesures prévues aux articles L. 612-30 à L. 612-32, la personne en cause est informée du délai, qui ne peut être inférieur à cinq jours ouvrés à compter de sa réception, dont elle dispose pour faire connaître par écrit ses observations. Avant de statuer, le collège prend connaissance des observations formulées, le cas échéant, par la personne concernée./ 3° Lorsque le collège estime qu'il y a lieu de prendre l'une des mesures prévues aux articles L. 612-33 et L. 612-34, le représentant légal de la personne concernée est convoqué pour être entendu par le collège./ La convocation doit lui parvenir cinq jours ouvrés au moins avant la date de la réunion du collège. Elle précise le délai, qui ne peut être inférieur à cinq jours ouvrés, dont dispose le représentant légal de la personne concernée pour adresser ses observations au collège. Elle indique que la personne concernée peut se faire assister ou représenter par les personnes de son choix./ 4° Si, compte tenu de l'urgence, le collège s'est prononcé sans procédure contradictoire, l'Autorité engage sans délai la procédure contradictoire décrite au 3. L'autorité statue de façon définitive dans un délai de trois mois. (...) " ;
9. Considérant que ce texte précise, selon l'urgence ou non de la mesure à prendre et la nature des mesures envisagées, les conditions de mise en oeuvre de la procédure contradictoire qui doit être obligatoirement suivie, conformément à l'article L. 612-35 du même code, préalablement aux mesures de police administrative que l'ACPR est habilitée à prendre ; que le 1°, applicable à l'ensemble de ces mesures, prévoit l'information préalable obligatoire de la personne en cause, sauf urgence visée au 4° ; que le 2°, qui ne concerne que les mises en garde, les mises en demeure et le programme de rétablissement, et le 3°, qui concerne les mesures conservatoires et la désignation d'un administrateur provisoire, précisent les modalités selon lesquelles la personne en cause peut formuler des observations ; qu'il suit de là que, contrairement à ce qui est soutenu, les dispositions précitées des 1° et 2° de l'article R. 612-34 ne peuvent être regardées comme deux phases distinctes de la procédure contradictoire et comme faisant dès lors obstacle à ce que l'ACPR informe la personne en cause, dans un seul et même courrier, tant de l'engagement de la procédure de mise en demeure prévue à l'article L. 612-31 que du délai dans lequel celle-ci peut formuler des observations ; que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 612-34 du code monétaire et financier doit, par suite, être écarté ;
10. Considérant, en quatrième lieu, que la décision attaquée du 7 avril 2014, qui constitue une mesure de police au sens de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, énumère de façon suffisamment précise les manquements constatés et mentionne les dispositions dont elle fait application ; qu'elle comporte ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement conformément à l'article 3 de cette même loi ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que cette décision serait insuffisamment motivée doit être écarté ;
En ce qui concerne la légalité interne :
11. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte des dispositions des articles L. 331-3, R. 331-1 et R. 331-3 du code des assurances citées au point 3 que les provisions pour participation aux bénéfices sont au nombre des provisions techniques dont l'assureur doit être en mesure de justifier l'évaluation, à tout moment, afin d'établir qu'il peut faire face à ses engagements contractuels ; que la participation aux bénéfices à attribuer au titre d'un exercice est déterminée globalement à partir d'un compte de participation aux résultats établi chaque année par l'assureur conformément aux stipulations du contrat concerné ; qu'il résulte des stipulations des contrats " PrévoiRetraite " et " Prévoir Jeunes " que figurent notamment au débit de ce compte les frais de gestion administrative et commerciale ; qu'il suit de là que le montant de ces frais, facturés par l'assureur et déduits du résultat qui pourra être distribué, a une incidence sur le montant de la participation des assurés aux bénéfices et, par voie de conséquence, sur la provision qui doit être constituée en application de l'article R. 331-3 du code des assurances ; que contrairement à ce qui est soutenu, l'ACPR n'a dès lors pas privé sa décision de base légale en estimant que la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir, qui n'était pas en mesure de justifier des montants prélevés au titre de la participation aux bénéfices des contrats " PrévoiRetraite " et " Prévoir Jeunes " sur la période 2002-2009, avait de ce fait sous-évalué ses engagements contractuels et en la mettant en demeure de provisionner les sommes correspondant aux engagements pris au titre de la participation aux bénéfices, afin de se conformer aux prescriptions de l'article R. 331-1 du code des assurances ; que, ce faisant, elle n'a ni imposé des mesures disproportionnées ni méconnu le principe de sécurité juridique ;
12. Considérant, en deuxième lieu, qu'en adressant à la société requérante la mise en demeure attaquée, l'ACPR, comme il est indiqué au point 6, s'est bornée à veiller à ce que cette société soit en mesure de tenir, à l'avenir, l'intégralité des engagements pris envers ses assurés conformément aux clauses des contrats en cause et aux dispositions du code des assurance ; qu'elle n'a, ce faisant, pas porté atteinte aux situations contractuelles en cours ; que le moyen tiré de l'atteinte portée à la liberté contractuelle garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ne peut dès lors qu'être écarté ;
13. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-1 du code des assurances : " Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance. " ; que la société requérante ne saurait utilement invoquer la méconnaissance de ce délai de prescription qui n'intéresse que les relations entre l'assureur et l'assuré ;
14. Considérant, en dernier lieu, que le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi ;
15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir est seulement fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle porte sur des contrats dénoués à la date de cette décision ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la SA Prévoir-Vie Groupe Prévoir et par l'ACPR au titre de ces dispositions ;
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision du 7 avril 2014 est annulée en tant qu'elle porte sur des sommes se rapportant à des contrats dénoués.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir est rejeté.
Article 3 : Les conclusions présentées par l'ACPR au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Prévoir-Vie Groupe Prévoir et à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.