Vu la procédure suivante :
L'association musulmane El Fath, représentée par son représentant légal, a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulon, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet du Var de faire usage de pouvoir hiérarchique et de délivrer, en lieu et place du maire de Fréjus, à titre provisoire, l'autorisation d'ouverture au public de la mosquée de Fréjus. Par une ordonnance n° 1504298 du 24 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 8 et 14 janvier 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association musulmane El Fath demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du Var d'assurer l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 9 novembre 2015 en lui délivrant l'autorisation d'ouverture au public de la mosquée de Fréjus dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner toutes mesures susceptibles de mettre fin aux atteintes graves et manifestement illégales aux libertés de culte et d'expression ainsi qu'au droit à un recours effectif portées par le refus persistant du maire de Fréjus d'exécuter l'ordonnance du 9 novembre 2015 par laquelle le juge des référés du Conseil d'Etat a enjoint au maire de Fréjus d'accorder à l'association El Fath, à titre provisoire, l'autorisation d'ouverture au public de la mosquée de Fréjus ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Fréjus la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que les 650 fidèles qui se réunissent devant la mosquée de Fréjus ne disposent d'aucun lieu de culte adapté à moins de 15 kilomètres ;
- le refus du préfet du Var de faire usage des pouvoirs qu'il tient, à titre principal de l'article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales et, à titre subsidiaire, des articles L. 2215-1 du même code et R. 123-28 du code de la construction et de l'habitation pour exécuter l'ordonnance du 9 novembre 2015 du juge des référés du Conseil d'Etat porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours effectif, à la liberté de culte et à la liberté d'expression des convictions religieuses ;
- le juge des référés de première instance a méconnu le principe du caractère exécutoire des décisions de justice, garanti notamment par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en jugeant que les dispositions de l'article L. 911-7 du code de justice administrative permettraient à l'association requérante d'obtenir l'exécution de l'ordonnance du 9 novembre 2015 du juge des référés du Conseil d'Etat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 janvier 2016, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient à titre principal que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par l'association requérante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en observation, enregistré le 13 janvier 2016, la commune de Fréjus soutient que les moyens soulevés par l'association requérante ne sont pas fondés. Elle demande de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Fréjus la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association musulmane El Fath, d'autre part, le ministre de l'intérieur et la commune de Fréjus ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 14 janvier 2016 à 17 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de l'association musulmane El Fath ;
- le représentant de l'association musulmane El Fath ;
- le représentant du ministre de l'intérieur ;
- Me Munier-Apaire, avocat au Conseil d' Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Fréjus ;
- les représentants de la commune de Fréjus ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale " ;
2. Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'association musulmane El Fath a obtenu par un arrêté du maire de Fréjus du 8 avril 2011, modifié par arrêté du 19 août 2013, un permis de construire pour l'édification dans cette commune d'une mosquée et la démolition de garages servant antérieurement de lieu de culte ; que, par arrêté du 17 novembre 2014, le maire de Fréjus a mis en demeure cette association d'interrompre les travaux entrepris sur le terrain d'assiette du projet ; que, par ordonnance du 19 décembre 2014, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a suspendu l'exécution de cette décision ; qu'ayant ainsi pu achever les travaux de construction, l'association a sollicité du maire, le 5 juin 2015, la délivrance d'une attestation d'achèvement et de conformité des travaux ainsi que l'autorisation d'ouverture de la mosquée, requise par les dispositions du code de la construction et de l'habitation relatives aux établissements recevant du public ; qu'en dépit de l'avis favorable émis le 18 juin 2015 par la sous-commission départementale de sécurité, le maire a implicitement rejeté cette demande le 5 août 2015, interdisant ainsi l'ouverture de la mosquée ; que, par une ordonnance du 9 novembre 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint au maire de Fréjus d'accorder à l'association musulmane El Fath, à titre provisoire, l'autorisation permettant l'ouverture au public de la mosquée de Fréjus et décidé de prononcer une astreinte de 500 euros par jour à l'encontre de la commune s'il n'était pas justifié de l'exécution de cette ordonnance dans un délai de huit jours à compter de sa notification ; que, par une ordonnance du 3 décembre 2015, le juge des référés du Conseil d'Etat, après avoir relevé que le maire de Fréjus devait être regardé comme n'ayant pas, à cette date, exécuté l'ordonnance du 9 novembre 2015, a procédé, au bénéfice de l'association musulmane El Fath et autres, à la liquidation de l'astreinte pour la période du 21 novembre 2015 au 3 décembre 2015 inclus, au taux de 500 euros par jour, soit 6 500 euros ; que, parallèlement à ces procédures, l'association musulmane El Fath a demandé au préfet du Var, par courrier du 24 novembre 2015, qu'il donne suite au courrier du 21 octobre 2015 par lequel il avait mis en demeure le maire de Fréjus de délivrer, sous quinzaine, l'autorisation d'ouverture au public de la mosquée et indiqué qu'en l'absence de décision en ce sens, il userait du pouvoir hiérarchique que lui confère l'article L. 2131-5 du code général des collectivités territoriales ; qu'à la suite du courrier du 4 décembre 2015 que lui adressé le préfet du Var, l'association musulmane El Fath a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Toulon, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint audit préfet de se substituer au maire de Fréjus pour assurer l'exécution de l'ordonnance du 9 novembre 2015 du juge des référés du Conseil d'Etat ; qu'elle relève appel de l'ordonnance du 24 décembre 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2131-5 du code général des collectivités territoriales : " Les dispositions des articles L. 2131-1 à L. 2131-4 ne font pas obstacle à l'exercice, par le représentant de l'Etat dans le département, du pouvoir de substitution qu'il tient, notamment en matière de police, des articles L. 2215-1 et L. 2215-5, ni à celui de son pouvoir hiérarchique sur les actes du maire lorsque celui-ci, en application des articles L. 2122-27 et L. 2122-34, agit comme agent de l'Etat dans la commune. " ; qu'aux termes de l'article L. 2122-34 du code précité : " Dans le cas où le maire, en tant qu'agent de l'Etat, refuserait ou négligerait de faire un des actes qui lui sont prescrits par la loi, le représentant de l'Etat dans le département peut, après l'en avoir requis, y procéder d'office par lui-même ou par un délégué spécial. " ;
4. Considérant, d'une part, qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 111-8-3 et R. 111-19-29 du code de la construction et de l'habitation que l'autorisation d'ouverture d'un établissement recevant du public est délivrée au nom de l'Etat soit par le préfet soit par le maire ;
5. Considérant, d'autre part, que les décisions du juge des référés sont exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires ; que les obligations qui découlent de l'exécution d'une ordonnance du juge des référés, qu'il s'agisse de la suspension de l'exécution d'une décision administrative comme de l'édiction des mesures ordonnées par le juge doivent être regardées comme prescrites par la loi au sens et pour l'application des dispositions citées au point 3 de la présente ordonnance ;
6. Considérant que la situation d'urgence particulière justifiant que le juge des référés fasse usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, caractérisée par le juge des référés du Conseil d'Etat, dans son ordonnance du 9 novembre 2015, se trouve encore aggravée par le défaut prolongé d'exécution de cette ordonnance ; que si le ministre de l'intérieur invoque la nécessité de prolonger l'instruction de la demande de l'association requérante afin de permettre au préfet du Var de s'assurer du respect des normes de sécurité, il résulte de l'instruction que la sous-commission départementale de sécurité a émis, le 18 juin 2015, un avis favorable à l'ouverture de la mosquée de Fréjus ; que si le ministre de l'intérieur fait également valoir l'existence d'une instance pénale en cours, les réquisitions du ministère public tendant à la démolition de la mosquée et l'intervention du jugement correctionnel le 26 février prochain, ces circonstances avaient déjà été portées à la connaissance du juge des référés du Conseil d'Etat qui a estimé, dans son ordonnance du 3 décembre 2015, qu'elles ne faisaient pas obstacle à la liquidation de l'astreinte ;
7. Considérant qu'il incombe aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu'implique le respect des décisions juridictionnelles ; qu'ainsi et alors même que l'exécution d'une décision du juge administratif doit en principe être assurée dans les conditions et selon les procédures prévues par le livre IX du code de justice administrative, le représentant de l'Etat dans le département peut recourir aux pouvoirs qu'il tient de l'article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales afin de prendre, en lieu et place du maire qui refuserait ou négligerait de le faire, les mesures qu'appelle nécessairement l'exécution d'une décision juridictionnelle ; qu'en dépit de l'ordonnance du 9 novembre 2015 prononçant une mesure d'injonction en ce sens et de celle du 3 décembre 2015 procédant à la liquidation de l'astreinte, il résulte de l'instruction que le maire de Fréjus a persisté à refuser de délivrer, au nom de l'Etat, l'autorisation d'ouverture au public de la mosquée de la commune ; qu'il ressort tant des écritures de la commune que des échanges au cours de l'audience publique qu'il n'entend toujours pas exécuter l'ordonnance du 9 novembre 2015 ; que, dans ces conditions, le refus du préfet du Var de prendre, dans le cadre de son pouvoir hiérarchique, la mesure ordonnée par le juge des référés du Conseil d'Etat porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit à un recours effectif ainsi que, par voie de conséquence, aux libertés fondamentales que cette mesure a pour objet de sauvegarder ; qu'il résulte de ce qui précède que l'association musulmane El Fath est fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu d'enjoindre au préfet du Var de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales pour assurer l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 9 novembre 2015 dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la présente ordonnance sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte ;
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association musulmane El Fath, d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative ; que les conclusions présentées au même titre par la commune de Fréjus, qui a été mise en cause pour observations et qui n'est pas partie dans la présente instance, doivent être rejetées ;
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 24 décembre 2015 est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Var de faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 2122-34 du code général des collectivités territoriales pour assurer l'exécution de l'ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 9 novembre 2015 dans un délai de 72 heures à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : L'Etat versera à l'association musulmane El Fath une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association musulmane El Fath est rejeté.
Article 5 : Les conclusions présentées par la commune de Fréjus au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association musulmane El Fath, au ministre de l'intérieur et à la commune de Fréjus.